Episódios
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Et si Radio Nova était un animal ? Une plante ? Un instrument de musique ? Que peut-on nous souhaiter pour les quarante prochaines années ? Chants de joie et pistes de réflexion avec Camille, DJ LBR, Samba Ndiaye. Jean Morel, Aurélie Sfez, Marie Bonnisseau, Ariel Wizman, Bintou Simporé, Marie Arquié, Ray Lema, Bruno Delport, Marushka Vidovic, IAM, Mathilde Serrell, Lionel « Foxx » Magal, Reza Pounewatchy, Arnayd Aymard, Mélanie Mallet, Bastien Stisi, Angela Lorente, Camille Diao, Sir Ali, David Brun-Lambert, Isadora Dartial, DJ Cut Killer, Sophie Marchand, Richard Gaitet, Théo Sébald, Mélanie Bauer, Christophe Nick, Nicolas Saada, Squaaly Baba, Hadja Tabi, Sapho, Jean-Jacques Palix & Eve Couturier, Roudoudou, Princesse Erika, Thierry Paret, Liz Gomis, Marion Armengod, Esteli Hernandez Ortiz, Ariel Kyrou, Alex Masson, Yannick (Barbe) & Mélusine (Raynaud), Armel Hemme, Frédéric Taddéi, Morane Aubert, Patrick von Troyen.
Réalisation, mixage : Sulivan Clabaut.
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À l’heure de la séparation de Daft Punk le temps d’une vidéo explosive baptisée Épilogue, à l’heure où le Goncourt est décerné au Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr (31 ans) pour sa Plus secrète mémoire des hommes alors qu’on sent monter l’odeur de l’essence dans une France rance obsédée par les dérapages d’Hanouna et les tirades anti-wokes de CNews, à l’heure du triomphe des genres sous le capot de Julia Ducournau (38 ans, première Française sacrée d’une Palme d’Or pour Titane), à l’heure du double biopic ciné-télé sur le Suprême NTM (avec reconstitution troublante de leurs premiers freestyles aux grandes heures du Deenastyle), Nova touche une rive inconnue et commémore ses 40 ans l’année de ses 41 ans avec un podcast de 42 heures, de A jusqu’à Zèbre. Tout en s’affirmant encore et toujours comme un laboratoire des espoirs. Voyez nos nouvelles recrues : Jeanne Lacaille et sa Potion, David Bola et sa Traque, Math de Capèle et sa maîtrise des réseaux, ou le DJ et ex-disquaire de BPM, Romain BNO, devenu programmateur musical. À l’extérieur, observez le rayonnement de nos talents. Ruddy Aboab a été nommé directeur de FIP. Les débats de société de C ce soir sur France 5 ne peuvent plus se passer de Camille Diao. Né en loucedé au micro de Nova, Grünt de Jean Morel et ses complices – dont Morane Aubert – est devenu le studio de production audiovisuelle de référence de rap francophone d’avant-garde. Marie Bonnisseau parle de censure chinoise ou d’un condamné à mort libéré grâce à un podcast sur le plateau de 28 minutes animé par Elisabeth Quin – qui fut notre toute première matinalière en 1991. Marie Misset dirige la rédaction de Konbini et l’une de nos anciennes stagiaires, Ambre Chalumeau, tient avec panache la Brigade des Affaires Culturelles de Quotidien. Marion Armengod a monté Make Some Noise, son propre studio de podcasts, idem pour Thomas Baumgartner avec Waves ou Christophe Payet avec Nique la radio. Marc H’Limi et Sulivan Clabaut réalisent via Allsound tout l’audio du groupe SoPress. Queenie Tassell crée et réalise avec Ambre Larrazet la série historico-marrante Damoiselle sur TV5 Monde. Aurélie Sfez recueille des Fragments de vie pour Arte et Richard Gaitet des conseils d’écriture dans Bookmakers pour Arte Radio. Sans oublier la cinquantaine de fêtes et autres bals Nova organisé·e·s chaque année dans tout le pays par Théo Sébald et son comité du fun, pour lesquels ce n’est jamais le dernier jour du disco. Saviez-vous en outre que Bintou Simporé vient d’être sacrée Chevalière de l’ordre des Arts et des Lettres, l’année des 30 ans de Néo-Géo ? Comme disait Godard : c’est la marge qui fait tenir la page. Quelle bande magnétique !
Réalisation, mixage : Malo Williams.
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Estão a faltar episódios?
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« Rends-moi le soleil que tu as caché dans tes poches / Déposez-moi là sur l'étoile la plus proche / Demande au ciel si l'avenir sera moche / Je recolle le nôtre avec des petits bouts de scotch. » Il a dû se passer un truc pour que Biga* Ranx, astre montant du dancehall hexagonal équipé en 2020 de sa Sunset Cassette, nous envoie une recette de soupe polonaise depuis son studio tourangeau. Yeah les confiné·e·s, ça fait chaud dans le coeur. Étranges souvenirs. Pangolins maltraités sur le marché de Wuhan. Patient zéro. Mains lavées six fois par jour, vigoureusement. Masqué·e·s-ganté·e·s au supermarché et, pardon mais : laver ses courses en rentrant ? Attestations de déplacement, y compris pour marcher sur la plage. Couvre-feu et bars clandés. Clique & collecte à ton gré le nouveau variant brésilien, anglais, sud-africain, indien. Fêtes en journée et coups de fil longue durée à des ami·e·s perdu·e·s de vue. Le président répète que nous sommes en guerre. Urgences débordées et applaudissements à 20h pour le personnel hospitalier. Écouvillons dans le pif, coudées et checks du pied. Apéros Zoom et shots d’hydroxychloroquine au comptoir du vaccinodrome, troisième dose ou antivax et complots à gogo. Barbe bicolore d’Édouard Philippe. Prenez soin de vous. Anniversaires en solitaire. Rattrapage en séries, qui disent beaucoup sur l’époque : Euphoria, Watchmen, Years & Years, En thérapie.
Sur Nova, la pandémie grille un bout de notre grille des programmes, mais les gens se remettent à écouter la radio en masse et partagent nos hommages à Manu Dibango, Christophe, Tony Allen, Juliette Gréco, Idir ou Mory Kanté. À la mort d’Ennio Morricone, David Blot décide de clore chaque Nova Club avec un morceau du maestro italien, pendant un an. Joie de retrouver les collègues en présentiel. Jean Rouzaud, dandy punk et historien de l’underground, qui a toujours raison même quand il a tort, part à la retraite non sans distribuer ses livres et ses cravates. Dix-huit ans après avoir démarré au standard, Mélanie Mallet est nommée directrice de notre antenne, qui retrouve une certaine vitalité avec la création de deux espaces physiquement dédiés à la musique live et à la bamboche, qui n’est donc pas terminée. D’abord Chambre noire, animée par Reza Pounewatchy avec la complicité de Judah Roger, accueillant chaque mercredi soir de solides espoirs comme P.R2B, Voyou ou Bonnie Banane. Et le vendredi, de très attendues Teufs d’appart cèdent les platines à Get A Room, Yuksek, Chloé, le collectif Moonshine, Boombass, La Créole ou divers anciens comme Blundetto ou Laurent Garnier, qui seront sommé·e·s de défier notre « manège à trois » de DJs maison : Malo Williams, Smaël Bouaici, Théo Wizman, en bande organisée. La technique, le flow de malade, artistiquement, on se balade.
Réalisation, mixage : Malo Williams.
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Vers quels périls roule notre civilisation, ivre de tous ses excès ? 2019 a des allures de train-fantôme. Allô allô allô ? Bébé fait du sale, humanité endgame. L’Australie et l’Amazonie s’enflamment, tout comme les ventes d’ouvrages sur la notion d’effondrement, ou les visionnages d’une série sur Chernobyl. Catastrophes naturelles et marches mondiales pour le climat secouent enfin les consciences les plus rétives au changement, qui questionnent a minima leur consommation de viande, de plastique ou d’avion, tout en écoutant le cri d’alarme formulé par Greta Thunberg, en larmes, à la tribune de l’ONU : « Je ne devrais pas être là, je devrais être à l’école. Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses. Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au début d’une extinction de masse et tout ce dont vous parlez, c’est de l’argent et du conte de fée d’une croissance économique éternelle. Comment osez-vous ? Depuis plus de quarante ans, la science est claire comme du cristal. Comment osez-vous venir ici en prétendant que vous en faites assez ? »
Coïncidence symbolico-mystique : Notre-Dame de Paris s’embrase pour la première fois depuis le XIIIe siècle au niveau de sa flèche, dont la charpente a nécessité la coupe de mille trois cents chênes. Ça chauffe aussi en Algérie, en Irak et à Hong-Kong, où des manifestations contestent la violence et la corruption du pouvoir ; sur Nova, Aurélie Sfez dérive à Alger avec le collectif techno ATM ou le leader de Gnawa Diffusion, et surtout plonge son micro dans la marée humaine qui conduira le président Bouteflika à démissionner. Tout le contraire d’une autre émission d’Aurélie, plus feutrée, toujours réalisée par Bertrand Chaumeton : une nuit entière en compagnie de Christophe, ses mots bleus et son « nouveau petit synthétiseur », qui nous avoue « ne jamais penser à la mort » et se rendre aux enterrements « en souriant ». Caché derrière ses lunettes fumées, peut-être était-il à celui de Michel Legrand, Agnès Varda, Toni Morrison, Scott Walker, Karl Lagerfeld, Philippe Zdar, Jean-Pierre Marielle ou João Gilberto. Ou à celui de Chirac. Ou à celui d’Andrew Orr, cofondateur de Nova, auquel Catherine Lagarde rend un hommage bouleversant.
Réalisation, mixage : Malo Williams.
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¿ Qué Onda ? La question qui donne son titre, chaque samedi soir, trois saisons durant, au road trip auditif d’Isadora Dartial au hasard grésillant des radios internationales, mérite son effet boomerang. Quels archipels furent abordés, en 2018, par les corsaires et flibustières naviguant sur les ondes de Nova ? C’est-à-dire l’année où nous quittons le 11e arrondissement de Paris pour nous poser Porte de Clignancourt, dans un immeuble blanc de six étages, avec vue sur le périph’, partagé avec Les Inrocks ou une start-up de coworking. L’aménagement des studios prend un retard fou, occasionnant des mois entiers à recevoir des invité/e/s dans de grandes pièces vides, sans chauffage, aux murs de moellons bruts, avec des fils qui pendouillent de partout, ou des lives captés avec trois bouts de ficelle sans même pouvoir fermer la porte – puisqu’il n’y a pas de porte. Il nous faudra quelques fêtes pour nous acclimater.
Passion burlingue, justement. Jean Morel et Sophie Marchand ouvrent au quotidien Bam-Bam, le Bureau des Affaires Musicales, qui décortique des samples cultes avec Sims, se penchent sur le business de la musique bouleversé par le stream et les algorithmes, explique aux novices le mastering, le mashup ou le larsen, se réjouissent du Pulitzer pour Kendrick, suivent de près cette prodige espagnole du flamenco nommée Rosalía, ou interrogent Myd, Casey ou Flavien Berger sur le disque qui a changé leur vie. Parallèlement, après deux ans aux mains d’un régiment zazou de quinquagénaires mâles, la matinale est confiée à deux jeunes femmes à la fois précises et fantasques, Marie Bonnisseau et Queenie Tassell, passablement fans de Céline Dion, qui imaginent Pour que tu rêves encore afin de « retarder l’heure du réveil » avec cueillette de songes, quiz de mots, cours de danse bollywoodienne ou japonaise.
Pendant ce temps, la Book Box, notre juke-box littéraire, multiplie les défis en compagnie d’un réalisateur champion de cyclisme nommé Sulivan Clabaut : partie interactive d’un roman dont vous êtes le héros avec l’humoriste Haroun et les auditeurs, en direct ; déclamation par Kate Tempest, pas encore rebaptisée Kae, de son poème Les Nouveaux Anciens les yeux fermés, quasiment d’un seul souffle – la vidéo frôle les deux millions de vues ; reportage de douze jours à la Fête du Livre de Kinshasa, Congo ; traversée des Ardennes sur 111 kilomètres dans les bottines de Rimbaud, épopée pédestre qui parvient aux oreilles de Patti Smith, invitant l’équipe près des ruines de la ferme où fut écrit Une saison en enfer, qui contient ce vers : « J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. »
Réalisation, mixage : Malo Williams.
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« Tous les matins, on a une mission. Trouver la gaieté au milieu des raisons de désespérer. La beauté au milieu des laideurs. La gentillesse au milieu des visages fermés. Les caresses au milieu des griffes. La tendresse au milieu des gifles. L'ouverture au milieu des fermetures. Si vous acceptez cette mission, la journée sera magnifique. Si vous la refusez, allez vous recoucher tout de suite ! » Pendant deux ans, nos matinées furent piratées par une troupe de joyeux lurons ayant en commun l’absolue célébration de l’instant, de la fulgurance surréaliste, du happening ordinaire, du nawak en bandoulière, avec une sorte de « refus de l’actualité ». Autour d’Édouard Baer, qui refuse généralement de lire le conducteur de l’émission préparé par Eugénie Poumaillou, d’éternels complices s’agitent et rebondissent, tels Atmen Kelif, François Rollin, Jack Souvant, Alexandre Astier ou le guitariste bordelais Tito el Francés. D’une saison à l’autre de Plus près de toi, quatre journalistes – Marie Bonnisseau, Camille Diao, Marie Misset et notre rédacteur en chef, Thomas Baumgartner, qui salue « le sens du direct, au bord du précipice » de l’acteur-animateur – essayent de mettre un peu de sens dans ce carrefour giratoire des fantaisies caféinées, d’interviewer des invité·e·s entre des jeux sans queue ni tête ni bras ni gambettes, ou les personnages inventés par Arnaud Aymard, aussi fictifs que les emplois de Pénélope Fillon ; immortel « Ammoniacal », mi-homme mi-pingouin mi-chiffon, dont les mésaventures « dans une jungle de saucisses » inspireront à Katerine une tranche de sa chanson Stone avec moi.
L’émission, forcément inégale d’un jour à l’autre puisque viscéralement dépendante de l’énergie de ses héros, part se revitaliser à Brest, à Florange, à Tunis, à Montréal, à la romaine Villa Médicis ou station Châtelet-les-Halles. Elle prend aussi le risque de réveiller par téléphone un « monument » : Jean-Paul Gaultier, Marina Foïs, Alain Chabat, Yolande Moreau ou... Claire Chazal. Filmées par Nicolas Lartigue, les « entrées » d’Édouard, au cours desquelles l’histrion décoiffé monologue avec l’emphase de Léo Ferré sur « ceux qui se lèvent de mauvaise humeur, contrariés, renfrognés, froissés, les yeux en dedans, le cœur cadenassé », ou « ceux qui sortent le lundi soir, qui sont quand même bien vicieux », deviennent virales. Et deux fois par semaine à la fin du show, Ruddy Aboab organise des concerts privés sous la verrière de Nova, au casting exceptionnel : Angèle et Jorja Smith (pour leur première radio française), la fanfare allemande Meute, Ben Harper, Sofiane Saidi & Mazada, Toots & The Maytals, Arto Lindsay, Altin Gün, Acid Arab, Alain Souchon ou encore Rone avec l’écrivain d’anticipation Alain Damasio.
Réalisation, mixage : Malo Williams.
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« Ça ne s’arrêtera jamais. » Quelques minutes avant minuit, à la veille des 35 ans de Radio Nova, un olibrius passablement surexcité livre une belle démonstration d’optimisme… lors d’une année mouvementée. En 2016, la musique connaît de grandes pertes : David Bowie, Leonard Cohen, Pierre Barouh, Alan Vega, George Michael (oui), Prince Buster et surtout, Prince tout court ; Sa Majesté Roger Nelson, dont le premier concert parisien au Palace en 1981 était déjà sponsorisé par Actuel, et auquel David Blot rend de nombreux hommages teintés de pluie pourpre dans son Nova Club bientôt coanimé avec Sophie Marchand. C’est aussi l’hécatombe chez les Michel : Rocard, Butor, Delpech, Galabru et Tournier rejoignent les limbes du Pacifique. Chagrin également pour les aficionados de Michael Cimino, de Fidel Castro, de Gotlib, de la Princesse Leia ou de Mohamed Ali, que la Faucheuse met K.-O.
Tous ces gens loupent le vertigineux nouvel album de Christophe (Les vestiges du chaos), le Nobel pour Dylan, les premières chansons de Catastrophe ou de Kate Tempest, la mise en marche vers le pouvoir de ce jeune banquier « ni de gauche ni de droite » – c’est-à-dire de droite – nommé Emmanuel Macron, qui vient de quitter le ministère de l’Économie. Ou encore Nuit Debout, ce mouvement antilibéral hétéroclite né de la contestation d’une énième loi travail, qui occupa trois mois la place de la République à Paris, et qu’Armel Hemme, Marion Armengod, Guillaume Girault et Julien Goetz couvrent en direct, une semaine, via des reportages ou des émissions in situ. Pendant ce temps, sous les drapeaux noirs de Daech ou d’Al-Qaïda, le chaos frappe encore : à Nice, à Jakarta, à Bruxelles, à Bagdad, à Ouagadougou, au Pakistan, en Allemagne, au Bangladesh, en Côte d’Ivoire, dans un mariage turc, une église de Seine-Maritime ou une discothèque LGBT de Floride. Ajoutez à ceci l’élection-surprise de Donald Trump aux USA après des mois d’outrances, le Brexit, des débats stériles sur la question du burkini et l’empire médiatique de Vincent Bolloré dont l’influence ne cesse de s’étendre... l’ambiance est lourde.
Dans les couloirs de Nova, on s’inquiète pas mal. Un banquier de gauche, Matthieu Pigasse, ancien conseiller de Dominique Strauss-Kahn et de Laurent Fabius au ministère de l’Économie, a racheté à titre personnel, en 2015, notre antenne. À son sujet, le journal Le Monde a écrit : « La vente du PSG, c'est lui. La renégociation de la dette irakienne, c'est lui. La nationalisation du gaz bolivien pour le compte du président Evo Morales, c'est lui. La recherche d'une sortie de crise pour Libération, c'est encore lui. Matthieu Pigasse est le banquier d'affaires le plus recherché du moment. Celui que les patrons du CAC 40 invitent à leur table avant de lancer une OPA. » Moins de dix ans après cet article, il prend le contrôle du journal Le Monde avec Pierre Bergé et Xavier Niel. Puis ce lecteur de Cioran et de Michaux, actionnaire de l’Obs, de Télérama, de Courrier international ou de Vice, propriétaire du festival Rock en Seine et président des Eurockéennes de Belfort, a fondé Les Nouvelles Éditions Indépendantes (LNEI), qui abritent Les Inrockuptibles, le webzine féministe Cheek. Et, donc, Nova, ses vingt-six fréquences et ses soixante-cinq employé·e·s. Qu’allions-nous devenir, au sein du groupe ? Quels étaient les projets de ce fan de The Clash en costume Dior ?
Réalisation, mixage : Malo Williams.
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« Oh serre-moi fort, compère. » Le refrain de cette Danse montagnarde (et polissonne) de Maria Tănase, chroniquée dans Néo-Géo par Rémy Kolpa Kopoul, pouvait servir de mantra pour nous consoler de cette année difficile. Quelle ironie que le ConneXionneur en chef ait mentionné « l’enterrement inimaginable » de cette chanteuse à Bucarest, où se pressèrent des centaines de milliers de Roumain·e·s… Nous avions besoin de nous serrer fort, oui, le 11 janvier, sur la place de la République à Paris comme aux quatre cents coins de l’Hexagone, afin d’honorer la mémoire des victimes des terroristes qui ensanglantèrent Charlie Hebdo, Montrouge et l’Hyper-Casher de la Porte de Vincennes au nom de Daech. À l’antenne, nous diffusons des lectures et des morceaux qui invitent à réfléchir – en se marrant, si possible – sur la liberté d’expression ; l’écrivaine Axl Cendres partage ainsi une lettre de sa maman, Hafida, qui pleure de colère en se souvenant de la décennie noire en Algérie, quand les islamistes semaient déjà la terreur. Mi-mars, un attentat frappe le musée du Bardo, à Tunis. Et des bombes explosent à Beyrouth, à Bamako, au Koweït, dans l’Isère… ou n’explosent pas (de justesse) dans le Thalys. Puis d’autres fous de dieu, aigles de la mort et du métal des kalachnikovs, se faut sauter le vendredi 13 novembre, d’abord à proximité du Stade de France, tandis que leurs complices mitraillent des terrasses avant d’interrompre un concert des Eagles of Death Metal au Bataclan. Des centaines de « lettres à Paris » nous parviennent, lues toute la semaine à l’antenne, sur le modèle des « lettres à Elodie » (Font), qui présente désormais la matinale avec Thierry. Se serrer fort, encore.
Entre-temps, le cœur de Rémy cesse de danser la batucada au lendemain d’une mille-et-unième fête à Brest, où il mixait, à 66 ans. Lui qui venait à peine de clore à Montreuil les représentations d’une comédie musicale Karioka sur l’âge d’or du Brésil auquel il rêvait depuis trente ans… Ce dandy électropical en chaussures de chantier, à la voix de canard enroué (« madrée », disait-il, qui signifie selon le Larousse : « rusée, sous des dehors bonhommes »). Ce pilier du premier Libé, qui fut « mao un jour, mambo toujours », certifié fan de fromages, de champagne et de calembours, et surtout « marié avec la musique ». Permettez de citer cette profession de foi, qui résume quasiment notre radio : « Qu’est-ce qu’un chanteur de tango a de commun avec un musicien new wave ? Qu’est-ce un vieux chanteur de bossa nova a de commun avec un jeune DJ ? Ce sont des mondes séparés qu’il faut brasser ensemble, parce qu’ils ont tout intérêt à se connaître. C’est le mélange des âges et des cultures. Le Grand Mix. Et j’aime bien touiller. »
Réalisation, mixage : Malo Williams.
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À tous les coups, c’est une question de rythme. Trouver le tempo adéquat pour poser sa voix, ses idées, la musique qui fait vibrer. Comme le prouve cette série de reportages signés Sophie Marchand & Isadora Dartial pour accompagner la sortie du coffret « Nova Danse », qui enregistrent des rudiments de claquettes, les mouvements de base de la samba, de la house ou du hip hop, les pas rétros pas si compliqués qui enjaillent depuis 1936 le parquet du Balajo de Bastille, des conseils de compagnons du kompa haïtien, voire du zouk et de la biguine enseignés dans son salon de Bobigny par feu Frantz Déric, musicien et DJ ambianceur de bals aux Antilles. De manière, à chaque fois, beaucoup moins reloue que le prof de batterie vicieux de Whiplash, réalisé par Damien Chazelle – lui-même ex-batteur de jazz enseveli de récompenses, de Deauville aux Oscars.
Le rythme d’écriture est intense dans les turbines de 2H15 avant la fin du monde. Tel un late show à l’arrache, Armel Hemme & Marie Misset prennent le pari d’accoucher de quatre sketchs par jour, volontiers absurdes, toujours liés à l’actu, à propos des fraudes fiscales du ministre du Budget d’un gouvernement de gauche (merci pour ce moment, Jérôme Cahuzac) ou de la disparition d’un glacier (en Islande), en invitant toutes les personnes qui traversent le grand couloir blanc de la rédaction à chanter, crier, imiter Manuel Valls ou parodier les débats cacophoniques des chaînes d’information en continu. L’émission devient également le cadre d’un chantier invraisemblable, résolument tourné vers l’avenir, mais dont le succès pourrait coûter leur place aux deux journalistes : monter de toutes pièces, avec des ingénieurs de Montreuil, un androïde animateur nommé Robi le Robot (comme dans Planète interdite) au moyen d’un financement participatif qui récolta, à l’époque, seize mille euros !
Simulation : s’il avait pris l’antenne à la place de Marie & Armel, qu’est-ce que Robi aurait bien pu dire de… l’invasion de la Crimée – déjà, en 2014 – par la Russie, qui lance la guerre du Donbass dont nous subissons encore les conséquences ? De la disparition inexpliquée du vol MH370 et ses 239 passagers ? De cet autre avion de la même compagnie, Malaysian Airlines, abattu en plein air avec ses 298 passagers quatre mois plus tard, par un missile russe, au-dessus de l’Ukraine ? Qu’aurait dit ce robot des luttes contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ? De la nouvelle saison de Black Mirror ? Du Nobel de Modiano ? De cette coalition contre l’Etat Islamique en Irak et en Syrie ? De la fin de Là-bas si j’y suis de Daniel Mermet, après vingt-six ans de quotidienne sur Inter ? Du nouveau World Trade Center ? De la B.-O. extraterrestre signée Mica Levi pour Under The Skin, avec Scarlett Johansson ? De cette plateforme nommée Netflix, qu’on dit capable de flinguer le cinéma en salles ? De la mort de Lauren Bacall, de Frankie Knuckles, de Paco de Lucia, de Resnais, de Cavanna, de Garcia Marquez ? Du suicide de Robin Williams, de l’overdose de Philip Seymour Hoffman ? Du roman goncourisé de Lydie Salvayre, intitulé Pas pleurer ? De notre interview bouleversante de Chantal Akerman ? De l’élégance de Gaspard Ulliel dans Saint Laurent de Bonello ? De ce freestyle de Mobb Deep dans L’Eléphant effervescent ? Des canicules à répétition ? Ou de cette question que Jacques Chancel peut désormais poser à Dieu en personne : « Et Dieu dans tout ça ? »
Réalisation, mixage : Malo Williams.
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Random Access Memories. Comme nous le souffle le titre du quatrième album de Daft Punk sorti en très grandes pompes cette année-là, plongeons au hasard de nos souvenirs balèzes de 2013. OK : Keziah Jones pète une corde en donnant une leçon de blufunk à Isadora Dartial dans les coulisses des Nova Sessions, concerts privés filmés sous la verrière du 127 avenue Ledru-Rollin et diffusés sur la plateforme Culturebox de France Télévisions. Méconnaissables sans leurs casques argentés de robots, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo causent de leur goût pour l’anonymat au micro de David Blot… dans l’indifférence générale du peuple de nos studios. Get lucky, les Terrien·ne·s : alors que Sandra Bullock se tire in extremis de ses pépins orbitaux dans Gravity d’Alfonso Cuaron, un astéroïde de quarante kilomètres de diamètre frôle de peu la planète, quelques heures après la chute d’une super-météorite au sud de l’Oural, qui blesse quand même des milliers de Russes. La voix de Get lucky, Pharrell Williams, tourne à Los Angeles un clip vidéo d’une durée totale de vingt-quatre heures, dont la version abrégée rend instantanément happy. Dans la foulée, puisque « dormir, c’est mourir un peu », et surtout parce que la nuit Paris se meurt de trop d’embourgeoisement et de plaintes gna-gna-gna contre les nuisances sonores, Nova improvise une fête clandé itinérante d’arrondissement en arrondissement, au volant d’une camionnette équipée d’un sound-system, en gigotant sur un remix de Janet Jackson par Kaytranada ou sur La Femme qui recherche des sensations, heureux comme au début de La Grande Belleza de Paolo Sorrentino ; un moment formidable, dirait Stromae, que nous raconte ici Nadine Gravelle, chancelière de la teuf et bien-aimée directrice des partenariats durant vingt-cinq ans.
Pendant ce temps, le quotidien britannique The Guardian publie en ligne un document secret, premier d’une série d’archives chapardées à la NSA par un ancien agent de la CIA, l’informaticien américain Edward Snowden, 29 ans. Les révélations du lanceur d’alerte sensibilisent l’opinion sur l’espionnage pratiqué par les agences de renseignements des États-Unis et du Royaume-Uni – et plus généralement sur notre droit à la vie privée, la prédation exercée au quotidien par les squales de la Silicon Valley : Google, Apple, Facebook ou Amazon. Un capitalisme pernicieux, carnassier, ardemment combattu par Angela Davis, black panther et figure du mouvement américain des droits civiques, dont la venue en matinale provoque une grande émotion chez Thierry Paret. Parallèlement, partout en France, les réacs de la « manif’ pour tous » s’opposent en rose à la loi portée par Christiane Taubira, ministre de la Justice, qui autorise le mariage des couples homosexuels. Signe des temps qui se détendent : la Palme d’Or revient aux amoureuses aux joues rouges et cheveux bleus de La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche.
Réalisation, mixage : Malo Williams.
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« Putain, c’est quoi ça ? » En 2012, un obscur calendrier maya, contesté par les meilleur.e.s anthropologues, situe la fin du monde au 21 décembre. Clôture cataclysmique d’un cycle de plus de cinq mille ans pour l’humanité. Tsunamis et séismes sont redoutés, entraînant insurrections, famines et krachs boursiers. Les « survivalistes » élaborent des scénarios d’effondrement de la société et se replient dans des bunkers souterrains, avec armes et provisions, transforment des fermes en camps retranchés, s’enfoncent dans les forêts de Sibérie ou dans la jungle – pour apprendre à vivre avec la même intensité que celle qui habita, une nuit sur Nova, le performer-écrivain-musicien Jean-Louis Costes, auteur d’opéras dits « pornos-sociaux », lors d’une lecture de Kerouac enregistrée dans sa maison de Mayenne. « On ne savait plus où était la route », cette année-là. À Toulouse et Montauban, les attentats menés par Mohammed Merah contre une école juive et des militaires font sept morts. Poutine est réélu et le Costa Concordia coule un vendredi 13 au large de la Toscane. Fallait-il quitter la Terre, se téléporter vers d’autres univers, sur Mars comme le robot Curiosity, au son de la boucle disco Beam me up de Midnight Magic, en rotation lourde à l’antenne ? Plusieurs figures aguerries des étoiles s’éteignent comme des supernovas : Neil Armstrong, Moebius, Ray Bradbury ou la star Donna Summer, tandis que l’astronaute japonais Akihiko Hoshide se prend en photo depuis l’espace et offre un écho inouï à l’usage du mot selfie.
Dans notre galaxie radiophonique, le joyeux tandem de matinaliers, Armel Hemme et Thierry Paret, renforcés par la présence d’une jeune journaliste, Marie Misset (devenue vite indispensable notamment pour sa capacité à écrire des vers sur tout et n’importe quoi), se disloque. Thierry reste aux commandes de l’astronef matinal et fonde en septembre, avec Linda Lorin, La Nouvelle Internationale, focalisée sur des actualités du monde entier, qui s’enthousiasme pour la résurrection médiatique de Sixto Rodriguez via le documentaire Sugar Man, reçoit Gaël Faye ou Thomas Pesquet (qui s’entraîne encore un chouïa avant de passer près de 400 journées extra-terrestres). Pendant ce temps, Armel & Marie nous offrent chaque fin d’après-midi 2H15 avant la fin du monde, une quotidienne d’info-tainement avec interviews, lives et sketchs – dont Tournez planète co-écrit avec Giulio Callegari, anti-guide touristique qui alimente avec fougue les clichés sur les pays visités. Exemple 1 : « Comment savoir si vous êtes dans un quartier chaud au Pérou ? Sortez votre bras par la fenêtre. Si vous n'avez plus de montre, c'est normal. Si vous n'avez plus de bras, c'est un quartier chaud. » Exemple 2 : « Le nom du pays Madagascar vient du dessin animé Madagascar. Les autorités ont longtemps hésité avec Moi, moche et méchant, mais les Malgaches ne sont pas méchants. » Exemple 3 : « Quand vous chassez en Norvège, criez "Je ne suis pas un élan" pour éviter qu'on ne vous tire dessus, la visibilité est réduite. Si vous entendez "Je suis un élan", ne tirez pas non plus, c'est un élan qui parle et c'est rarissime. Vous allez devenir riche. »
Au même moment, le Prix de la Page 111, notre Goncourt à nous, un prix littéraire très sérieusement absurde qui récompense la meilleure page 111 de la rentrée francophone, se bricole autour d’un jury d’écrivain·e·s gentiment farfelu·e·s. La plume taquine aussi méchamment les rappeurs rameutés en loucedé par Jean Morel dans nos stud3ios pour les freestyles filmés du crew Grünt avec Lomepal, ou encore Nekfeu, Alpha Wann, Doums (bref, L’Entourage).
Réalisation, mixage : Mathieu Boudon.
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Performance ? Tentative réussie d’inscrire sur la mappemonde notre désir long-courrier de métissage culturel, ce Grand Mix XXL affranchi des frontières géographiques ? Record battu en appuyant trente fois sur record ? Moment un peu mythique – et paradoxalement méconnu – de l’Histoire de la radio française ? Ou juste une fixette démesurément farfelue autour du nombre onze ? Le 11/11/11, c’est-à-dire le 11 novembre 2011, Radio Nova a célébré ses 30 ans… pendant 30 heures de direct, en envoyant 30 reporters dans 30 villes le long des fuseaux horaires afin qu’il soit perpétuellement 11H à l’antenne. Le temps d’une émission-marathon où nos journalistes se sont passé·e·s le relais, au départ de Venise avec Henry Chapier et Héloïse Delaunay jusqu’au final bolivien à La Paz avec Fadia Dimerdji. Le tout, diffusé parfois depuis les locaux de radios locales, et surtout grâce à un dispositif pensé de main de maître par notre directeur technique Benoît Simon. Au fil de cette course hyper-cool contre la montre... Bintou Simporé joue du Mireille Mathieu à Shanghai. RKK fait claquer ses bretelles sur la plus importante radio de Papouasie-Nouvelle Guinée. David Blot se balade en train entre Salt Lake City et San Francisco. Nicolas Saada et Isabelle Gornet apprivoisent la vie sur pilotis, les aubes roses et la solitude sur le sable blanc des Maldives. Isadora Dartial choisit pour guide en Jamaïque un certain Courtney John, en poussant jusqu’aux studios Tuff Gong. Jean Rouzaud et Benoît Thuault se font chambrer en VO dans un cabaret en taule d’Addis-Abeba, Ethiopie, par un chanteur moqueur. Adrien Gingold apprend à surfer ailleurs sur que le net : à Honolulu, avec un collier de fleurs mauves, tandis que Jean-Philippe de Tinguy flippe pour son ventre à Dubaï. Les oreilles et les âmes voyagent du Kazakhstan à la Nouvelle-Zélande, des Fidji au Groenland, des cuisines d’Hanoï au chant des baleines dans la nuit des Açores…
Et tandis que nos globe-trotters fouinent les métropoles – avec la contrainte supplémentaire de trouver un groupe capable de reprendre I got you babe de Sonny & Cher dans la langue du pays, clin d’œil au film Un jour sans fin – avant ce super grand live international, les ancien·ne·s reprennent du service au micro. Pendant une semaine, le matin et chaque fin d’après-midi, les voix familières d’Edouard Baer, Yannick & Mélusine, Karl Zéro & Daisy d’Errata, Loïc Dury, Gilb’r et Thierry Planelle, sans oublier Jamel Debbouze (venu avec Michaël Youn et, par téléphone, Omar Sy et Ramzy Bedia), résonnent dans nos studios parigots. Où se presse, au soir de ce jour J extra-large, une foule de galopins et d’ambianceuses venu·e·s fêter ce NovAnniversaire Maousse Dingo autour de Bruno Delport, Marion Armengod, Max Guiguet, Mathilde Serrell ou notre assistant « goal volant » appelé à de grandes responsabilités rapologiques : Jean Morel, dit Jean-Mo. « Onze » va pas se mentir : c’était chouette.
Réalisation, mixage : Mathieu Boudon.
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En 2011, Nova débarque au festival de Cannes en compagnie d’une bande de jeunes espoirs masculins, dont Giulio Callegari, futur co-créateur de la série télé Validé, qui à l’époque signe pléthore d’articles pour Novaplanet.com dans un bureau du web partagé avec Adrien Gingold et Christian Nzonta. Le temps d’un sketch cruellement drôle et bourré de mépris pour la vieillesse, empruntant le ton déjà fort emprunté de Godard dans le film du même titre, Giulio se plaint de ces seniors qui rabâchent à toute heure que « c’était mieux avant ». Cette rengaine, rincée jusqu’à la glotte, notre antenne ne finit jamais d’en faire les frais – alors que de nouveaux talents sont accueillis à bras ouvert chaque saison, parfois sans expérience radiophonique, sur la foi d’une énergie, d’une idée, d’une voix, d’une envie. Alex Masson, juré cette année-là de la Semaine de la Critique (qui récompense d’un grand prix le brillant Take Shelter de Jeff Nichols, à propos d’un ouvrier terrorisé par des visions d’apocalypse imminente), est ainsi contraint de vivre en colocation avec un écrivain-journaliste bavard et exalté, Richard Gaitet, qui seconde Marion Armengod au booking des invité·e·s et participe aux plateaux collégiaux de L’Eléphant effervescent animé sur la plage par Mélanie Bauer avec… David Blot, de retour sur nos ondes après des centaines d’heures de fête, Respect. Quatre mois plus tard, Richard mettra en marche les rouages d’un « juke-box littéraire » nocturne et quotidien, sa Nova Book Box, qui donne à entendre des extraits de romans, des bouts d’essais, de la poésie, des bizarreries ou de la BD, des classiques et de la nouveauté, une « machine à lire » qui s’évertue à balancer des tranches de littérature aussi variées, exigeantes et inattendues que la playlist de la station, et qui durera neuf ans.
Pendant ce temps, le printemps parle arabe car le Moyen-Orient s’embrase dans le sillage de la révolution tunisienne, qui force Ben Ali à quitter le pouvoir. D’autres peuples reprennent le slogan « Dégage ! » et parfois, bsahtek, ça marche. En Egypte, démission du président Moubarak, en place depuis 1981. Au Yémen, le président Saleh est chassé de son palais après trente-trois ans de règne. Une guerre civile éclate en Lybie et aboutit au lynchage de Kadhafi, mettant fin à quarante-deux ans de tyrannie. La contestation s’intensifie en Syrie, mais la répression orchestrée par Bachar el-Assad n’en est que plus brutale. Idem au Bahreïn, où le roi Hamad reste vissé sur son trône. Sur Nova, certaines nuits se font l’écho de ces protestations, ou prennent le temps d’explorer des « Sujet(s) » comme la boxe ou le hacking (avec le concours de comédien·ne·s aussi follement marrant·e·s que Fred Tousch et Diane Bonnot).
Réalisation, mixage : Mathieu Boudon.
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Les glaciers fondent, mais ça continue de chauffer dans les étages du 33 rue du Faubourg Saint-Antoine. OK, déjà trois ans qu’on ne peut plus fumer dans les lieux publics, mais quand la Nova Family doit quitter son immeuble historique occupé depuis le début des années quatre-vingt, chargé de tant de joies souples, de drames lourds, de concerts spongiformes et de célébrations païennes, elle organise une teuf d’adieu ponctuée par un geste explosif d’exorcisme quasi chamanique, comme un remake fauché génial de Piège de cristal. Le tout, pour ne transhumer tel un troupeau d’éléphants forcément effervescents, qu’à seulement 702 mètres de là, dans les couloirs blancs du 127 avenue Ledru-Rollin, encore dans le XIe arrondissement de Paris, en face d’un commissariat.
En ces mêmes bureaux, nous retrouvons à nouveau nos consœurs et confrères plus sages de TSF Jazz – avec des flashs infos assurés sur les deux antennes par Amar Abdelkrim, Thierry Paret, Laurent Sapir ou Thierry Lebon. Qui annoncent, en vrac, que : la terre tremble terriblement en Haïti, en Chine, au Chili, à Sumatra ; Jacques Audiard est césarisé pour son Prophète ; le lanceur d’alerte australien Julian Assange dévoile via la plateforme WikiLeaks des milliers de documents confidentiels sur le rôle du gouvernement américain et de leurs alliés dans la guerre en Irak et en Afghanistan ; la mort de Chabrol, Lhasa, Rohmer, Louise Bourgeois ; la création d’Instagram, l’arrivée de l’iPad ; le burlesque filmé par Mathieu Amalric en Tournée, prix de la mise en scène à Cannes, dont les nuits sont parfaitement décrites sur nos ondes par Enora Malagré ; cette loi indienne qui oblige les enfants de 6 à 14 ans à aller à l’école, pour lutter contre le travail des mineurs ; ou la sortie des mémoires de Patti Smith, sous le titre Just Kids.
Cette décennie qui démarre sera l’écrin d’un fameux petit programme qui pousse, qui pousse, passant de vingt minutes à une heure : Dans Les Oreilles de..., présenté par Isadora Dartial et réalisé par Guillaume Girault et Benoît Thuault. « Quel disque a changé votre vision de la musique ? Celui que vous avez le plus écouté ? Quel air a bercé votre jeunesse ? » Voici le type de questions auxquelles répondent, excusez du peu, Bob Wilson, Lalo Schifrin, Bianca Li, James Blake, Anna Karina, Jean-Pierre Bacri, Carolyn Carlson ou Russell Banks…
Pendant ce temps, une caravane est joyeusement atomisée par nos auditeurs lors d’une fête à Nova Bordeaux, dont les membres sont aussi garnements qu’à Paname. Marie Arquié, biblio-maniaque à la voix grave, s’immisce dans le Grand Mix de l’après-midi pour glisser quelques conseils littéraires entre le rock fluide de Gossip et la plage en plastique dénoncée par Gorillaz (entouré cette fois de Bobby Womack, Lou Reed ou l’orchestre national du Liban). Les jeunes musiciens new-yorkais du Menahan Street Band se pointent avec deux mastodontes de la soul, Lee Fields et Charles Bradley, et tout s’arrête : l’équipe se colle aux vitres du studio pour écouter leurs timbres baignés de whisky. Alors, on danse, dirait le Belge Stromae, à suivre. Et Bintou reçoit ce message des Nubians, envoyé depuis Brooklyn, à l’annonce de notre déménagement : « Quand je me balade dans New York, bars et restaurants sont souvent tenus par des Français. Légion, nous sommes. Génération Nova. L’hospitalité, c’est dans le sang. Les fêtes sur le toit du 33 rue du Faubourg Saint-Antoine font partie de l’Histoire (…) Gardez-nous vifs, et alertes, conscients, pleins et amoureux, heureux et malpolis, meilleurs même dans le pire, voisins, humains ! »
Réalisation, mixage : Malo Williams.
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On dirait que le sort s’acharne. Cofondateur du magazine Actuel, fidèle compagnon de route de Nova dont il fut un éphémère directeur dans les années 80, Jean-Pierre Lentin disparaît début mars, d’une crise cardiaque, à 58 ans. On pouvait le lire dans Sciences et Avenir, Libé, Le Canard Enchaîné, dans son ouvrage L’Encyclopédie des merveilles sur les plus belles images de la science, dans ses nombreuses enquêtes à propos des dégâts des ondes électromagnétiques, dans ses documentaires sur les drogues, on pouvait voir ses réalisations sur Canal+ dans l’émission culte L’Œil du Cyclone, ou l’entendre sur notre antenne à minuit dans l’émission Out of the blue, qui présentait la sélection de notre « coffret bleu » dont il était l’un des orfèvres. Juste avant sa mort, Jean-Pierre projetait de créer un programme « sur les musiques innovatrices », qui aurait pu devenir un livre intitulé À la recherche de la musique qui cherche.
Alors, dans cette période de deuil dur-dur qui dure, Nova prend l’air. Et décide de partir chaque été en Grande Tournée à travers les villes où nous avons (ou aurons bientôt) une fréquence, posant ses consoles, micros et peaux de zèbres dans des bars, sur les places ou sous les chapiteaux des festivals ; ainsi, à Avignon, avec Mélanie Bauer, marquée par un drôlement joli concert du funambule flegmatique aux doux trois-fois-rien Mathieu Boogaerts. Mathilde Serrell, elle, repart au Combat, titre d’un rendez-vous sur l'activisme contemporain imaginé comme un « manuel d'entraînement pour tous les gabarits », sur « la contestation rigolarde, festive, mutante », ce « bourgeonnement de nano-révolutions » en cours depuis le début des années 2000. « S’engager aujourd’hui, écrira-t-elle qui dans le bouquin qui en découlera (publié où ? Chez Nova Editions !), c’est cultiver son miel en ville, uriner sous la douche pour économiser l'eau ou empêcher une expulsion. À chacun ses mini-prises de la Bastille. »
Cette année-là, dans Néo-Géo toujours animé par Bintou Simporé, Isadora Dartial interroge un sacré bosseur : le romancier, poète et philosophe martiniquais Edouard Glissant, auteur du concept de « créolisation », qui encourage à vivre « l’imprévisible », l’inédit qui naît grâce à la « mise en relation » des cultures du monde, lesquelles « s’intervalorisent » dans un partage consenti. Voyez comment la présence enfumée des jardiniers jamaïcains du collectif roots-reggae Inna Di Yard bouleverse la population de la station !
Pendant ce temps, des notifications tombent sur nos premiers iPhone. Éclipse solaire totale, la plus longue du vingt-et-unième siècle. Bashung délaisse les grands axes et prend la contre-allée vers l’irréel, avec imprudence. Tout comme Lux Interior (des Cramps), Ron Asheton (des Stooges) et Michael Jackson, qui venait pourtant d’annoncer son come-back. Polanski, lui, est incarcéré en Suisse pour ses agressions sexuelles à la suite d’un mandat d’arrêt international émis par les États-Unis. Un jeune rappeur de Caen nommé OrelSan se déclare perdu d’avance. La fable écologique en 3D de James Cameron, Avatar, contre l’impérialisme colonial et militaire, bat tous les records. Le dessinateur Winshluss revisite Pinocchio façon punk. Et sur la dernière compil’ NovaTunes, la rumba infirme survitaminée des Congolais du Staff Benda Bilili côtoie les lamentations romantiques d’Eels, qui médite sur un regard qui ne lui était pas destiné. Dans le cyclone de l’actu, il est bon de garder un œil sur Nova.
Réalisation, mixage : Mathieu Boudon.
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En juin 2008, un incendie se déclare par accident dans un arrière-studio d’Universal à Hollywood. Pendant douze heures, plus de cent mille bandes analogiques sont détruites, emportant des originaux de Snoop Dogg, Ella Fitzgerald, Nirvana, Yma Sumac, R. E. M., Al Green, Burt Bacharach, les Who, Billie Holiday ou Sonic Youth. Le New York Times déplore « le plus grand désastre de l’industrie musicale ». Vivre le deuil de quelqu’un, d’un collègue et ami à l’intelligence goguenarde, puis d’un chef gourmand aux idées magiques, est-ce comme voir… brûler une bibliothèque – selon la formule de l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ à la tribune de l’Unesco, re-tricotée par son confrère américain Edmund White ? Lentement, mais sûrement, Nova « se relève de ses morts », comme dit Mathilde Serrell, en fredonnant ce blues sans âge de Moriarty, menés par Rosemary Standley, qui se souvient d’un vieux buffle nommé Jimmy. Mathilde insiste aussi, dans cet épisode, sur la finesse de la sélection musicale de Max Guiguet et Emile Omar, programmateurs diggers de pépites : la cumbia revisitée par l’Anglais et Colombien d’adoption Quantic, le spleen long-courrier d’un barde du Nouveau-Mexique au pseudo de capitale libanaise (Beirut), le groove politisé de l’Anglo-Pakistanaise M. I. A., le retour soul de Sharon Jones & ses Dap-Kings, la pop afro des blancs-becs bon teint de Vampire Weekend ou les harmonies d’un fils de pasteur jamaïcain, Winston McAnuff, qui réveilla notre première Nuit Zébrée marseillaise. Pendant ce temps, Gilles Peterson ambiance des soirées cubaines et introduit RKK au clubbing, en tant que DJ-bientôt-star à bretelles. Notre bande-originale.
Entre nos murs, alors que la Palme d’Or revient cette année-là à Laurent Cantet pour son portrait d’une classe de collège parisien réputée difficile, on parle pas mal de cinéma. Du fond crémeux de leur émission dominicale baptisée Le Pudding qui durera quinze ans, Jean Croc et Nicolas Errera reçoivent John Malkovich, pour savoir ce qui se passe dans sa tête. L’année de sortie du premier Iron Man, qui lance la domination régressive de « l’univers Marvel » appelée à phagocyter la pop-culture mondiale, notre critique Alex Masson salue la puissance d’un premier long-métrage produit par Kassovitz, Johnny Mad Dog de Jean-Stéphane Sauvaire, adapté d’un roman d’Emmanuel Dongala sur les enfants-soldats. Agnès Varda manque de tomber d’un bateau en excès de vitesse par notre faute, Jean-Claude Van Damme évoque ses parents en discothèque et… on réécoute avec chagrin les messages que Guillaume Depardieu laissait sur notre répondeur, dont celui-ci : « Je vous appelle en direct de ma solitude, si soudaine et si prévisible. Et je compte sur vous tous pour mettre un peu de SANG dans vos textes, dans vos films, dans vos espoirs, dans vos cris, dans vos rires – s’il en reste. »
Yes we can! Barack Obama devient le premier président noir des Etats-Unis. Des espoirs, il en reste. Dans Le Monde de Demain, bulle d’anticipation poursuivant sa voie l’année de la triomphale reformation du Suprême NTM, Antoine Blin se projette chaque matin dans le futur, le temps d’un flash info qui exacerbe les préoccupations du moment (enfermant la société dans une épidémie « de grippe folle » avec protections d’hygiène encadrées par l’Etat, non mais vraiment, n’importe quoi). Bref, notre radio « bordélastique » tient toujours debout.
Réalisation, mixage : Emmanuel Baux.
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Avec force, et un art monstrueux du montage, ils affirment pratiquer la « caricature tranquille ». Chaque dimanche soir pendant deux ans, les deux punks de première classe planqués derrière les pseudos de « Polémix et La Voix Off » piquent, repiquent et remixent les petites phrases et polémiques nulles de nos politiques, pour « créer une chambre médiatique absurde », parfois secondés par un énigmatique « DJ Flashball ». Ce brillantissime bulletin de « déformations », souhaité comme « iconoclaste et hirsute », encore porté de nos jours (en ligne et sur d’autres ondes) par le Tourangeau Jean-Baptiste Diaz, nous a permis de rire et de respirer. Ce n’était pas toujours fastoche, en 2007. Un procès démarre contre Charlie Hebdo suite à la publication de caricatures de Mahomet, qui auront des conséquences tragiques. Il y a des phases plus légères, comme notre feuilleton matinal Plus belle la France, lui aussi riche en détournements (avec, parfois, les doubleurs des Simpson). N’oublions pas non plus la candidate du Parti Socialiste, Ségolène Royal, qui déclare lors d’un voyage en Chine, en pleine campagne présidentielle : « Qui n'est pas venu sur la Grande Muraille n'est pas un brave, et qui vient sur la Grande Muraille conquiert la bravitude. »
Il fallut rester braves, lucides et drôles, à l’annonce de la victoire de Nicolas Sarkozy – qui, dès le lendemain de son sacre, part se reposer au large de Malte sur le yacht de son ami Vincent Bolloré et laissera un généreux dictateur libyen, Mouammar Kadhafi, planter sa tente dans les jardins de l’hôtel de Marigny. Entre Jamel et Diam’s, vénères et dépité·e·s, la tribu Nova se réunit au micro, apaisée par Jean-François Bizot qui relativise, en poussant à la réflexion, la génération nan nan. Mais pressent-il lui-même qu’en coulisses, un ancien du magazine Actuel, Bernard Kouchner, se joindra au gouvernement « d’ouverture » formé par François Fillon, en tant que ministre amer des Affaires étrangères ?
Citizen Bizot meurt en septembre, à 63 ans. C’est tôt. Dans le livre Un moment de faiblesse (Grasset, 2003), son « plus long reportage » sur la guerre menée contre le cancer qui le « squatte », il écrivait : « Plusieurs regards possibles quand on révèle qu’un crabe grouille dans le ventre. Ceux qui, droit dans les yeux, laissent passer une brume dans le regard. Cette humidité seule vous fait l’amour. Ceux qui l’ont vécu, le vivent, vous accueillent au club, flegmatiques comme un barman élégant (…) Le cancer est une maladie philosophique ; on ne peut le remercier qu’en le mettant KO mais la lutte reste un cours particulier sur l’épistémologie des émotions. » Proches et disciples se réunissent pour la veillée. Dans Libé, ses copains Van Eersel et Mercadet signent une nécrologie exemplaire, où piocher des mantras : « Jean-François Bizot nous a quittés à l'âge de 126 ans. Vivre jour et nuit pendant 63 ans, le compte y est. Il n’avait peur de rien, mais il était terrifié à l'idée de devenir un grand bourgeois comme il faut. Il avait peur du "bon goût" (…) Peur de ne rien faire. Ses mots clés : "Bougez ! se remuer le cul ! Vite ! " Peur de mourir, terriblement peur. Encore qu'à cet égard, cinq années de lutte exemplaire contre Jack, ainsi qu'il nomma le rongeur, avaient à l'évidence opéré en lui des métamorphoses essentielles (…) La vie continue. La vie sans Bizot commence. »
Réalisation, mixage : Benoît Thuault.
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Un quart de siècle ! En 2006, Nova célèbre ses noces d’argent avec le public et ne coupe pas le son, contrairement à Philippe Katerine qui, sur son album Robots après tout, confie pourtant qu’il adore regarder danser les gens au bar du Louxor. Notre anniversaire se fête un dimanche soir en très grandes pompes dans les 12 500 m² de la Nef du Grand Palais, à Paris, avec DJ Medhi, Amadou et Mariam, Rachid Taha, Saïan Supa Crew, Bumcello, Grand Master Dee Nasty ou l’Allemande Ayo – dont la complainte soul acoustique Down on my knees tourne en rotation lourde. Accompagné d’un DVD documentaire de 3H30 d’archives vidéo (aujourd’hui disponible sur YouTube), un livre sort en kiosques avec 25 ans d’histoires, « ponctuées de causes et d’actes aussi gratuits que l’est une radio pour un auditeur », écrit Jean-François Bizot en ouverture. « Pour vivre, survivre, Nova a affirmé sa liberté face aux autorités de tutelle, celles d’avant le CSA. Avant qu’on ne comprenne à quel point Nova a vocation à figurer dans les grandes agglomérations. »
On nous capte désormais aussi à Angers, Boulogne-sur-Mer, Dreux, Limoges, Marseille, Montpellier, Nantes et Pau. Cela mérite une n-ovation ! Et notre sachem de faire le bilan, calmement : « Il est passé du beau monde dans les locaux (…) Quand on écoute les épanouis de la réussite, les entortilleurs de causes (…) ou les filles à la voix d’or qui passent plus vite que l’éclair, oui, quand on les revoit tous avec amour, fierté et cette complicité puissante (…), eux qui ne sont devenus rien de plus que ce qu’ils étaient, puisqu’ils étaient si forts qu’ils n’avaient rien besoin de devenir (…) En regardant dans le rétroviseur de Nova (…), on sent qu’il va falloir assurer pour participer aussi fortement aux vingt-cinq ans qui se profilent, avec leurs nationalismes, leurs enfermements, leurs âpretés (…), faire attention aux humeurs de la banque si l’on refuse d’être dompté. »
L’animal indompté qui ne trompe pas, dans ce contexte, c’est L’Éléphant effervescent, baptisé d’après une chanson de l’ex-Pink Floyd Syd Barrett (qui meurt en 2006, comme Ray Barretto, Ali Farka Touré, J Dilla et même Sa Majesté James Brown, le jour de Noël). Animée par Mélanie Bauer, transfuge de Ouï FM, cette émission quotidienne, qui parvient à aligner un live par jour et n’oublie pas de jouer Baxter Dury, Amy Winehouse ou Le Chercheur d’or d’Arthur H, voit démarrer un jeune critique littéraire : Augustin Trapenard. Nouveaux pilotes de nos matins, Armel Hemme et Mathilde Serrell s’octroient les services de deux reporters farfelus, Jean-Philippe Lagarde et Mélanie-George Mallet, et ne parlent probablement pas du coup de tête de Zidane en finale de coup du monde, mais plutôt : de la création de Twitter, d’une extraordinaire série sur Baltimore baptisée The Wire, de l’épidémie de chikungunya à la Réunion, de la sortie de Borat ou d’OSS 117 avec Dujardin en athlète des sourcils, de Justin Timberlake produit par Timbaland, des deux cowboys in love de Brokeback Mountain, du premier tome de la BD Aya de Yopougon récompensé à Angoulême, du groupe Phoenix en perruques dans le biopic de Marie-Antoinette, de la France qui décrète une journée nationale pour commémorer l’abolition de l’esclavage, du succès d’une trilogie suédoise nommée Millenium, voire de la pendaison de Saddam Hussein en Irak – où se crée, dans l’ombre, une organisation terroriste appelée Daech.
Le dernier mot est encore de Bizot : « Nova a besoin d’agrandir son espace pour progresser. Et plus question de la fermer. Comme on disait sur nos badges de 1981 : pas question de mollir. »
Réalisation, mixage : Benoît Thuault.
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Le 1er janvier 2005, Radio Nova démarre l’année avec la pire des gueules de bois. Notre « Tintin post-moderne », Marc-Alexandre Millanvoye, est mort accidentellement au terme d’une nuit de réveillon, à 31 ans. Toute l’équipe est sous le choc, de battre son cœur s’est arrêté. Il faut pourtant reprendre le micro. L’hommage rendu à l’antenne se prolonge sur la piste du Rex, avec des lives de Cosmo Vitelli, Laurent Garnier ou Keren Ann.
Hors Nova, une ambiance étrangement sombre plane sur 2005. De janvier à juin, des comités de soutien travaillent à la libération de Florence Aubenas, journaliste à Libération, et de son guide Hussein Hanoun, séquestrés en Irak – ce que nous raconte la rubrique Deux minutes de réel conçues par Mathilde Serrell, Antoine Blin et Isadora Dartial comme un plan-séquence avec des sons bruts. En mai, Trois enterrements, western crépusculaire de Tommy Lee Jones, remporte le prix du scénario au festival de Cannes. En juin, un môme de 11 ans est tué devant chez lui à la Courneuve (Seine-Saint-Denis) de deux balles perdues. En réaction, Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, affirme vouloir « nettoyer au Karcher la cité des 4000 ». Fin août, l’ouragan Katrina ravage la Louisiane et notamment la Nouvelle-Orléans ; sur place, un rappeur et producteur de rap nommé Kanye West, remarqué pour l’inventivité de son premier album The College Dropout, interpelle George W. Bush à la télévision en considérant que le président américain « ne se préoccupe pas des Noirs ». En octobre, deux adolescents meurent électrocutés dans un transformateur EDF de Clichy-sous-Bois, en tentant de se soustraire à un contrôle de police. L’événement déclenche de très nombreuses émeutes en banlieue, pendant trois semaines, à tel point que le gouvernement proclame l’état d’urgence.
Pourtant, tout n’est pas déprimant – loin de là. On peut tuer les zombies culturels à coups de vinyle dans la gueule, comme à la fin de la comédie anglaise Shaun of the dead. Remonter jusqu’à l’extrême-amont de la motivation, tels les courageux « hordiers » qui font bloc pour avancer à « contrevent » dans le best-seller d’Alain Damasio. Première greffe réussie du visage sur une femme de 38 ans, mordue par un chien. Au même moment, un réalisateur très drôle venu de France Culture, Armel Hemme, nous rejoint et tombe le masque : depuis deux ans déjà, c’était lui, « Brice Lee », reporter du zinc. De son côté, Rémy Kolpa Kopoul découvre une jeune chanteuse cap-verdienne à la voix d’émeraude, Mayra Andrade. Le film Broken Flowers de Jim Jarmush augmente l’intérêt du public pour l’éthio-jazz, ardemment défendu sur nos ondes depuis le milieu des années 80. Coiffé de trois Césars, Abdellatif Kechiche rappelle dans L’Esquive, si besoin, que les jeunes des cités savent charmer en déclamant Marivaux et son jeu de l’amour et du hasard. Lors d’une Nuit Zébrée mythique, les Néo-Zélandais de Fat’s Freddy Drop et leur fanfare dub-reggae-soul mettent les spectateurs en apesanteur. À minuit, pendant deux ans, la voix de synthèse qui présente Home Radio fait de Nova la première antenne FM à proposer des podcasts, en donnant un espace aux créations sonores bizarres. Quand elles sont bien choisies, paroles et mélodies restent inoubliables. Comme le chante Camille sur son deuxième album, Le Fil, qui bourdonne : « Lève-toi c'est décidé / Laisse-moi te remplacer / Je vais prendre ta douleur / Doucement sans faire de bruit / Comme on réveille la pluie / Je vais prendre ta douleur / Elle lutte elle se débat / Mais ne résistera pas / Je vais bloquer l'ascenseur / Saboter l'interrupteur. »
Réalisation, mixage : Benoît Thuault.
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Dans son livre Vaudou & compagnie, histoires noires de Abidjan à Zombies, Bizot écrit : « Je voudrais ici rendre hommage à Jean Rouch qui m’a, le premier, immergé dans le monde africain quand j’avais vingt-cinq ans et des clichés à en boucher le nez. Jean Rouch m’a fait toucher l’histoire vivante de l’Afrique, de ses peuples, ses royaumes et ses empires. » Pionnier du cinéma ethnographique, auteur d’une centaine de films (au cœur d’une secte ghanéenne, chez les chasseurs de lion, ou les danseurs dogons du Mali), Jean Rouch meurt au Niger en 2004 au cours d’un accident de voiture, de nuit. C’est aussi la nuit qu’Aline Afanoukoé reçoit, éclairée à la bougie, dans son cabinet de curiosités musicales intitulé Novamix, un tout nouveau duo parisien, Justice – qui vient de remixer Simian et ne sera plus jamais seul. Leur électro qui tabasse, pop et brutale, au succès phénoménal en queue de comète de la French Touch, va s’affirmer comme l’un des repères esthétiques de la décennie, comme d’autres productions du label Ed Banger tout récemment monté par Pedro Winter, manager de Daft Punk. Sur Nova, on joue également l’obsédante Ritournelle de Sébastien Tellier, les bricolages funkys-dub de Sporto Kantès (Yo Leeroy!), ou la bossa lumineuse du Brésilien Seu Jorge, embauché par Wes Anderson pour reprendre Bowie dans le sous-marin loufoque de La vie aquatique.
Dans le grand bain de cette année-là, deux hommes sont mariés à Bègles par un élu de la République alors que la loi ne le permet pas encore. Un étudiant de Harvard crée avec quelques camarades un réseau informatique fondé sur le principe du trombinoscope, baptisé « Facebook ». Le Hong-Kongais Tony Leung joue un écrivain qui se souvient de ses histoires d’amour dans le somptueux 2046 de Wong Kar-wai, tandis que Jim Carrey efface de sa mémoire sa rencontre avec Kate Winslet dans Eternal sunshine of the spotless mind, réalisé par le Français Michel Gondry.
Pendant ce temps, Nova Mag publie son dernier numéro et de nouvelles recrues (Isadora Dartial, Franck Haderer, Liz Gomis, Emilien Aumard) viennent grossir les troupes de la station, qui se structure autour d’une véritable grille des programmes pensée comme « un bug sur la bande FM » avec mission de « perturber » le ronron des ondes, dixit Antoine Blin, réalisateur et co-animateur de la matinale avec Emmanuel Gouache et qui, par exemple, couvre pendant deux semaines une (vrai) course de dromadaires dans le désert tunisien. Le tout, en ouvrant leur refuge à une jeune chroniqueuse, Mathilde Serrell, qui cause activisme et désobéissance civile. Un nouveau module surgit quatre à cinq fois par jour, sur une idée de Marc H’Limi : le Sonar, collage sonore quotidien sur l’actualité politique et sociale, sans aucun commentaire. S’intercalent également des tops horaires gouailleurs, qui dureront quasiment vingt piges, fabriqués à partir de la collection de vieux films de Jean Croc. Le seul moyen de passer le temps, c’est de jouer à la roulette russe. Mais l’événement de notre antenne, c’est la création d’un programme qui servira de vitrine à notre antenne pendant dix-huit ans, d’abord à Paname puis à travers la France : Les Nuits Zébrées, concerts gratuits à haut potentiel de transe collective, limite vaudoue, qui démarrent à la Scène Bastille, animées avec flamme par Aline, produites par Ruddy Aboab, sur une intuition originale de Marca.
Réalisation, mixage : Mathieu Boudon.
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