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  • Fort d’une majorité absolue au Parlement hongrois, Viktor Orban entretient des relations tumultueuses avec Bruxelles, qui continue de bloquer quelque 20 milliards d'euros de fonds, en raison des atteintes répétées à l'État de droit. En croisade contre les valeurs libérales de l’UE, le dirigeant hongrois entend bien changer l’Union de l’intérieur. Son parti mène la course en tête pour les élections européennes du 9 juin. Le Fidesz, qui avait obtenu 12 sièges sur 21 lors du scrutin précédent, espère en emporter autant. Après avoir quitté le Parti populaire européen en 2021, ses élus pourraient rejoindre l’un des grands groupes de l’extrême-droite au Parlement de Strasbourg.

    De nos envoyés spéciaux,

    « Il faut renverser toute la clique, en commençant par Ursula ! Qu’est-ce qu’elle a trafiqué avec ces histoires de vaccins ? À Bruxelles, ils travaillent contre la Hongrie et ils bloquent les fonds qui nous reviennent », maugrée Zsuzsanna, une retraitée, arrivée avec quelques minutes de retard à un rassemblement électoral organisé par le Fidesz, dans un quartier résidentiel du sud-est de Budapest.

    Si cette fidèle électrice du Fidesz, qui a noué un ruban aux couleurs du drapeau hongrois sur son sac à main, évoque spontanément la présidente de la Commission européenne, c’est peut-être parce que son image est partout, dans les rues, au bord des routes, sur les abribus. Les affiches électorales du Fidesz mettent en scène Ursula von der Leyen, assise dans un fauteuil rouge, entourée de ses « fidèles serviteurs », des figures de l’opposition, déguisés en majordomes, l’ex-Premier ministre Ferenc Gyurcsany, son épouse Klara Dobrev, tête de liste de l’alliance de gauche aux élections européennes, Gergely Karacsony, le maire écologiste de Budapest, et la nouvelle figure de l’opposition, Peter Magyar. Ils portent sur des plateaux en argent les mots « guerre », « immigration » et « genre », trois thèmes qui mobilisent l’électorat Fidesz.

    « C’est horrible qu’à Bruxelles, ils soient favorables à la guerre en Ukraine. Comment des personnes normales peuvent-elles vouloir la guerre ? J’attends que Trump revienne au pouvoir et arrête la guerre en un jour, parce que si les États-Unis n’envoient plus d’armes, alors ce sera fini », confie Zsuzsanna, avant de rejoindre le reste de l’assistance. Un public d’âge mur, venu écouter les candidats du parti de Viktor Orban, à la mairie du XVIIIème, qui comptent bien reconquérir cet arrondissement perdu lors du scrutin de 2019.

    Les orateurs dénoncent les projets immobiliers de l’équipe en place, les accusent de corruption, mais n’oublient pas aussi d’évoquer les sujets au cœur de la campagne européenne du Fidesz. « Je n’ai pas une bonne impression de Bruxelles, car il y a des procédures en cours contre la Hongrie, qui, de mon point de vue, ne sont pas correctes et là, je le dis très poliment. La Hongrie est particulièrement attaquée sur la question migratoire », souligne Attila Szarvas, directeur d’une école catholique et ancien maire adjoint du XVIIIème arrondissement de la capitale.

    Ancien footballeur professionnel, László Dajka, 65 ans, est sur la même ligne : « Jusqu’à ce que la droite arrive au pouvoir, la gauche disait oui à tout le monde. Je suis très fier qu’on dise enfin non ! Les Hongrois disent non à l'immigration, les Hongrois disent non à tout ce qui n'est pas bon pour eux. Il y a enfin parmi les Hongrois quelqu’un qui ose tenir tête à Bruxelles ! », s’enthousiasme l’ancien milieu de terrain qui a joué à l’Unión Deportiva Las Palmas en Espagne et Yverdon en Suisse.

    Immigration, genre, guerre

    Sur la place des Héros à Budapest, des groupes de touristes chinois se prennent en photo. C’est ici qu’en juin 1989, un jeune homme aux cheveux longs prononce un discours qui marque. Viktor Orban, 26 ans, s’élève alors contre la dictature communiste. 35 ans plus tard, le libéral s’est transformé en « illibéral » assumé en conflit régulier avec l’Union européenne, qu’il compare à une « mauvaise parodie contemporaine » de l’Union soviétique.

    Ancien conseiller en politique étrangère du Fidesz, numéro 10 sur la liste européenne du parti, Andras Laszlo appelle de ses vœux un « changement à Bruxelles », reprochant à la Commission et à sa présidente « la trahison des valeurs conservatrices », une politique environnementale « trop à gauche », « l’idéologie du genre » et un mauvais Pacte sur la migration et l’asile. « Les sanctions contre la Russie sont un échec énorme qui pèse sur l’économie européenne », regrette le candidat, estimant que « dans chaque crise sa Commission a pris une mauvaise direction ».

    Régulièrement rappelée à l’ordre pour ses atteintes à l’État de droit, la Hongrie de Viktor Orban a fait de Bruxelles son principal cheval de bataille. « Lorsqu'une Commission est si hostile à un État membre, il n'est pas surprenant que ce pays critique également beaucoup la Commission. La question de l’État de droit relève davantage d'un débat idéologique et d'un outil dont dispose la Commission européenne pour influencer et modifier le comportement d'un État membre », estime le politologue Agoston Mraz de l’Institut Nézöpont, un cercle de réflexion conservateur.

    « Tous les gouvernements conservateurs en Europe, qu'il s'agisse de l'ancien gouvernement polonais ou de l'actuel gouvernement hongrois, sont soumis au chantage politique et financier de Bruxelles parce qu'ils sont conservateurs, et non pour d'autres raisons », avance, pour sa part, Matyas Kohan, éditorialiste pour l’hebdomadaire Mandiner, proche du pouvoir.

    Cap à droite

    Sur les 21 sièges d’eurodéputés hongrois, le Fidesz a de bonnes chances d’en décrocher plus de la moitié à l’issue des élections du 9 juin. Courtisé par les grands partis de l’extrême-droite européenne, qui ont le vent en poupe, comme celui de l’Italienne Giorgia Meloni, il pourrait rejoindre l’un des grands groupes nationalistes au Parlement européen. Une perspective qui n’a pas de quoi réjouir Gergely Toth, qui a décidé de se lancer en politique, lassé de l’omnipotence du Fidesz dans sa ville, au bord du lac Balaton. Candidat de l’opposition à la mairie de Keszthely, 20 000 habitants, il est venu écouter le discours de Peter Magyar, le nouvel opposant numéro un à Viktor Orban, avec lequel il espère pouvoir nouer des alliances dans l’avenir.

    « J'ai toujours été très fier d’être Hongrois, mais maintenant, chaque fois que je vais à l'étranger, je dois expliquer que je ne suis pas favorable à notre gouvernement. J’ai honte que nous allions à l'encontre des valeurs européennes et je dis cela bien que ces valeurs de la famille, de l’église, soient aussi très importantes pour moi », explique Gergely Toth, alors que l’étoile montante de la politique hongroise, ancien cadre du Fidesz, signe des autographes, se fait prendre en photo à l’issue de son discours de plus d’une heure, prononcé sans notes.

    Peter Magyar, dont le parti Tisza (Respect et liberté) est crédité de plus de 20% d’intentions de vote auprès des électeurs, devrait décrocher plusieurs mandats au Parlement européen, plaide pour une relation « critique mais constructive » avec l’UE. « Nous serions membres à part entière du club, nous rejoindrions immédiatement le parquet européen et notre parti serait membre du PPE. On aurait une relation assez différente de celle qu’entretient le gouvernement Orban », précise-t-il brièvement à RFI, avant de s’engouffrer dans le véhicule qui l’emmène vers la prochaine étape de sa tournée électorale marathon.

    Venu assister à la prestation de Peter Magyar, Lajos Heder, compte voter pour Tisza, le 9 juin. Cet ancien membre du Fidesz, qui a rompu il y a longtemps avec le parti du pouvoir sans lui trouver d’alternative crédible, se dit « fâché contre Emmanuel Macron et contre l’UE », dont il regrette qu’ils ne soient pas « plus sévères avec Viktor Orban » qu’ils le « laissent cultiver son amitié avec la Russie. L’UE devrait appliquer des sanctions plus drastiques envers la Hongrie ».

    L’UE trop conciliante ?

    Les dirigeants européens ont-ils été trop conciliants avec Viktor Orban ? Pour Gwendoline Delbos-Corfield, eurodéputée verte et rapporteuse au Parlement européen sur l’État de droit en Hongrie, la réponse est sans équivoque. « Ils auraient pu actionner l’article 7 du Traité de l’Union européenne pour suspendre les droits de vote de Viktor Orban au sein du Conseil européen, mais ils ont manqué de courage, c’est aussi simple que cela ». Et d’évoquer un précédent en matière, celui de Jörg Haïder le dirigeant autrichien d’extrême-droite arrivé au pouvoir en 2000.

    « La réaction a été immédiate, instinctive, rappelle l’eurodéputée : tout le monde refuse alors ce qui est considéré comme un dangereux retour en arrière. Aussitôt, les autres dirigeants suspendent les droits de vote de l’Autriche, durant quelques mois, en attendant que la situation se stabilise et que Jörg Haider quitte le pouvoir. Aujourd’hui, on n’a plus cet instinct-là. Nous nous sommes habitués à avoir des gens qui vont vers l’autocratie et qui tiennent des discours de plus en plus d'extrême-droite. Parce que Viktor Orban dit des choses assez terrifiantes sur les droits humains, sur la différence de race ou sur la chrétienté. Et pourtant, il n'est jamais sanctionné ».

    Autre voix critique à l’encontre de Viktor Orban au sein du Parlement européen, celle du Finlandais Petri Sarvamaa. Ancien journaliste, élu au Parlement européen depuis 2012, Petri Sarvamaa a une relation particulière avec le Fidesz, car il a siégé pendant des années avec les eurodéputés du parti hongrois, au sein du Parti Populaire Européen, le groupe de centre-droit. Le Fidesz en a fait partie jusqu’à la rupture consommée en 2021.

    « Je ne cessais de dire au sein du groupe qu’il y avait un problème avec eux, que le parti ne répondait plus à nos valeurs, en particulier sur le respect de l’État de droit, se souvient l’eurodéputé. À l’époque, quand les choses ont commencé à empirer, j’ai dit à M. Orban durant une réunion de groupe : « si vous ne changez pas, si vous ne revenez pas à nos valeurs, votre place n’est plus parmi nous ».

    Entre 2012 et la rupture avec le PPE, Petri Savarmaa observe la dérive progressive des élus du Fidesz vers un discours populiste et hostile à l’Union européenne. « J’ai vraiment eu l’impression à un moment de les voir s’éloigner de nous, avec leurs déclarations nationalistes et tout ce qu’ils disaient sur le fait que la Hongrie n’était pas respectée. Personne ne comprenait ce qu’ils disaient parce que la Hongrie n’était pas certainement pas maltraitée. Au contraire, elle recevait énormément d’argent du contribuable européen ! »

    Les partis membres du PPE sont d’autant plus lents à réagir à cette évolution que Viktor Orban a longtemps été perçu comme un démocrate pro-européen. « Il était du bon côté de l’histoire au moment où l’URSS s’est effondrée, rappelle Petri Sarvamaa. Orban au début c’était un héros pour nous, quelqu’un qui s’est battu pour la démocratie ! Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais je crois que c’est un politicien très malin qui voulait être sûr de rester au pouvoir. Et sa stratégie a été de faire croire aux Hongrois qu’il fallait les protéger de l'Europe et de son influence néfaste : il a construit méticuleusement un récit et une propagande dont il est devenu le maître absolu. »

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    « Ils ont peur de Viktor Orban »

    Cette stratégie pour conserver à tout prix le pouvoir serait donc à l’origine de la posture hostile à l’UE adoptée depuis des années par Viktor Orban. Mais, les eurodéputés hongrois élus sous la bannière du Fidesz avancent une autre explication : le dirigeant hongrois se bat pour des valeurs traditionnelles et conservatrices qui ont été trahies par l'UE. « Les bureaucrates et les gauchistes de Bruxelles ont peur de Viktor Orban et de sa vision de l'Europe des nations », s’indigne Balazs Hidveghi, députés Fidesz au Parlement européen. « Notre vision, c'est la vision que la majorité des Hongrois soutiennent, et nous pensons que toutes ces attaques ont en fait comme racine une différence d'opinion politique et idéologique ».

    Interrogé sur le projet européen de Viktor Orban, l’eurodéputé hongrois assure que celui-ci veut rester au sein de l’UE. « Nous sommes européens et nous sommes fiers de l'être. Mais voilà, nous voulons changer Bruxelles. Nous voulons changer la majorité actuelle au Parlement européen pour élargir la représentation des peuples qui représentent ces valeurs ». Pas de dérive autoritaire en Hongrie aux yeux de Balasz Hidveghi, qui trouve parfaitement justifiée la loi sur la souveraineté nationale adoptée en décembre 2023. « C'est tout à fait le même type de protection légale qu'on voit aux États-Unis, par exemple. Et c'est tout à fait normal. Il faut protéger notre pays contre l'influence politique, idéologique qui vient de l'étranger. »

    Protéger la Hongrie de l’influence de l’étranger, l’un des maîtres-mots de Viktor Orban, n’a rien de rassurant pour les ONG et les médias indépendants, confrontés à cette nouvelle loi, qui fait l’objet d’une procédure d'infraction de la part de la Commission européenne et d’une résolution adoptée lors de la dernière session du Parlement européen en avril. Ces initiatives sont saluées par Márta Pardavi, la co-présidente du Comité Helsinki à Budapest : « Il est très important de montrer aux Hongrois et aux autres Européens que ce type de législation n'a pas sa place en Europe, qu’il va à l’encontre des valeurs fondamentales de l'Union et de son système juridique. La Hongrie est une démocratie malade au sein de l'Union européenne et cette maladie a de nombreuses répercussions non seulement pour les Hongrois, pour notre société, mais c'est aussi un problème qui touche assez directement tous les Européens et il est donc juste que l'Europe cherche également des réponses pour résoudre ce problème. »

    À Budapest, Direkt 36, un média d’investigation en ligne, a multiplié les révélations dérangeantes sur l’enrichissement des proches du Premier ministre ou sur ses relations avec la Chine ou la Russie. Régulièrement sous pression, la rédaction n’attend rien de bon de cette nouvelle loi. András Pethö, l'un des fondateurs et directeur général de Direkt 36, la voit comme « une nouvelle tentative d'intimidation des organisations de la société civile ou des médias, car, avec sa formulation très vague, elle cible de manière très large toute personne qui accepte des dons, un soutien de l'extérieur de la Hongrie ou qui travaille avec des partenaires étrangers ».

    Le journaliste s’inquiète aussi de la nouvelle autorité chargée d’appliquer cette loi, l'Office de protection de la souveraineté, qui « peut travailler en étroite collaboration avec les services secrets et d'autres agences étatiques. Elle a le pouvoir de mener des enquêtes sur des organisations ou des individus. » Et de conclure : « Ce n'est qu'un chapitre de plus des efforts du gouvernement pour réprimer les voix indépendantes mais cela ne rendra certainement pas les choses plus faciles pour nous. »

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  • Il y avait déjà son âge, la frontière et l’inflation, mais depuis le 7 octobre 2023, Joe Biden a un autre problème. La guerre à Gaza et son soutien à Israël dans sa réponse à l’attaque du Hamas. Traditionnellement, le soutien à Israël ne se discutait pas vraiment aux États-Unis. Mais une partie de la population ne veut plus se taire. Il y a le mouvement étudiant et il y a les Américains arabes et musulmans, qui se font entendre, par la voix et qui entend se faire entendre dans les urnes.

    « Les électeurs arabo-musulmans américains et Joe Biden », un Grand reportage de Guillaume Naudin, réalisation : Tiffanie Menta.

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  • Les Démocrates de Suède, à l’assaut de la forteresse socialiste

    Dans le bastion historique de la social-démocratie en Europe, la Suède, le parti nationaliste anti-immigration est devenu le premier parti de droite. Les Démocrates de Suède ont récolté 21% des voix aux dernières législatives de 2022, et sont ainsi devenus l’incontournable allié parlementaire du gouvernement actuel, une coalition de droite qui menace de tomber sans leur soutien. Plébiscité par les classes populaires et les jeunes, ce parti aux origines néo-nazies, jugé infréquentable il y a seulement une dizaine d’années, est désormais au centre du jeu politique suédois.

    Un Grand reportage de Carlotta Morteo qui s'entretient avec Patrick Adam.

    Vox, l’extrême droite à l’espagnole qui ne renie pas le franquisme

    Depuis dix ans, une nouvelle formation politique gravit les échelons en Espagne. Jeune parti d’extrême-droite, VOX est aujourd’hui la troisième force politique du pays et qui compte bien sur le prochain scrutin européen pour peser encore plus à Bruxelles et à Strasbourg avec son groupe ECR, les conservateurs et réformistes européens. Formation souverainiste, nationaliste, anti-immigration et anti féministe, VOX tente de séduire les jeunes électeurs et les sympathisants des conservateurs du Parti Populaire, accentuant encore plus la polarisation dans un pays qui fêtera l’année prochaine (2025) les 50 ans de la fin de la dictature franquiste.

    Un Grand reportage de Romain Lemaresquier qui s'entretient avec Patrick Adam.

  • Haïti, la vie sous l’emprise des gangs

    Comment survivre en Haïti, un pays vérolé par les groupes armés, qui contrôlent l'essentiel de Port-au-Prince, la capitale, et sèment la terreur au sein d'une population déjà épuisée par des années d'instabilité politique ? Les déplacés racontent la terreur et l'exil, le dénuement et l'abandon d'un État incapable de les protéger, qui laisse les autorités locales en première ligne face au risque de la contagion de la violence.

    Un Grand reportage de Vincent Souriau(*) qui s'entretient avec Patrick Adam.

    (*) et Roméo Langlois, Catherine Norris-Trent, Marie-André Bélange, Boris Vichith.

    Réchauffement climatique en Mongolie, le Dzud décime les troupeaux des éleveurs nomades

    Les Mongols n’ont pas peur des tsunamis ou des tremblements de terre, mais ils craignent le « Dzud ». Ce phénomène naturel dont la fréquence augmente avec le réchauffement climatique, a tué plus de 6 millions de chèvres, moutons, vaches, chevaux et chameaux dans les steppes ces derniers mois. En cause : le froid extrême et d’importantes chutes de neige cet hiver dans un pays qui, pourtant, se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne.

    Un Grand reportage de Stéphane Lagarde qui s'entretient avec Patrick Adam.

  • Les Mongols n’ont pas peur des tsunamis ou des tremblements de terre, mais ils craignent le « Dzud ». Ce phénomène naturel dont la fréquence augmente avec le réchauffement climatique, a tué plus de 6 millions de chèvres, moutons, vaches, chevaux et chameaux dans les steppes ces derniers mois. En cause : le froid extrême et d’importantes chutes de neige cet hiver dans un pays qui, pourtant, se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne.

    « Réchauffement climatique en Mongolie, le Dzud décime les troupeaux des éleveurs nomades », un Grand reportage de Stéphane Lagarde.

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  • Depuis dix ans, une nouvelle formation politique gravit les échelons en Espagne. Jeune parti d’extrême droite, VOX est aujourd’hui la troisième force politique du pays et qui compte bien sur le prochain scrutin européen pour peser encore plus à Bruxelles et à Strasbourg avec son groupe ECR, les conservateurs et réformistes européens. Formation souverainiste, nationaliste, anti-immigration et anti-féministe, VOX tente de séduire les jeunes électeurs et les sympathisants des conservateurs du Parti Populaire, accentuant encore plus la polarisation dans un pays qui fêtera l’année prochaine (2025) les 50 ans de la fin de la dictature franquiste.

    Nous sommes à Madrid, à quelques mètres du siège du Parti Socialiste espagnol, la fameuse rue Ferraz, proche du Palais de la Moncloa, la résidence officielle du président du gouvernement depuis le retour de la démocratie en Espagne. Plus d’une centaine de personnes, quelques-unes cachées derrière des lunettes noires, des drapeaux espagnols sur les épaules, prient. Certaines sont à genoux. Cette manifestation se tient tous les jours depuis plus de six mois. « Nous prions le Saint Rosaire depuis cent-soixante-douze jours pour la conversion de l'Espagne et du monde entier », explique José Andrés Calderon, l’organisateur de ce rassemblement. « Je crois que nous traversons un très grand processus de sécularisation. Nous l'avons vu en France récemment avec la constitutionnalisation de l'avortement, en tant que droit fondamental. Nous pensons donc que les catholiques doivent descendre dans la rue et défendre le message du Christ pour qu'il soit à nouveau présent dans la société, parmi les gens. »

    El Yunque, une secte d’extrême droite au service de Vox

    Il s’agit du rassemblement d’une secte connue sous le nom d’El Yunque. Une secte d’extrême droite, ultra catholique, créée dans les années 1950 au Mexique, qui dénonce le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez et notamment la loi d’amnistie pour les dirigeants indépendantistes catalans. Un mouvement qui infiltre l’État et qui sert les intérêts de Vox, le jeune parti espagnol d’extrême droite. Les membres d’El Yunque appellent la vierge Marie à sauver l’Espagne et le monde. Une fois les prières terminées, comme tous les jours depuis le mois de novembre, ils lancent des injures à l’encontre du gouvernement tout en bloquant le passage aux voitures qui souhaitent emprunter cette rue. Pourquoi : parce que le gouvernement de Pedro Sanchez a usurpé le pouvoir selon Gema, une élégante quadragénaire mère de deux enfants, qui avoue venir presque tous les jours de la semaine. « Nous sommes contre l'amnistie, contre ce gouvernement qui veut briser l'unité nationale, qui veut aller à l'encontre de la séparation des pouvoirs. Ils sont en train de détruire notre nation pour s'accrocher au pouvoir. C'est pourquoi nous manifestons. »

    Alors que nous discutons, deux jeunes Espagnoles passent à côté et traitent les manifestants de fascistes. Ces derniers les insultent. Quelques manifestants les suivent et les invectivent, obligeant la police à intervenir, avant que Gema ne reprenne la discussion. « Pedro Sanchez est en train d’adopter une attitude de plus en plus dictatoriale ». Elle avoue qu’elle aurait préféré un gouvernement de coalition après les élections de juillet 2023, remportées par les conservateurs du Parti populaire. Une coalition avec Vox, qui était arrivé en troisième position avec plus de 12% des voix, derrière le PSOE, le parti socialiste. « Oui, parce que c'est vraiment la seule alternative aujourd'hui. En fin de compte, la base sociale est la même. Vox est apparu lorsque Mariano Rajoy (ancien président du gouvernement espagnol entre 2011 et 2018) était au pouvoir. Il avait pris des engagements qui n'ont pas été tenus. Vox était alors une scission du Parti Populaire original. Il a ensuite généré sa propre base qui s'est dotée d'une structure un peu différente de celle du Parti Populaire, mais la base initiale, la base idéologique est la même, l'électeur est le même. »

    Un parti qui ravive la flemme des anciens franquistes

    El Yunque a infiltré le pouvoir judiciaire, l’armée, la police, certains secteurs économiques, ainsi que le système éducatif en Espagne. Il s’agît d’un levier supplémentaire qui permet à Vox et aux nostalgiques du franquisme de faire infuser leurs idées, ce qui ravit Antonio Ruiz Hidalgo, un retraité qui a donc vécu la fin de la dictature et qui est venu manifester ce jour-là : « Si seulement on pouvait avoir un nouveau Franco ! », nous lance-t-il avant de préciser que « dès qu’ils auront viré ce mec du palais du gouvernement, je sais qu’on sera de retour à la Moncloa. »

    El Yunque et Vox ont fait ressurgir les pires cauchemars chez certains Espagnols, notamment ceux qui ont vécu et souffert pendant la dictature franquiste. C’est le cas de Rafael, électeur socialiste de 68 ans, que nous avons rencontré juste avant ce rassemblement et qui est dépité d’assister à cette résurgence de l’extrême droite en Espagne : « Des années de ténèbres nous attendent. Il existe un film intitulé « Le retour de la momie ». Et là : c’est exactement ça, le fascisme est de retour ! Il y a beaucoup de gens dans le système judiciaire, dans le système militaire et policier, beaucoup de geeks fascistes qui sont présents sur les réseaux sociaux. Et c'est une occasion qu’ils ne comptent pas manquer. »

    VOX et le Parti Populaire : même combat ?

    À quelques semaines des élections européennes, et alors que Vox est relativement inconnu sur le continent, nous allons essayer d’en savoir plus sur cette formation d’extrême droite. Créée en 2014 et qui a su en l’espace de dix ans ans s’imposer comme une alternative au Parti populaire pour des électeurs en quête de valeurs plus conservatrices. Des valeurs qui étaient celles du vieux parti conservateur détaille Antonio Sanahuja, politologue, grand spécialiste de l’extrême droite espagnole et sud-américaine : « D'un point de vue historique, VOX est né d'une tradition de droite radicale en Espagne qui remonte aux années 1930, avant la guerre civile, qui a traversé le régime de Franco et qui était présente au sein du Parti populaire. Maintenant, ce qui déclenche la naissance de Vox en particulier, c'est une sorte de sentiment de menace existentielle pour la nation espagnole avec l'indépendance régionale. Dans d'autres pays européens, c’est plutôt le facteur migratoire qui a été un facteur-clé pour comprendre l'origine et le développement de l'extrême droite. Il a certes aussi été important en Espagne, mais c’est bien la crainte d'une sécession de l'une des provinces autonomes qui a été primordiale »

    Vox, créée il y a dix ans, a réellement décollé dans les enquêtes d’opinion en 2018, après la tentative de sécession des indépendantistes catalans en 2017. En 2019, ce parti obtient un peu plus de 10% des voix lors des élections générales, soit vingt-quatre députés au Parlement. La même année, Vox fait aussi son entrée au Parlement européen avec trois élus. Cette ascension se poursuit quelques mois plus tard avec de nouvelles élections générales en novembre 2019. Cette fois, avec plus de 15% des voix, Vox obtient cinquante-neuf députés. Son discours de plus en plus réactionnaire et révisionniste attire toujours d’avantage d’électeurs, selon José Antonio Sanahuja : « Ils ont une position relativement ambiguë. Mais je crois qu'on peut dire clairement qu'ils sont pro-franquistes. Ils le sont dans leur culture politique et dans leur revendication de la dictature. Et ils assument aussi ce révisionnisme historique de la droite espagnole dans lequel la dictature, le soulèvement militaire de juillet 1936, était un moindre mal face à une supposée révolution communiste qui était en train de se produire. »

    VOX, formation révisionnisme

    Un révisionnisme auquel se prête également le parti Populaire, décidément très proche désormais de l’extrême droite. Cette façon de remettre en question l’Histoire, Vox l’applique également aux théories et mouvement contemporains, comme le féminisme, très prégnant dans la société espagnole. L’Espagne, qui est très souvent citée en exemple dans le monde suite à l’’adoption dès le début des années 2000 d’une législation spécifique contre les féminicides, assiste pourtant, avec la percée de VOX, à un retour en arrière et ne s’en cache : « Le programme politique de l'ultra-droite est essentiellement antiféministe. » Ana de Blas, qui est porte-parole du mouvement féministe de Madrid qui regroupe de nombreuses associations de lutte pour les droits des femmes, explique son combat quotidien : « Nous sommes un mouvement pour l'égalité et nous sommes un mouvement enraciné dans la défense des femmes, contre la violence, c’est-à-dire la violence machiste qui est exercée spécifiquement contre les femmes et, dans de nombreux cas, contre leurs enfants. L'une des principales préoccupations de cette droite réactionnaire, de cette extrême droite, est de mettre un terme aux lois spécifiques qui protègent les femmes contre cette violence. Il est évident que nous leur ferons toujours face. »

    Vox compte parmi ses élus au niveau local des personnes qui ont été condamnées pour violence de genre ou violence conjugale. Et ce discours antiféministe n’a qu’un but, selon Ana de Blas : « Ce n'est rien d'autre qu'une réaction des milieux sociaux ultra-conservateurs pour défendre leurs privilèges. Et ces privilèges masculins et de classe sont ceux que VOX porte en étendard. C'est une option traditionaliste, ultra-conservatrice en matière sociale et ultra-néolibérale pour leurs affaires. » Si les nostalgiques du franquisme cherchent bien à protéger leurs intérêts, alors pourquoi autant de jeunes, qui n’ont pas connu la dictature, votent en faveur de VOX ? « L’extrême droite pénètre facilement les plus jeunes par le biais d'Instagram, de Tiktok, de canaux qui ne sont pas les canaux traditionnels. C'est là que l'extrême droite a pu trouver un moyen d'être influente, aussi parce qu'elle a de l'argent et qu'elle a les outils pour le faire. Comment lutter contre cette propagande ? Vous la combattez avec des faits, vous la combattez en étant efficace et vous la combattez en adoptant des lignes claires et nettes de tolérance zéro à leur égard. »

    Une Espagne de plus en plus polarisée et des alliances dangereuses

    Nous sommes le premier mai, fête du Travail et nous rejoignons les rangs des cortèges de syndicats et partis de gauche qui défilent dans les rues de la capitale espagnole. Des milliers de Madrilènes sont présents sous un soleil de printemps. VOX ayant refusé toutes nos demandes d’interviews, ou les ayant annulées au dernier moment (c’est le cas de Javier Buxadé, tête de liste de Vox pour les prochaines élections européennes), tout comme la fondation Disenso, une fondation créée en 2020 qui finance le parti et fait aussi office de groupe de réflexion de VOX, nous nous tournons vers les opposants à cette extrême droite.

    Javier Doz, syndicaliste au sein des Commissions ouvrières, une des plus grandes centrales syndicales du pays, arpente avec ses camardes la Gran Via, l’une des artères principales du centre-ville de Madrid. Il dit ne pas craindre une montée de VOX, mais plutôt du Parti Populaire, un parti qui « dérive vers l'extrême droite, qui s'approprie une partie de son contenu idéologique, de ses propositions et de sa façon destructrice de faire de la politique. » Une évolution du discours qui met en danger la démocratie espagnole : « Nous voyons ces derniers temps un niveau de polarisation jamais atteint, l’utilisation systématique d’insultes, de la calomnie et le rôle négatif d’une partie de la presse numérique qui diffuse des mensonges, des accusations graves sans fondements. »

    Cette polarisation du discours politique, les Espagnols en ont encore été témoins fin avril 2024 lorsque le président du gouvernement Pedro Sanchez a annoncé se donner une période de réflexion de cinq jours pour savoir s’il restait à son poste ou s’il jetait l’éponge. Une annonce qui faisait suite au dépôt d’une plainte par « Manos Limpias », mains propres, une association très proche de VOX et qui a avoué avoir eu recours à la justice sur la base d’informations erronées pour réclamer l’ouverture d’une enquête contre la femme du chef du gouvernement qu’elle accuse de trafic d’influence et de corruption.

    Une tentative de déstabilisation du pouvoir qui n’est pas que l’œuvre de VOX, rappelle Javier Doz, mais aussi du Parti populaire qui n’hésite plus à s’allier au niveau local avec l’extrême droite : « Des accords ont été scellés dans toutes les provinces autonomes, sauf à Madrid, où le Parti Populaire a obtenu la majorité absolue. Les deux partis ont conclu un pacte et les conséquences de ce pacte vont de l'interdiction insidieuse d'événements culturels et d'œuvres théâtrales, à la révision de toutes les règles qui touchent à la discrimination à l'égard des femmes ou à la mémoire historique. Ils s'emparent des aspects culturels qui intéressent VOX pour se faire remarquer, pour que leur façon de gouverner imprime. Et c'est très grave. J'espère qu'après la menace de démission du président du gouvernement, il y aura une réaction de la gauche, et pas seulement du mouvement syndical. Nous devons faire comprendre à une partie des électeurs de droite et de centre-droit, que cette dérive antidémocratique est extrêmement dangereuse et qu'ils ne peuvent pas continuer ainsi. »

    L’Europe à la merci des conservateurs et de l’extrême droite

    Après les élections municipales et régionales de 2023, VOX a fait son entrée dans différents gouvernements régionaux en s’alliant au Parti Populaire. L’extrême droite dirige aussi désormais une trentaine de petites municipalités. Cette crainte des pactes entre droite traditionnelle et formation d’extrême droite, fait peur aux électeurs de gauche dans la perspective des élections européennes. Hector, dix-huit ans, participe aux manifestations de ce premier mai, le corps enroulé dans un drapeau espagnol. Il se dit préoccupé par les élections du 9 juin au Parlement européen. « Il me semble bien qu’hier (le mardi 30 avril) Ursula Von der Leyen a déclaré qu'en vue de former une nouvelle Commission européenne après les élections du 9 juin, si les partis de droite et d'extrême droite obtiennent un bon résultat, ils devront parvenir à un point d'entente. Cela me semble malheureusement plus probable qu'un accord entre les partis de droite et de gauche, ce qui serait pourtant selon moi, la meilleure solution. »

    Les craintes d’Hector sont partagées par la plupart des électeurs centristes ou de gauche qui ne comprennent pas comment de jeunes électeurs peuvent se tourner vers VOX. Et pourtant, Angela, vingt et un ans, que nous avions rencontrée avant le début des manifestations de ce premier mai, assume avoir deux fois déjà, déposé un bulletin VOX dans l’urne : « auparavant, j'aurais peut-être été un peu plus tentée de soutenir le Parti populaire, mais parce que je ne connaissais pas encore Vox. Donc, dès que j'ai commencé à lire leur programme, pas seulement sur l'avortement, l'euthanasie, mais surtout la question des femmes, comment ils abordent la question de la violence masculine, la question du féminisme. Le féminisme d'aujourd'hui ne me représente pas. Selon moi : Vox est le parti qui défend le mieux les femmes. Et bien sûr, le fait qu'ils aient l'intention de réduire les impôts, qu'ils ne se battent pas seulement pour les hommes d'affaires, mais aussi pour la classe ouvrière. »

    Parti nationaliste, souverainiste, néo libéral, islamophobe, anti féministe : Angela balaie d’un revers de main ces étiquettes collées par les médias selon elle à Vox. Mais les journalistes qui suivent l’extrême droite en Espagne sont claires :« VOX est un parti d’extrême droite, révisionniste, xénophobe, islamophobe surtout, suprématiste, autoritaire, ultra-conservateur sur les questions morales et ultra-libéral en matière économique. » Miquel Ramos est un journaliste d’investigation qui enquête sur l’extrême droite depuis plus de vingt-cinq ans : « J’ai publié plusieurs livres et plusieurs rapports sur la droite radicale en Espagne et depuis que VOX est apparu, c’est l’un des partis que je suis le plus attentivement. »

    DiaporamaVOX, une formation à l’image du RN ou du parti républicain américain ?

    Miquel Ramos a été agressé en 2017 lorsqu’il couvrait un rassemblement de l’extrême droite à Valence, ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre son travail. Le rendez-vous a été fixé dans un endroit discret, en dehors du centre-ville. Ce spécialiste de l’extrême droite espagnol confirme à quel point il est très difficile pour la presse de travailler sur ce parti : « VOX a décidé d’adopter une position face au média où ce sont eux qui décident quand et avec qui ils parlent. Il est évident qu'ils ont un certain nombre de médias qui partagent leurs idées et sur lesquels ils savent qu'ils peuvent compter pour diffuser ces idées. Ils considèrent le reste des médias comme des ennemis, comme des activistes contre eux. »

    Selon lui, VOX s’inscrit dans la droite ligne politique du Rassemblement national en France et des Républicains aux États-Unis : « Ce que fait VOX, alors qu’au niveau mondial les idées de l'extrême droite commencent à imprégner une grande partie de la population et du débat public, c’est de mettre à l’ordre du jour en Espagne cette bataille culturelle contre les droits de l'homme. VOX reproduit les mêmes discours que Marine Le Pen en France, l'AFD en Allemagne, Donald Trump aux États-Unis ou encore Jair Bolsonaro au Brésil. VOX représente l'image espagnole de cette guerre qui se déroule déjà dans d'autres pays contre les droits et contre la démocratie. Il s'agit d'une droite qui s’affranchit des codes, plus radicale, plus axée sur les questions culturelles, un concept développé par la nouvelle droite française. VOX s'attaque avant tout aux droits des femmes, aux droits des personnes LGTBI, à l'immigration, à la peur d'une prétendue invasion et d'une prétendue conquête musulmane de la péninsule ibérique. Et ce qu'ils font, c'est que derrière ce discours empreint de panique, de sécurité et de perte d'identité, ils approuvent toutes les mesures néolibérales dont la droite a toujours rêvé. »

    VOX veut désormais capitaliser et continuer à séduire des électeurs de plus en plus distants des partis traditionnels, même si le virage entrepris à droite par le Parti Populaire rassure les plus conservateurs. Les résultats des élections européennes sont donc très attendus, même si l’Europe n’est pas la priorité de ce parti : « au-delà de la rhétorique, Vox, comme le reste de l'extrême droite européenne, n’est plus europhobe dans le sens où ils ne sont plus en guerre contre l'Union européenne », détaille Miquel Ramos. « Pourquoi ? Parce qu'ils sont sur le point d'obtenir une large représentation au sein de l’UE, ce qui leur permettra d'utiliser les fonds et les structures que l'Union européenne leur offre pour mettre en œuvre leur programme et leurs politiques. Ils peuvent utiliser une rhétorique anti-européenne pour leur clientèle. Mais fondamentalement, ils vont utiliser toutes les ressources que l'UE leur donne pour mettre en œuvre leur programme. Et aussi pour nourrir leurs groupes, leurs fondations et leurs élus qui en vivent. » Une vision qui a longtemps été celle d’autres formations d’extrême droite en Europe.

    La campagne européenne débute cette semaine en Espagne. Et VOX a très bien compris, à l’image des autres partis du groupe ECR dont il est membre au Parlement européen, le groupe de conservateurs et réformistes européens, que cette année l’extrême droite pourrait bien devenir une force incontournable dans l’Union européenne et que la future Commission sera bien obligée de lui tendre la main. Reste que contrairement à des formations comme Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni, ou du Fidesz, le parti du président hongrois Viktor Orban, VOX ne bénéficie pas encore du même soutien populaire, même si, en dix ans, cette formation est devenue la troisième force politique du pays.

    La vidéo

  • Comment survivre en Haïti, un pays vérolé par les groupes armés, qui contrôlent l'essentiel de Port-au-Prince, la capitale, et sèment la terreur au sein d'une population déjà épuisée par des années d'instabilité politique ? Les déplacés racontent la terreur et l'exil, le dénuement et l'abandon d'un État incapable de les protéger, qui laisse les autorités locales en première ligne face au risque de la contagion de la violence.

    « Haïti, la vie malgré les gangs », un Grand Reportage de Roméo Langlois, Catherine Norris-Trent, Marie-André Bélange, Boris Vichith et Vincent Souriau. Réalisation : Tiffanie Menta.

  • Dans le bastion historique de la social-démocratie en Europe, la Suède, le parti nationaliste anti-immigration est devenu le premier parti de droite. Les Démocrates de Suède ont récolté 21% des voix aux dernières législatives de 2022, et sont ainsi devenus l’incontournable allié parlementaire du gouvernement actuel, une coalition de droite qui menace de tomber sans leur soutien. Plébiscité par les classes populaires et les jeunes, ce parti aux origines néo-nazies, jugé infréquentable il y a seulement une dizaine d’années, est désormais au centre du jeu politique suédois.

    C’est en Scanie, dans les plaines fertiles du Sud du pays, que les Démocrates de Suède (SD) ont connu leurs premiers succès, au début des années 1990. Et c’est là, à Trelleborg, une ville portuaire de 45 000 habitants, qu’a été élu le premier maire d’extrême-droite du pays, en avril dernier, après plusieurs années de gouvernance en coalition avec les partis de la droite libérale.

    Mathias Andersson, homme jovial de 40 ans à la barbe pointue, aux cheveux laqués en arrière et aux poignets tatoués, est chez lui, dans la bâtisse qui abrite l’Hôtel de ville. « Vous savez… J’étais un jeune socialiste ! » souffle-t-il en souriant. « Je viens d’une vieille famille ouvrière. Mes parents étaient socio-démocrates, mes grands-parents aussi. Mais je ne me retrouvais plus dans les questions qui étaient soulevées. On ne parlait plus des travailleurs suédois, mais des LGBTQ. Et quand ils disaient, “ouvrons les frontières aux immigrés”, ça ne me semblait pas très astucieux. »

    Le parti historique affaibli

    Le discours anti-immigré a fait mouche dans cette région dont le chef-lieu, Malmö, troisième plus grande ville du pays, qui se situe à 30 minutes d’ici, a accueilli un grand nombre de réfugiés. « En 2015, quand il y a eu la crise migratoire et que les frontières suédoises étaient grandes ouvertes, on a vu des milliers de migrants débarquer dans le port de Trelleborg et à Malmö. Les immigrés d’aujourd’hui, les musulmans, ils ne travaillent pas, ils touchent les aides sociales et forment des sociétés parallèles, avec leur propre police de la charia. Cette situation a rapproché les gens de notre parti. Il faut une nouvelle politique. C’est comme ça qu’on a viré les socialistes de leur piédestal. Ils étaient le plus grand parti depuis 99 ans, ils allaient fêter leur centenaire en 2018, et nous voilà ! » se réjouit Mathias Anderson.

    À Trelleborg, et en Suède, le parti historique du centre-gauche reste la première force politique avec 30% d’électeurs. Mais il est affaibli. Avec la délocalisation des emplois industriels et l’ascension de SD, le vote ouvrier s’est progressivement détourné du parti social-démocrate. En 2022, un an avant les législatives, la première ministre socialiste, Magdalena Andersson, voyant le vent tourner, a décidé d’adopter un ton très dur sur l’immigration.

    Suspicion de « fabrique à trolls »

    « Trop tard ! Nous ne sommes pas dupes ! » s’écrit Milton Kleimann, jeune homme aux rouflaquettes rousses de 24 ans, qui votera SD aux prochaines élections européennes. « Aujourd’hui, les socialistes et la droite sont tous d’accord avec les politiques migratoires de SD alors qu’ils refusaient de débattre avec eux pendant des décennies » constate-t-il. Comme beaucoup de jeunes de sa génération, cet employé d’une boulangerie locale s’est forgé son opinion sur internet. Très présents sur les réseaux sociaux, les Démocrates de Suède auraient même constitué une « fabrique à trolls » pour « manipuler l’opinion des jeunes électeurs », selon une enquête de l’émission d’investigation Kalla Fakta, parue le 14 mai dernier. Plus de 23 faux profils seraient animés secrètement par l’équipe de communication du SD, qui partagerait ainsi de la désinformation, des vidéos calomnieuses et des clips racistes.

    Le leader du parti, Jimmie Åkesson, qualifie ses comptes « d'humoristiques » et estime que ces révélations font partie « d’une gigantesque opération d’influence intérieure de la part de l’establishment de gauche et libéral ». Originaire d’une petite ville côtière à deux heures de route à l’est de Trelleborg, Jimmie Åkesson a pris la direction des Démocrates de Suède en 2005. Il avait alors 26 ans. Aujourd’hui, ce tribun aux lunettes transparentes de 44 ans est crédité pour avoir réussi une stratégie de dédiabolisation du parti. Si l’Islam est toujours érigé comme une menace pour la laïcité suédoise, les éléments néo-nazis et les personnalités trop ouvertement racistes ont été écartés.

    La coalition au pouvoir dépendante du SD

    « Ce sont des opportunistes » tranche Jonathan Leman, chercheur au sein du magazine anti-raciste Expo, qui suit de très près la résurgence des idées d’extrême-droite en Suède. « C'est vrai, les Démocrates de Suède ont mis de l'eau dans leur vin, quand ils en ont eu besoin. Mais maintenant qu’ils ont l’espace politique pour aller plus à droite, ils le font ». Il observe que depuis que l’extrême droite a fait son entrée au Parlement en 2010, avec l'élection de Jimmie Åkesson au poste de député, « les organisations néo-nazies, fascistes et ethno-raciales, trouvent que leurs idées - jugées trop extrémistes - se sont normalisées. Ils disent d'ailleurs qu’ils ont plus de facilités à recruter dans leurs rangs. Pour ces groupuscules, la stratégie c’est d’influencer le SD, pour qu’il se droitise. L'extrême droite radicale les utilise comme un cheval de Troie, puisqu'ils sont désormais fréquentables dans le paysage politique ».

    Après les législatives d’automne 2023, la révolution qui grondait est arrivée : le parti des Démocrates de Suède est officiellement devenu le principal allié parlementaire de la coalition de droite, menée par le Premier ministre conservateur Ulf Kristersson. Le gouvernement composé des Modérés, des Chrétiens Démocrates et des Libéraux est donc pieds et poings liés, puisque sans le soutien de l'extrême droite, il n’a pas la majorité.

  • Libéraux contre nationalistes, la Pologne est polarisée à la veille des élections européennes

    Avec les élections européennes du 9 juin 2024, la Pologne aura connu trois scrutins en huit mois. En octobre 2023, le pays a voté pour l’alternance après huit années de pouvoir ultraconservateur du parti Droit et Justice. C’est désormais l’ancien président du Conseil européen Donald Tusk qui occupe le poste de Premier ministre, à la tête d’un gouvernement de coalition centriste. Mais si le PiS n'a pu conserver le pouvoir, il n’en reste pas moins le premier parti du pays. Critiqué pour ses atteintes à l’État de droit, le parti nationaliste et ultraconservateur a laissé un héritage, dont le nouveau pouvoir a du mal à se défaire.

    Un Grand reportage d'Anastasia Becchio qui s'entretient avec Patrick Adam.

    La colère rurale, carburant du populisme aux Pays-Bas

    Suite de notre série spéciale « Élections européennes : la montée des nationalismes en question ». Aux Pays-Bas, où l’agriculture intensive est la norme, les lois environnementales déclenchent la colère des agriculteurs. Un nouveau parti populiste, le BBB (Mouvement agriculteur-citoyen) prospère sur cette contestation. Mais cette colère dépasse les seules questions écologiques. Elle se nourrit aussi d’un discours anti-élite qui va peser lors des prochaines européennes.

    Un Grand reportage de Julien Chavanne qui s'entretient avec Patrick Adam.

  • Sang contaminé : quand les traitements tuent

    Ils sont plusieurs dizaines de milliers, au moins 30 000 Britanniques, à avoir reçu du sang contaminé dans les années 70 et 80. Des patients transfusés, avec des poches de sang non testées… Et des hémophiles, traités avec du sang importé des États-Unis qui ont fini par contracter le Sida, des hépatites ou les deux… Ce lundi 20 mai 2024, cinquante ans après les premières contaminations reconnues, une enquête publique doit enfin rendre ses conclusions, très attendues par les survivants.

    Un Grand reportage d'Emeline Vin qui s'entretient avec Patrick Adam.

    Boxe : 4 ceintures pour un couronnement

    En Arabie Saoudite, ce samedi 18 mai 2024, un nouveau roi sera couronné. Un roi de la boxe. Le Britannique Tyson Fury affronte l’Ukrainien Oleksandr Usyk, pour la réunification des quatre ceintures poids lourds. Le gagnant deviendra, comme on dit, le « champion incontesté » de cette catégorie considérée comme la plus prestigieuse. L’enjeu sportif est colossal et les promoteurs promettent « le combat du siècle ».

    Un Grand reportage de Marion Cazanove qui s'entretient avec Patrick Adam.

  • En Arabie Saoudite, ce samedi 18 mai 2024, un nouveau roi sera couronné. Un roi de la boxe. Le Britannique Tyson Fury affronte l’Ukrainien Oleksandr Usyk, pour la réunification des quatre ceintures poids lourds. Le gagnant deviendra, comme on dit, le « champion incontesté » de cette catégorie considérée comme la plus prestigieuse. L’enjeu sportif est colossal et les promoteurs promettent « le combat du siècle ».

    « Boxe, 4 ceintures pour un couronnement », un Grand Reportage de Marion Cazanove.

  • Suite de notre série spéciale « Élections européennes : la montée des nationalismes en question ». Aux Pays-Bas, où l’agriculture intensive est la norme, les lois environnementales déclenchent la colère des agriculteurs. Un nouveau parti populiste, le BBB (Mouvement agriculteur-citoyen) prospère sur cette contestation. Mais cette colère dépasse les seules questions écologiques. Elle se nourrit aussi d’un discours anti-élite qui va peser lors des prochaines européennes.

    De notre envoyé spécial,

    En 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a pris une décision contre les rejets d’azote : trop d’agriculture intensive dans le pays, trop d’engrais, trop de bétails et trop de lisier… Le gouvernement a donc essayé de réduire la facture environnementale issue de l’agriculture. Pour Nanda, productrice de lait à Putten à 11 heures de route d’Amsterdam, cette décision revient à signer l’arrêt de mort de nombreux fermiers : « ils ont voulu se débarrasser des agriculteurs, en tout cas de beaucoup d’entre nous… À cause de la nature, pour faire de la place pour construire des maisons… Et maintenant on a vraiment un problème aux Pays-Bas mais aussi dans l’Union européenne parce que les règles, on n’arrive pas à les suivre… On veut le faire mais c’est impossible ! » Nanda et son mari ont participé aux manifestations organisées ces dernières années. Un parti politique est né pendant cette crise.

    Le BBB, le mouvement agriculteurs et citoyens. À sa tête, une ancienne journaliste et ex-communicante dans le secteur de la viande : Caroline van der Plas.

    « Caroline est très active », salue Nanda devant une immense banderole accrochée dans un de ses hangars. « Elle est vraiment connectée à la réalité. Elle vit dans une maison normale comme le reste des Hollandais. Pas dans un grand manoir ou un truc du genre. C’est ça que j’admire profondément chez elle : elle est comme nous. Et même si c’est une personnalité politique, elle est restée normale. J’aime vraiment ça chez elle. »

    Une ascension surprise

    Le BBB est sorti de nulle part, il a raflé la mise lors des élections locales de mars 2023 : un raz-de-marée dans l’intégralité des 12 provinces et au Sénat où le parti de Caroline van der Plas est le premier groupe avec 16 élus sur 75.

    Une réussite phénoménale qui a pris de court la classe politique et les médias. « Tout le monde a été surpris par leur succès », abonde Frank Hendrikx, journaliste politique, l’une des grandes signatures du Volkskrant, le troisième quotidien du pays, classé à gauche. « Ils ont d’abord réussi à entrer au Parlement avec un siège. Ça nous a étonnés parce que le parti était sous les radars. Mais après bien sûr, on a vu que la cheffe du parti Caroline van der Plas était très compétente, très bonne dans les médias, très appréciée par beaucoup de personnes et par les électeurs. On s’attendait à ce qu’elle ait du succès mais elle a réussi à faire du BBB le plus grand parti des Pays-Bas et ça a surpris tout le monde. »

    Le succès du BBB répond aussi à un sentiment de déclassement et anti-élites de la population rurale. « Au début, Caroline van der Plas représentait la communauté des agriculteurs. Mais ensuite, elle a eu une audience beaucoup plus large, plus seulement les agriculteurs, et elle a gagné de plus en plus de sympathisants. Et c’était clair que c’était parmi un électorat profondément déçu par le système politique et par le statu quo à la tête du pays. »

    « Ramener du bon sens » à Bruxelles

    Nous rencontrons Caroline van der Plas à la Chambre basse du Parlement à La Haye. La patronne du BBB a un objectif clair aux européennes : « On veut ramener du bon sens dans les règlements et les politiques de l’Union européenne. C’est nécessaire quand vous voyez ce qui a été décidé ces dernières années. Les gens veulent voter autre chose, ils en ont marre de toutes les règles et de tous les plans sur l’environnement et la nature. »

    Faire plier l’Union européenne, c’est ce que souhaite Wilco Brouwer de Koning. Ce producteur laitier à Heillo, dans le nord-ouest des Pays-Bas, a repris avec son frère la ferme familiale. Il espère que l’irruption du BBB sera « un réveil pour La Haye mais aussi pour toute l’Union européenne. Parce que beaucoup de gens ne sont pas contents des politiciens : trop de blabla et pas assez de vrai travail pour nous aider nous les agriculteurs. Le lien avec les politiciens s’est rompu. »

    Réveil brutal pour les partis traditionnels

    Le réveil a été brutal pour les partis traditionnels de gauche et de droite, mis sur la touche aux dernières élections. Le PVV du leader d’extrême-droite Geert Wilders est sorti grand vainqueur. Mais il doit composer avec d’autres partis pour former un gouvernement. Et les négociations s’éternisent… Le BBB est aujourd’hui un partenaire du PVV ce qui pousse le chercheur Koen Damhuis à classer Caroline van der Plas dans la catégorie populiste : « Le BBB est ouvertement populiste dans ses manières de caractériser le pouvoir politique en place. Les élites qui sont directement opposées à un peuple présupposé », estime ce maître de conférences en Sciences politiques à l’Université d’Utrecht. « Le BBB reste quand même beaucoup moins dur que le PVV ».

    Dans les locaux du grand quotidien Volkskrant à La Haye, Frank Hendrikx est moins nuancé.« C’est un parti populiste », assène le journaliste. « Leur programme est comme un conte de fées, tout est possible. Par exemple, d’un côté ils vont dire qu’ils veulent moins d’immigration mais quelques pages plus loin, on lit qu’ils veulent plus d’immigration pour aider les agriculteurs ou le secteur agricole… Ils veulent baisser les impôts tout en dépensant plus… Ils promettent tout et son contraire, et c’est un point commun à tous les partis populistes. »

    La principale intéressée, elle, n’a pas peur de l’étiquette populiste. « Si par populisme, vous voulez dire que vous écoutez les gens en Europe, alors oui nous sommes populistes. Mais quel est le problème d’écouter les gens », s’interroge faussement Caroline van der Plas. « J’aimerais que tous les autres partis fassent de même. Alors le BBB ne serait pas nécessaire. Le problème en Europe et aux Pays-Bas, c’est qu’ils n’écoutent pas les gens et ce dont les gens ont besoin. Nous on a vu leurs besoins, on les a identifiés et on a agi pour y répondre. »

    Ambitions modestes au Parlement européen

    En pleine négociation pour former un cabinet, le BBB comme le PVV ne s’occupe pas encore publiquement des élections européennes. Pas de campagne, pas de meetings, les partis se contentent des émissions politiques à la télévision.

    Le mouvement de Geert Wilders a pourtant beaucoup à gagner en juin 2024. Il pourrait remporter 6 sièges sur les 14 occupés par les Pays-Bas.

    Le BBB lui ne peut espérer qu’un seul siège. Mais le parti espère malgré tout peser à Bruxelles et à Strasbourg. « On veut moins de règles pour les entreprises. C’est le principal objectif. On veut que les plans de l’UE soient plus réalistes », nous glisse le députéHenk Vermeer entre deux réunions à la Chambre basse du Parlement. C’est lui qui dirige la campagne européenne du BBB : « Beaucoup de réglementations viennent de l’Europe, donc on doit négocier, on doit avoir de l’influence là où tous les plans sont préparés. »

    Risque de normalisation ?

    Désormais bien installée dans le paysage politique néerlandais, Caroline van der Plas est menacée de normalisation. Au risque de perdre son authenticité dans les couloirs du Parlement à La Haye ?

    « Il faut rester vigilant pour que ces partis continuent à défendre les droits des agriculteurs et ne se perdent pas en chemin. C’est un risque », s’inquiète Jos Ubels, un éleveur de vaches destinées aux boucheries, dans le nord du pays. « J’appelle ça le syndrome de Stockholm. Si vous vivez à La Haye, que votre appartement, vos bureaux sont à côté des autres politiques, que vous leur parlez tous les jours, que vous buvez un café avec eux le matin, vous leur dites « bonjour, bonjour ! »… Vous finissez par bien les connaître, vous vivez avec eux alors que ce sont vos adversaires parce que vous défendez d’autres idées. Mais je pense que tous les agriculteurs doivent se lever pour défendre leurs droits. Et que ce soit la Farmers Defence Force ou d’autres groupes, on doit maintenir les politiques sur la bonne voie. »

    Jos Ubels est aussi le numéro 2 de la Farmers Defence Force, la force de défense des agriculteurs. Ce collectif a vu le jour en 2019 après l’occupation d’une ferme par des militants écologistes. Pour ce groupe, les agriculteurs doivent se défendre eux-mêmes. Et ils ne veulent faire aucune concession. Ils ont d’ailleurs prévu une grande manifestation à Bruxelles juste avant les élections de juin.

    Caroline van der Plas ne craint pas de se perdre au contact des politiques et du pouvoir : « Je suis restée moi-même. Et ça rend la vie plus facile de rester qui on est. »

    Avenir incertain

    À Putten, on retrouve Nanda, à côté de ses vaches qu’elle aime traire à la main, plutôt qu’avec un robot. Sa ferme, ses bêtes, son travail, c’est sa passion. Mais l’avenir l’angoisse. La jeune trentenaire ne sait pas si son fils de 3 ans reprendra, un jour, les rênes de la ferme comme elle et son mari : « Pour être honnête, j’espère que non. Je l’aime et parce que je l’aime, je veux le préserver de tout le bordel en ce moment. J’espère qu’il trouvera une autre passion. Mais oui, bien sûr, on aimerait lui léguer notre ferme, mais c’est si difficile et on a tellement de soucis avec notre ferme, tellement de tristesse… », confie Nanda, les larmes aux yeux. « J’espère qu’il fera quelque chose qui le rendra heureux. Si c’est la ferme, ce sera la ferme mais je ne veux pas qu’il ait autant de problèmes que nous maintenant. »

    La vidéo

  • Ils sont plusieurs dizaines de milliers, au moins 30 000 Britanniques, à avoir reçu du sang contaminé dans les années 70 et 80. Des patients transfusés, avec des poches de sang non testées… Et des hémophiles, traités avec du sang importé des États-Unis qui ont fini par contracter le Sida, des hépatites ou les deux… Ce lundi 20 mai 2024, cinquante ans après les premières contaminations reconnues, une enquête publique doit enfin rendre ses conclusions, très attendues par les survivants.

    « Sang contaminé : quand les traitements tuent », un Grand reportage d’Emeline Vin.

  • Avec les élections européennes du 9 juin 2024, la Pologne aura connu trois scrutins en huit mois. En octobre 2023, le pays a voté pour l’alternance après huit années de pouvoir ultraconservateur du parti Droit et Justice. C’est désormais l’ancien président du Conseil européen Donald Tusk qui occupe le poste de Premier ministre, à la tête d’un gouvernement de coalition centriste. Mais si le PiS n'a pu conserver le pouvoir, il n’en reste pas moins le premier parti du pays. Critiqué pour ses atteintes à l’État de droit, le parti nationaliste et ultraconservateur a laissé un héritage, dont le nouveau pouvoir a du mal à se défaire.

    De notre envoyée spéciale,

    Cinq mois après le retour au pouvoir d’une coalition pro-européenne à Varsovie, l’enthousiasme des débuts semble quelque peu retombé. « On vit une grande expérience politique », observe Jaroslaw Kuisz, le rédacteur en chef de Kultura Liberalna, un hebdomadaire en ligne centriste influent. « Le moment que nous vivons, nous offre l’occasion de nous débarrasser du pouvoir populiste qui, comme du lierre, s’est enroulé autour des institutions d’État. Mais, se débarrasser de ces personnes, de leur influence, de la corruption, s’avère très difficile », souligne le politiste, dans son bureau situé en plein cœur de Varsovie, où il analyse les changements en cours dans les institutions polonaises, depuis que le PiS a perdu les élections en octobre 2023 et que le gouvernement de Donald Tusk est entré en fonction deux mois plus tard.

    Sur le modèle de la décommunisation, la Pologne libérale a entamé une « dépisacja », une tentative de se libérer de l’emprise du PiS sur le pays et ses institutions et de réparer les dommages causés à l'État de droit. Mais la comparaison avec les événements de 1989 s’arrête là, car contrairement au communisme lors de son effondrement, les idées antilibérales ne sont pas en recul. « L’idéologie des populistes reste très vivante. On n’est pas en présence de vieux communistes qui quittent le pouvoir, mais de gens qui ont envie de se battre pour le regagner et qui restent toujours dans le jeu », affirmeJaroslaw Kuisz.

    De fait, les élections régionales du 7 avril ont montré que le PiS restait le premier parti du pays même s’il ne contrôle plus que 7 provinces sur 16 et qu’il n’a réussi à conserver une majorité absolue que dans quatre de ces régions. Le parti de Jarosław Kaczyński se maintient dans de nombreuses communes de l’est du pays. C’est le cas en Podlachie, cette région aux confins orientaux, qui partage sa frontière avec la Biélorussie et la Lituanie.

    Employé des forêts domaniales, Rafal Supiński y a été élu conseiller régional. Les résultats des scrutins municipaux et régionaux qui ont vu son parti résister, le rassurent pour la suite, en particulier pour les Européennes : « cela signifie que Droit et Justice a ses électeurs fidèles, et qu’il est même en mesure d’en gagner d’autres. La société de Podlachie est très attachée à ses valeurs traditionnelles. Lui imposer une manière de penser ou de parler, cela provoque des réactions. Nous devons montrer à l'Union européenne qui nous sommes, nous devons afficher nos valeurs traditionnelles et conservatrices », affirme l’élu, aux côtés de son épouse et de la plus jeune de leurs filles, dans sa coquette maison d’un village paisible, entouré de champs et de bois.

    Pologne A et B

    Ces dernières années, dans la région, les investissements réalisés à l’aide, notamment, de fonds européens ont été nombreux. C’est le cas dans la commune de Wizna : routes rénovées, bâtiments publics mis aux normes écologiques, terrain de sport, école maternelle, cabinet de physiothérapie. « Les habitants ont commencé à être traités dignement, comme des sujets à respecter », affirme l’ancien maire Mariusz Soliwoda, battu, malgré tout, aux municipales du 21 avril. « Avant le PiS, l’argent n’allait qu’aux grandes agglomérations et alors qu’elles se développaient, les habitants des petits villages étaient oubliés. Ces huit dernières années, nos habitants ont récupéré leur dignité, ils ont été pris en compte ».

    La Pologne reste un pays profondément divisé entre une Pologne A à l’ouest de la Vistule, plus aisée, où l’on vote davantage pour les partis progressistes et une Pologne B, à l’est, moins développée économiquement, plus tentée par le Parti Droit et Justice.

    Dans le hall d’entrée de la mairie de Jedbawne, de nombreux panneaux détaillent les investissements réalisés grâce aux fonds gouvernementaux et européens. Le mois dernier (avril 2024), le maire Adam Niebrzydowski a été réélu sous l’étiquette du parti Droit et Justice avec 90,51 % des voix. Il faut dire qu’il était le seul candidat. Sur les 15 élus du conseil municipal, 14 sont du PiS.

    L’édile reçoit dans son bureau où les drapeaux polonais entourent un grand crucifix. S’il reconnait que l’adhésion à l’Union européenne, il y a 20 ans, a donné une impulsion à la Pologne, il a une dent contre la politique bruxelloise qui « impose d’en haut une politique unificatrice. Si cela peut se comprendre pour certaines choses, dans beaucoup de domaines, il faut que cela reste la prérogative du pays et en particulier pour l’agriculture ». L’édile dit soutenir les récentes manifestations paysannes, y voyant plus que des « mouvements de contestation du monde agricole, ils défendent aussi les intérêts de notre pays et de notre société tout entière ».

    Dans la région, Zbigniew Baginski est l’un des organisateurs du mouvement de contestation contre l’afflux de produits agro-alimentaires ukrainiens et contre le Pacte vert européen, qu’il trouve trop exigeant. « Ces règles qu’ils mettent à exécution visent très clairement à liquider l’agriculture dans toute l’Europe, pas uniquement en Pologne », s’insurge ce producteur de lait. « À Bruxelles, ils ont des idées qui vont incroyablement loin, qui s’ingèrent dans notre vie quotidienne. Les parlementaires européens se sont enfermés dans leur petite bulle, ne voient pas les manifestations agricoles, l’agitation sociale dans les rues, des gens qui sont solidaires avec nous, ils s’en moquent ».

    DIAPORAMA

    Green deal

    À quelques km de là, au bout d’une route fraîchement rénovée : l’exploitation d’Ireneusz Kossakowski, avec ses vaches qui sortent le museau de l’étable dès que l’agriculteur s’en approche. Lui aussi a manifesté contre le Pacte vert. « Tout fonctionne sur le principe de la grenouille ébouillantée : on ne cesse de la réchauffer et elle ne sait pas à quel moment elle va mourir ». L’éleveur, père de quatre enfants, cultive une trentaine d’hectares de céréales pour nourrir ses vaches laitières. Favorable à l’intégration européenne, il s’insurge contre « l’éco-terrorisme », estimant que « la lutte contre le changement climatique est devenue une religion, une idéologie et c’est précisément pour cette raison que les agriculteurs vont plutôt voter à droite, pour le PiS ou Konfederacja », ajoutant qu’il y verrait un « résultat satisfaisant ».

    Les partis d’extrême droite comme le PiS ou la plus confidentielle Konfederacja, encore plus conservatrice sur le plan des valeurs, tentent de capitaliser sur la colère du monde paysan. « Plus les agriculteurs crient fort, plus ils engrangent des points », estime la politologue Renata Mienkowska, qui enseigne à l’Université de Varsovie. « C’est vraiment une excellente option pour les partis populistes comme Droit et Justice et Konfederacja, que l’agriculture reste un sujet brûlant. Ils vont exploiter le thème du Green Deal européen ». Aujourd’hui, la Pologne est le cinquième plus gros bénéficiaire des aides de la Politique agricole commune de l’UE. « Les agriculteurs sont le plus grand groupe bénéficiaire de l’adhésion de la Pologne à l’Union », souligne Renata Mienkowkska, « il y a deux ans, leurs revenus étaient énormes, ils se sont habitués à tout cela », mais l’agression russe de l’Ukraine a changé la donne.

    En dépit des critiques formulées par les partisans des partis d’extrême droite, la Pologne reste l’une des sociétés les plus pro-européennes au sein des 27 et l’arrivée au pouvoir d’une coalition centriste avec à sa tête l’ancien président du Conseil européen, Donald Tusk ne fait que renforcer ce sentiment. Après des années de relations tumultueuses avec Varsovie, la Commission européenne a annoncé, le 6 mai 2024, son intention de mettre un terme à la procédure de l’article 7 du traité de l’UE. Cette procédure avait été déclenchée en décembre 2017 en raison d’inquiétudes sur les réformes judiciaires mises en place par le parti Droit et Justice.

    Dans son bureau du tribunal d’instance de Varsovie, le juge Piotr Gaciarek a accroché des photos des manifestations pour la défense de l’État de droit, auxquelles il a pris part durant sa suspension. Pour avoir refusé de siéger avec un « néo-juge » nommé par un organe proche du PiS, le magistrat a été mis à pied. Il n’a retrouvé son poste que récemment. « J'ai eu l'impression d'être un chirurgien qui retourne dans une salle d’opération après 2 ans et demi d’interruption. C’était un sentiment mitigé, parce que d’un côté, j’étais heureux de revenir, mais d’un autre côté, je connais l’étendue des dommages infligés au pouvoir judiciaire ».

    Le gouvernement du Pis qui a présidé aux destinées du pays ces huit dernières années, a mis la main sur le Conseil de la magistrature, l’instance qui donne aux juges leur affectation. Plus de deux mille juges entrés en fonctions depuis 2015 ont été nommés par cet organe réformé de façon inconstitutionnelle. Le PiS a profondément transformé l’institution judiciaire et a créé des postes destinés à sauvegarder les intérêts du parti en cas de perte du pouvoir. La tâche du nouveau ministre de la Justice Adam Bodnar est immense : « il essaie de faire ce qu'il peut, en tentant d'écarter les présidents de tribunaux nommés par l’ancien pouvoir et qui n’ont aucune autorité parmi les juges. La situation est délicate, tant sur le plan juridique que politique, parce que nous avons un chef de l’État qui, au lieu de faire respecter la Constitution, a soutenu le gouvernement précédent qui l’a violée, de façon à subordonner le pouvoir judiciaire au politique », soupire le magistrat.

    « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté »

    Autre symbole de la contestation contre la réforme de la justice, ce qui lui a aussi valu des poursuites et deux ans de suspension, le juge Igor Tuleya a été réintégré dès 2022, au moment où le précédent gouvernement de Mateusz Morawiecki négociait avec Bruxelles les fonds de relance de l’Union européenne. Il estime qu’il faudra du temps, peut-être une génération, pour rétablir la confiance envers l’institution judiciaire : « les gens du PiS au sein de l’appareil judiciaire se sont enterrés comme Hitler à Stalingrad. Ils ont bétonné le système, ils ont créé des règles, qui rendent difficile leur licenciement aux postes qu’ils occupent et le rétablissement de l’État de droit ».

    D’autant que le PiS garde un précieux allié au sein du pouvoir, le président ultraconservateur Andrzej Duda, qui, par son droit de veto peut faire obstruction aux tentatives de réformes du gouvernement de Donald Tusk. Son mandat s’achève en 2025. « Même si l’on comprend que ces lois n’ont aucune chance d’aboutir, parce que le chef de l’État y mettra son veto, il est nécessaire de lancer le processus législatif et d’avoir ce débat », affirme le juge Gaciarek. Son homologue du tribunal d’instance de Varsovie abonde : « le rétablissement de l’État de droit par le professeur Bodnar ne va pas à un rythme effréné, mais c’est dû au fait qu’il veut rester dans un cadre légal. On peut discuter de ce bien fondé », avance Igor Tuleya, citant Saint Just : « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ».

    « Le parti PiS a laissé derrière lui un terrain juridiquement miné », obligeant le nouveau pouvoir à se lancer dans un « bricolage juridico-politique controversé », constate Jaroslaw Kuisz. Le remplacement sans ménagement des présidents des conseils d’administration de la télévision, des radios publiques, de l’agence de presse polonaise, et l’arrêt subit de la diffusion, en décembre 2023, ont donné lieu à des critiques y compris parmi les partisans du gouvernement de coalition et poussé les partisans du PiS à occuper temporairement le siège de la télévision publique.

    Quelques mois après ces événements, de nouvelles têtes officient désormais dans les studios de TVP. Licencié de la radio publique à l’époque où le parti Droit et Justice était au pouvoir, Ernest Zozuń présente, depuis le début de l’année, une nouvelle émission de politique étrangère « Oko na Świat », un œil sur le monde. Ce quinquagénaire qui a été correspondant de guerre en Afghanistan, en Yougoslavie, en Tchétchénie et en Irak, se réjouit des changements opérés au sein des médias publics : « lorsqu’on allume la télévision, sur les chaînes d’informations il n’y a plus de propagande. L’information est objective et professionnelle ».

    À l’heure du journal télévisé du soir, sur TVP info, large sourire aux lèvres, Jarosław Kret, « monsieur Météo », attend son tour pour entrer en plateau. Lui aussi a été banni des médias publics durant les années PiS. « La démocratie a gagné et me voilà de retour », lance le sexagénaire d’un air triomphal. « J’attendais impatiemment de revenir à la maison. Je suis un pur Européen. Et je n’étais pas considéré comme l’un des leurs. C’est étrange, cela m’a rappelé la période communiste. Ils ont sali le nom de cette télévision et maintenant nous la nettoyons. Ma mission à moi, c’est d’éduquer les gens qui me regardent derrière l’écran, de leur ouvrir l’esprit et non pas de leur faire un lavage de cerveau comme c’était le cas avant ».

    La vidéo

  • AfD, pourquoi l’extrême droite progresse en Allemagne

    Deuxième volet de notre série spéciale « Élections européennes : la montée des nationalismes en question ». Contrairement à d’autres pays européens, l’Allemagne a longtemps été épargnée par le populisme de droite. Cela a changé avec le parti AfD, l’Alternative pour l’Allemagne. Il pourrait devenir la deuxième force politique lors des élections européennes. Fondée, il y a 11 ans, cette formation classée « d’extrême droite avérée » par plusieurs gouvernements régionaux, ne cesse de gagner du terrain. Et cela malgré les scandales qui ont touché le parti, des procès pour incitation à la haine aux accusations récentes d’espionnage.

    Un Grand reportage d'Achim Lippold qui s'entretient avec Patrick Adam.

    Giorgia Meloni, les ambitions européennes de l’extrême droite italienne

    Premier volet de notre série spéciale : « Élections européennes : la montée des nationalismes en question ». En Italie, cela fait un an et demi qu'elle est au pouvoir et elle va affronter le 9 juin prochain, avec les élections européennes, son premier grand test électoral. Forte du soutien de sa base, confortée par le succès de sa stratégie de normalisation, Giorgia Meloni veut servir de référence à l'extrême-droite européenne et espère, à l’issue de ce scrutin, peser le plus possible sur les choix politiques de l'Union européenne.

    Un Grand reportage de Daniel Vallot qui s'entretient avec Patrick Adam.

  • Cameroun : les échos de la crise anglophone dans la région francophone de l’Ouest

    Nous sommes dans l’ouest du Cameroun, une région francophone qui, depuis 4 ans, subit des attaques attribuées aux séparatistes anglophones. Bilan de la dernière attaque : neuf morts et une dizaine de personnes enlevées. C’était à Bamenyam, un petit village enclavé dans l’arrondissement de Galim. Désormais, les populations des villages de l'ouest du Cameroun, limitrophes avec les régions anglophones, apprennent à vivre avec ce risque d'incursion.

    Un Grand reportage de Richard Onanena qui s'entretient avec Patrick Adam.

    L’Odyssée de la flamme d’Olympie à Marseille

    Elle annonce la tenue prochaine de chaque JO et veut transmettre un message de paix et d'amitié aux peuples, à travers les dizaines des milliers de relayeurs et relayeuses qui la portent. Jusqu'à la cérémonie d'ouverture le 26 juillet 2024, la flamme des JO de Paris 2024 va sillonner la France métropolitaine et l'outre-mer, en partant de Marseille, où elle arrive par bateau ce 8 mai après avoir été allumée en Grèce, berceau des Jeux de l'Antiquité.

    Un Grand reportage de Christophe Diremszian qui s'entretient avec Patrick Adam.

  • Les bisons américains ont failli disparaître à la fin du XIXè siècle, et avec eux tout un pan de la culture autochtone du continent. Au Canada, ce lourd passé colonial est désormais un véritable moteur pour la réintroduction des bisons, entre réconciliation culturelle, écologique et économique, pour les descendants des colonisateurs et des peuples autochtones.

    Dans les vastes plaines jaunies du sud de l'Alberta balayées par le vent, le bâtiment du centre d'interprétation de Head-Smashed-In est parfaitement intégré dans l'une des falaises des plateaux situés au pied des montagnes des Rocheuses.

    Quinton Crowshoe, membre de la communauté des Piikani, est guide à Head-Smashed-In, site inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco : c'est là, du haut de cette falaise, que ses ancêtres chassaient le bison. Rassemblés dans un bassin, les bisons étaient attirés jusqu'au bord des falaises au soleil levant. Éblouis et effrayés par des Piikanis, ils se précipitaient dans le vide. Au pied de la falaise, les autres membres de la communauté les achevaient, puis utilisaient l'intégralité des carcasses pour survivre au rude hiver du continent.

    Le centre de Head-Samshed-In reçoit chaque année plus de 80 000 visiteurs. Pour Quinton, perpétuer cet héritage, c'est aussi reconnaître l'importance des bisons pour les écosystèmes des Grandes Plaines. « Lorsque le Créateur a créé les bisons, il a conçu leurs sabots de manière à ce que, lorsqu'ils se déplacent, ils aèrent naturellement le sol. Ils nourrissent le sol une fois qu'ils ont mangé toute l'herbe, puis se déplacent vers leur prochaine zone de pâturage. Ils laissent derrière eux une formidable fertilisation », explique le petit-fils de Joe Crowshoe Senior, qui a participé à la création de ce centre d'interprétation.

    Un allié écologique

    Les peuples autochtones connaissent depuis toujours le potentiel écologique du bison, mais il a fallu qu'il manque de disparaître pour que les Blancs réalisent l'importance de leur rôle. Les bisons ont été presque annihilés pour leur cuir, utilisé dans les courroies des machines lors de la révolution industrielle en Europe, et pour chasser les peuples autochtones des plaines que les animaux avaient fertilisées. À la fin du XIXè siècle, il n'en restait plus qu'une poignée, contre des dizaines de millions un siècle plus tôt.

    Dans le nord de l'Alberta, près du parc national de l'Île aux Élans, Wes Olson, ancien employé de Parc Canada et spécialiste du bison, a établi sa résidence. « Les bisons sont des espèces-clé, et lorsqu'ils ont été retirés des grandes plaines d'Amérique du Nord ou de tout autre endroit où ils vivaient, ces écosystèmes se sont généralement effondrés », explique le passionné. Wes Olson a participé à la réintroduction des bisons dans le parc national canadien de Banff, en 2017, aux côtés de Dillon Watt, toujours employé là-bas.

    Casquette visée sur la tête, le travailleur de Parc Canada explique : « Aujourd'hui, il y a un peu plus de cent bisons dans le parc national de Banff. Nous avons commencé avec 16 animaux en 2017. On peut parler d'une réussite, même si beaucoup de choses restent à accomplir, notamment pour faire cohabiter l'homme et l'animal sauvage ». Aujourd'hui, le bison n'est plus une espèce en danger. Rien qu'au Canada, on compte plus de 12 000 bisons des plaines et des bois en liberté, et près de 150 000 bisons d'élevage.

    Une économie écologique ?

    Dans un café de Calgary, la ville la plus peuplée de l'Alberta, le rendez-vous est pris avec Kelly Long. À la tête de l'entreprise Noble Premium Bison, la femme d'affaires exporte de la viande de bison jusqu'en Europe. Pour Kelly, cultiver le bison permet de promouvoir un élevage plus responsable : en moyenne un producteur canadien détient seulement 150 têtes dans sa harde. « Nous ne pratiquons pas d'insémination artificielle et nous ne donnons pas d'hormones de croissance. La façon dont nous élevons les animaux ajoute de la valeur à la terre, aide l'environnement, aide le sol, aide à séquestrer le carbone, aide le bassin versant, aide la diversité des plantes ».

    George Briggs est éleveur de bisons depuis une trentaine d'années dans le centre de l'Alberta. Il a une harde qu'il ne touche pas, et des veaux qu'il envoie à la boucherie tous les dix-huit mois. Dans ses champs, une centaine d'animaux profitent d'un terrain de 250 hectares. Le mâle est gigantesque et sa fourrure est encore épaisse de l'hiver. Son garrot atteint la fenêtre de son pickup pourtant bien américain.

    Pour George, le bison est clairement un allié écologique. « Avant, ce champ était un champ de culture intensive. Quand je l'ai acheté pour y mettre des bisons, le voisinage m'a pris pour un fou. Aujourd'hui, le champ respire, la terre est noire, les oiseaux sont revenus et j'ai pu y planter des arbres », explique l'éleveur, qui habite juste à côté de son champ. Élever le bison, c'est aussi faire sa part pour compenser la lourde responsabilité des Canadiens blancs dans sa disparition. « Ils essayaient de forcer les Premières Nations à se déplacer plus loin. Sans ces quelques personnes qui ont capturé ces animaux pour les placer dans des parcs, nous n'aurions probablement plus de bisons aujourd'hui, n'est-ce pas ? », soupire le rancher.

    Il y a dix ans, un traité pour les bisons a été signé entre différentes Premières Nations pour encourager leurs réintroductions dans les Plaines. Les réserves autochtones sont de plus en plus nombreuses à en accueillir, même si la mer de bison décrite par leurs ancêtres dans les Grandes Plaines risque de ne jamais revenir.

  • Nous sommes dans l’ouest du Cameroun, une région francophone qui, depuis 4 ans, subit des attaques attribuées aux séparatistes anglophones. Bilan de la dernière attaque : neuf morts et une dizaine de personnes enlevées. C’était à Bamenyam, un petit village enclavé dans l’arrondissement de Galim. Désormais, les populations des villages de l'ouest du Cameroun, limitrophes avec les régions anglophones, apprennent à vivre avec ce risque d'incursion.

  • Elle annonce la tenue prochaine de chaque JO et veut transmettre un message de paix et d'amitié aux peuples, à travers les dizaines des milliers de relayeurs et relayeuses qui la portent. Jusqu'à la cérémonie d'ouverture le 26 juillet 2024, la flamme des JO de Paris 2024 va sillonner la France métropolitaine et l'outre-mer, en partant de Marseille, où elle arrive par bateau ce 8 mai après avoir été allumée en Grèce, berceau des Jeux de l'Antiquité.

    « Paris 2024, l'odyssée de la flamme d'Olympie à Marseille », un Grand Reportage de Christophe Diremszian.

  • Deuxième volet de notre série spéciale « Élections européennes : la montée des nationalismes en question ». Contrairement à d’autres pays européens, l’Allemagne a longtemps été épargnée par le populisme de droite. Cela a changé avec le parti AfD, l’Alternative pour l’Allemagne. Il pourrait devenir la deuxième force politique lors des élections européennes. Fondée, il y a 11 ans, cette formation classée « d’extrême droite avérée » par plusieurs gouvernements régionaux, ne cesse de gagner du terrain. Et cela malgré les scandales qui ont touché le parti, des procès pour incitation à la haine aux accusations récentes d’espionnage.

    Nous sommes sur le marché d’Oberursel, une ville dans la banlieue aisée de Francfort. C’est le début de la campagne électorale pour les Européennes. Les partis politiques ont installé leurs stands. Celui de l’AfD se trouve à côté d’un manège pour enfants. Peter Lutz de la section locale du parti distribue des brochures avec le slogan : « Pour une remigration légale au lieu d’une immigration illégale ». Il faut savoir qu’en Allemagne, le terme « remigration » fait polémique depuis quelques mois. En novembre dernier (2023), une réunion secrète révélée par la presse avait eu lieu à Potsdam, avec des néonazis et des cadres de l’AfD. L’objectif : discuter d’un « plan remigration », soit l’expulsion de millions d’étrangers et de personnes considéréees comme « non assimilées ». Cette réunion a provoqué un tollé mais n’a pas porté préjudice à l’AfD, explique Paul Beuter, un autre cadre du parti à Oberursel : « De plus en plus de gens se rendent compte que leurs préoccupations sont ignorées par les partis traditionnels. Ça commence par la politique d’immigration qui va au-delà de ce que ce pays peut supporter. »

    Paul Beuter cite l’exemple de sa ville d’Oberursel qui a dû construire deux nouveaux centres d’accueil de réfugiés, pour un total de 550 personnes. Et en plus, trois nouveaux postes à la mairie pour gérer ce dossier. Selon Peter Lutz, « on a laissé entrer trop de migrants en Allemagne. Tous ceux qui n’ont plus le droit de rester, qui viennent des pays sûrs ou qui devraient être reconduits, doivent partir. »

    En Hesse, l’AfD attire les cadres moyens

    L’AfD a été fondée ici à Oberursel, il y a onze ans, par une vingtaine de personnes, notamment des professeurs d’université et des intellectuels de droite. Parmi eux, Konrad Adam, ancien journaliste au quotidien conservateur et libéral Frankfurter Allgemeine Zeitung. Aujourd’hui âgé de 82 ans, il rappelle l’objectif de départ : « relancer la démocratie ». Déçus à l’époque de voir tous les partis « aller dans la même direction », les fondateurs de l’AfD voulaient créer un parti d’opposition national-conservateur pour « permettre aux citoyens d’avoir le choix lorsqu’ils se rendent aux urnes ». Mais pour Konrad Adam, le parti a pris un virage trop extrême. En 2020, il claque la porte de l’AfD, au moment de ses premiers succès électoraux.

    En Hesse, l’une des régions les plus riches du pays, l’AfD est devenue la deuxième force politique, après le parti conservateur de la CDU. Parmi ses bastions, la Wetterau, une région rurale à une heure de route de Francfort. À Schotten, jolie bourgade avec ses maisons à colombages, Thomas est en train de charger ses courses sur un pick-up. Oui, cela fait des années qu’il vote pour l’AfD, explique ce sexagénaire. Et tous ses amis font pareil. Selon cet agent administratif, cadre moyen dans le service du ramassage des ordures, le pays va dans la mauvaise direction. Il refuse la politique « va-t-en guerre avec la Russie », pense que Moscou et Kiev devraient « gérer leurs problèmes entre eux ». Il est parti de Francfort où il a vécu 40 ans : « Il y avait trop de bars à chicha, je n’entendais plus ma langue. » Financièrement, explique-t-il, ça va, il s’en sort bien. Mais il a toutefois peur du déclassement social, une fois devenu retraité. « J’espère que vous n’allez pas déformer mes propos comme le fait souvent la presse », lance-t-il, à la fin de la conversation.

    « Je voterai pour protéger la démocratie »

    Pourquoi un tiers des électeurs de cette région ont-ils voté pour l’AfD ? Difficile à comprendre pour cet agriculteur bio qui nous accueille dans sa ferme mais préfère rester anonyme. Voici tout ce qu’il sait : de plus en plus de personnes autour de lui, des clients, des fournisseurs, des ouvriers, des mécaniciens ou des collègues, sont attirés par l’AfD. Et cela lui pèse. « Avant, il n’y avait dans le coin que quelques types du NPD [Parti national-démocrate d’Allemagne, rebaptisé La Patrie, formation néonazie, NDRL]. On pouvait les ignorer. Mais avec les électeurs de l’AfD, toujours plus nombreux, ce n’est pas possible, surtout lorsqu’on est un entrepreneur comme moi. » Ce père de 6 enfants assure qu’il ira voter aux Européennes, car il faut « protéger notre système démocratique ».

    Tensions en hausse entre pro et anti-AfD

    En Saxe, le parti populiste est le grand favori lors des élections régionales en septembre prochain (2024). Ce qui n’est pas sans conséquences sur l’ambiance dans cette région de l’Allemagne de l’Est. La tension entre sympathisants et opposants de l’AfD est particulièrement tangible à Bautzen, ville médiévale de caractère près de la frontière tchèque. Soutenu par le parti d’extrême droite, des centaines de manifestants défilent tous les lundis à travers la ville.

    C’est une procession étrange et menaçante qui inonde les rues pour converger vers la place centrale. Des jeunes néonazis côtoient parfois des membres du Black Block venus de Dresde, mais aussi de plus en plus de partisans de la Russie, sans oublier ceux qui forment la tête du cortège, portant des grandes croix blanches, pour dénoncer la politique sanitaire lors de la pandémie du Covid. Les orateurs et oratrices qui se succèdent à la tribune dénoncent pêle-mêle la politique allemande de soutien à l’Ukraine, un manque de liberté en général, l’Union européenne et l’éducation sexuelle dans les écoles.

    « Pourquoi ils gagnent deux fois plus à l’Ouest qu’à l’Est ? »

    Un homme arbore fièrement le drapeau du premier empire allemand. Cela fait « plus de trois ans et plus de 160 fois », qu’il vient ici à Bautzen, toutes les semaines. Électeur fervent de l’AfD, il dénonce la précarité des retraités en Allemagne de l’Est. « J’ai travaillé pendant 43 ans sur des chantiers et je reçois moins de 1000 euros par mois. Et tous ceux qui viennent ici, ces migrants, ils s’en sortent mieux que moi. J’ai cinq petits-enfants mais je n’ai pas d’argent pour leur faire des cadeaux. Alors ils me demandent : « Mais grand-père, tu n’as pas travaillé ? - Ben si, je leur réponds, mais je me suis fait avoir ! » Son ami, lui aussi un sympathisant de l’AfD, regrette que le salaire à l’Est soit toujours inférieur à celui à l’Ouest. « Il y a 10 ans, j’ai travaillé à l’aéroport de Francfort-sur-le-Main, j’ai gagné plus de 2000 euros. Quand je suis retourné ici, après avoir rencontré quelqu’un, j’ai touché 1000 euros de moins. Ça me rend dingue : pourquoi ces différences ? Pourquoi il ne peut pas y avoir une seule Allemagne ? »

    Ces manifestations d’extrême droite ont créé un climat pesant dans la ville, confie la directrice de « Willkommen in Bautzen » (Bienvenu à Bautzen), une association locale qui milite pour une ville ouverte et tolérante.

    « Je ne sors plus le lundi soir et ne prends plus de rendez-vous chez le médecin », témoigne une autre habitante. Thilo Jung, un jeune responsable du parti de gauche Die Linke, acquiesce : « Une ambiance d’extrême droite s’est installée à Bautzen. Lorsque je me rends ici, je réfléchis à deux fois quel T-Shirt je mets pour ne pas provoquer de réactions violentes. »

    Afin de ne pas laisser l’espace public à l’extrême droite, plusieurs associations de Bautzen ont créé un festival, le « Happy Monday ». Tous les lundis, des évènements culturels permettent aux habitants de sortir à nouveau « avec un sourire », comme le souligne une des organisatrices. Cette initiative déplait fortement aux milieux extrémistes de la ville qui envoient des jeunes néonazis « patrouiller » autour des concerts et autres spectacles, sous l’œil d’une dizaine de policiers qui font en sorte que le Happy Monday ne tourne pas au drame.

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    Comment combattre l’AfD ?

    Réagir face à la montée de l’extrême droite peut prendre des formes différentes. La professeure d’histoire Katja Gerhardi a décidé de rejoindre la section locale du parti conservateur CDU de Bautzen, dont elle est devenue la présidente. « Quand j’entends les propos de l’AfD, explique-t-elle, et que je vois les groupuscules qui gravitent autour de ce parti, par exemple ici à Bautzen, j’ai très peur. Ce n’est pas un parti démocratique. Moi je suis profondément démocrate et je veux que notre démocratie continue à exister. Je veux aussi que mes trois fils continuent à vivre dans une démocratie ».

    Comment ignorer un parti désormais solidement enraciné à l’échelon local ? N’en déplaise aux dirigeants de la CDU qui mettent en garde contre des collaborations avec l’AfD, la réalité ne laisse souvent guère de choix, selon Katja Gerhardi. « Je vous donne un exemple concret : l’AfD a présenté un projet qui visait l’installation d’un abribus pour protéger les enfants de la pluie. Moi, en tant que membre de la CDU, j’ai évidemment soutenu le projet. Je n’aurais jamais pu dire : « Ah non, je vote contre parce que ça vient de l’AfD et tant pis si les enfants attendent sous la pluie ! »

    Ces débats pour savoir s’il faut ou non collaborer avec une formation que le gouvernement de la Saxe a qualifiée « d’extrême droite avérée » ne semblent pas impressionner l’électeur. Lui continue à cocher sa croix dans la case de l’AfD sur son bulletin de vote. Comme à Pirna, près de Dresde, où pour la première fois en Allemagne, le parti a conquis la mairie d’une grande ville. Tim Lochner a pris ses fonctions il y a tout juste deux mois et il est visiblement fier d’avoir fait la Une de la presse internationale.

    « Que l’AfD fasse mouche notamment ici à l’Est est lié à une partie de la population, qui a vécu la chute du Mur, explique le maire. Ceux qui ont connu la RDA sont plus sensibles à ce que disent les médias publics. Ils se souviennent qu’à cette époque les médias officiels se sont bien moqués des citoyens. Donc aujourd’hui, si vous êtes un homme politique et que vous expliquez à un ancien citoyen de la RDA dans le journal d’information comment il doit se laver les mains pendant la pandémie du Covid, il décroche. »

    Pour Tim Lochner, la politique du gouvernement comme le soutien aux grandes entreprises en difficulté rappellent le socialisme qu’il avait pensé avoir laissé derrière lui. « Quelle liberté a-t-on aujourd’hui encore ?, s’exclame-t-il. Vous pouvez vivre dans la plus belle démocratie du monde mais si vous n’avez pas d’argent, vous êtes limités dans vos mouvements ». Que ferait donc l’AfD pour aider les gens avec des revenus modestes ? « Si jamais l’AfD arrivait au pouvoir, il n’y aurait plus de taxe sur les émissions de CO2 », répond Tim Lochner qui se targue aussi d’avoir mis fin, dans une de ses premières décisions en tant que maire, à un projet de pistes cyclables dans les deux sens. « Cela aurait gêné les voitures. »

    L’AfD aspire à prendre le pouvoir en Saxe

    Après Pirna, la Saxe entière ? C’est le rêve de Jörg Urban, tête de liste de l’AfD pour l’élection régionale en septembre. Il pourrait obtenir plus de 30 % des voix mais il aura du mal à former une coalition pour gouverner. Proche de l’aile nationale-patriote du parti, il nie toute dérive extrémiste : « Pour moi, l’AfD est un parti du centre, nous ne défendons pas de positions radicales. Ce sont des légendes. » Selon Urban, ce sont les autres partis qui commencent à adopter les positions de l’AfD, notamment sur l’immigration.

    La percée électorale de l’AfD est-elle irrésistible ? Difficile à dire aujourd’hui. Mais les migrants, eux, craignent déjà une victoire plus large. Sabri Assi est un jeune Kurde de Syrie qui vit depuis sept ans en Saxe. C’est en Allemagne qu’il a appris à lire et à écrire. Avec son certificat de fin d’études secondaires, il espère trouver une formation et aimerait bien rester dans le pays. L’AfD lui fait un peu peur : « Tant que je travaille bien et que je ne fais pas de bêtises, que je me comporte bien, alors ils ne peuvent pas m’expulser. » Le discours de l’AfD lui rappelle celui des Nazis contre les Juifs : « Ce sont toujours les étrangers qui sont pointés du doigt. »

    Un étudiant en droit pakistanais rencontré à l’Université de Dresde confie : « je suis venu avec une haute opinion des Allemands, j’ai lu Nietzsche et Marx. L’avantage des pays européens, c’est que ce sont des sociétés ouvertes. Les gens sont guidés par la raison et la logique. Si à présent, un état d’esprit conservateur rétrograde se répand dans ces pays, ce serait très dangereux. Nous avons vu ce que cela donne chez nous. »

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