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  • À la fin des années 1980, alors qu’il est aiguilleur à la SNCF, il monte le label Lusafrica pour aider Cesária Évora, qu’il connaissait de Mindelo et dont il savait le talent, que le monde entier à l’époque ne mesurait absolument pas.


    Et c’est comme ça, grâce à son acharnement pour rendre gloire à Cesária, que les premiers disques de la diva aux pieds nus ont circulé en dehors de la communauté cap-verdienne, puis dans le monde entier.


    Jusqu’au bout, il est resté son ami, son confident, son traducteur. Cette semaine, il est à Mindelo, sur l’île de São Vicente dont Cesária était originaire pour organiser une semaine d’hommage, de souvenir et de fête.


    On lui a passé un coup de fil.

  • Cesária Évora est née le 27 août 1941, à Mindelo, sur l’île de São Vicente, l’une des dix que compte l’archipel du Cap-Vert.


    Quand le public européen la découvre, en 1988, elle a 47 ans, elle louche, il lui manque des dents, elle marche pieds nus. Elle paraît si âgée qu'elle est vite identifiée au retour des "vieilles gardes", qui connaîtra son apothéose avec les Cubains septuagénaires du Buena Vista Social Club.


    Elle a commencé jeune. À 14 ans, elle chante dans les bars. Le turbulent Mindelo, port cosmopolite de l'île de São Vicente, garde l'empreinte des Anglais, qui y avaient établi au XIXe siècle des dépôts de charbon pour approvisionner les vapeurs en route pour les Amériques ou l'Afrique du Sud.


    Par le port de Mindelo passent les bateaux brésiliens, cubains, sud-africains… Il y pleut peu, la pierre est ocre, les flots bleu outremer, la verdeur est rare. Elle écoute la Brésilienne Angela Maria, restée l’une de ses idoles.


    En 1958, B. Leza, le grand compositeur de morna (sorte de fado cap-verdien), meurt rongé par l'alcool et la syphilis. Cesária découvre alors une nouvelle mode : la coladera, forme dansante, gaie, musique de variété et de carnaval. Guitariste et compositeur, Ti Goy, un joli métis en costume-cravate, prend la jeune fille sous son aile, l'emmène chanter à la radio ou à bord des bateaux portugais ancrés dans la baie.

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  • Le Cap-Vert est l’un des lieux principaux où les esclaves africains étaient baptisés avant de prendre le bateau pour les Amériques.


    Ce destin “noir” fait de douleurs, va créer la richesse de la diaspora. Cesária suit le chemin des Cap-Verdiens en exil, et après avoir chanté dans les bars, les clubs ou les radios de Mindelo, elle va à Boston, grand creuset des descendants des pêcheurs de baleine Cap-Verdiens, à Rotterdam, où vivent d’autres “colonisés” lusophones, des Angolais comme Bonga par exemple.


    En 1988, la voici à Lisbonne, capitale de l’empire, dans le cabaret de son confrère Bana. Dans le public, José Da Silva, cap-verdien de Dakar, alors aiguilleur à la SNCF en banlieue parisienne. Il devient son manager, pour la vie. Elle est pauvre. José l’emmène au festival Musiques métisses à Angoulême, au New Morning, puis au Théâtre de la Ville à Paris.


    Sur scène, Cesaria écluse du “conhaque”. Sa bouteille posée sur un guéridon, se vide à la vitesse grand V. Libération titre Whisky Sôdade, et ça l’énerve.

  • Il faut dire qu’elle a des traumas, et des langueurs métisses. U


    Battu en brèche depuis le milieu du XXe siècle, finalement écrasé, l'empire portugais étendit la lusophonie par-delà les mers, et transposa une spécialité locale, la saudade, vrillant vague à l'âme, sur tous les continents.


    Le Cap-Vert est longtemps sous la domination du Portugal du docteur Salazar (1889-1970), fondateur en 1933 de l'Estado Novo, le fascisme à la portugaise, déboulonné par la Révolution des Œillets en 1974.


    Amilcar Cabral, le père de l'indépendance du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau, assassiné en 1973, a d'ailleurs commis quelques jolies mornas. C'est dire à quel point le genre est chevillé au corps de l'archipel – comme ce Regresso.


    Cesária chante au Gremio, lieu de rendez-vous de la bonne société de Mindelo, cachée derrière un rideau - on ne montre pas les pauvres et les Noirs. Elle s'enfonce dans la misère. Elle n’a pas de chaussures, ne peut donc pas emprunter les trottoirs, ni entrer dans les lieux de culture.

  • "Quem mostra'bo ess caminho longe ? Ess caminho pa São Tomé" ("Qui t'a montré ce long chemin pour São Tomé ?").


    “Sôdade” figure sur l'album Miss Perfumado, paru en 1992. Très politique, la chanson évoque la pratique du travail forcé encouragée par le gouvernement Salazar. Jusqu'en 1959, des milliers de "volontaires" affamés partiront en semi-esclavage dans les plantations de canne à sucre ou de cacao à São Tomé-et-Principe ou en Angola.


    Cet "entre-deux-mondes", découvert par les Portugais vers 1460, devient rapidement un point stratégique pour le commerce triangulaire. Tout au long des cinq siècles de domination portugaise, navires négriers, puis navires marchands feront dans ces îles distantes d'environ cinq-cents kilomètres des côtes sénégalaises une halte obligatoire. Entre-temps, la sécheresse, le dénuement économique font des Cap-Verdiens les champions de la survie et de l'émigration.

  • “Il n’y a pas de disgrâce à être pauvre et folle”, chante Amalia Rodigues.


    En 1975, alors que le Cap-Vert, avec la Guinée, se libère du joug colonial, la Révolution des œillets condamne la morna au profit des formes musicales plus africaines. Les révolutionnaires marxistes du PAIGC préfèrent les musiques ancrées dans l'identité africaine, comme le funana, à la morna, assimilée à un fado fataliste.


    Les commerçants portugais ne sont plus là pour glisser leurs oboles dans les bars de Mindelo. Elle est ignorée. La situation empire.


    Cesária disparaît dix ans durant. Elle contemple la mer. Elle a la cicatrice fière. "Je suis rentrée à la maison, et je me suis occupée de ma mère, qui était aveugle", expliquait-elle, concluant : "Cada catchor que sé seitafera" ("Chaque chien a son vendredi").


    On lui prête alors des problèmes mentaux, elle contemple la mer à longueur de temps, nuits comprises - amour et haine. Jamais elle ne disait "o mar", la mer, mais toujours "aquele mar", cette mer, avec méfiance. Elle en sera sauvée en 1984 par l'OMCV, l'organisation de femmes du gouvernement marxiste, qui lui fait enregistrer un titre sur un album collectif. Elle y interprète un futur succès “Mar Azul”. Elle devient très vite l’ambassadrice de ce “petit pays”.

  • Interprète, au même titre qu’Edith Piaf, Amalia Rodrigues ou Oum Kalsoum, Cesária crée un répertoire et le magnifie.


    Des compositions et auteurs des temps passés, B. Leza, T. Goy ou Morgadinho, agrémentés des contemporains, comme Manuel de Novas, pilote du port de Mindelo.


    Petite promenade dans le port de Mindelo pour comprendre comment elle les choisit. B. Leza, une vie infernale dédiée à la musique.


    Les Cap-Verdiens sont une famille : éparpillés par l'émigration, rassemblés par l'attachement à ce “Petit Pays” - un titre de Nando da Cruz, Tito Paris, Teofilo Chantre. Des femmes aussi, Epifania Évora, dite Tututa, pianiste émérite née en 1919 à Mindelo, ou encore Lura.

  • À 50 ans, Cesária Évora commence une carrière internationale. Petit à petit, Cesária se refait les dents, se couvre d’or, s’achète des chaussures.


    En 1988, José Da Silva lui fait enregistrer pour le label Mélodie, “La Diva aux pieds nus” qui contient une coladera dansante aux accents de zouk, “Bia Lulucha” - un tube dans la communauté.


    Fin 1991, elle est au New Morning, à Paris, où elle s'est déjà présentée deux fois devant une salle clairsemée. Cette fois, le bouche-à-oreille a fait son effet. Ce jour-là, elle chante pour la première fois “Sôdade”.


    En 1999 et 2000, elle a fait deux fois le tour de la planète, enchaîne concert sur concert, revenant chaque fois chez elle, au Cap-Vert, dont le gouvernement, débarrassé du carcan marxiste, lui offre un passeport diplomatique. Madonna vient la voir en loge, et s’incline. Elle reçoit en 2004, le prestigieux Grammy Award américain pour son album Voz d'Amor.

  • Cesária remixée, Cesária célébrée.


    Elle multiplie les duos avec des stars internationales, sans changer.


    De 1992 à 1999, Cesária Évora mène une carrière exemplaire, en tournée dans le monde entier. Elle chante avec le Malien Salif Keita, avec l'Italien Adriano Celentano, avec l'Angolais Bonga, ou la Grecque Eleftheria Arvanitaki (en public). Autres prétendants : Cali, Bernard Lavilliers, Ismaël Lô, Compay Segundo, Goran Bregovic, ou avec Linda Ronstadt.


    Dix DJ, de Carl Craig à Senor Coconut, François K, l'un des maîtres, Français d'origine, de la house new-yorkaise, revisitent dix succès de Mme Evora.


    Tout est possible. Pourquoi ? Dans Le Monde en 1997 le romancier et poète martiniquais Patrick Chamoiseau écrit : “Quand elle chante, elle vient avec une existence entière de rescapée des bars sordides et des dorures factices de chez les grandes gens, dotores du Cap-Vert qui voulaient l'écouter. Elle vient aussi avec son exil immobile, ce but d'exil irrépressible qui maintenant gît en chacun de nous."

  • Et Cesária vint à Radio Nova.


    L’importance de l’image, la construction d’un roman personnel, les rires de Cesária, son culot, et comment elle assume tout. Voilà Cesaria Evora.

  • “Une étrange forme de vie pour un cœur indépendant”, chantait Amalia Rodrigues.


    Cesária a suivi son destin, son fatum, elle a aimé les hommes, mais ne s’est jamais soumise ni au “male gaze” ni au show-biz, ni aux hommes.


    “Ce que voudrait que l’on raconte de moi ? D’abord que j’ai toujours voulu être libre et célibataire, et que je n’ai jamais officiellement accepté de vivre avec un homme.”


    Lui parle-t-on en portugais, qu'elle a immédiatement envie de répliquer en créole exclusivement, dans ce soyeux langage populaire des rues de Mindelo.


    Le succès, le destin ? "Je ne crois pas aux rêves, on s'endort riche, on se réveille pauvre. Ni au destin. Le destin, c'est le rocher qui vous tombe dessus. La morna m'a prise et je ne sais rien d'autre. Finalement, je vis maintenant ce que j'aurais dû vivre quand j'étais jeune." dit Cesária.