Episodes
-
Antoine Lilti
Collège de France
Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle
Année 2023-2024
Conférence - Jennifer Pitts : Les lumières et l'esclavage : Cugoano, Condorcet et les débats sur l'abolition à la veille de la Révolution
Jennifer Pitts
Professor of Political Science, Committee on Social Thought, University of Chicago
Jennifer Pitts est invitée par l'assemblée du Collège de France, sur proposition du Pr Antoine Lilti.
Résumé
Thoughts and Sentiments on the Evil of Slavery (1787) de Quobna Ottobah Cugoano, l'un des traités antiesclavagistes les plus radicaux publiés au XVIIIe siècle et le premier publié par un auteur noir dans le monde occidental, est apparu dans une traduction française anonyme l'année suivante. Dans le cadre de recherches entreprises avec mon collègue Michael Suarez, S. J., de l'université de Virginie, nous présentons des arguments tendant à démontrer que la traduction pourrait être l'œuvre de Nicolas de Caritat, le marquis de Condorcet, et nous examinons les implications, pour notre compréhension de la pensée de Condorcet et du mouvement antiesclavagiste français, de cet effort visant à mettre rapidement à la disposition du public français le remarquable traité politique, philosophique et religieux de Cugoano. L'histoire complète des activités abolitionnistes de Condorcet reste à écrire, et son engagement probable avec l'esprit et les écrits de Cugoano devrait figurer dans cette histoire.
Jennifer Pitts is a political theorists whose research interests lie in the fields of modern political and international thought, particularly the histories of empire, international law, and debates over global justice. She is the author of Boundaries of the International (Harvard 2018), which explores European debates over legal relations with extra-European societies during the eighteenth and nineteenth centuries, and the co-editor, with Adom Getachew, of W.E.B. Du Bois, International Thought, a collection of essays and speeches spanning the years 1900-1956 (Cambridge University Press, 2022). With Dan Edelstein she has edited a volume in the forthcoming Cambridge History of Rights. She is also author of A Turn to Empire: the rise of imperial liberalism in Britain and France (Princeton 2005); co-editor of The Law of Nations in Global History (Oxford 2017); and editor and translator of Alexis de Tocqueville: writings on empire and slavery (Johns Hopkins 2001). She is an editor of the Cambridge University Press series Ideas in Context.
-
Missing episodes?
-
Antoine Lilti
Collège de France
Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle
Année 2023-2024
08 - L'universalisme des Lumières : débats et controverses : « Il n'est pas un crime d'être noir ni un avantage d'être blanc »
Résumé
En 1789, les révolutionnaires français, après avoir déclaré que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit », n'ont pas aboli l'esclavage. La Convention ne le fit qu'en 1794, sous la pression des révoltes d'esclaves et notamment de la Révolution de Saint-Domingue qui aboutit, en 1804, à l'indépendance d'Haïti. Ce décalage est aujourd'hui une des questions les plus débattues par l'historiographie de la Révolution. Faut-il en déduire que l'universalisme proclamé des droits de l'homme et du citoyen n'était qu'un leurre, protégeant les privilèges des colons blancs, ou doit-on à l'inverse considérer qu'ils ont fourni aux esclaves et aux libres de couleur, dans les colonies, les arguments et les ressources pour obtenir leur émancipation ? Dans quelle mesure la révolution haïtienne incarne-t-elle un universalisme supérieur, ou différent, de celui de 1789 ? On revient d'abord sur les débats de l'hiver 1789, sur le grand discours de Mirabeau contre la traite, qu'il n'a pas pu prononcer à l'assemblée, et sur la contre-offensive des milieux coloniaux et marchands hostiles à l'abolition. Puis l'attention se porte sur la Révolution haïtienne, en essayant de comprendre dans quelle mesure les esclaves insurgés se référaient aux droits de l'homme. Enfin, on conclut par quelques éléments de réflexion sur l'universalisme dont la Révolution haïtienne était porteuse, à travers ses idéaux anticoloniaux et abolitionnistes, mais aussi sur les conflits qui la traversaient.
-
Antoine Lilti
Collège de France
Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle
Année 2023-2024
07 - L'universalisme des Lumières : débats et controverses : Halluciner l'humanité : droits de l'homme et souveraineté nationale
Résumé
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». Peut-on imaginer formulation plus universelle des valeurs de la modernité ? La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, adoptée par l'assemblée nationale le 26 août 1789, est généralement considérée comme l'apothéose de l'universalisme des Lumières.
Nous verrons toutefois que cette évidence est peut-être une illusion d'optique, qui néglige les enjeux proprement politiques des premiers mois de la Révolution.
Pour comprendre les enjeux de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il est utile de remonter en amont, dans les débats du XVIIIe siècle sur les droits de l'homme, non seulement parmi les théoriciens du droit naturel, mais aussi, comme l'a proposé l'historienne Lynn Hunt, au cœur de la culture sentimentale des Lumières. Puis, en étudiant les débats de l'été 1789, on découvre que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est prise, d'emblée, dans une contradiction entre l'affirmation de droits naturels, et donc universels, et l'édification d'une souveraineté nationale. Les députés ont « halluciné l'humanité dans la nation », selon la formule du philosophe Jean-François Lyotard. Ce qui n'est pas sans conséquence durable sur les tensions inhérentes aux droits de l'homme dans un monde d'États-nations, comme l'a diagnostiqué Hannah Arendt après la Seconde Guerre mondiale.
-
Antoine Lilti
Collège de France
Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle
Année 2023-2024
06 - L'universalisme des Lumières : débats et controverses : L'universalisme critique : le paradoxe du paria
Résumé
La Chaumière indienne est un court récit de Bernardin de Saint-Pierre, un conte philosophique, publié en 1791. Il met en scène la rencontre d'un savant anglais et d'un paria indien, un face-à-face entre la culture savante des Lumières européennes et le « cœur simple »d'un homme méprisé et rejeté, ayant trouvé le bonheur loin des villes et de la civilisation. Une lecture de cette œuvre aujourd'hui oubliée, mais qui fut beaucoup lue, nous met sur la piste de l'invention de la figure du paria dans la culture européenne, où l'Inde, plus fantasmée que réelle, sert à penser les ambivalences de l'émancipation. Au nom de l'universel, les philosophes dénoncent une situation d'injustice. Mais le paria doit-il se révolter ou chercher dans son malheur la source d'un bonheur plus authentique, en dehors de la société des hommes ? Au-delà de la situation de l'Inde, présentée comme l'archétype de la société hiérarchique, le thème du paria permet d'interroger le statut, dans la pensée des Lumières, des groupes discriminés et tout particulièrement des esclaves. On verra alors comment les abolitionnistes africains-américains, à la fin du XVIIIe siècle, ont développé un discours émancipateur, en articulant l'égalité des droits et un discours évangélique nourri par le renouveau de la foi protestante.
-
Antoine Lilti
Collège de France
Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle
Année 2023-2024
05 - L'universalisme des Lumières : débats et controverses : L'universalisme historique : civilisation et mondialisation
Résumé
Et si on construisait le siège de l'ONU au centre de la terre, à équidistance de tous les États, pour en faire le lieu même de l'universel ? Cette proposition, apparemment absurde, ne provient pas d'un roman de science-fiction, mais d'un petit texte polémique de Voltaire, publié en 1761, le Rescrit de l'empereur de la Chine. Contre les projets de paix perpétuelle, réduits aux puissances de l'Europe, Voltaire et bien d'autres auteurs proposèrent, tout au long du siècle, un récit historique de l'universalisation, une histoire mondiale, ouverte aux grands empires asiatiques comme la Chine, articulée au commerce comme force motrice de la civilisation et de la mondialisation. Mais cette histoire elle-même n'est pas sans ambiguïté. Malgré son universalisme affiché, elle fait de l'Europe un modèle et ne pense la différence que sous la forme du retard. Elle projette ainsi de nouvelles frontières et de nouvelles hiérarchies, entre l'Europe civilisée et le reste du monde, et au sein même de l'Europe, au point d'aboutir à un éloge de la domination française sur l'Europe. Il faut alors réfléchir à la puissance et aux limites de ce langage historique de la civilisation, qui triomphe à la fin du siècle, à l'heure des révolutions.
-
Antoine Lilti
Collège de France
Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle
Année 2023-2024
04 - L'universalisme des Lumières : débats et controverses : L'universalisme cosmopolite : tolérance et différence
Résumé
Chacun sait que la tolérance est au cœur de la réflexion des Lumières. Mais a-t-on pris la mesure de la dynamique pluraliste que cette exigence nouvelle instaure au cœur de la conscience européenne ? En partant de Pierre Bayle et de son Commentaire philosophique (1686) réaction vigoureuse à la persécution des protestants dans la France de Louis XIV, nous nous interrogeons sur les liens entre tolérance et cosmopolitisme. Les Lumières doivent affronter le défi de l'altérité et penser les différences, à l'horizon d'une commune humanité. Le cosmopolitisme, au XVIIIe siècle, est une idée nouvelle, ambivalente, ancrée dans la mutation de la mobilité et des sociabilités, dans un monde en mouvement. On s'attarde alors sur le grand manifeste de la tolérance cosmopolite, Nathan le Sage de Lessing (1779), pour conclure sur la lecture qu'en a proposée Hannah Arendt.
-
Antoine Lilti
Collège de France
Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle
Année 2023-2024
03 - L'universalisme des Lumières : débats et controverses : L'Universel à la Bourse
Résumé
Dans la sixième de ses Lettres philosophiques (1734) Voltaire propose une apologie de la tolérance qui règne à la Bourse de Londres, où les différentes confessions coexistent pacifiquement : « Là, le juif, le mahométan et le chrétien traitent l'un avec l'autre comme s'ils étaient de la même religion, et ne donnent le nom d'infidèles qu'à ceux qui font banqueroute ». Ce texte a été commenté par le grand philologue Erich Auerbach, depuis son exil à Istanbul pendant la Seconde Guerre mondiale, puis par Carlo Ginzburg, plus récemment, qui y ont vu des signes de l'ambivalence des Lumières. Nous nous arrêtons sur la lecture d'Auerbach, qui insistait sur la légèreté et la superficialité de Voltaire, sur les dangers de son universalisme abstrait et réducteur, et qui allait jusqu'à tracer un fil entre la « propagande des Lumières » et celle des régimes autoritaires du XXe siècle. Cette idée que les penseurs des Lumières, et notamment des philosophes français, ont développé un projet universaliste abstrait, hostile à toutes les différences culturelles et religieuses, s'inscrit dans une histoire longue, qui va de la pensée contre-révolutionnaire (Edmund Burke, Joseph de Maistre) jusqu'au libéralisme de la guerre froide (Isaiah Berlin). Après en avoir indiqué les limites, on revient au texte de Voltaire, pour voir comment s'articulent tolérance et cosmopolitisme autour d'un diagnostic de la modernité. Ce parcours nous conduit à proposer une lecture pluraliste de l'universalisme des Lumières, ou plutôt des « effets d'universel » que l'on peut trouver dans la littérature du XVIIIe siècle.
-
Antoine Lilti
Collège de France
Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle
Année 2023-2024
02 - L'universalisme des Lumières : débats et controverses : La crise de l'universalisme (médiéval)
Résumé
La modernité n'a pas le monopole de l'universalisme. Le terme lui-même date du XIXe siècle. En revanche la revendication d'universalité (l'idée que certaines idées, ou certaines pratiques, ont une portée universelle, que leur validité, leur autorité, leur légitimité ne s'inscrivent pas seulement dans un cadre local ou un contexte particulier, mais s'étendent, de droit ou de fait, au monde entier) a une histoire beaucoup plus longue, qui remonte à l'apparition des religions monothéistes et aux principales formations impériales du monde antique. Dans cette séance, nous cherchons donc à tirer quelques fils des langages de l'universel qui ont dominé l'Europe occidentale sur la très longue durée, et dont les Lumières ont hérité tout en les combattant.
Après avoir rappelé les origines de l'universalisme chrétien et les débats suscités par la Constitution antonienne de 212, accordant la citoyenneté à tous les hommes libres de l'Empire romain, on essaye de proposer un modèle de l'universalisme médiéval. Celui-ci repose sur le christianisme comme religion du salut, sur l'Église comme institution socio-politique d'encadrement des fidèles revêtue du dominium universel, sur l'héritage philosophique du rationalisme grec et enfin sur la persistance d'un idéal impérial hérité de Rome, en rivalité avec d'autres modèles impériaux, Byzance en premier lieu.
Dans un second temps, il faut comprendre comment ces différents éléments ont été progressivement remis en cause dans les derniers siècles du Moyen Âge avant d'être considérés comme obsolètes au tournant XVIIe siècle et XVIIIe siècle, ou du moins de voir leur prétention universaliste profondément contestée. Deux éléments sont privilégiés : la montée en puissance des discours de la souveraineté et la critique de la monarchie absolue ; l'essor des langues vernaculaires et la crise du latin, comme fondement de l'unité culturelle de l'Europe chrétienne.
-
Antoine Lilti
Collège de France
Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle
Année 2023-2024
01 - L'universalisme des Lumières : débats et controverses : « En tout temps, en tout lieu »
Résumé
L'universalisme est devenu omniprésent dans les débats politiques contemporains. Depuis une vingtaine d'années, il renvoie inlassablement à l'idée d'un « universalisme des Lumières », qu'il faudrait défendre ou, à l'inverse, dont il faudrait se débarrasser. Pour y voir plus clair, on peut distinguer deux débats. Le premier, alimenté par les études postcoloniales, porte sur la responsabilité des Lumières dans le colonialisme européen : elles auraient alimenté « la mission civilisatrice » de l'Europe au nom d'un universalisme des valeurs occidentales. Le second correspond aux politiques de revendications minoritaires au sein des démocraties libérales. Particulièrement vif en France, il oppose partisans et adversaires d'un « universalisme républicain ». À chaque fois, les Lumières sont décrites, pour le meilleur comme pour le pire, comme l'origine d'un universalisme abstrait, rationaliste, eurocentriste, rejetant les identités particulières au nom d'un progrès uniforme et d'une citoyenneté sans reste. C'est justement cette image des Lumières que le cours de cette année souhaiterait discuter.
Un deuxième temps est consacré à présenter quelques réflexions théoriques sur l'universalisme. On réfléchit notamment à la distinction entre universalisme de surplomb et universalisme latéral (Maurice Merleau-Ponty, Souleymane Bachir Diagne), aux épisodes de révoltes et de guerres de libération qui peuvent relever d'un universalisme réitératif (Michael Walzer), enfin aux antinomies internes à l'universalisme moderne, entre un idéal émancipateur et une idéologie excluante (Eleni Varikas, Silyane Larcher, Étienne Balibar).
On termine par une première évocation des débats propres au XVIIIe siècle, notamment en analysant un passage du dialogue entre Orou et l'aumônier, dans le Supplément au Voyage de Bougainville, de Denis Diderot. Grâce à un détour fictionnel par Tahiti, le philosophe pointe la crise des figures classiques de l'universalisme et réfléchit, hors de tout dogmatisme, à la possibilité de fonder de nouvelles normes morales, émancipées à la fois de la morale religieuse et des conventions sociales. Dans un univers sécularisé, marqué par la diversité des peuples et des cultures, où trouver des points d'appui stables, qui permettent de viser une certaine universalité des comportements humains ?
-
Antoine Lilti
Collège de France
Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle
Année 2022-2023
Colloque - Lumières multiples - La mondialisation des Lumières - Sebastian Veg : Le débat historiographique sur les Lumières dans la Chine des années 1980 : une réécriture de l'histoire du XXe siècle
Intervenant(s)
Sebastian Veg, EHESS
-
Antoine Lilti
Collège de France
Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle
Année 2022-2023
Colloque - Lumières multiples - La mondialisation des Lumières - Elizabeth Suzanne Kassab : Les débats sur les « Lumières » dans la pensée arabe contemporaine : entre l'identitaire et l'humanisme politique
Intervenant(s)
Elizabeth Suzanne Kassab, Doha Institute for graduate studies
-
Antoine Lilti
Collège de France
Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle
Année 2022-2023
Colloque - Lumières multiples - Lumières contemporaines - Catherine König-Pralong & Anke von Kügelgen : D'autres Lumières arabes. De Berlin-Est à Damas et de Cordoue à Alexandrie
Intervenant(s)
Catherine König-Pralong, EHESS
Anke von Kügelgen, Université de Berne
-
Antoine Lilti
Collège de France
Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle
Année 2022-2023
Colloque - Lumières multiples - La mondialisation des Lumières - Eddy Dufourmont : Keimō : un essai d'archéologie du mot « Lumières » dans le Japon de Meiji (1868-1912)
Intervenant(s)
Eddy Dufourmont, Université de Bordeaux III
- Show more