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  • Ça fait débat avec Wathi, avec Gilles Yabi qui a organisé en partenariat avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE le 21 mars dernier, une table ronde virtuelle sur l’avenir de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest, deux mois après l’annonce du départ simultané des trois pays du Sahel central, le Mali, le Niger et le Burkina Faso de la Cédéao.

    J’avais titré une tribune publiée dans le magazine Jeune Afrique en juillet 2020 : « Sale temps pour l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest », en commentant à l’époque l’incapacité pour les leaders des pays de la région de faire progresser le projet de création de l’Eco, monnaie unique et commune aux 15 pays membres de la Cédéao.

    Ce titre était prématuré. C’est maintenant le vrai « sale temps pour l’intégration régionale ». Le périmètre géographique de la Cédéao pourrait être réduit à 12 pays membres, sa population totale amputée de 72 millions d’âmes et sa production de biens et services évaluée par le PIB d’environ 7% (19% si on calcule le poids économique des trois pays dans la Cédéao en excluant le mastodonte nigérian). Tout cela si les trois États sahéliens dirigés par les militaires ne changent pas d’avis d’ici fin janvier 2025. Pour le moment, ils s’en tiennent à leur départ « sans délai ».

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    Vos panélistes ont tous relevé à la fois l’importance cruciale de l’intégration régionale et les accomplissements de la Cédéao dans différents domaines, mais ont aussi été très critiques sur les décisions prises par les chefs d’État au cours des dernières années…

    Oui, avec des mots forts comme ceux d’Ibrahima Kane, conseiller spécial de la directrice de la fondation Open Society pour l’Afrique et acteur de la société civile ouest-africaine. « Le principal problème au niveau de la Cédéao est un problème de leadership… Le président de la commission n’a pas d’autorité, il ne choisit pas les commissaires. On a aussi un manque de mémoire parce que tous les quatre ans, les commissaires changent, avec l’impression de reprendre chaque fois à zéro… On a ensuite un problème de leadership au niveau politique. Il y avait à l’époque de vrais leaders qui orientaient la région vers plus d’intégration. Ce leadership est aujourd’hui absent. Les chefs d’État essaient de régler leurs propres problèmes, pas les problèmes de la région ». Fin de citation. Il a aussi évoqué le problème posé par les interférences extérieures, une des conséquences de la défaillance du leadership politique régional.

    En somme, la Cédéao ne peut pas faire l’économie de réformes profondes, mais la région a plus que jamais besoin d’intégration dans toutes ses dimensions…

    Tout à fait. Cela est ressorti aussi clairement des interventions de Modibo Mao Makalou, économiste et gestionnaire financier malien qui a insisté sur l’impact désastreux des sanctions économiques qui ont isolé le Mali et plus tard le Niger, sans faire le tri entre les auteurs des coups d’État et les populations qui ont payé le prix fort de ces sanctions. Lori-Anne Théroux-Bénoni, directrice du bureau régional de l'Institut d’études de sécurité (ISS) pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, a montré de manière très pointue comment la Cédéao a montré ses limites dans la réponse à la crise sécuritaire au Mali en 2012-2013, et elle a rappelé pourquoi la coopération sécuritaire entre les pays sahéliens et les pays côtiers ouest-africains était une absolue nécessité compte tenu de l’intégration régionale de facto des groupes armés.

    Les entrepreneurs aussi ont tout intérêt à disposer d’un espace régional gouverné par des règles, qui leur permet de servir un marché vaste de 15 pays plutôt que des marchés nationaux restreints. Didier Acouetey, fondateur et président du cabinet Afric Search et, entre autres, commissaire général d’un forum qui rassemble des petites et moyennes entreprises africaines, a mis en avant les bienfaits économiques de l’intégration.

    Son point de vue en tant que citoyen ouest-africain est aussi clair s’agissant de la question des principes de démocratie et d’État de droit. Lorsque je lui ai demandé s’il pensait qu’il fallait se contenter d’intégration économique et renoncer à l’ambition de construire une région partageant des principes de convergence constitutionnelle, il a répondu ceci : « Les droits humains, ce sont des principes élémentaires. Lorsqu’on commence à y renoncer, on prend des risques qui vont à l’encontre de l’évolution de la race humaine. Moi je ne veux pas vivre au Moyen Âge... Je ne vois pas les jeunes des pays de la Cédéao qui accepteraient qu’on leur enlève le droit d’expression, de contestation… On doit faire marcher les libertés économiques avec les droits politiques ». Dans les pays sahéliens comme ailleurs, au-delà des illusions, je crois qu’on gagnerait à réfléchir davantage sur les sociétés et la région que nous voulons léguer à nos enfants.

    ► Pour aller plus loin

    « L’avenir de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest », Table ronde virtuelle de WATHI en partenariat avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE.

  • Le nouveau Premier ministre Ousmane Sonko a présenté le 7 avril le premier gouvernement du président Bassirou Diomaye Faye. Une équipe composée de 25 ministres et cinq secrétaires d'État, pour mettre en œuvre le programme de rupture promis aux Sénégalais.

    Ce gouvernement est composé de cadres du Pastef, de personnalités politiques ayant déjà occupé des fonctions publiques importantes mais aussi de plusieurs personnalités affichant toutes des expertises et des parcours professionnels pertinents. Des personnalités fortes qui pourraient donner corps à une gouvernance plus collégiale que par le passé, avec il faut l’espérer, une capacité d’écoute réelle de la part du Premier ministre et du président, ce qui est essentiel pour tirer le meilleur de chaque membre du gouvernement.

    Je trouve très rassurant le fait d’avoir, aux côtés des têtes pensantes du Pastef, des personnalités apolitiques de grande expérience comme le nouveau ministre des Forces armées, l'ancien chef d’état-major général des armées, le général Birame Diop, qui était jusque-là conseiller militaire du Département des opérations de paix des Nations unies.

    Pour entreprendre des réformes audacieuses dans un pays, il faut non seulement savoir ce que l’on veut faire mais surtout savoir avec qui le faire et comment le faire sachant qu’il y aura au moins à court terme des gagnants et des perdants, et donc des obstructions délibérées en plus des contraintes liées à l’inertie de l’appareil étatique, à celle de la société, et aux contraintes induites par les relations internationales.

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    Le seul reproche que l’on peut faire à cette équipe, et les Sénégalais et les Sénégalaises surtout ne s’en privent pas, c’est l’absence de signe de rupture en ce qui concerne la place des femmes dans l’exécutif. Quatre femmes sur 30 ministres et secrétaires d’État, moins de 15%, c’est vraiment très peu et cela ne se justifie pas.

    Après le temps de l’enthousiasme et de l’excitation et de la célébration de ce tournant politique par la voie démocratique, voici venu le temps du travail.

    Oui, il va falloir se mettre au travail et si le nouveau pouvoir à Dakar réussit vite à montrer qu’il est vraiment déterminé à faire de la double exigence du travail et de l’éthique la marque de l’action publique, une dynamique vertueuse collective peut réellement se mettre en place. L’enthousiasme qui s’entend lorsqu’on échange avec des citoyens sans affiliation politique qui croient au potentiel de transformation positive de leur pays est très prometteur. La volonté de servir leur pays d’une partie importante de la diaspora sénégalaise, qui a très massivement voté pour le duo Faye/Sonko, peut être aussi précieuse pour induire des changements rapides dans les manières de travailler dans des secteurs clés.

    C’est aussi le moment d’écouter les chercheurs, de ne pas rester enfermé dans des certitudes sur toutes les réformes à entreprendre, de rester ouvert à toutes les idées, de faire preuve à la fois de créativité et de pragmatisme…

    Oui, dans un moment comme celui-ci, un think tank citoyen comme Wathi ne peut que rappeler que sur tous les chantiers prioritaires, comme la lutte contre la corruption, la réforme des institutions politiques, le renforcement de l’indépendance et de l’efficacité de la justice, les réformes de l'éducation à tous les niveaux, la création d’emploi, la réduction des inégalités territoriales, sur toutes ces questions, il y a une production intellectuelle existante, il y a des idées qui sont sur la table, il y a des expériences de toutes les régions du monde qui peuvent être des sources d’inspiration.

    En prélude à cette élection présidentielle, nous avons réalisé une série d'entretiens avec 20 enseignants-chercheurs de différentes spécialités associées à des universités sénégalaises, à qui nous avons demandé de partager leurs propositions sur les politiques publiques qui devraient être menées au Sénégal au cours des cinq prochaines années. Ces entretiens sont en libre accès.

    C’est aussi pour nous le moment d’encourager les nouveaux décideurs à penser de manière systémique, à s’assurer de la cohérence et de la durabilité des réformes qu’ils entendent mener. Sur la lutte contre la corruption par exemple, il ne faudrait pas se focaliser seulement sur des mesures spectaculaires et attendues. Il faudra s’attaquer à l'ensemble des incitations qui induisent et facilitent tous les abus de fonctions publiques à des fins privées dans toutes les institutions. Nous avions formulé dans une de nos publications des pistes d’action dans ce sens il y a quelques années. Des audits organisationnels de toutes les institutions publiques pourraient être un bon début pour identifier de manière précise toutes les sources de vulnérabilité à la corruption et aux gaspillages des ressources publiques.

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  • Après plusieurs péripéties et des doutes sur la tenue de l’élection avant la fin du mandat du président Macky Sall le 2 avril, le scrutin présidentiel au Sénégal a été organisé sans incident le 24 mars. Le principal candidat de l’opposition, Bassirou Diomaye Faye, à tout juste 44 ans, deviendra dans quelques jours le plus jeune président de l’histoire du Sénégal indépendant et le plus inattendu.

    L’élection du 24 mars est une victoire de la société sénégalaise, celle des citoyens qui se sont mobilisés et organisés de manière remarquable pour exiger que le scrutin se tienne avant la fin du mandat présidentiel et qui ont sans doute pesé dans la décision du Conseil constitutionnel d’aller à l’encontre de la volonté du président Macky Sall et de ses alliés politiques qui voulaient reporter l’élection à la fin de l’année.

    C’est une victoire des défenseurs de l’État de droit, du respect de la Constitution et de la démocratie dans son essence. C’est une victoire de la voie du changement politique par l’expression libre et pacifique des citoyens, par opposition à l’illusion des ruptures brutales par la force militaire qui aboutissent, à de rares exceptions près, à des impasses.

    C’est aussi une preuve, s’il en fallait encore, de la simplicité de l’exercice électoral quand les acteurs politiques n’ont pas décidé de voler, de travestir le choix des votants. Dès lors que les médias peuvent dès la fin du dépouillement annoncer les résultats, bureau de vote par bureau de vote, toute manipulation des résultats devient impossible. Il faut saluer le travail sérieux et non partisan de toutes les institutions impliquées dans l’organisation de cette élection.

    Dans un contexte ouest-africain où se sont installés des pouvoirs militaires dans plusieurs pays, et où des présidents civils élus ont tenté et parfois réussi à s’accrocher au pouvoir par des manipulations constitutionnelles, vous estimez que cette élection sénégalaise est une excellente nouvelle ?

    Absolument. L'espoir suscité par ce changement spectaculaire au Sénégal est immense. Une nouvelle page de l’histoire du pays s’ouvrira avec la prise de fonction de Bassirou Diomaye Faye avec de véritables opportunités de changement positif, mais aussi son lot d’incertitudes et de risques qu’il ne faut absolument pas sous-estimer.

    Le maintien de l’engagement d’une grande partie de la société sénégalaise pour une gouvernance plus vertueuse, pour des institutions démocratiques fortes et pour des politiques publiques efficaces sera crucial pour que la rupture voulue par les électeurs conduise à une amélioration effective des conditions de vie des populations. Ce n’est évidemment pas gagné.

    Vous êtes par contre très dur sur la surprise venue du Togo, un changement de constitution et de république par un vote au Parlement, même si le président Faure Gnassingbé a demandé hier soir à la présidente de l’Assemblée nationale de faire procéder à une deuxième lecture du texte.

    Oui, pendant que toute l’attention était portée sur le Sénégal, les députés togolais votaient nuitamment le 25 mars pour une nouvelle constitution instaurant ni plus ni moins qu’une nouvelle république dotée d’un régime parlementaire. Le président de la République ne sera plus élu au suffrage universel, mais par les parlementaires pour un mandat unique de six ans. Le pouvoir exécutif sera exercé par un président du Conseil des ministres qui sera le chef du parti ou de la coalition majoritaire à l’assemblée. Le président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 19 ans, fils de Gnassingbé Eyadema qui a dirigé le pays pendant 38 ans, pourra ainsi choisir l’une ou l’autre fonction, sans devoir se soumettre à une élection présidentielle.

    Ce n'est pas tant le contenu de cette constitution qui est en cause, mais l’élaboration dans le secret d’une loi fondamentale qui n’a fait l’objet d’aucun débat public, votée en catimini par des députés en dépassement de mandat, à quelques semaines des législatives.

    Le communiqué de la présidence togolaise d’hier soir indique que le chef de l’État « au vu de l’intérêt suscité par cette loi », a demandé une deuxième lecture du texte, « toute chose étant perfectible ». En réalité, l’intérêt suscité par le texte, c’est une levée de boucliers de la part des partis politiques de l’opposition et des acteurs de la société civile, dont la première tentative de conférence de presse de protestation a été dispersée par les forces de l’ordre.

    On attend désormais ce que donnera la deuxième lecture de cette nouvelle constitution par les mêmes députés du parti au pouvoir qui l’ont adoptée largement et dont on a du mal à penser qu’ils aient pu aller jusque-là sans l’assentiment du président de la République et président-fondateur du parti.

    Cette manœuvre a le mérite de rappeler à tous que le Togo est le seul pays d’Afrique de l’Ouest à n’avoir jamais connu d’alternance démocratique depuis le coup d’État militaire de Gnassingbé Eyadema en 1967, il y a 57 ans. La semaine dernière fut celle du rappel des situations, des trajectoires et des perspectives politiques très contrastées en Afrique de l’Ouest. Rayons de lumière et lueurs d’espoir à Dakar. Politique crépusculaire d’une fausse démocratie à Lomé. Le président togolais a cette fois encore la possibilité de rebrousser chemin.

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  • Ce dimanche, premier tour de l’élection présidentielle au Sénégal. Une campagne courte de deux semaines et une seule en présence de tous les candidats puisque Bassirou Diomaye Faye, candidat du parti Pastef, est tardivement sorti de prison en compagnie d’Ousmane Sonko, le président du parti, lui-même étant hors course. Comme pour toutes les élections présidentielles en Afrique de l’Ouest, vous présentez le contexte de l’élection à travers une sélection d’études et de rapports sur plusieurs secteurs, ainsi que les biographies des candidats et des extraits de leurs programmes politiques, avec les liens vers les programmes dans leur version intégrale.

    Nous considérons que les rendez-vous électoraux devraient être des moments privilégiés de débat public sur toutes les questions fondamentales pour l’avenir des pays de la région. Il est heureux qu’au Sénégal, malgré toutes les péripéties de ces dernières semaines, et malgré les montées de tensions et de violences depuis trois ans, on puisse enfin avoir une élection dont les résultats ne soient pas du tout connus à l’avance, et une campagne qui s’accompagne d’une multitude d’articles, de prises de position parfois très articulées dans les médias et sur les réseaux sociaux. Dans le contexte sécuritaire, politique et social dégradé dans une majorité de pays de la région, toutes les alternatives à une tenue rapide de l’élection présidentielle auraient été catastrophiques.

    Le scrutin de ce dimanche est très ouvert selon vous ?

    Oui, les résultats sont bien incertains. Nous avons certes une forte focalisation de l’attention sur deux candidats, Amadou Bâ, Premier ministre il y a encore quelques semaines, celui qui représente a priori la continuité du pouvoir en place, et Bassirou Diomaye Faye, qui incarne l’opposition la plus tranchée au président sortant et même au système politique qu’on pourrait qualifier de traditionnel. Mais cette polarisation cache la grande diversité de l’offre politique qui est proposée aux électeurs sénégalais puisqu’on a 19 candidats au total, dont deux, Cheikh Tidiane Dieye et Habib Sy, ont appelé en toute fin de campagne à voter pour Bassirou Diomaye Faye.

    Diversité en termes d’âge, avec 33 ans de différence entre le plus jeune et le plus âgé des candidats. Papa Djibril Fall, 35 ans, Anta Babacar Ngom, 40 ans et seule femme sur la liste, à la tête d’une des plus grandes entreprises agroalimentaires du pays, Bassirou Diomaye Faye, 44 ans, et Dethie Fall, 48 ans, font partie du groupe des jeunes candidats. On a ensuite les quinquagénaires plus ou moins avancés, Daouda Ndiaye, El Hadji Mamadou Diao, Serigne Mboup et Thierno Alassane Sall. Puis les 60 ans et plus, les plus nombreux, Aly Ngouille Ndiaye, Malick Gakou, Amadou Ba, Aliou Mamadou Dia, Mamadou Lamine Diallo, Boubacar Camara, Mohamed Ben Abdallah Dionne, Idrissa Seck et Khalifa Ababacar Sall.

    Une diversité aussi de parcours de formation, d’expérience professionnelle et d’expérience politique…

    Et en lisant toutes ces biographies, et l’effort intéressant d’élaboration de programmes, des plus épais et détaillés aux plus évasifs, on se dit que beaucoup auraient pu se regrouper au sein de formations politiques solides et cohérentes, et incarner des équipes séduisantes pour les électeurs.

    Nous avons sur la liste trois anciens Premiers ministres, six anciens ministres, des universitaires, des fonctionnaires internationaux, un scientifique de renom, parasitologue et mycologue, des entrepreneurs, des maires et une sur-représentation de hauts fonctionnaires des impôts ou des douanes…

    Il reste encore quelques heures aux électeurs sénégalais pour examiner de près les biographies, mais aussi les propositions de tous ces candidats et pour faire leur choix. Nous ne sommes pas les seuls d’ailleurs à essayer d’attirer l’attention sur les programmes des candidats. Des organisations de la société civile ont développé des applications mobiles ingénieuses pour présenter les programmes, parfois avec l’utilisation de l’intelligence artificielle comme Jangat ou des formats ludiques comme Ndamli. D’autres comme le Consortium Jeunesse Sénégal ont multiplié les spots sur les réseaux sociaux pour inciter les jeunes à aller voter. Il ne reste plus qu’à souhaiter que l’élection se passe dans d’excellentes conditions, que tous ceux qui souhaitent voter puissent le faire dans la sérénité et qu’il n’y ait aucune raison objective pour qu’un camp puisse contester les résultats. Les conditions et l’épilogue de cette élection auront des implications pour l’ensemble de la région.

    ►Pour aller plus loin

    Sur le site Sénégal Politique, le contexte, les biographies et les programmes des candidats :

    Sur le site de WATHI, les entretiens avec 20 enseignants chercheurs sur les réformes prioritaires au Sénégal :

  • Guerre et de paix aujourd'hui, surtout guerre. Vous avez récemment participé à un débat sur le thème : « Est-ce qu’on peut éviter la guerre ? », organisé par La Maison française de New York, un institut culturel logé au sein de l’Université de New York. Vous n’en êtes pas sorti particulièrement optimiste ?

    Alors oui, c’est très difficile d’être optimiste lorsqu’on examine froidement les zones de guerre ouverte, les zones de conflit armé à moyenne intensité et qu’on y ajoute les pays dont certaines régions ne sont ni en guerre ni en paix depuis des années, voire des décennies. Le débat auquel j’ai participé était le troisième d’une série de trois conférences sur le thème général de la paix et de la guerre entre les nations, qui reprend le titre d'un essai du philosophe, sociologue et historien français Raymond Aron, publié en 1962.

    Par rapport à la question : « Peut-on éviter la guerre ? », je me suis demandé s’il s’agissait d’éviter la guerre là où elle ne sévit pas encore, sur chacun des continents, ou s’il s’agissait d’éviter une troisième guerre mondiale, d’éviter en somme que la guerre ne touche pas directement les populations à niveau de revenu élevé qui se pensaient définitivement à l’abri du fait de la puissance technologique et militaire de leurs États ou de leurs alliés.

    Vous rappelez que la guerre, les conflits armés dévastateurs et longs ne sont pas une nouveauté pour des millions de personnes, principalement dans le Moyen et l’Extrême-Orient et en Afrique au cours des quatre dernières décennies.

    Tout à fait. Les conflits armés en Afrique aujourd'hui, et les autres formes d’insécurité qu’ils génèrent, sont de loin la principale raison de s'inquiéter pour les prochaines décennies. Nous avons une guerre dévastatrice accompagnée de crimes horribles au Soudan, troisième pays le plus vaste du continent avec sept pays voisins. Cela fera un an, le 15 avril prochain, que cette nouvelle tragédie soudanaise a commencé.

    Nous avons une guerre dans l'est de la République démocratique du Congo, avec un niveau de tension extrême avec le Rwanda voisin. Avec désormais la mobilisation de moyens aériens. Des missiles sol-air mobiles sont de sortie du côté de l’armée rwandaise qui soutient les groupes armés rebelles, selon les enquêtes des Nations unies. La RDC, c’est le troisième pays le plus peuplé du continent et le deuxième le plus vaste, avec des frontières avec neuf pays. La paix n’est pas non plus durablement revenue en Éthiopie après une guerre civile meurtrière et accompagnée de crimes innommables entre 2020 et 2022. L’Éthiopie est le deuxième pays le plus peuplé du continent et a six pays voisins. Si on ne sort pas ces pays de la guerre et de la violence, on n’aura aucune chance de faire des incantations sur le futur heureux et triomphant de l’Afrique une réalité.

    Selon vous, la question n’est pas de savoir si la guerre peut être évitée, mais plutôt de savoir si de nouvelles guerres, entre les pays riches et puissants, vont réduire ou plutôt augmenter les chances que s’aggravent et se multiplient les conflits armés en Afrique.

    Oui, ce serait une grosse erreur de penser que chacun devrait s’occuper de ses guerres et se désintéresser de celles qui semblent être éloignées. Les conflits armés sont plus que jamais interconnectés, ne serait-ce que par le truchement de la circulation massive des moyens de la violence, et par la banalisation du recours aux armes sans aucune limite, sans aucune retenue.

    Les conséquences de ce qui se déroule sous nos yeux à Gaza, par exemple, ne seront pas localisées. Les experts estimaient en janvier dernier, après trois mois de guerre, que l'armée israélienne avait déjà largué 45 000 missiles et bombes sur la bande de Gaza, dont le poids dépassait 65 000 tonnes, plus que l’équivalent de trois bombes nucléaires d'Hiroshima.

    Semer la colère, le désir de vengeance, la haine, dans un monde où les moyens technologiques de la violence extrême n’ont jamais été aussi dévastateurs, c’est l’assurance d’ajouter de nouvelles guerres aux actuelles, de réduire encore plus la taille des zones de paix et de sécurité dans le monde. Qui va pouvoir donner des leçons à d’autres ? Qui va demander le respect du droit international ? Qui est et qui sera encore légitime pour demander de la retenue et de l’humanité aux autres ? Qui pourra affirmer avec conviction que les politiques étrangères des pays démocratiques sont moins cyniques que celles des régimes autocratiques ?

  • « Je ne me voyais pas candidat, tant ma principale préoccupation était de faire aboutir cette transition dans la paix et la stabilité, dans un Tchad uni et réconcilié… Moi, Mahamat Idriss Déby Itno, je suis candidat à l’élection présidentielle de 2024 sous la bannière de la Coalition pour un Tchad uni », déclarait le président de transition du Tchad le 2 mars dernier à Ndjamena.

    Pas de surprise pour ceux qui ont suivi les développements au Tchad, en particulier depuis la fin du dialogue national inclusif et souverain en octobre 2022, avec la validation de la possibilité d’une candidature du président de la transition à l’élection présidentielle. Cela constituait une remise en cause explicite d’un des principes de la gestion des coups d’État par les organisations africaines, qui voudrait que les auteurs d’un changement anticonstitutionnel de gouvernement ne se fassent pas tranquillement élire à la fin des périodes de transition comme présidents élus.

    Après le dialogue national, parfaitement circonscrit et orienté par les cercles du pouvoir, il ne restait plus qu’à Mahamat Idriss Déby Itno, lui-même, de décider d’écouter l’appel de son parti, celui de son défunt père, Idriss Déby Itno, mort le 20 avril 2021, et d’une coalition de partis et de mouvements qu’il n’aura pas été difficile de susciter et d’encourager. Scénario et mise en scène qui rappellent les années de parti unique et des pères de la nation, suppliés par des citoyens en pleurs de rester au pouvoir ad vitam æternam parce qu’ils seraient les seuls à pouvoir garantir la paix, la stabilité et l’unité du pays.

    C’est aussi le reniement d’un engagement personnel du chef militaire de la transition à ne pas rester au pouvoir au terme de celle-ci…

    Tout à fait. En se portant candidat au scrutin prévu le 6 mai, Mahamat Déby Itno a renié son engagement initial de se limiter à conduire la transition qui s’est brusquement ouverte après la mort de son père. Il disait alors avoir accepté de prendre la direction d’un conseil militaire de transition pour préserver la sécurité du pays, une prise de pouvoir en violation de la constitution du Tchad qui prévoyait un intérim par le président de l’Assemblée nationale en cas de décès du président. Sur un continent où aime bien rappeler la sacralité de la parole donnée, on ne compte plus les chefs d’État civils et militaires qui renient leurs engagements sous les acclamations.

    Après moult tractations, l’Union africaine avait fait le choix d’un traitement spécial du changement anticonstitutionnel au Tchad, épargnant le pays des sanctions systématiquement appliquées aux pays ayant connu des coups d’État. Il s’agissait pourtant bien d’un coup d’État militaire, le général Mahamat Déby ayant été choisi par ses collègues militaires les plus influents dans le régime du père. La France, acteur extérieur le plus influent au Tchad, avait aussi de fait soutenu le passage de témoin d’un père maréchal, au pouvoir pendant 30 ans, à un de ses fils, jeune général alors âgé de 37 ans.

    Vous estimez que l’élection présidentielle du 6 mai a toutes les chances de maintenir le Tchad dans sa trajectoire politique des trois dernières décennies… Est-ce une certitude ?

    Non bien sûr, le pire n’est heureusement jamais certain. On ne peut pas exclure d’avoir de bonnes surprises, de voir un fils différent du père, de le voir engager des réformes allant dans le sens de la construction de quelque chose qui finira par ressembler un jour à un État de droit. On ne peut pas exclure ce très optimiste scénario, mais il est beaucoup moins probable que celui du statu quo.

    Ce qui se passe au Tchad est une confirmation des trop nombreux rendez-vous manqués dans beaucoup de pays africains, lorsque des fenêtres s’entrouvrent pour des changements significatifs de trajectoire politique, et qu’elles sont vite refermées. Deux jours avant la joyeuse cérémonie d’annonce de la candidature de Mahamat Déby, l’opposant virulent au sein du clan dominant, cousin du président, Yaya Dillo, était tué dans des circonstances qui ne seront vraisemblablement jamais élucidées. Et pour cause, le siège du parti de ce dernier, où se sont déroulés les affrontements, a été détruit et rasé. C’est ce Tchad-là, celui de la loi du plus fort, du plus armé, du plus brutal, qui a toutes les chances de se perpétuer après la prochaine élection et pendant longtemps.

    À lire aussiTchad: une semaine après la mort de l'opposant Yaya Dillo, que devient son parti, le PSF?

  • Le 24 février 2024, la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Cédéao a décidé à l’issue d’un sommet au Nigeria, de la levée avec effet immédiat, des sanctions imposées au Niger, ainsi que des sanctions financières et économiques à l’encontre de la Guinée. L’heure est à une approche conciliante avec les trois pays sahéliens, le Mali, le Niger et le Burkina Faso, qui ont annoncé fin janvier leur départ sans délai de la communauté régionale.

    C’est incontestablement la confirmation de l’échec des mesures adoptées par les chefs d’État de la Cédéao, en réponse aux coups d’État militaires dans les trois pays sahéliens. La liste des sanctions prises à l’encontre du Niger, qui ont donc été levées après sept mois, était impressionnante : fermeture des frontières terrestres et aériennes, zone d'exclusion aérienne sur tous les vols commerciaux à destination et en provenance du Niger, suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les États membres de la Cédéao et le Niger, gel de toutes les transactions de services, y compris les services publics et l'électricité vers le Niger, gel des avoirs de l’État du Niger auprès des banques centrales, etc.

    Si le caractère illégal de ces sanctions continuera à faire l’objet de débats entre experts des textes de l’organisation régionale, la gravité de leur impact sur l’activité économique et sur la vie quotidienne des populations d’un pays qui a le troisième indice de développement humain le plus faible du monde, ne faisait aucun doute. Je rappelais à cette antenne en août 2023, juste après le coup d’État au Niger que de la même manière que les sanctions économiques et financières sévères et non ciblées contre le Mali avaient de fortes chances de provoquer un plus grand soutien d’une partie importante des populations au pouvoir militaire, les sanctions contre le Niger, si elles n’étaient pas très limitées dans le temps, pourraient être tout autant contre-productives.

    Vous disiez aussi alors que « l’immense gâchis nigérien faisait courir à la communauté politique et économique ouest-africaine un risque réel de dislocation, pour de vrai et pour longtemps ».

    Oui et j’aurais vraiment voulu avoir tort en étant aussi alarmiste il y a quelques mois. On est aujourd’hui résolument engagé dans la voie de la fragmentation institutionnelle, de la divergence des choix politiques et géopolitiques des pays ouest-africains et de l’abandon d’un ambitieux projet d’intégration régionale qui ne se limite pas à la liberté de circulation des biens et des personnes et à quelques autres facilités.

    Beaucoup de hauts cadres des pays de la région ne semblent pas prendre la mesure des implications possibles du départ définitif ou durable du Mali, du Niger et du Burkina Faso, pour les perspectives de stabilité, de sécurité et de développement économique dans tout l’espace ouest-africain dans les cinq, 10 ou 20 prochaines années. On peut comprendre que les dirigeants militaires des trois pays sahéliens ne soient préoccupés au premier chef que par leurs intérêts politiques à court terme, et que nombre de chefs d’État civils élus de la région ne se projettent pas non plus au-delà de quelques années. Il ne semble plus avoir grand monde pour expliquer à tous que l’enjeu, c’est l’état de l’Afrique de l’Ouest qu’ils laisseront aux jeunes et aux enfants.

    Vous estimez que c’est le pire moment pour renforcer la balkanisation de cette partie du continent.

    Oui. Après avoir de tout temps déploré la politique du diviser pour régner des anciens colonisateurs européens, nous nous gargarisons désormais de déclarations nationalistes flamboyantes, de l’échec de la Cédéao comme si elle était un corps étranger à ses pays membres, comme si ce n’était pas la faillite politique et économique de nombre des gouvernants des États membres, civils comme militaires, qui était à la base de la faiblesse et des errements de l’organisation régionale.

    Au moment où les guerres se multiplient ici et là, où l’antagonisme guerrier entre les grandes puissances atteint un niveau rare, au moment où les pays sérieux essaient d’anticiper les bouleversements liés à l’intelligence artificielle et investissent dans le capital humain, nous ne trouvons pas très grave de passer des années à déconstruire ce qu’on a laborieusement construit pendant près de cinq décennies, à devoir négocier des accords bilatéraux entre pays sahéliens et pays côtiers, à faire chacun la course aux armements, à diviser joyeusement nos sociétés entre souverainistes, nationalistes, patriotes d’un côté, et traîtres à la patrie et suppôts du néocolonialisme de l’autre. C’est le temps des passions et celui de l’irresponsabilité.

  • Vendredi 23 février, Wathi a organisé une table ronde à Dakar sur les chantiers prioritaires pour le Sénégal au cours des cinq prochaines années, selon les enseignants-chercheurs de différentes universités publiques du Sénégal. Et ce, dans le contexte de l’élection présidentielle dont on ne connaît toujours pas la date. Pourquoi est-ce important d’entendre les universitaires en particulier ?

    D’abord parce que tous les citoyens sont légitimes pour participer à la réflexion sur tous les sujets d’intérêt national. Ensuite, parce que les enseignants, les chercheurs font partie de cette catégorie très petite de la population qui a la responsabilité de former les futurs décideurs politiques, économiques, scientifiques, culturels d’un pays et aussi celle de produire des savoirs qui devraient orienter les décisions majeures dans tous les domaines.

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    Par rapport à d’autres régions du monde, les universitaires africains ne prennent pas suffisamment de place dans l’animation du débat public et ne semblent pas toujours convaincus de la nécessité de partager largement le résultat de leurs travaux de recherche, de partager leurs opinions qui sont a priori un peu plus informées et éclairées que d’autres parce que la production de savoirs est au cœur de leur activité professionnelle. Ceci dit, dans le cas du Sénégal, on a quand même vu un engagement remarquable des universitaires qui ont pris des positions claires dans le contexte des tensions politiques au cours des deux dernières années et encore davantage au cours des dernières semaines.

    Vous publiez progressivement les entretiens avec 20 chercheurs qui abordent un très grand nombre de thèmes, mais dans le contexte politique actuel toujours marqué par l’attente de l’élection présidentielle, la question des réformes institutionnelles et de la gouvernance politique est inévitable…

    Il faut dire d’abord que nous avons commencé à réaliser ces entretiens depuis quelques mois dans le cadre d’un projet soutenu par le Fonds canadien pour les initiatives locales. Nous souhaitions d’une part injecter des idées dans la période pré-électorale, d’autre part, rappeler à tous le rôle crucial des chercheurs, des enseignants, des universités, dans l’émergence des changements politiques, économiques, sociaux, technologiques, sociétaux nécessaires au Sénégal et dans tous les pays de la région.

    Alors même que ces entretiens ont été réalisés en grande partie avant l’annonce du non-respect de la date du 25 février pour l’élection présidentielle, le sujet de l’hyper-présidentialisme était déjà très présent. Pour Lamine Sarr, enseignant-chercheur en science politique à l’Université numérique Cheikh Hamidou Kane, « La première priorité au niveau politique, c'est de restaurer le dialogue et la confiance des Sénégalais dans les institutions ». « Quand un peuple n'a plus confiance en ses institutions, dit-il, c'est le socle même de la démocratie, de la stabilité qui est menacée ». Il constate que « Le président de la République au Sénégal est au cœur de tout… On ne peut plus continuer comme cela ».

    Zainab Kane, docteure en droit, enseignante – chercheure en droit public à l’Université Alioune Diop de Bambey, militante des droits des femmes et membre de l’Association des Juristes Sénégalaises, estime, elle aussi, que les réformes institutionnelles sont indispensables : « Il faut renforcer les institutions pour les rendre plus démocratiques, qu’elles soient au service des populations pour lesquelles elles ont été créées. »

    Elle observe qu’on a beaucoup parlé de « judiciarisation de la politique et de politisation de la justice » ces dernières années. Il est essentiel de reconstruire ou de construire la confiance dans ce pilier de l’État de droit qu’est l’institution judiciaire. Lors de la table ronde, elle a aussi mis en lumière l’ampleur du décalage entre ce qui est attendu d’un parlement censé représenter les intérêts des citoyens et ce qu’il apporte dans la réalité.

    Vous avez aussi abordé des autres réformes prioritaires, l’éducation, l’environnement, le cadre de vie, mais aussi l’énergie…

    Oui, et bien d’autres thèmes, comme la santé de manière générale et la santé mentale en particulier, ont été mis en avant par les universitaires qui sont aussi des citoyens engagés. Il est absolument indispensable de notre point de vue de nous extraire quelque peu de l’actualité politique et des controverses actuelles pour mettre en débat les questions déterminantes pour les cinq, dix, voire les vingt prochaines années. C’est une manière de rappeler aux citoyens électeurs qu’il y aura bien à un moment donné, dans quelques semaines, il faut l’espérer, un choix à faire entre ceux qui postulent à la fonction présidentielle, qu’il faudra écouter leurs propositions dans tous les domaines prioritaires et évaluer, même sommairement, leur crédibilité. Écouter ces entretiens avec les universitaires permettra peut-être aussi aux journalistes de poser les bonnes questions aux candidats.

  • Le 15 février, jeudi dernier, le Conseil constitutionnel a annulé la loi constitutionnelle adoptée par le Parlement et le décret présidentiel qui avaient annulé le premier tour de l’élection présidentielle prévu le 25 février et décidé de la date du 15 décembre pour organiser ce scrutin. Cette décision est-elle historique ?

    Elle ne devrait pas être considérée comme telle parce qu’en réalité, le Conseil constitutionnel n’a fait que son travail qui consiste à faire respecter la lettre et l’esprit de la Constitution sénégalaise qui ont été manifestement violés par la manœuvre politique conjointe d’une partie des députés et du président Macky Sall. Le report de l’élection jusqu’à la fin de l’année revenait à prolonger de neuf ou dix mois le mandat du président, une violation explicite d’une des dispositions intangibles de la Constitution, ce que le Conseil constitutionnel a clairement rappelé dans sa décision.

    Celle-ci ne devrait pas être perçue comme exceptionnelle, mais on s’est tellement habitué, dans beaucoup de pays d’Afrique francophone, à l’écrasement de toutes les institutions par la toute-puissance du pouvoir présidentiel qu’on ne peut que la considérer comme courageuse et salutaire. Je disais ici la semaine dernière que le scénario le moins dangereux pour la stabilité du Sénégal serait l’annonce très rapide d’un retour à un calendrier électoral compatible avec le départ paisible du président en avril prochain, conformément à la lettre de la constitution. Le conseil constitutionnel a à la fois dit le droit et joué son rôle – qui est tout aussi essentiel – de conseil de sages.

    Mais le Conseil constitutionnel ne fixe pas une nouvelle date pour l’élection… Cela ne constitue-t-il pas un risque ?

    Je ne pense pas. Le Conseil constitutionnel ne va pas au-delà de ses compétences. Si la date du 25 février n’est clairement plus tenable, le message du conseil est clair. Il demande aux autorités compétentes d’organiser l’élection dans les meilleurs délais en tenant compte des jours de campagne électorale manqués. Dans la mesure où tout était censé être prêt pour organiser le scrutin le 25 février, le gouvernement ne devrait avoir aucune excuse pour ne pas organiser le premier tour de l’élection présidentielle au début du mois de mars, de manière à donner le maximum de chances au respect de la date du 2 avril pour le passage du témoin entre le président Macky Sall et son successeur.

    C’est au président Macky Sall qu’il revient de prendre un décret de convocation des électeurs à une nouvelle date dans le respect de la décision du Conseil constitutionnel qui s’impose selon la constitution aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Même s’il ne faut jamais rien exclure, ce serait calamiteux pour le pouvoir en place de tenter une nouvelle manœuvre pour repousser l’élection de plusieurs mois.

    Il faut saluer la mobilisation exceptionnelle, à la fois ferme, mais responsable et pacifique de la majorité des acteurs de la société civile sénégalaise, y compris les universitaires et les autorités religieuses qui ont pris des positions extrêmement claires en faveur du respect de la Constitution.

    Vous profitez de l’occasion pour rappeler un des messages récurrents de Wathi : la nécessité de renforcer dans les pays d’Afrique de l’Ouest toutes les institutions qui assurent l’équilibre des pouvoirs, dont font partie les juridictions constitutionnelles

    Depuis quelques années, et en particulier dans une des publications de Wathi sur les Constitutions ouest-africaines, nous insistons sur l’impératif du renforcement des juridictions constitutionnelles. Nous avons explicitement recommandé le choix d’un mode de désignation des membres de ces juridictions qui vise à créer les conditions de leur indépendance effective, en « mettant l’accent sur un mandat non renouvelable et de longue durée et sur des conditions explicites d’intégrité personnelle et d’expérience professionnelle pertinente. »

    Nous avons aussi proposé que les textes constitutionnels prévoient la possibilité pour tout citoyen de saisir la juridiction constitutionnelle en suivant par exemple l’exemple du Bénin et de sa cour constitutionnelle qui, à des moments clés de l’histoire du pays, a fixé des limites au pouvoir présidentiel.

    Dans un moment où une partie des opinions publiques ouest-africaines semble penser que la défense des libertés, des droits humains, de la séparation des pouvoirs, ne sont que des lubies d’intellectuels occidentalisés, le Conseil constitutionnel du Sénégal vient de rappeler que le respect des règles est un puissant facteur de paix, de stabilité et de sécurité. Il faut peut-être rappeler que nombre d’entités politiques précoloniales africaines avaient des conseils de sages au rôle très proche de celui des juridictions constitutionnelles contemporaines.

    Pour aller plus loin :

    De quel type de constitution les pays d’Afrique de l’Ouest ont-ils aujourd’hui besoin ?

    « Il faut changer le rapport entre les gouvernants et les gouvernés en Afrique de l’Ouest »,

  • C’est la crise politique au Sénégal depuis l’abrogation le 3 février du décret présidentiel qui convoquait les électeurs le 25 février prochain, suivie du vote par l’Assemblée nationale dans des conditions tumultueuses d’une loi constitutionnelle qui fixe la date de l’élection au 15 décembre 2024. En s’appuyant sur une initiative du Parti démocratique sénégalais de Karim Wade, non retenu dans la liste finale des candidats pour cause de tardive renonciation à la nationalité française, le président Macky Sall a mis en avant un conflit entre l’Assemblée et le Conseil constitutionnel pour justifier cette décision inattendue.

    Le samedi 3 février, ce sont des millions de personnes qui ont attendu impatiemment le discours du président Macky Sall. À quelques heures du début de la campagne électorale, c’est la rumeur d’un possible report de l’élection qui suscitait une petite angoisse au sein de la population. Petite, parce que la grande majorité des citoyens, des acteurs politiques et sociaux, des observateurs, des diplomates ne pensaient pas que le président pourrait reporter l’élection présidentielle sans raison évidente, une décision forcément impopulaire et dangereuse.

    Et pourtant il l’a fait. Alors que 20 candidats avaient été confirmés par le Conseil constitutionnel après avoir passé toutes les étapes dont celle, laborieuse et coûteuse, des parrainages. Alors que les affiches des candidats étaient prêtes et que ces derniers devaient commencer à enregistrer leurs messages de campagne à la radio et télévision nationales. Alors que les missions d’observation électorale de l’Union européenne et de la Cédéao avaient commencé à déployer leurs équipes. Alors que les électeurs sénégalais étaient prêts à aller au vote le 25 février, ayant le choix entre 20 candidats, contre 5 en 2019, soit une offre politique diversifiée, malgré le rejet de la candidature de Karim Wade par le Conseil constitutionnel qui en a détaillé les raisons. En quelques minutes, le président a bouleversé les agendas de toute une année, l’agenda politique bien sûr mais aussi les programmes, les projets, les évaluations des risques politiques et sécuritaires et les décisions d’une multitude d’acteurs économiques sénégalais et étrangers.

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    Les motivations réelles de ce report, qui n’aurait pas pu se faire sans l’assentiment du président Macky Sall, restent en partie mystérieuses.

    On ne voit pas très bien quel est l’intérêt personnel d’un président sur le départ à prendre une décision qui ne peut que plonger son pays dans une crise. Rester neuf, dix ou onze mois de plus au palais, après douze ans de pouvoir ? La seule motivation qu’on peut imaginer est celle de vouloir décider du moment et des conditions de l’élection qui assureraient le résultat qu’il souhaite. En d’autres termes, choisir son successeur ou au minimum, éviter de transmettre le pouvoir à son pire adversaire politique. Mais quelles sont les chances que le contexte soit plus favorable à un tel dénouement en décembre prochain plutôt qu’en février après avoir pris une décision incroyablement impopulaire ? C’est en cela que la décision du président semble défier la rationalité.

    C’est le temps des incertitudes et cela est dangereux.

    Oui, le report de l’élection dans ces conditions rocambolesques a transformé 2024 en une année d’incertitudes radicales. La légitimité du président sera-t-elle reconnue après la fin de son mandat, le 2 avril 2024 ? Quel avenir pour le Conseil constitutionnel dont deux des membres sont accusés sans preuve de corruption, une manière de mettre en cause l’intégrité de la plus haute juridiction constitutionnelle qui joue un rôle crucial dans le processus électoral ? Faudra-t-il repartir à zéro et rouvrir la liste des candidatures ? Ousmane Sonko sera-t-il libéré au nom de l’exigence d’une réconciliation politique ou sera-t-il au contraire rejoint durablement par son remplaçant et candidat désigné pour la présidentielle, Diomaye Bassirou Faye, détenu mais pas encore jugé ? Pendant combien de mois encore les forces de l’ordre massivement déployées, certes bien équipées et organisées, pourront-elles étouffer les manifestations et faire face à une exaspération désormais évidente ?

    Les questions sans réponses sont très nombreuses et c’est cela la caractéristique d’un environnement incertain. Le scénario le moins dangereux serait l’annonce très rapide d’un retour à un calendrier électoral compatible avec le départ paisible du président en avril prochain, conformément à la lettre de la constitution. Toutes les autres options reviendraient à jouer à la roulette russe avec la stabilité du Sénégal. L’Afrique de l’Ouest n’en a vraiment pas besoin.

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  • Dimanche dernier 28 janvier, un communiqué historique des gouvernements du Mali, du Niger et du Burkina Faso annonçait la sortie simultanée de ces trois pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest.

    Vous aviez publié une note en août 2023, au lendemain du coup d’État au Niger, avec ce titre « Avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, avant de jeter la Cédéao, prenons le temps de la réflexion ». Jeter le bébé avec l’eau du bain, c’est ce que ces trois pays viennent de faire ?

    Oui, l’annonce était historique, mais terriblement malheureuse. Une sortie effective et durable de ces trois pays porterait un coup très dur au projet d’intégration régionale. Dans la note que vous évoquez, j’estimais que la violence des critiques à l’égard de la Cédéao pouvait aboutir à la poursuite de son affaiblissement, voire à sa dislocation, et que cela reviendrait à jeter une organisation construite laborieusement depuis le 28 mai 1975 pour incarner un projet de communauté de destin dans la partie occidentale du continent.

    Je rappelais que cette organisation, au-delà des chefs d’État, avait été construite au fil des décennies par des hommes et des femmes engagés qui voyaient plus loin que les intérêts à court terme de leur pays d’origine, et qui avaient compris que l’union, même imparfaite, était préférable à logique du chacun pour soi.

    Dans le domaine particulier de la paix et de la sécurité régionale, une des personnalités les plus marquantes de l’histoire de la Cédéao fut un général malien, Cheick Oumar Diarra, décédé en 2005 dans un accident d’avion au Nigeria. Secrétaire exécutif adjoint de l’organisation chargé des Affaires politiques, de la Défense et de la Sécurité, il fut l’un des artisans du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de la Cédéao signé en décembre 2001.

    Les officiers et sous-officiers qui ont pris le pouvoir par la force ces dernières années devraient savoir que des militaires et des civils, aussi patriotes et panafricanistes qu’eux, et peut-être plus conscients des enjeux géopolitiques à long terme, les ont précédés.

    De nombreuses réactions de citoyens des pays de la région témoignent selon vous d’un malentendu profond sur ce qui relève de la responsabilité d’une organisation régionale et ce qui est la conséquence logique des réalités politiques internes des pays membres.

    Oui et c’est assez étonnant que beaucoup continuent à faire comme si c’était la Cédéao qui était par exemple responsable de l’état lamentable dans lequel se trouvaient les forces armées des pays sahéliens et d’autres, au moment où les menaces sécuritaires se précisaient dans la région. Comme si la Cédéao était responsable du niveau ahurissant de la corruption et de la fraude qui ruine les États, les économies et les sociétés elles-mêmes. Comme si la Commission et les agences spécialisées de la Cédéao étaient responsables de la mise en œuvre dans chaque pays des décisions communautaires. Comme si ce n’était pas des douaniers, des policiers, des gendarmes et leurs chefs politiques qui étaient responsables de toutes les pratiques qui réduisent les bénéfices de l’intégration pour les populations. Comme si c’était l’organisation régionale qui choisissait les présidents de chacun des 15 pays membres.

    L’erreur consiste à faire de la Cédéao un substitut aux États, un moyen de s’affranchir de leurs faiblesses, de leurs dysfonctionnements et du déficit de légitimité de leurs dirigeants. Une organisation régionale permet de mutualiser des ressources, de décider de stratégies et de politiques communes dans des secteurs stratégiques, de faire bloc pour défendre les intérêts de la communauté. Mais elle reste toujours dépendante de la qualité du leadership politique des États membres et de leurs capacités.

    Il faut faire la différence en somme entre la critique légitime du leadership politique dans la région pendant une période donnée de l’histoire et la critique de l’organisation dans son essence, selon vous.

    Absolument. Beaucoup de chefs d’État manquent de crédibilité de par leur propre gouvernance interne et une série de décisions malheureuses ont été prises ces dernières années, y compris les sanctions économiques trop dures et indiscriminées contre le Niger et le Mali et l’annonce d’une intervention militaire au Niger.

    Mais cela ne suffit pas pour annihiler 49 ans de mise en œuvre d’un chantier ambitieux d’intégration régionale. Ce qui se joue aujourd’hui, ce n’est pas la liberté de circulation des oignons et des bœufs du Sahel vers les pays côtiers et des produits importés par les pays sahéliens via les ports de leurs voisins. Ce qui se joue, c’est la fragmentation de la région dans un moment de dangereuse polarisation du monde. Le moyen le plus sûr de nous affaiblir collectivement.

    Pour aller plus loin :

    Une réaction à chaud en six points à l'annonce du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO, Gilles Yabi

    Avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, avant de jeter la CEDEAO, prenons le temps de la réflexion (1)

    Avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, avant de jeter la CEDEAO, prenons le temps de la réflexion (2) : l’exigence de profondes réformes

  • Nous revenons sur la question de la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest en abordant cette fois la question des prix et du coût d’une alimentation saine.

    Un de nos intervenants lors de la table ronde organisée par WATHI en partenariat avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE, Philipp Heinrigs, économiste au sein de cette institution, explique qu’en Afrique de l'Ouest, la plupart des besoins alimentaires sont satisfaits sur le marché : en moyenne 90 % en milieu urbain, et tout de même 50 % dans les zones rurales où l’autoconsommation des producteurs recule. Et quand on parle de marché, on parle de prix. C’est le facteur qui va déterminer la possibilité pour l’individu ou le ménage d’accéder à la nourriture ou non.

    Il est donc important de comprendre la formation des prix, qui ne reflètent pas seulement les coûts, le niveau de la production et les marges des commerçants. Le prix des produits alimentaires intègre tous les coûts des différentes étapes entre la production et la mise à disposition du produit sur le marché. Cela inclut le coût de transport, le coût de stockage, le coût des pertes de produits périssables, par exemple. Tous ces facteurs expliquent le niveau des prix à un certain moment, à un certain endroit.

    Et le constat, dites-vous, est que les biens alimentaires sont particulièrement chers en Afrique de l’Ouest, par rapport à d'autres pays qui ont des niveaux de développement comparables

    Oui, Philipp Heinrigs explique que lorsqu’on constitue le panier alimentaire d’un habitant moyen de l’Afrique de l’Ouest et qu’on le valorise aux prix indiens, on a une baisse de la dépense de l’ordre de 30 %. C’est-à-dire que l’alimentation coûte 30 % moins cher en Inde qu’en Afrique de l’Ouest. Il s’agit évidemment d’une moyenne sachant qu’il y a des différences qui peuvent être importantes d’un pays à l’autre. Le constat est cependant significatif quand on sait qu’en Afrique de l’Ouest, les ménages dépensent environ 50 % de leurs revenus pour l’alimentation. Si les prix étaient 30 % ou même 20 % moins élevés, la réalité quotidienne et le niveau de stress des familles seraient bien différents.

    Lorsqu’on ne s’intéresse pas seulement à l’accès à une alimentation suffisante en termes de calories, mais aussi à une alimentation saine, donc diversifiée, qui permet de satisfaire les besoins en nutriments, les prix en Afrique de l’Ouest sont encore plus élevés. Une étude du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest montre qu’une alimentation saine coûte 3,6 fois plus cher qu’une alimentation qui est juste suffisamment énergétique.

    Les légumes et les aliments d’origine animale (viande, poisson, produits laitiers) comptent pour plus de la moitié du coût total d’une alimentation saine, tandis que les fruits y contribuent à hauteur de 17 %. Le coût minimum d’une alimentation saine est compris entre 2,19 USD par jour au Sénégal et 4,02 USD par jour au Libéria. Dans les pays de la région, à l’exception du Cap-Vert et du Sénégal, c’est plus de 60 % de la population qui n’a pas les moyens d’accéder à une alimentation saine.

    Quelles sont les implications en termes de politiques publiques des États de la région ?

    Elles sont nombreuses, et je renvoie à cette étude très intéressante sur le coût d’une alimentation saine. Je peux tout de même partager quelques messages. D’abord la nécessité de mieux suivre les prix d’une large palette de produits alimentaires, bien au-delà des céréales qui reçoivent souvent le plus d’attention.

    Ensuite, la nécessité pour les États d’utiliser les informations sur la contribution de chaque groupe d’aliments au coût d’une alimentation saine pour identifier les aliments prioritaires indispensables à une bonne alimentation mais qui restent hors de portée d’une grande partie de la population, et pour encourager la consommation des aliments riches en nutriments qui sont relativement abordables. On peut citer les légumineuses, avec toute la diversité de haricots, de lentilles, de pois que nous avons dans la région, mais aussi les fruits à coque et les graines.

    L’alimentation saine est un enjeu de santé publique. Près d’un enfant sur trois en Afrique de l’Ouest présente un retard de croissance sévère ou modéré. Des millions de personnes souffrent de carences généralisées en micronutriments. L’anémie, due à des carences en fer, est très répandue chez les jeunes enfants et les femmes. Près de la moitié des femmes en âge de procréer sont anémiées. Les solutions se trouvent d’abord dans l’alimentation et on peut faire beaucoup plus pour encourager des choix alimentaires éclairés dans la région.

    ► Pour aller plus loin

    Sécurité alimentaire au Sahel et en Afrique de l’Ouest: Où en est-on réellement ? , Table ronde virtuelle de WATHI avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest

    Alimentation saine, coûts et politiques alimentaires au Sahel et en Afrique de l’Ouest, juillet 2023, Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, OCDE

  • Wathi a organisé en décembre dernier une table ronde virtuelle sur la question de la sécurité alimentaire au Sahel et en Afrique de l’Ouest, sur le thème « penser et agir au niveau régional ». Un sujet essentiel.

    Dans la série de débats sur les pays du Sahel que nous organisons depuis plus d’un an en partenariat avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE, nous ne pouvions pas manquer de nous pencher sur la situation alimentaire et nutritionnelle dans la région. Un sujet d'une importance capitale.

    Nos quatre invités, Simone Zoundi, cheffe d’entreprise très expérimentée dans l’industrie agroalimentaire au Burkina Faso, Ollo Sib, conseiller au bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre du Programme alimentaire mondial, Philipp Heinrigs, économiste au Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest et Abdoulaye Mohamadou, secrétaire exécutif du Comité Permanent Inter-États de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS), nous ont permis d’appréhender la question de la sécurité alimentaire dans sa complexité.

    Comment peut-on décrire la situation alimentaire dans la région ?

    Dr Abdoulaye Mohamadou qui dirige le CILSS, une organisation née en 1973 alors que la région sahélienne faisait face à une grande sécheresse et à une crise alimentaire, a d’abord présenté les dispositifs régionaux qui permettent de faire un suivi permanent de la sécurité alimentaire.

    Il a expliqué que les zones les plus affectées par l’insécurité alimentaire sont essentiellement aujourd'hui celles qui sont affectées par l'insécurité physique, notamment la zone des trois frontières, Mali, Burkina Faso et Niger, mais aussi la région du bassin du lac Tchad. On estime à environ 31 millions le nombre de personnes qui ont besoin d'une assistance immédiate dans toute la région. L’écrasante majorité des personnes qui se trouvaient il y a quelques mois dans la phase dite catastrophique d'insécurité alimentaire, soit quelque 45 200 personnes, étaient dans les régions de la Boucle du Mouhoun et du Sahel au Burkina Faso et dans la région de Ménaka au Mali.

    Il faut ajouter aux crises sécuritaires le facteur structurel que représente le changement climatique et qui se traduit par l'irrégularité des pluies, de longues périodes sèches pendant la saison des pluies dans des régions du Burkina Faso, du Niger, du Tchad, et du Nigeria. La situation alimentaire dans les zones des pays du golfe de Guinée est plutôt bonne. Mais elle peut aussi se dégrader notamment à cause de l'inflation liée à la dépréciation des monnaies, à l’instar du Ghana. La disponibilité des produits ne signifie pas qu’ils sont accessibles aux populations dans une région où la pauvreté reste massive.

    Vous avez demandé au secrétaire général du CILSS les messages prioritaires à porter aux plus hautes autorités politiques des pays de la région. Que vous a-t-il dit ?

    D’abord, comme les autres invités, il a souligné l’impératif de penser et d’agir au niveau régional. Le fait d’avoir un marché régional alimentaire plus intégré et pas une juxtaposition de marchés nationaux, permettrait de tirer profit de la complémentarité entre les pays qui ont des spécialisations agroalimentaires différentes. Cela permettrait de stimuler le commerce, de gérer plus efficacement les variations saisonnières de production dans les différents pays, mais aussi d’encourager une alimentation diversifiée et équilibrée.

    Sauf que ce qu’on observe dans la région depuis quelques années, c’est plutôt une tendance au repli sur soi avec la multiplication de décisions d’interdiction ou de restriction des exportations de certains produits agricoles par les gouvernements. La Côte d’Ivoire a interdit il y a quelques jours, le 15 janvier, l’exportation d’une liste de vingt produits vivriers pendant six mois. Le manioc, l’igname, le maïs, le riz, le mil, le sorgho, le fonio, la tomate, le gombo, le piment, et les très réputées bananes plantain et attiéké en font partie. En décembre, c’était le Burkina Faso qui interdisait l’exportation de céréales. Le Bénin, le Mali et d’autres Etats ont aussi pris des décisions de ce type au cours des dernières années.

    Les trois autres messages sont tout aussi clairs : la nécessité pour les États de ne pas compter sur les sources extérieures pour le financement du secteur agricole et alimentaire ; l’amélioration de la gouvernance du secteur agricole qui ne semble pas être une priorité, et enfin la nécessité de soutenir les jeunes entrepreneurs qui s'investissent dans l'agriculture, l'élevage, la pêche, mais qui n'ont pas le soutien dont ils devraient bénéficier de la part des États.

    Pour aller plus loin

    ► Sécurité alimentaire au Sahel et en Afrique de l’Ouest : Où en est-on réellement ? , Table ronde virtuelle de WATHI avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest,

    ► Rapport régional sur les crises alimentaires en Afrique de l'Ouest, juin 2023, CILSS,

    ► Le Réseau de prévention des crises alimentaires (RCPA),

    ► Le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest,

    ► Le Comité Permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel,

  • La plus grande compétition sportive en Afrique, la Coupe d’Afrique des nations, commence ce 13 janvier en Côte d’Ivoire avec le match d’ouverture dans un stade flambant neuf de 60 000 places qui sera plein, selon le président du comité d’organisation. L’occasion de parler des impacts économiques attendus par la Côte d’Ivoire et plus généralement de la situation actuelle dans ce pays clé en Afrique de l’Ouest.

    La compétition commence dans quelques heures et ce sera à coup sûr une grande et belle fête pour la majorité des Ivoiriens, des résidents étrangers et pour tous les chanceux qui viendront d’ailleurs. Quand on connaît Abidjan et les autres grandes villes de la Côte d’Ivoire, on ne peut pas douter de ce que sera l’ambiance avant, pendant et après les matchs.

    Même pendant les années de rébellion, de crise politique et sécuritaire, les Ivoiriens n’avaient jamais perdu leur humour inimitable et leur détermination à conserver leur joie de vivre et une certaine légèreté. L’humour ivoirien nourrit une créativité culturelle et artistique remarquable. La rébellion, la grippe aviaire, ou même le brossage de dents, absolument tout est prétexte à créer un nouveau rythme, une nouvelle danse irrésistible. On ne compte déjà plus les nouveaux tubes sortis de l’imagination des artistes ivoiriens à l’occasion de cette CAN.

    Dans le contexte d’incertitudes politiques et sécuritaires dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest et du continent plus largement, dans le contexte d’un raidissement des pays du Sahel et de menaces sur l’intégration régionale, cette CAN placée sous le signe de l’hospitalité sera l’occasion de rappeler que l’Afrique est belle, joyeuse, extraordinaire quand elle célèbre sa diversité, la valorise, quand le sport fait reculer les stéréotypes, les complexes, quand des gens se retrouvent pour passer juste de bons moments de passion, d’excitation et de légèreté.

    La réussite de l’organisation de cette compétition, érigée clairement en priorité par le président Alassane Ouattara, c’est aussi la volonté de montrer à l’Afrique et au monde que la Côte d’Ivoire ambitieuse est de retour ?

    Tout à fait. L’ambition pour son pays, le fait de croire en la possibilité de le transformer en une terre où il fera bon vivre, c’est un des aspects les plus positifs de l’héritage du père de la nation ivoirienne, Félix Houphouët-Boigny. L’impulsion qu’il avait donnée en termes d’investissements dans les infrastructures, de valorisation du travail agricole et de développement d’institutions d’éducation et de formation a produit des effets sur la longue durée.

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    Cette ambition de grandeur pour son pays, dès lors qu’elle ne se traduit pas en excès de confiance, en arrogance et en perte de prise avec la réalité, est un puissant moteur pour le progrès économique et social. On ne peut pas reprocher au président Alassane Ouattara de se distinguer dans ce registre de ses prédécesseurs et de ne pas voir la Côte d’Ivoire en grand. La relance de l’économie ivoirienne par d’importants travaux d’infrastructures a été rapide, une fois la situation sécuritaire stabilisée après le violent conflit post-électoral de 2010-2011.

    La volonté d’accueillir la CAN a servi d’accélérateur et de multiplicateur des investissements. L’État a investi plus de 500 milliards de francs CFA, plus de 760 millions d’euros, dans les infrastructures sportives mais aussi routières. Au-delà des retombées économiques immédiates, le développement du tourisme est un objectif majeur pour les autorités ivoiriennes qui ont l’ambition de faire du pays une des cinq premières destinations africaines.

    La modernisation des pratiques politiques est la marche supplémentaire à franchir pour que la Côte d’Ivoire emprunte une trajectoire de progrès économique et social sur une longue durée.

    En Côte d’Ivoire, le décalage entre les compétences techniques et managériales des cadres, la créativité des jeunes entrepreneurs dans tous les secteurs d’une part, et une conception très « houphouétienne » de l’exercice du pouvoir, d’autre part, paraît toujours étonnant. L’hyper-présidentialisme reste la norme. Le nouveau stade olympique, le cinquième pont d’Abidjan, un grand boulevard à Yopougon, l’université de Bouaké, on ne compte plus les infrastructures qui portent le nom du président en exercice jusqu’en 2025 au moins. Président-bâtisseur comme Houphouët-Boigny, il faut espérer qu’Alassane Ouattara ne commettra pas la même erreur que son illustre prédécesseur : ne pas donner le maximum de chances à son pays d’échapper à une crise politique après son départ. Désolé de m’être éloigné de la légèreté qu’exige le temps de la fête. Bonne chance à toutes les équipes et que la fête soit belle partout sur le continent !

    Pour en savoir plus sur les défis politiques, économiques et sécuritaires de la Côte d’Ivoire, vous pouvez retrouver des publications sur le site Ivoire Politique et des tables rondes sur la page YouTube de Wathi.

  • Dans une tribune publiée par Jeune Afrique, vous estimez que « les pratiques politiques perverses restent l’obstacle primordial au progrès sur le continent ».

    Oui, il me semblait important de rappeler au début de cette année 2024 que la question de la manière dont les pays africains sont gouvernés reste la plus déterminante pour les perspectives de vie meilleure pour les populations. J’avais hésité entre proposer un texte sur l’impératif des réformes des systèmes éducatifs, ou proposer une tribune sur les changements politiques et institutionnels en Afrique.

    Mais même si l’éducation est pour nous une priorité parmi les priorités, il n’y a aucune chance de voir des réformes audacieuses dans les politiques éducatives en l’absence de changements profonds dans la gouvernance politique ou plutôt dans les pratiques politiques réelles. La sobriété du mot « gouvernance » est parfois une manière trop délicate de ne pas nommer les choses, de ne pas décrire la réalité de pratiques politiques, économiques et sociales qui ont des conséquences graves et permanentes sur le bien-être de dizaines de millions de personnes, exposées à l’insécurité, privées de systèmes de santé et d’éducation fonctionnels, maintenues dans l’ignorance et la pauvreté.

    Même au sein des catégories sociales qui ne sont pas les plus défavorisées et dans des pays qui ne sont pas en crise sécuritaire ou économique aigüe, beaucoup de jeunes partent ou rêvent de partir, dépités qu’ils sont par le spectacle offert par des responsables politiques qui ne se préoccupent manifestement que de la conservation de leurs privilèges et de la redistribution des rentes au sein de leurs cercles familiaux et de leurs clientèles politiques.

    Dans cette tribune, vous partez des images que vous qualifiez de pathétiques, celle du président Ali Bongo juste après son renversement appelant à l’aide avec un « Make noise » célèbre, celle aussi de son fils filmé devant des malles remplies de liasses de billets de banque…

    Oui, ce que cette triste fin de règne au Gabon illustre au-delà de l’incapacité à quitter le pouvoir même lorsqu’on n’est plus en mesure de l’exercer, c’est l’extraordinaire facilité avec laquelle l’appartenance au clan du chef de l’État ouvre la porte à des années de privilèges indus et excessifs. Si dans les pays richement dotés en ressources pétrolières et minières d’Afrique centrale, les excès dans les abus de fonctions publiques à des fins privées sont parfaitement connus depuis des décennies, la nature du problème de fond est la même dans les autres régions du continent.

    La facilité avec laquelle le pouvoir politique donne accès à des privilèges excessifs, à une accumulation matérielle rapide et en parfait décalage avec les indicateurs des économies nationales, attire dans le champ politique les personnes les moins motivées par la recherche du bien-être collectif, et éloigne des fonctions politiques et publiques les personnes les plus intègres et les plus désireuses de contribuer à l’amélioration des conditions de vie de leurs concitoyens. Il suffit de discuter en privé avec des personnalités qui ont exercé des fonctions politiques ou publiques importantes pour avoir la confirmation de l’immensité du gâchis provoqué par la soumission de choix cruciaux pour l’avenir des pays aux considérations de la politique partisane et des gains privés à court terme.

    Vous rappelez certaines propositions de Wathi sur le changement des pratiques politiques…

    Plutôt que de ruptures politiques spectaculaires qui viendraient comme l’espèrent certains, d’autocrates patriotes miraculeusement « éclairés » issus de coups d’État, il nous semble plus raisonnable de pousser à des changements institutionnels qui augmenteraient les chances d’avoir de bons gouvernants et de réduire le risque que de mauvais gouvernants, même issus d’élections régulières, fassent des dégâts considérables dans leurs pays. C’est la logique qui guide nos pistes d’action.

    On peut travailler à changer le rapport entre les gouvernants et les gouvernés par la fixation de limites claires aux pouvoirs discrétionnaires des chefs d’État, par le renforcement de toutes les institutions de contre-pouvoir, par le renforcement des institutions dédiées au contrôle de l’utilisation des ressources publiques, par la dépolitisation des administrations, par l’introduction dans les constitutions d’institutions indépendantes dédiées à l’éducation civique et à l’animation de débats publics annuels citoyens et structurés sur les grands domaines de l’action publique.

    Si on n’augmente pas la qualité du leadership politique, celle des institutions publiques, et celle des institutions d’éducation et de recherche, les pays africains continueront d’être écrasés par les grandes, les moyennes, les petites et même les très petites puissances du monde ouvert, complexe et dangereux qui est le nôtre. Insister sur les changements internes visant à construire des États et des sociétés démocratiques, organisés et forts ne signifie donc nullement ignorer les contraintes et les menaces extérieures. Bien au contraire.

  • Pour cette dernière chronique Ça fait débat avec Wathi de l'année 2023 : bilan et projection sur l'année 2024 à venir.

    Il faut bien le reconnaître : cette année 2023 n’aura pas été dominée par des événements porteurs d’espoirs de plus de paix, de sécurité, de progrès économique et social. On n’en sort pas rassuré sur les perspectives de 2024.

    Dans la liste assez longue des zones de violence de masse, le Soudan, au cœur du continent africain, et les territoires palestiniens au Moyen-Orient, sont peut-être ceux où s’expose le plus abruptement la faillite morale de notre époque, l’extraordinaire décalage entre les moyens matériels et technologiques dont les plus puissants du monde disposent et le cynisme avec lequel ils choisissent de les utiliser ou de regarder faire. Des massacres, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, se déroulent depuis des mois et les millions de tweets, d’images, de vidéos qui témoignent de cette tragédie, celle de Gaza en tout cas, n’y changent absolument rien.

    L’année 2023 aura été difficile pour le continent, avec des horizons politiques et sécuritaires incertains, notamment en Afrique de l’Ouest

    En Afrique de l’Ouest et aussi en Afrique centrale, où le renversement surprise du président Ali Bongo du Gabon en plein hold-up électoral inquiète des dirigeants de pays voisins accrochés au pouvoir depuis des décennies. Sur le continent, 2023 aura été l’année de la poursuite des coups d’État, de la poursuite de la fragmentation institutionnelle de l’Afrique de l’Ouest, de la hausse des victimes civiles des confrontations armées dans le Sahel. Les incertitudes sur l’avenir immédiat de ces pays sont aussi fortes aujourd’hui qu’il y a un an.

    Le sentiment de fierté légitime procuré par des signes de reconquête de souveraineté s’accompagne d’une perception erronée de l’ampleur et des implications de la faiblesse des économies nationales, des administrations publiques, des systèmes éducatifs. Les affirmations exaltées de souveraineté ne suffisent pas à fournir de l’électricité aux populations, à créer des emplois, à réduire la pauvreté, à encourager les investissements productifs.

    Presque partout ailleurs en Afrique de l’Ouest, on n’a vu que des signes d’un raidissement de gouvernants et d’un recul des libertés. Des journalistes, des activistes, des citoyens engagés se retrouvent en prison beaucoup plus vite qu’il y a quelques années pour un commentaire critique, pendant que les thuriféraires des pouvoirs en place ne craignent rien, quoi qu’ils fassent. Ceux qui défendent avec conviction les pouvoirs autoritaires ne réalisent pas que dans des contextes où règne l’arbitraire, tout le monde est en danger.

    À la veille de cette année 2024, ce qui donne du sens et de la consistance à la vie même dans les conditions les plus difficiles, pour l’art, la culture et l’éducation notamment

    « The World Is Becoming More African », « Le monde devient plus africain », a titré le quotidien The New York Times en octobre dernier, dans le premier d’une série d’articles sur les mutations du continent. Les sociétés africaines se transforment à une vitesse folle. Bien sûr, le facteur numéro un du constat d’un monde plus africain est le facteur démographique : la croissance de la population africaine couplée à sa jeunesse qui contrastent avec les évolutions démographiques partout ailleurs.

    Mais cet article met aussi en lumière l’influence culturelle du continent à travers ses stars de la musique, qui remplissent des stades partout dans le monde. À quoi seraient réduites l’image et la réalité du Nigeria par exemple sans les Burna Boy, Rema, Yemi Aladé, Wizkid, Davido et beaucoup d’autres, dignes héritiers de l’immortel Fela Kuti dont la puissance des textes et de la musique traverse les générations ? Ce n’est pas seulement le rayonnement dans le monde des artistes africains qu’il faut saluer. C’est la créativité qui se donne à voir tous les jours, l’extraordinaire diversité des manières de célébrer la vie et de lui donner un sens.

    L’art, la culture et l’éducation constituent ensemble le socle sur lequel reposent les sociétés humaines pour résister à tout. Dans le continent qui est le plus jeune du monde, il ne saurait y avoir de priorité moins discutable que celle de la transmission de savoirs, de savoir-faire et de savoir être. En 2024, l’éducation et la culture prendront une place prépondérante dans nos activités à Wathi.

    Très belle année à toutes et à tous et ne cessons jamais de croire en la contribution unique que chacun de nous peut apporter à des causes qui nous dépassent.

    ► Pour aller plus loin :

    The World Is Becoming More African, New York Times

    Le site de Wathi

  • Les élections générales ont eu lieu ce 20 décembre en République démocratique du Congo avec une extension du vote le lendemain dans plusieurs localités en raison de nombreux retards et dysfonctionnements.

    Il y a peu de doute sur le fait que les résultats de l’élection présidentielle en particulier seront contestés, que la légitimité du président qui sera élu ou réélu le sera également, que les batailles politiques se poursuivront avec peu de limites dans la nature des moyens utilisés, que des compromis plus ou moins secrets seront trouvés entre certains grands acteurs de la classe politique pour partager le pouvoir et les rentes à l’échelle nationale ou provinciale. Les citoyens congolais n’ont pas vu d’amélioration significative dans la qualité de l’organisation électorale.

    Même à Kinshasa, là où on ne peut invoquer l’inexistence de routes praticables pour expliquer les défaillances, il y a eu des retards de plusieurs heures, décourageant les électeurs et un sentiment de désordre. Cela rappelle la grande désillusion des millions de citoyens d’un autre grand pays du continent, leNigeria, après les élections de février de cette année.

    La RDC, comme le Nigeria, fournissent une illustration du lien entre corruption systémique et incapacité à bien faire. Wathi a organisé le 13 décembre dernier une conversation sur la corruption au cours duquel vous avez rappelé que l’effet de la corruption va bien au-delà du détournement de ressources.

    Oui, la corruption dans le sens le plus général d’abus de fonctions publiques à des fins privées tue la compétence et le travail bien fait. Lorsque des millions de dollars, des milliards de dollars sur plusieurs années disparaissent, en ce qui concerne des pays comme la RDC ou le Nigeria, ce sont bien sûr des ressources qui auraient pu et qui auraient dû contribuer à transformer les infrastructures routières, ferroviaires, énergétiques, éducatives ou sanitaires du pays.

    Mais ce que j’ai rappelé lors de cette conversation sur la corruption, c’est que la recherche de l’enrichissement par tous les moyens par les acteurs investis d’une charge publique est une activité qui mobilise du temps, de l’énergie, de l’intelligence, de l’expertise. Cela veut dire qu’une grande partie de ceux qui doivent construire et renforcer un État consacrent l’essentiel de leur temps à s’occuper de leurs propres affaires. Il faut ajouter à cela l’effet de la corruption sur les incitations dans toute la société. Pourquoi vouloir être performant dans un contexte où chacun pense que la priorité est de trouver les moyens les plus astucieux pour profiter au maximum de sa fonction publique ? Les contextes de corruption systémique sanctionnent l’intégrité, l’ardeur au travail et le souci du bien commun.

    Renoncer aux efforts de réduction de la corruption en RDC aurait des conséquences graves sur l’ensemble du continent, dites-vous

    Oui, parce que la RDC, avec sa population estimée aujourd’hui à 102 millions d’habitants, fait partie des quatre pays dont les perspectives sécuritaires, politiques et économiques seront déterminantes pour l’ensemble du continent. La RDC aura normalement plus de 100 millions d’habitants d’ici 2050. Et la RDC est aussi le coffre-fort du continent avec une richesse exceptionnelle en matières premières qui en fait un objet de convoitise depuis deux siècles.

    On pourrait ne parler que du cobalt, dont la RDC détient plus de la moitié des réserves mondiales, pratiquement le triple de l’Australie. Il produit actuellement 70% du volume mondial. Le cobalt est un composant des superalliages utilisés dans les turbines à gaz, les réacteurs nucléaires, les systèmes de guidage de missiles. Et il est surtout indispensable pour les batteries utilisées dans les voitures électriques et plus généralement pour la transition énergétique.

    Personne ne laissera donc ce pays tranquille, pas plus demain qu’aujourd’hui et hier, lorsque le roi des Belges Léopold II décidait d’en faire sa propriété privée, de piller ses ressources et de martyriser ses populations. À part les dizaines de millions de Congolais pauvres, très pauvres, et moyennement pauvres, il n’y a pas grand monde qui ait en réalité intérêt à une lutte efficace contre la corruption qui se traduirait par un renforcement de la capacité de l’État à défendre l’intérêt général du pays. C’est précisément pour cela qu’il faut soutenir activement les acteurs congolais courageux qui ne renoncent pas à la lutte. Mettre fin à la « kleptocratie minière », terme que j’emprunte à Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales, sera extrêmement difficile. Mais c’est une nécessité absolue.

    ► Pour aller plus loin :

    Comment lutter contre la corruption : les pistes d'action de WATHI / Dialogue avec Gilles Yabi

    République démocratique du Congo : une « élection » entre guerre et corruption

  • La région ouest-africaine fait face à une accumulation de situations de crises politiques et institutionnelles, au-delà des pays du Sahel. Gilles Yabi alerte sur les tensions politiques en Sierra Leone et aussi en Guinée-Bissau.

    Les chefs d’État de la Cédéao qui se sont réunis à Abuja le 10 décembre avaient sur la table le casse-tête du Niger et les transitions à durée indéterminée du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée. Cela faisait déjà beaucoup de dossiers pour une Cédéao dépassée par les événements politiques de ces dernières années.

    Mais il a fallu ajouter la Sierra Leone où une attaque matinale surprise le 26 novembre dernier a coûté la vie à au moins 21 personnes, majoritairement des militaires. Les autorités de Freetown ont qualifié cette attaque d’un camp militaire de tentative de coup d’État. Quatre-vingts personnes ont été arrêtées. L’ancien président Ernest Baï Koroma, désormais considéré comme suspect, a été assigné à résidence.

    Cela témoigne de tensions politiques et sécuritaires sérieuses, quelques mois après une élection présidentielle en juin dernier dont la sincérité des résultats n’avait pas convaincu tous les observateurs. L’attaque du 26 novembre ne peut pas être dissociée de l’existence de ressentiments forts au lendemain de la réélection controversée dès le premier tour du président Julius Maada Bio.

    La Guinée-Bissau s’est aussi invitée à la table du sommet de la Cédéao depuis les affrontements entre des éléments de la Garde nationale et des forces spéciales de la Garde présidentielle le 1er décembre et l’évocation d’une tentative de coup d’État par le président Umaro Sissoko Embalo.

    Le président Embalo a sans doute tenté de convaincre ses pairs qu’il a été victime d’une tentative de coup d’État et qu’il ne pouvait que prendre des mesures exceptionnelles, comme celle de dissoudre l’Assemblée nationale. C’est en effet ce qu'il a fait le 5 décembre : dissoudre le parlement présidé par son adversaire politique principal, Domigos Simões Pereira, leader du parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC). En juin dernier, c’est la coalition menée par le PAIGC qui avait nettement gagné les élections législatives avec 54 sièges contre 29 pour le Madem G15, la famille politique du président Embalo.

    L’article 94 de la constitution de Guinée-Bissau interdit toute dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la république dans les douze mois suivant des élections législatives. La décision du président Embalo est donc une violation flagrante de la constitution. Le président déroule de fait une reprise en main du pouvoir politique, après la défaite de son parti lors des élections législatives. Cela ressemble beaucoup à un coup de force.

    En avril 2010, au lendemain d’une énième crise politique et sécuritaire dans ce pays, vous aviez écrit l'article « Aider la Guinée-Bissau sans relâche et sans condescendance ». Rien n’a changé, 13 ans plus tard, le pays tourne toujours en rond.

    Oui, dans cet article, je parlais d’une « suite malheureuse d’opportunités manquées dans un pays qui semble incapable de sortir d’un cercle vicieux où l’instabilité politique, les violences soudaines, l’impunité garantie aux soldats, la faiblesse de la classe politique, la corruption d’une partie des élites par l’argent facile d’où qu’il vienne, le sous-développement de l’économie, l’anémie des finances publiques et l’appauvrissement de populations résignées se nourrissent les uns des autres ».

    On en est exactement au même point aujourd’hui. Avec entre-temps l’ascension politique de la personnalité d’Umaru Sissoko Embalo, victorieux inattendu de l’élection présidentielle de décembre 2019. Les pourfendeurs de la démocratie dans son essence, nombreux et populaires en ce moment, expliqueront sans doute que les crises politiques récurrentes en Guinée-Bissau sont le résultat du modèle constitutionnel importé du Portugal, de son inadaptation au contexte local. Il y a certes beaucoup de choses à corriger dans la constitution actuelle de Guinée-Bissau et des propositions précises ont déjà été faites lors de travaux antérieurs par des think tanks, des experts et des commissions dédiées.

    Mais il faut peut-être reconnaître que la combinaison de la ruse et de la force, l’absence de limites dans les coups tordus, au cœur des pratiques de dirigeants parfaitement conscients des conséquences de leurs actes, est ce qui détruit toute lueur d’espoir en Guinée-Bissau comme dans d’autres pays de la région. Dans la majorité des pays d’Afrique de l’Ouest, nous faisons face à une crise éthique profonde du leadership politique.

  • Parmi les nombreuses conséquences des changements climatiques, celle de l’émergence d’une nouvelle catégorie de migrants, des personnes qui devront quitter leurs localités de résidence devenues invivables. Quel rapport entre le changement climatique et les implications possibles pour les mouvements migratoires entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Nord ?

    Le changement climatique et ses effets multiples, complexes et inégaux sur chacune des régions de la planète viennent ajouter un facteur d’incertitude supplémentaire sur les perspectives de la mobilité humaine au cours des prochaines décennies.

    Cet article fait partie d’une collection de contributions publiées par le think tank américain Carnegie Endowment for International Peace sur le changement climatique et la vulnérabilité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les autres textes portent sur le Liban, l’Arabie saoudite, l’Iraq, la Jordanie, la Palestine, l’Égypte, la Tunisie et la Libye. Tous ces pays comptent parmi les plus exposés aux effets du changement climatique, notamment la montée en flèche des vagues de chaleur, la diminution des précipitations, les sécheresses prolongées, l'intensification des tempêtes de sable et des inondations, et l'élévation du niveau de la mer.

    Vous avez examiné les prévisions des experts sur les effets des changements climatiques en Afrique de l’Ouest et en Afrique du Nord. Que disent-elles ?

    Les prévisions en matière de climat n’établissent pas des certitudes, mais les travaux des scientifiques convergent sur des évolutions très probables qui sont en fait déjà à l’œuvre. En Afrique du Nord, tous les modèles climatiques prévoient une forte augmentation des vagues de chaleur. Si le réchauffement de la planète atteint +4°C, on estime que certaines régions, comme en Algérie, pourraient voir leur température d’été moyenne augmenter de +8°C d’ici à la fin du siècle. Une diminution des précipitations, les pluies dans le langage commun, est prévue dans de grandes parties de l’Afrique du Nord.

    À écouter aussiCOP28: l’indispensable engagement des jeunes pour changer notre rapport à la nature

    Avec de fréquents jours de chaleur affichant des températures maximales quotidiennes supérieures à 50°C, le climat pourrait changer de manière si radicale que certaines parties de l’Afrique du Nord deviendraient inhabitables pour certaines espèces, y compris pour les êtres humains.

    En Afrique de l’Ouest aussi, les projections climatiques font apparaître une forte hausse de la moyenne des températures, de leur variabilité et de leurs extrêmes. Ce réchauffement est une constante ferme des projections sur le changement climatique, même si l’amplitude, qui va de + 3°C à + 7°C, dépend du modèle et du scénario d’émissions.

    Vous dites dans cet article que les évolutions climatiques et leurs impacts sur ces deux régions africaines sont assez proches. Selon vous, la différence probable proviendra des capacités d’adaptation relatives des pays d’Afrique du Nord et d’Afrique de l’Ouest ?

    Oui et cela ramène à l’impulsion donnée par les États en termes de politiques publiques, de développement des infrastructures et des compétences pour favoriser une adaptation rapide et efficace. Les perspectives économiques, politiques et sécuritaires dans les deux régions pendant les décennies à venir seront au moins aussi déterminantes que les manifestations du changement climatique comme facteurs déclencheurs des mouvements de population au sein de chaque pays, vers les pays voisins ou plus loin, dans une autre partie du continent ou vers un autre continent.

    À écouter aussiDurcissement des politiques migratoires: «Même si je dois mourir, je préfère aller dans la Méditerranée»

    Les évolutions démographiques seront aussi un facteur déterminant de l’ampleur et de la direction des migrations africaines à venir. Les effets négatifs attendus des changements climatiques affecteront quelques centaines de milliers de personnes ou quelques dizaines de millions de personnes, en fonction des zones qui seront les plus affectées et de la masse des populations qui y habitent. Les données démographiques comparatives de l’Afrique du Nord et de l’Afrique de l’Ouest pourraient donc être un élément majeur des perspectives de migrations entre ces deux régions.

    Les tendances climatiques et leurs impacts économiques tout comme les tendances démographiques plaident pour une anticipation d’une accélération de la mobilité et pour une gestion politique concertée de cette mobilité au bénéfice des pays d’Afrique du Nord comme de ceux du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. On en est loin pour le moment. Il n’est pas inutile de rappeler que tous ces pays sont membres de l’Union africaine qui promeut en principe la libre circulation des personnes au sein du continent.

    ► Pour aller plus loin :

    - Climate Change and Vulnerability in the Middle East, Carnegie Endowment for International Peace

    - Quels sont les futurs scénarios climatiques en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest ? Benjamin Sultan

    - Urbanisation et démographie en Afrique du Nord et de l’Ouest, 1950-2020

  • La COP28 s’est ouverte à Dubaï aux Émirats arabes unis avec la confirmation de l’opérationnalisation du Fonds destiné à financer les « pertes et dommages » climatiques des pays durement touchés par les événements climatiques extrêmes. Pour les pays africains, c’est une bonne nouvelle, mais le continent défendra à Dubaï de nombreuses autres positions et affichera plus d’unité que lors des précédentes COP.

    Oui tout à fait. Alors, il faut saluer le lancement effectif du fonds pertes et dommages, mais comme le soulignent de nombreux spécialistes, il n’y a pour le moment aucune obligation de contribuer au fonds pour les pays historiquement les plus émetteurs, ni de cible financière à atteindre alors qu’il faudrait des centaines de milliards de dollars pour répondre aux effets dévastateurs des catastrophes climatiques. Et il faudra aussi s’assurer qu’on ne fera pas l’amalgame entre le financement des pertes et dommages et le financement des mesures d’adaptation aux conséquences inévitables du changement climatique, qui est aussi une priorité pour les pays africains.

    L’enjeu reste celui d’obtenir des engagements clairs et conséquents de la part des pays dont le niveau de vie actuel est en partie le résultat des activités économiques gourmandes en énergies fossiles, largement responsables du réchauffement de la planète. Le continent africain devrait afficher à Dubaï son unité derrière les 50 points de la déclaration finale du premier sommet africain sur le climat organisé au Kenya du 4 au 6 septembre dernier.

    Dans cette déclaration dite de Nairobi, l'Afrique se présente comme continent incontournable dans la réponse mondiale au changement climatique…

    Le continent a le plus grand potentiel pour incarner une alternative aux combustibles fossiles polluants. Un potentiel naturel pour générer des énergies propres, le solaire, l’éolien, la géothermie, mais aussi un réservoir majeur des matières premières indispensables pour les batteries, les piles à hydrogène et de manière générale pour les technologies de la transition énergétique. Le continent abrite notamment 40 % des réserves mondiales de cobalt, de manganèse et de platine. La déclaration de Nairobi met un accent fort sur l’énergie et la nécessité d’investissements massifs dans les énergies renouvelables pour passer d’une capacité de 56 gigawatts en 2022 à, au moins 300 gigawatts, d'ici à 2030. La déclaration rappelle que seuls 60 milliards de dollars, soit 2 pour cent des 3 000 milliards de dollars d'investissements dans les énergies renouvelables au cours de la dernière décennie, sont allés à l’Afrique.

    L’implication et la mobilisation des jeunes dans la lutte contre le changement climatique sur le terrain, dans chaque pays et au quotidien, est selon vous cruciales. Ce fut le thème d’une de vos tables rondes virtuelles de Wathi

    Nous l’avions organisée en partenariat avec la Banque mondiale dans le sillage du sommet africain sur le climat. Des échanges très encourageants, incitant à l’optimisme dans un contexte où on a parfois le sentiment que les jeunes ne sont plus engagés dans des causes d’intérêt général, qu’ils ne croient plus à leur capacité d’influencer les évolutions de leurs sociétés par leurs actions individuelles et collectives.

    Après un exposé très pédagogique de Kanta Kumari Rigaud, spécialiste principale de l'adaptation et coordinatrice pour la Banque mondiale du Programme pilote pour la résilience climatique, nous avons écouté quatre activistes qui mènent des actions remarquables dans leurs pays respectifs, Paule Sara Nguie, de la République du Congo, Yero Sarr du Sénégal, Chibeze Ezekiel du Ghana et Jania Yosimbom,18 ans seulement, qui fait de la sensibilisation dans les milieux scolaires au Cameroun.

    L’engagement de la jeunesse est essentiel d’abord parce qu’il s’agit de leur avenir, de celui de leurs enfants et petits-enfants, plus que de celui des gouvernants plutôt âgés qui prennent les décisions aujourd’hui. Ce sont les jeunes et les très jeunes qui peuvent encore redéfinir le rapport des êtres humains à la nature. Ce qui est en jeu, c’est bien un changement radical de notre relation avec la planète que nous ne faisons qu’habiter à tour de rôle et très furtivement. La clé reste l’accès à l’information, aux connaissances pour nourrir la réflexion et l’action collectives.

    ► Pour aller plus loin :

    - La Déclaration des dirigeants africains de Nairobi sur la déclaration des dirigeants africains de Nairobi sur le changement climatique et l’appel à l’action,

    - L’engagement de la jeunesse africaine face au changement climatique, table ronde virtuelle,

    - Page thématique sur les enjeux du changement climatique de la Banque mondiale,

    - Portail de la Banque mondiale consacré aux connaissances sur le changement climatique, The Climate Change Knowledge Portal,