Episoder

  • Les toiles de Matisse renvoient à un même paysage : celui de la jouissance intérieure. La contemplation d’un monde qu’il est bon de voir pour le goûter. Ses fenêtres ouvertes regardent le rivage méditerranéen, ses femmes dansent, ses intérieurs sont nappés de tissus chauds. Corps et nourriture, étoffes et rebords de ciel.  « J’ai conscience de m’exprimer par la lumière ou bien dans la lumière, qui me semble comme un bloc de cristal dans lequel se passe quelque chose. »  Matisse nous dit aussi cette chose admirable : « Le bonheur de vivre est un choix. » Qu’on aimerait faire de cette phrase un totem, une boussole pour la haute mer. Communiquer l’allègement, mais d’abord l’atteindre. Ça peut être le but d’une vie. Par là serait le partage. Par là une possible restitution de la grâce de vivre. Et si avec le temps qui passe, venait si on la cherche, la grâce de pouvoir encore se considérer comme en apprentissage, en chemin, en mission d’apprendre à vivre, et à restituer la beauté du monde ?
     

  • La steppe est un récit court, d’une vitalité imagée, un hymne élégiaque à la nature écrit par un Tchekhov jeune, qui convoque son enfance et rend ainsi hommage à ses prédécesseurs, les grands lyriques de la littérature russe. 

    Tchekhov est avant tout un monde sonore. La richesse inépuisable de son œuvre tient à l’air qui y circule, et cet air, c’est de la musique. Un petit garçon, Iégorouchka, est emmené par son oncle vers la grande ville. Il va découvrir la vaste steppe, et faire toutes sortes de rencontres. Il va dormir, veiller, vivre des choses vraies et des peurs enfantines. Le tout rythmé par les multiples soubresauts de la nature sauvage, en même temps que des humeurs humaines. 

    Il y est question d’un petit garçon en devenir, de vieilles gens dont les corps résistent et fatiguent, mais surtout, au-delà de toute nostalgie, au-delà de la perte des choses, il y a en fin de compte la permanence infinie de la steppe, l’infini de ses horizons et de ses lignes. 

  • Manglende episoder?

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  • Guillaume Apollinaire et le 202 bd St Germain ; son dernier appartement, fait d’un agencement de mansardes ou de greniers sous les combles, où il a vécu du début de l’année 1913 jusqu’à sa mort en novembre 1918. Son pigeonnier disait-il.

    Michel Décaudin, André Rouveyre, André Billy, Gabrielle Picabia, et Max Jacob, sont les témoins et racontent.

    L’antre où le poète aimait aimer, cuisiner, recevoir ses amis, rêver sur un toit, fêter l’an neuf, collectionner ses souvenirs, grimper et descendre, Paris en dessous, où il déambulait en scandant des chants grégoriens. 

  • On a tous une maison natale, même si on ne l’a pas eue. 

    Des petits rituels, des objets à toucher, des souvenirs à sauvegarder, faire comme l’oiseau ses brindilles. Habiter, c’est aussi du présent, de l’avenir qui se dessine avec force. A chacun sa manière de faire avec, faire corps, tenter l’adaptation, et le monde autour, comme une chrysalide, formera le sens, nos sens, nous rendra visibles à nous-mêmes, aux amours à vivre. 

    Ces façons d’habiter, en littérature, ont des saveurs diverses, selon d’où elles viennent. Gaston Bachelard, Reiner Maria Rilke, Marcel Proust et William Faulkner ; mais aussi le ventre de la baleine de Pinocchio, un récit initiatique, aller jusqu’au fond de l’obscur, les cavernes, les grottes, avant de recréer la lumière qui nous fonde. Et enfin, un rire d’intelligence, celui de George Perec, grand écrivain du jeu, du je, qui sait le tragique, joue avec une virtuosité unique des biais du regard, sans jamais oublier le rire. Pérec aime le verbe « habiter »...

  • Une longue route pour un très grand roman : la Montagne magique  de  Thomas Mann. Une expérience intérieure, presque fantastique, du temps.  

    Cette montagne est magique en ce qu’elle recèle et révèle, ouatée, de  l’immobilité d’un groupe, entre la salle à manger et les balcons, les  promenades dans la neige, les saisons qui passent… Comme pour le Quatuor  d’Alexandrie, objet de notre précédente échappée,  si on ouvre à  n’importe quelle page, on se trouve confrontés à une paroi de l’extrême :  l’extrême d’un climat, d’un risque, d’un enivrement, d’une frayeur ou  une torpeur. 

    Autre quête insondable, autre voyage immobile : Moby Dick,  d’Herman Melville… Il ne s’agit pas de comprendre, mais de sentir.  Vivre, la grande affaire des hommes. Il y faut la magie des cartes. A la  clarté des lampes, l’enfant rêve. Nous sommes les enfants. Nous lisons  la Montagne magique, le quatuor d’Alexandrie, Moby Dick…

  • J’ai choisi ce titre, voyage immobile, en pensant à mes lectures au long  cours, celles qu’on a parfois du mal à tenir, mais qui sont les plus  marquantes, de vrais voyages, dont on ne sort pas indemnes. 

    On peine un  peu, on aimerait bouger, on se laisse distraire. Mais que c’est bon de  l’avoir traversée, cette épaisseur des pages, épaisseur de climats, ce  poids des choses. Voyage immobile, n’est-ce pas le cas finalement aussi  des voyages réels ? Beaucoup de transits, d’attentes quelque part entre  deux destinations, puis des contemplations, de la fatigue, récupération,  tempes qui bourdonnent ; étrangeté, déracinement, sidération  peut-être ? 

    Les voyages sont surtout – toujours – voyages intérieurs.  C’est bien ce qu’on leur demande en fin de compte. Commençons par « le  Quatuor d’Alexandrie » de Lawrence Durrel. Quatre tomes : Justine,  Balthazar, Mountolive et Cléa ; du nom de ses protagonistes, mais le  vrai sujet de l’ensemble est la ville : Alexandrie.

  • 1928, un livre de Marc Chagall, le seul qu’il aura écrit : « Ma vie ».  La dédicace : « à mes parents, à ma femme, à ma ville natale ». 

    Dans ce  livre, il n’y aura que le début jusqu’aux années 1922. On le sait,  Chagall vivra beaucoup plus longtemps, et sa route sera riche, d’œuvres,  de femmes, de passion ; de conviction. 

    Une échappée Belle ne peut tout  dire de cette vie. Je vais donc vous faire partager quelques bribes de  ses premiers élans ; les questions de l’enfance, les images qui, comme  pour nous tous, restent obstinément derrière les yeux, dans la mémoire  et dans l’âme, et forge notre vision du monde. Oh combien celle de  Chagall a été imprégnée de ses premières années, de sa Russie natale, de  la tradition juive dans laquelle il a été élevé, des paysages, sons,  couleurs, visages et partages de ce vaste univers aux confins de  l’Orient, avant qu’il ne vienne en France, que la guerre, les guerres…

  • Mon invitation aujourd’hui, se promener, se baguenauder, dirait Raymond  Queneau, dans les allées hautes en couleur des fêtes foraines, au  royaume de la barbe à papa et des rencontres chaloupées. 

    Nous sommes à  la fête, dans le Paris populaire qu’aime Queneau, dans les lisières, les  marges, les espaces poétiques, fantaisistes, les rencontres hasardeuses,  quoique toujours tendres et sans conséquences graves. 

    Qui n’a pas gardé  en mémoire ses étonnements d’enfant devant les manèges, les grandes  roues, un orgue de barbarie ? 

    C’est avec « Pierrot mon ami » que nous  embarquons. Tout un monde, hors-norme, ailleurs, mais une agitation dont  la ville, le village, ont besoin. La fête. Et avant la fête, au  Moyen-âge, la foire. Au XIXe siècle les couleurs flambent, les excès de  chair… Au tournant de la Belle Époque, les carrousels sont des bijoux de  mécanique, des merveilles pour l’imagination des clients. Et puis vient  le cinéma. Le cinéma adore les fêtes foraines…

  • La trame d’un texte, la chaine narrative  d’une histoire, suivre le fil d’un récit; le même mouvement, geste et  pensée, rêverie, trouée d’air et consistance. Ce qui apparait, ce qui se  devine. Va… et vient ? 

    Comme le tissage. Tissus et littérature, tissus  et peinture… Vélasquez ou Proust, ces « épingleurs » de papillons,  passent par le vêtement pour aller droit au cœur, à l’âme de leur  personnage. C’est un monde bien précis, indissociable et unique, qui  surgit de ces images, de ces mots. Rien de flou ni d’interchangeable.  Dans les contes, les petites filles rêvent d’une robe couleur du temps…  et osent -ou pas- la demander à leur père. 

    Quant à la comédie musicale  hollywoodienne, elle a parfois enchanté ce que la mode peut en nous  transfigurer d’un bonheur qui pétille.

  • Le monde des vêtements, ce sont des bribes d’histoire, de matières et de mots, d’images. Ce que nous sommes, chacun, quand nous nous habillons, ce que nous donnons à voir, à lire, sur nous, est ce qui nous relie et nous sépare de l’autre.

    Nous et une époque, car bien sûr nous sommes forcément « de notre temps ». Impossible d’évoquer un vêtement, ou un costume, sans que s’engouffre une époque. Des réincarnations romanesques, des tableaux, des imaginations de ce que nous croyons être le Moyen-âge, la Renaissance, le siècle de Louis XIV… de ce nous croyons voir encore venir jusqu’à nous.

    Avec ce voyage dans le temps, nous glissons vers le portrait, et dans un portrait, tout est signe.

  • Serge de Diaghilev, Vaslav Nijinski, Igor Stravinsky ou Léon Bakst,  Michel Fokine, Tamara Karsavina… des noms, beaucoup de noms devenus  légendes. 

    L’oiseau de feu, Shéhérazade, Le sacre du printemps… des  œuvres devenues clefs d’un monde envoûtant et magnifié, celui de  l’avant-guerre – de 1914/1918 – à Paris, le monde du spectacle qui est  celui de l’art, de la pensée ; couleur et mouvement, révolution  esthétique et surtout jeunesse et convergences d’exilés, Babel heureuse  pour une ville où tout converge. 

    Je préfère dire « fragments », car je  ne ferai pas le tour des saisons des Ballets Russes ni de leurs  révolutions. Je vais nous poser sur quelques épisodes de leur arrivée à  Paris ; quelques instantanés des années 1910, 1911…

  •  « Le vieux peintre Wang-Fô et son disciple Ling erraient le long des routes du royaume de Han. »

    Ainsi commence la première des Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar.

    La Chine ancienne suscite devant nos yeux des images comme des effacements. Avec le vieux peintre Wang-Fô, nous allons partir sur ces bords, dans ces lointains de mondes créés parce que rêvés, où flotte la question du beau comme vérité. Le réel n’est rien. Seul ce qui entre les cils…  

  • Presque l’été, et déjà l’envie de ce qui court, s’échappe, rafraichit,  fait sourire et roule. L’eau, non plus celle seulement, des rivages dont  je parlais dans une émission récente, mais l’eau des ricochets pour le  plaisir sans mélange, d’échappées, réellement. Images, chansons,  deci-delà, comme ci et comme ça… 

    L’eau vive, quelle belle association de  mots ! On y est, on en est, de cette vivacité vibrionnante, petit filet  discret ou cascade sur les pierres. Une image du bonheur. 

    Un livre de  Jean Giono, un film : « Des Alpes à Avignon, la Durance ne dort jamais  dans son lit ». Pagnol aussi, la Manon des sources, fille de Jean de  Florette. L’eau qui manque, l’effort sous le soleil. Et puis l’eau des  fontaines nocturnes dans les villes, celle des fleuves emportés, les  cours d’eau des peintres… Toute cette eau, la boire avec l’été qui  vient.

  • Ce qui fascine la nuit, ce dont nous avons besoin, c’est de percevoir la  lumière, non pas celle, plein feu, de nos réalités charnelles, mais les  trouées, les transparences, le lunaire en filet dans la masse liquide  des bleus sombres. La nuit n’est pas noire, elle est miroitement du ciel  sur la terre et sur nos profondeurs. Rêve, peurs, attirance. Cesser de  voir pour entrevoir, de l’intérieur à l’espace sans fin de ce qui est  mystère. 

    René Char, Georges de la Tour, La nuit transfigurée, l’aurore  aux doigts de rose…la poésie est action, et la nuit, une attente.

  •  Quand on a 17 ans.

    Une promenade qui oscille entre des états d’âges un peu flous, cette idée qu’on se fait de l’adolescence, ou de quelque chose en soi qui s’accroche à l’enfance, ou bien encore ce mal-être dont on parle sans le définir, qui résiste au temps qui passe, mais prend racine dans le désir fou de grandir et de se plonger dans les combats du monde. Un trop plein d’imaginaire. 

    17 ans, qu’est-ce que c’est ? Tout ça, quelque part. Cet âge-là ou un autre, ce flou du dessin qui contraste avec le tranché du vouloir, être, absolument. Alors les couleurs varient. Elles sont pleines d’air et de soleil, ou de sombre violence, ou de gris tendre et vague.  

  • Trois contes. Un cœur simple est le premier. L’incipit : Pendant un demi-siècle, les bourgeoises de Pont-l’Evêque envièrent à Mme Aubain sa servante Félicité. « La nature est à l’intérieur », disait Cézanne. 
    Dedans-dehors. Et le seuil. Félicité vit la vie de Madame Aubain, adore les enfants, Paul, qui partira, Virginie, qui mourra, le temps dans la maison, qui passera. Elle pleure la mort de son neveu Victor, loin à l’autre bout du monde, quelque part au-delà de la ligne d’horizon. La mer, le rivage, puis  le retour à la chambre. Les deuils  font croire à la communion des destins ;  Madame Aubain et Félicité. La servante y croit, un peu. Et dans cette vie où apparemment rien n’arrive plus, un perroquet vient déplacer pour Félicité le centre de son monde. 

  • Aujourd’hui je prends le risque d’un vaste  pluriel de croisements possibles, d’œuvres et de personnages, dans cette  échappée vers les rivages. A l’image du  vent qu’on imagine, les  falaises, les horizons larges, ou bien les verts au calme trompeur des  rivières, des étangs… et devant, figées, happées, ou marchant à grands  pas : des femmes.

    Silhouettes des peintres, héroïnes tourmentées des récits romanesques. On les trouve Souvent au 19ème  siècle, mais elles sont là déjà bien avant, et aussi après, et  toujours… le féminin comme figure face à l’eau. Les cieux comme reflet  d’elles ; le besoin de boire.

    Elles se mélangent dans notre imaginaire. Elles sont le motif.

  • Un tramway va de la ville à la plage, sur une distance de 15 kms, s’arrête sur le sable, et revient… Une ville et une côte méditerranéennes. Le rythme d’un ressac, aller-retour, les différents épisodes de l’enfance, de l’âge adulte, de la maladie et de l’approche de la mort. Mais le ressac est ce qui se mélange, va et vient, retient, se tisse et se tresse. Avec des espaces blancs. La délicatesse de ne pas aller au bout de chaque image, de la laisser venir, et disparaître. « Le tramway » est publié en 2001, Claude Simon a 88 ans. Ce livre, avant de mourir, comme d’autres écrivains, des peintres, qui ont délicatement tracé à rebours leur chemin, un dessin, œuvres bouleversantes, non pas parce qu’elles seraient fragiles, au contraire, parce qu’elles portent en elle l’épure, la pure résonance. Ces artistes âgés, tout près de partir, qui reprennent les tracés de leur début de route, avec simplicité, une calme plénitude des mots… là où le vacarme des images pour rien laisse la place.

  • Une initiation, la première passion. Le début  de la vie. Un lys, une reine : Madame de Mortsauf, Henriette, dans un  murmure… Une femme qui s’est presque cloîtrée à la campagne, qui veille  avec abnégation sur un mari à demi-fou et deux enfants fragiles. Une  apparition.

    Le portrait d' »une femme vertueuse par goût », dit Balzac, qui, dès  le Père Goriot, pense à ce projet. Le titre rappelle le Cantique des  cantiques : « Je suis la fleur des champs, le lys des vallées ». Désir  refoulé. Amour courtois. « Histoire des Cent-Jours, vue d’un château de  la Loire », selon le philosophe Alain. « Le lys dans la vallée » est  tout cela et bien d’autres choses.

  • Vous emmener au bal aujourd’hui, non pas  tant, pas seulement pour y danser, mais pour y croiser, dans le  foisonnement des étoffes et des personnages, le romanesque en grand, le  scintillement. Une foule, magnificence, à l’intérieur de laquelle se  jouent des nœuds d’intrigues plus intimes. Deux regards quand ils se  rencontrent, deux élans, deux héros de grands livres, deux parmi  beaucoup, des mises en scènes multiples d’un monde, l’élan des grandes  fresques.

    Trois temps d’une valse ?