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Longtemps présenté comme un fabuleux interprète du répertoire pop-funk, le chanteur américain Al Jarreau reconnaissait volontiers avoir une passion pour les harmonies vocales jazz et les compositions des grands instrumentistes swing. À la fin de sa vie, il réalisa l’un de ses rêves : revitaliser les œuvres du grand Duke Ellington devant un imposant Big Band. L’écho sonore de ces concerts émouvants paraît sur le label Act Records. Ses anciens colistiers, témoins et acteurs de ses ultimes prestations, nous content cette épopée majestueuse.
Durant l’année 2016, quelques mois avant sa disparition, Al Jarreau remonta une dernière fois sur scène en compagnie d’une grande formation cuivrée, le NDR Big Band de Hambourg, lors d’une tournée européenne haletante. Ce fut le dernier acte d’une épopée majestueuse qui débuta dans les années 60 au sein des « Indigos », un groupe vocal formé par des étudiants de l’Université de Ripon dans le Wisconsin. Son goût pour le jazz se développa à cette époque et il n’était pas rare de l’entendre jouer avec les intonations de ses aînés. Ainsi, derrière ses célèbres acrobaties mélodiques que de nombreux admirateurs ont acclamées durant 50 ans, il y avait un artiste respectueux du patrimoine ancestral.
Joe Turano, pianiste, saxophoniste, directeur musical de l’orchestre d’Al Jarreau pendant 17 ans, a eu le loisir d’observer son ami et partenaire sur scène et en studio. « Il était d’abord un interprète dont la richesse vocale et la sensibilité artistique déjouaient toutes les catégories musicales. La liberté d’expression que lui offrait le jazz apparaissait systématiquement dans tous ses enregistrements, quel que soit le style. D’ailleurs, il était difficile de définir son identité musicale car il ne cessait de nous surprendre. Son sens de l’improvisation jaillissait constamment dans sa voix. Par conséquent, si l’on veut le décrire comme un chanteur de jazz, il faut d’abord comprendre que son expressivité reposait sur la spontanéité et l’improvisation, et ce fut le cas tout au long de sa vie. Sa voix était le reflet de sa personnalité, de son esprit vif, de sa flexibilité artistique. Il était capable de reproduire les sons qu’il entendait autour de lui, les sons d’un instrument de musique, les sons de la nature, etc. Sa voix était si merveilleusement élastique qu’il pouvait chanter la plus simple mélodie et lui donner une richesse harmonique remarquable, pleine d’émotion. À d’autres moments, il pouvait se laisser aller à quelques audaces vocales et entrer dans un monde sonore qui lui appartenait totalement. » (Joe Turano au micro de Joe Farmer)
En 2016, Al Jarreau a 76 ans. Il a conscience que cette tournée pourrait être la dernière. Alors, il redouble d’efforts pour que cette célébration des grands classiques de Duke Ellington soit somptueuse et digne. Il prend plaisir à jouer avec les circonvolutions jazz du NDR Big Band qui l’accompagne chaque soir. Il chante avec joie et ferveur. Il semble heureux et serein. Joe Gordon fut le manager d’Al Jarreau pendant 27 ans. Son regard sur ces derniers rendez-vous avec le public européen est plus nuancé : « J'ai deux souvenirs très précis de cette tournée. D'abord, c’est la joie d’Al Jarreau d’être sur scène tous les jours en compagnie de ce grand orchestre, le NDR Big Band. Et, même lorsqu’il n’était pas sur scène avec ces musiciens, il prenait plaisir à passer du temps avec eux dans les hôtels ou dans le bus qui nous emmenait de ville en ville. Quand tous ces instrumentistes lui rendaient visite, il était également comblé. Ce partage et cette complicité allaient dans les deux sens. Que ce soit au petit déjeuner ou à l’issue des concerts, il était enchanté de converser avec ces admirables musiciens. L’autre souvenir, un peu plus émouvant, c’était sa condition physique. À ce moment précis de son existence, il avait de plus en plus de difficultés à se déplacer et faisait souvent appel à nous pour le conduire jusqu’à la scène. Une fois installé devant le public, il retrouvait le sourire. Mes souvenirs sont donc assez contradictoires. L’un est heureux car je le voyais s’épanouir sur scène. L’autre est plus émouvant car je sentais que la maladie le rattrapait. Je ne sais pas si le public avait conscience de tout cela. Pour lui, c’était une joie intense d’être sur scène, mais aussi un défi d’aller au bout de cette aventure. » (Joe Gordon sur RFI, décembre 2024)
En cette fin d’année 2024, deux albums posthumes ravivent la voix unique d’Al Jarreau. L’un fut enregistré à l’aube d’une brillante carrière, l’autre au crépuscule de sa flamboyante destinée. Le premier nous ramène aux prémices de sa notoriété lorsqu’en août 1976, à Washington, son concert intime au Childe Harold Jazz Club révéla sa maestria. Le second restitue ses derniers instants de bonheur intense alors qu’il s’octroie le luxe de chanter les standards de Duke Ellington devant un rutilant orchestre jazz. Deux étapes majeures d’une lumineuse épopée qui a accompagné notre quotidien pendant un demi-siècle.
► Site internet consacré à Al Jarreau.
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Lorsqu’il fit paraître son premier disque sous son nom, il y a 25 ans, le chanteur et guitariste américain Raul Midon fit immédiatement sensation. Sa virtuosité vocale comme instrumentale surprit ses premiers auditeurs et cette faculté à défier les catégories musicales le hissa rapidement au sommet de la gloire. Son nouvel album, Lost and Found, enfonce le clou en jouant avec les accents Soul, Folk, Jazz que son ouverture d’esprit accueille avec sensibilité.
C’est en écoutant les mots de son aîné, Bob Dylan, que Raul Midon eut l’idée de concevoir la chanson-titre de son nouveau disque. Lost and Found est, en effet, inspiré de l’esprit narratif du célèbre poète folk américain. Raul Midon avait déjà en lui ce talent de conteur qui se voit aujourd’hui magnifié par son éclectisme mélodieux. « Il y a quelques années, un ami m’avait confié une cassette sur laquelle il avait enregistré un poème déclamé par Bob Dylan lors d’un de ses concerts. Il s’agissait de « Last thoughts on Woody Guthrie ». Les mots de Dylan étaient si puissants, merveilleux et sensibles, que j’ai imaginé cette chanson en essayant de restituer les rimes de ce poème fantastique. J’ai compris une chose en écoutant les vers de Bob Dylan, c’est que la poésie crée des images dans votre esprit. La poésie articule les mots de telle manière qu’elle suscite une représentation visuelle dans votre tête. Le message de cette chanson est universel. J’essaye de dire que lorsque tout espoir est perdu, il faut malgré tout persévérer car, d’une manière ou d’une autre, vous parviendrez à atteindre votre but. Certes, les choses ne se produiront peut-être pas telles que vous les auriez imaginées mais vous parviendrez à concrétiser vos projets. C’est la raison pour laquelle j’ai intitulé cette chanson « Lost and Found ». « Perdre espoir et retrouver espoir ». (Raul Midon au micro de Joe Farmer)
Les prouesses stylistiques de Raul Midon ont souvent épaté ses contemporains. Véritable homme-orchestre, son sens inné de l’interprétation et de la composition l’a hissé au rang des meilleurs instrumentistes de notre temps. Il n’est donc pas étonnant que ses homologues le sollicitent régulièrement pour apparaître sur scène à leurs côtés. En 2010, le bassiste Marcus Miller fut enchanté de le convier à participer à son concert à l’opéra de Monaco. Plus récemment, le collectif « Black Lives – From Generation to Generation » s’enthousiasmait de le compter parmi les défenseurs d’une égalité sociale universelle. Le concert de Cully en Suisse, en avril 2024, fut un moment de mobilisation citoyenne nécessaire. « On ne peut pas nier qu’il y ait une forme d’activisme dans la musique que nous produisons. Il est d’ailleurs essentiel que cet aspect des choses soit perceptible pour l’auditeur. Et, pour être honnête, je suis assez déçu par le manque d’engagement de certains artistes de nos jours. Quand on pense à « What’s going on » de Marvin Gaye, « Revolution » chantée par les Beatles, quand on pense aux textes de Gil Scott Heron, ces gens s’exprimaient sur la situation sociale de leur époque. Certes, je ne suis pas le plus grand rebelle dans mon expressivité artistique mais il faut que l’on dénonce, à travers nos œuvres et nos choix artistiques, les dérives racistes du monde actuel. Sur cette planète, si vous avez la peau noire, vous êtes instantanément considéré comme un être inférieur. C'est un fait incontestable. Le collectif de musiciens « Black lives » et le mouvement « Black Lives Matter » ont eu raison d’alerter l’opinion en disant : « Nous existons ! Nous ne sommes pas des citoyens de seconde classe ! ». (Raul Midon sur RFI)
Assister à un concert de Raul Midon est toujours un moment de plaisir intense, mais peut également susciter la réflexion. Écouter les paroles de ses chansons invite, parfois, à un examen de conscience utile. Raul Midon est, certes, un artiste exceptionnel mais aussi un homme simple qui, comme nous tous, s’interroge sur sa destinée et ses choix personnels. Sa cécité l’a poussé à se dépasser. Pour autant, il ne veut pas être perçu comme un être plus sensible que le commun des mortels. Avoir un grand cœur est une qualité humaine qui ne dépend pas d’un statut social ou d’une condition physique. « La seule différence pour un aveugle, c’est l’obligation d’être le meilleur dans sa discipline car son handicap est son premier obstacle. Au-delà de ça, que l’on soit voyant ou non voyant ne change rien à votre sensibilité. Je ne pense pas qu’un aveugle perçoive différemment les vibrations d’une musique. Les musiciens aveugles ressentent, commentent et s’expriment, sur la réalité du monde avec la même acuité que n’importe quel être humain sur cette planète ». (Raul Midon, décembre 2024)
Nul doute que les vibrations et émotions que vous ressentirez à l’écoute de Lost and Found légitimeront le discours toujours pertinent de ce multi-instrumentiste attachant.
⇒ Le site de Raul Midon.
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¿Faltan episodios?
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Depuis sa disparition en août 2018, la chanteuse Aretha Franklin n’a jamais réellement cessé d’occuper nos esprits. Films biographiques, documentaires, rééditions, l’industrie de la musique ne manque pas une occasion de commémorer cette artiste unique. Un nouveau livre vient parfaire notre connaissance de son épopée tumultueuse. Frédéric Adrian, déjà auteur d’ouvrages consacrés à Otis Redding, Marvin Gaye, Ray Charles, Stevie Wonder et Nina Simone, se penche sur les gloires et les déboires d’une icône incontestable.
Fort documenté, ce nouveau récit ne prend pas position. L’auteur se contente de suivre pas à pas les différentes étapes d’une destinée unique en veillant à restituer avec le plus d‘authenticité possible les faits tels qu’ils se sont déroulés. C’est ainsi que l’on assiste à l’évolution progressive d’une gamine déjà très douée, chaperonnée par la flamboyance d’un père pasteur dont le mode de vie libertarien contraste avec ses obligations cléricales. Au fil des pages, la volonté d’indépendance de la jeune Aretha Franklin s’affirme. Certes, les premières années sont davantage tournées vers un jazz soyeux que sa voix magnifie avec grâce et affirmation mais bientôt sa réelle identité, pétrie de Soul et de Gospel, jaillit dans les enregistrements pour le label Atlantic.
Après avoir révélé une tessiture élastique dans les studios Columbia au début des années 60, c’est bien à la fin de cette même décennie que son ascension se confirme. Aretha Franklin devient une reine de l’art vocal et multiplie les succès grâce à ses prouesses mélodiques et une ribambelle de classiques parfaitement adaptés à son immense talent. « Respect », « Chain of Fools », « Natural Woman », « Say a Little Prayer », entreront dans le patrimoine populaire américaine. Aretha Franklin inscrira alors son nom dans « L’épopée des Musiques Noires ». Ses prestations scéniques seront tout aussi percutantes, notamment au Fillmore West de San Francisco en 1971 ou dans la Missionary Baptist Church de Los Angeles en 1972, lors d’une célébration pleine de ferveur du répertoire sacré.
Ce désir d’abandon spirituel a peut-être été l’exutoire dont son âme sensible avait indubitablement besoin pour échapper au poids de la notoriété. Aretha Franklin n’était pas facile à vivre. Ses frasques, exigences et caprices révélaient certainement un mal-être que Frédéric Adrian tente de circonscrire dans son ouvrage. Lorsqu’elle quitte Atlantic Records pour Arista Records, elle est une personnalité majeure de l’Amérique noire, citoyenne engagée, artiste respectée, mais une femme tourmentée par les soubresauts de sa vie personnelle. Elle veut impérativement rester dans l’air du temps. Alors, avec plus ou moins de maîtrise ou de clairvoyance, elle s’acoquine avec les interprètes en vogue. Ici avec Annie Lennox, là avec George Michael. Séduire un nouveau public devient son obsession mais Aretha Franklin se perdra, parfois, dans des productions clinquantes que sa voix seule ne permettra pas toujours d’illuminer. Au crépuscule d’une aventure humaine trépidante, elle se plaisait à affirmer avec un brin d’insolence que sa seule héritière serait : « Aretha » elle-même !
« Aretha Franklin », la biographie de Frédéric Adrian est disponible aux éditions Le Mot et Le Reste.
- Éditions Le Mot et le Reste : le livre «Aretha Franklin» de Frédéric Adrian
- Le site Aretha Franklin.
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Aux côtés de Louis Armstrong, Count Basie ou Ella Fitzgerald, Eddie « Lockjaw » Davis a été un accompagnateur fougueux dont la sensibilité jazz au saxophone continue d’être étudiée au XXIè siècle. Son homologue, James Carter, se plaît à interpréter ses œuvres depuis quelques mois sur les scènes internationales. Le 23 octobre 2024, il rendait hommage à son aîné lors du festival « Jazz en Tête » à Clermont-Ferrand.
James Carter accorde beaucoup d’importance à la préservation du patrimoine. Dans le passé, il s’était déjà intéressé aux répertoires de ses aînés. Ses hommages à Django Reinhardt et à Billie Holiday avaient fait sensation et l’avaient hissé au rang des grands instrumentistes de notre temps. Depuis qu’il a accepté le rôle informel de conseiller culturel du « Minton’s Playhouse », un historique club de New York où se produisirent les plus grands noms du jazz, il s’est mis en tête de célébrer l’un de ses mentors, le regretté Eddie Lockjaw Davis, qu’il croisa furtivement en 1985. Il a, depuis cette date, conservé dans l’oreille l’âpreté délicieuse de ce swinguant virtuose qu’il veut honorer en lui dédiant un album. Faire vivre, au XXIè siècle, les œuvres d’autrefois en les actualisant est une manière de transmettre un savoir aux générations futures. James Carter en est convaincu !
« Je pense que le fait de m’appliquer à jouer ces répertoires m’impose de raconter une épopée et, d’une certaine manière, de m’improviser « historien ». Il faut sans cesse rappeler que nos aînés nous ont transmis un héritage toujours vivace aujourd’hui. Il est très important, à mes yeux, de répéter cela indéfiniment. Il faut leur rendre justice. Trop souvent, leurs noms disparaissent dans les oubliettes de l’histoire. On ne peut pas se contenter de quelques traces discographiques succinctes alors que le patrimoine de nos aînés est si imposant. Si les jeunes aujourd’hui n’ont pas la possibilité de découvrir par eux-mêmes le jazz d’hier, il faut que nous les incitions à s’y intéresser. Quand nous parlons de nos souvenirs de l’histoire du jazz, les jeunes ont le réflexe quasi-instantané d’aller sur Internet et de regarder sur YouTube les vidéos des artistes que nous évoquons. De mon temps, il fallait qu’une opportunité se présente pour que nous puissions assister à la projection d’archives sur grand écran. Nous n’avions pas immédiatement accès aux archives des grands noms du jazz. Il fallait attendre que le cinéma du quartier propose une projection spécifiquement consacrée à nos héros d’antan. Quand j’étais gamin, il fallait espérer tomber au hasard sur un programme jazz à la télévision. Et c’était très rare ! Aujourd'hui, il suffit de faire une requête sur Internet et vous pouvez voir tout ce que vous voulez ! Je pense que la jeune génération n'a pas conscience du privilège qui est le sien. Pour nous, regarder une vidéo d’un jazzman historique était unique. Il faut s'assurer que ce moment de la découverte reste un événement et ne soit pas banal aux yeux des jeunes spectateurs. (James Carter au micro de Joe Farmer)
James Carter a 55 ans. Il sait qu’il est au milieu du chemin qui le mènera à la respectabilité. Ses modèles ont suivi le même parcours, ont tâtonné, ont hésité, se sont interrogés et ont finalement brillé. Ses homologues saxophonistes lui ont donné des clés de compréhension qu’il doit choyer et perpétuer.
« Pour que les jeunes s’intéressent au patrimoine et se mettent autour d’une table pour en discuter, il faut donner de sa personne. C’est un enjeu essentiel. Il faut, au moins, leur dire que certaines personnalités ont existé. Libres à eux de relier les différents épisodes de ma narration en allant chercher, par eux-mêmes, d’autres documents. C’est ainsi que naît la curiosité. En les plongeant progressivement dans une quête personnelle, leur individualité se développera plus vite. Si certains d’entre eux envisagent de devenir musiciens, ils auront une identité artistique plus forte et solide. Ils comprendront ce que signifie : « se transcender ». Ils pourront plus facilement s’adresser au plus grand nombre. Ce n’est pas qu’une question de style musical. C’est un mode de vie, une attitude, l’expression d’un sentiment profond. Parfois, vous avez le blues, à un autre moment, vous êtes enthousiaste. Il faut savoir interpréter ces émotions et c’est ce que nous ont transmis nos aînés. Il ne faut pas hésiter à être soi-même et à inciter la jeune génération à s’exprimer librement. La musique est justement un très bon vecteur d’affirmation personnelle ». (James Carter sur RFI)
Le prochain album de James Carter sera enregistré au « Minton’s Playhouse » où, nous l’a-t-il assuré, il compte raviver l’esprit de son héros, Eddie « Lockjaw » Davis. Il nous donne rendez-vous en 2025 pour découvrir cette prestation nécessairement révérencieuse.
► Le site de James Carter.
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Le XXIè siècle voit le jaillissement créatif de nouveaux musiciens et interprètes dont la hardiesse n’émousse pas un profond respect pour la tradition. Lors du 37è festival « Jazz en Tête » à Clermont-Ferrand, le jeune pianiste américain Sean Mason a démontré que la vigueur de son jeu pouvait aisément épouser celle de ses aînés.
Originaire du sud des États-Unis, Sean Mason parvient à restituer l’humeur ancestrale de sa terre natale en jouant avec les tonalités de son temps. Il n’a pas 30 ans mais, déjà, s’affirme comme un virtuose. Ses différents projets discographiques illustrent son désir farouche de conjuguer inventivité joviale et interprétation patrimoniale. Son dernier album en date, « The Southern Suite », est une ode à la Caroline du Nord qui l’a vu naître. « À travers cet album, j’essaie de restituer les émotions que j’éprouvais, gamin, dans le sud des États-Unis. Il s’agissait de sentiments positifs à l’époque. Je veux que ma musique soit également positive. Ce furent des moments heureux même si l’image que l’on a du Sud est plutôt rude. En tout cas, le souvenir que j’ai de mon enfance dans cette région ne correspond pas aux stéréotypes colportés depuis des décennies. Honnêtement, il s’agit certainement de l’endroit le plus authentique que je connaisse aux États-Unis. Je voulais, précisément, refléter cet aspect des choses dans mon album. Il est évident qu’il y eut des moments difficiles dans le sud des États-Unis autrefois, il y avait beaucoup de racisme, et à certains endroits bien spécifiques, la ségrégation existe toujours mais il y a un esprit communautaire qui subsiste, une forme de solidarité que je trouve rassurante et authentique ». (Sean Mason au micro de Joe Farmer)
Sean Mason a, ces derniers mois, multiplié les expériences artistiques. Avec la poétesse Mahogany L. Brown, il a attesté qu’un message social mis en musique pouvait susciter une réflexion positive. Avec la chanteuse Catherine Russell, il a insisté sur l’intemporalité d’un répertoire historique. Une fois de plus, son esprit vif a éclairé les contrastes. Lors de sa prestation, le 22 octobre 2024, en ouverture du 37è festival « Jazz en Tête », Sean Mason a fait l’unanimité. Ses prouesses techniques, sa science harmonique et mélodique, son toupet d’improvisateur inné, sont des signes audibles d’une maestria en pleine évolution. Ce jeune homme s’épanouit avec grâce dans un univers sonore qui, pour lui, n’a pas de limites. « Honnêtement, un prélude de Bach et une œuvre de Louis Armstrong sont, à mes yeux, aussi importants l’un que l’autre. Pour moi, ils atteignent des niveaux d’excellence que je ne veux pas comparer. Je suis d’ailleurs enchanté d’avoir la possibilité de comprendre ces vocabulaires musicaux différents et de prendre autant de plaisir en les écoutant qu’en les interprétant. Je comprends parfaitement ce que voulait dire Ahmad Jamal lorsqu’il parlait de « musique classique américaine ». Le jazz est la musique classique américaine. Je partage ce besoin d’élever l’art à un niveau d’excellence que les musiciens classiques parviennent à atteindre. Ce qui m’importe le plus, c’est que nous soyons tous d’accord sur la définition que nous donnons aux musiques que nous écoutons ». (Sean Mason, 22 octobre 2024)
Sean Mason devrait très rapidement briller dans la lumière des projecteurs car son nom vient d’être retenu pour figurer dans le palmarès des Grammy Awards 2025. Suspense…
► Le site de Sean Mason.
Les programmateurs du festival « Jazz en Tête » ont d’ailleurs le nez creux puisqu’une autre étoile à l’affiche de l’édition 2024 se voit également nominée pour la prochaine cérémonie des Grammys. Elle s’appelle Christie Dashiell. Cette jeune chanteuse africaine-américaine s’est illustrée dans le collectif « Black Lives – From Generation to Generation » dont elle partage avec sincérité l’intention et le vœu de concorde universelle. Elle aussi est une artiste respectueuse du patrimoine légué par ses aïeux qu’elle salue à sa façon en développant une tessiture vocale pétrie de références musicales échappées de « L’épopée des Musiques Noires ».
À Clermont-Ferrand, le 24 octobre 2024, elle présentait pour la première fois en France son nouvel album Journey in Black. Ce disque palpitant révèle un engagement artistique et citoyen certain. Christie Dashiell vit au XXIè siècle et a conscience que les enjeux de sa génération méritent d’être exposés. Pour cela, il faut dialoguer, communiquer, confronter les idées. Un vrai défi quand le repli sur soi est devenu la norme. « Il est très aisé aujourd'hui de s’isoler, notamment, quand les réseaux sociaux occupent tout notre temps et notre esprit. Nous avons tendance à ne plus chercher le contact avec nos contemporains même si nous sommes surinformés. Cela peut créer de la discorde car nous interprétons souvent maladroitement ce que nous lisons de manière partielle. Par conséquent, je fais l’effort d’aller à la rencontre du public pour constater qu’il est toujours composé d’êtres humains et, parfois, il arrive même que nous ayons les mêmes convictions, les mêmes espoirs. Rien que cela peut changer l’atmosphère qui règne autour de vous. Le simple fait de regarder les yeux de votre interlocuteur, d’entendre le son de sa voix, peut susciter la conversation ». (Christie Dashiell sur RFI)
Le cheminement artistique de Christie Dashiell lui permet de virevolter entre les différents accents de « L’épopée des Musiques Noires ». Jazz, Soul, Gospel, elle ne veut pas choisir car elle est tout cela à la fois. Sa force expressive seule déjoue les catégories. Elle est une interprète inspirée qui a charmé les spectateurs du festival « Jazz en Tête ». Son ouverture d’esprit et sa générosité naturelle nourrissent son indéniable talent. À nous de savoir le saisir à chacune de ses prestations. « Chanter et composer le répertoire de cet album m’a permis de voir le monde différemment. Cela m’a permis de voyager et c’est un excellent moyen de se confronter aux réalités de cette planète. Je pense donc que le second volet de cet album « Journey in Black » me permettra d’avoir une acuité encore plus fine du monde qui m’entoure ». (Christie Dashiell, le 24 octobre 2024)
Christie Dashiell se produira avec le collectif « Black Lives - From Generation to Generation », le 22 novembre à Gand en Belgique, le 23 novembre à Cenon en France et le 24 novembre 2024 à Limoges en France.
► Le site de Christie Dashiell.
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Disparu le 3 novembre 2024 à l’âge de 91 ans, Quincy Jones sera, à tout jamais, associé à son travail d’orfèvre aux côtés de Michael Jackson. Mais que retiendra-t-on de ses autres faits d’armes ? Connaissons-nous vraiment son travail d’arrangeur, de compositeur et de chef d’orchestre ?
Son statut de jeune soliste à la trompette dans l’orchestre du vibraphoniste Lionel Hampton, au début des années 1950, lui a ouvert l’esprit et a nourri son goût pour l’improvisation car, pour être un musicien de jazz éclairé, il ne faut pas hésiter à jouer avec les différents accents des musiques populaires. Quincy Jones le comprit très vite et s’amusa toute sa vie à tordre les conventions pour inventer son propre univers sonore, exigeant et éclectique. « Tout n'est qu'une question de liberté. Le jazz c'est la liberté. Quand j'étais jeune, des gens comme Clark Terry, Benny Carter ou Ray Charles, m'ont véritablement épaulé, et il est de mon devoir aujourd'hui de faire de même avec la jeune génération. Elle représente l'avenir. Avec délicatesse et sensibilité, tous ces jeunes transmettront à leur tour le message du jazz. Ray Charles a été le premier à me donner un petit coup de pouce. Il m'a même appris à lire la musique en braille. N'oubliez pas qu'il n'est devenu aveugle qu'à l'âge de six ans. Il savait donc à quoi ressemblait une partition. Quand j'évoluais dans l'orchestre de Lionel Hampton, je côtoyais là aussi d'excellents musiciens, je pense à Clifford Brown, Art Farmer, Benny Bailey, Jimmy Cleveland. C'était un orchestre qui faisait danser les gens. Lionel Hampton et Louis Jordan ont créé ce que l'on appelait le rhythm and blues dont la communauté blanche s'est emparée pour créer le rock'n'roll ». (Quincy Jones au micro de Joe Farmer)
De ses premiers pas d’interprète dans les grandes formations swing d’antan à ses exploits de producteur inspiré aux côtés des principales figures de la pop, du funk, de la soul-music ou du rap, Quincy Jones a vécu intensément sa passion artistique avec ce regard et ce sourire malicieux qui semblaient défier ses détracteurs. L’Amérique raciste lui avait appris la défiance et la méfiance. Pour se faire respecter, il devait devenir incontournable. L’avait-il voulu ? Sa force de caractère a-t-elle accéléré son ascension ? Son flair fut-il son meilleur atout ? Difficile de définir précisément le moteur de son hyperactivité créative. Il faut croire que son application à réaliser avec soin les meilleurs enregistrements porta ses fruits et contribua à écrire sa glorieuse histoire. Dans sa mémoire vive, s’entrechoquaient des images, des sons, des rencontres, des conversations, des anecdotes et des dates plus marquantes les unes que les autres, comme ce 8 juillet 1991 lorsqu’il invita son ami Miles Davis à réinterpréter ses œuvres d’antan sur la scène du Montreux Jazz Festival en Suisse. « C'était quelque chose de voir Miles Davis à 65 ans se débattre avec une musique qu'il n'avait pas jouée depuis l'âge de 25 ans. J'avais assisté à la session d'enregistrement originel. Il avait enregistré coup sur coup « Kind of Blue » et « Miles Ahead » avec Gil Evans dans les studios Columbia de la 30ème rue à New York. Je revois encore John Coltrane et Cannonball Adderley découvrant les partitions de « Kind of Blue ». Quelque 60 ans plus tard, ces albums sont devenus des classiques et, honnêtement, on n'a pas fait mieux depuis. Lors du concert à Montreux, c'est la première fois que je voyais Miles Davis sourire au public. Habituellement, il tournait le dos aux spectateurs mais cette fois-là il était heureux et j'étais enchanté de lui avoir apporté cette joie ». (Quincy Jones sur RFI – Juillet 2017)
Cette générosité de cœur, ce besoin viscéral de porter des projets ambitieux, parfois périlleux, cette écoute attentive pour le talent de ses contemporains, qu’ils soient aguerris ou balbutiants, cette attitude finalement altruiste, toutes ces valeurs humaines l’ont hissé au firmament des personnalités universelles. Quincy Jones fut tout simplement unique !
► Quincy Jones sur Qwest TV.
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Christophe Ylla-Somers s’est plongé dans l’histoire tortueuse de la communauté africaine-américaine de 1619 à nos jours. Il constate dans son livre, « Le Son de la Révolte », que le nouveau monde ne fut jamais la terre d’égalité, de justice et de démocratie, prônée par les premiers colons européens. Les États-Unis se sont construits sur un déséquilibre social patent que les arts ont souvent dénoncé. Alors que l’élection du 5 novembre 2024 attise les tensions outre-Atlantique, nous explorons en musique quatre siècles de rébellion et de contestation.
Dès l’instauration du commerce triangulaire, la vie des Africains expatriés contre leur gré vers des territoires inconnus devint un calvaire innommable. Les traditions et coutumes ancestrales résistèrent cependant à l’oppression, aux brimades et humiliations de toutes sortes. Cette empreinte identitaire s’exprima dans des chants de complainte émouvants dont la teneur de plus en plus protestataire traversa les siècles. Le poète et dramaturge Amiri Baraka répétait sans cesse ce simple constat : « À partir du moment où nous avons embarqué sur ces bateaux, nous avons commencé à chanter ! Quelle que soit la forme d’expression, le message a toujours été le même : « Laissez-moi sortir ! Laissez-moi tranquille ! Cessez de vouloir transformer ma vie ! ». Avant même que nous ne soyons en contact avec les Américains, nous chantions déjà le désespoir, dans le dialecte local, puis dans un langage afro-américain. Depuis toujours, nous chantons la contestation. Comment voulez-vous que nous ayons des paroles positives ? Quand on vous pourrit la vie depuis des lustres, comment être optimiste et voir les choses du bon côté ? On ne sait pas ce qu’est le bonheur ! Quand votre existence, c’est l’esclavage, vous ne décidez pas de protester, vous protestez instinctivement ». (Amiri Baraka au micro de Joe Farmer – RFI - Février 2004)
Dans les spirituals ou dans le blues, dans le répertoire sacré ou dans les mélodies profanes, le besoin de trouver le réconfort est omniprésent. Cette aspiration à une liberté pleine et entière se fracasse pourtant souvent sur une réalité plus âpre et violente qui conduit irrémédiablement les victimes d’injustices à se rebeller. Si l’appel à une résistance passive du pasteur Martin Luther King reste dans les mémoires, ce sont davantage les œuvres militantes qui résonnent aujourd’hui avec force dans « L’épopée des Musiques Noires ». Le manifeste du batteur Max Roach, « We Insist ! Freedom Now Suite », est devenu un marqueur de la fronde artistique des jazzmen en 1960. Le pamphlet du bluesman J.B Lenoir, « Alabama Blues », en 1963 est lui aussi redoutablement efficace. Le brûlot de Nina Simone, « Mississippi Goddam », en 1964 s’inscrit également dans le tumulte des années de lutte. Décennies après décennies, l’activisme musical s’est transformé et les prises de positions tranchées ont accompagné les évolutions stylistiques des instrumentistes africains-américains.
« Le Son de la Révolte » constate avec acuité l’impossibilité de faire valoir son statut de citoyen américain quand la couleur de peau interdit l’égalité des chances. Il subsiste alors la revendication permanente que les arts peuvent porter. Les prêches harmonieux des cantiques religieux, comme la poésie cadencée de rappeurs déterminés, traduisent la même frustration et le même désir d’être respecté. Lorsque Sam Cooke chantait « A change is gonna come », quel avenir envisageait-il ? Les tourments de son époque ont-ils changé la donne ? La politique américaine a-t-elle tiré les leçons du mouvement des droits civiques, de la poussée de fièvre « Black Lives Matter » ? L’examen de conscience est-il possible outre-Atlantique ? Les musiciens ont-ils la clé de cette énigme ? Ces interrogations légitimes rythment notre lecture avide de cet ouvrage riche et fort documenté paru aux éditions « Le Mot et Le Reste ».
► «Le Son de la Révolte», éditions Le Mot et le Reste.
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De longue date, les échanges transatlantiques entre musiciens africains et américains ont nourri l’histoire du blues. Dans le passé, Ry Cooder et Ali Farka Touré, Eric Bibb et Habib Koité, Taj Mahal et Bassekou Kouyaté, Mighty Mo Rodgers et Baba Sissoko, ont appris à dialoguer et ont suscité un esprit de partage et de tolérance. Le Trio Soba épouse, à son tour, cet élan de générosité collégiale à travers un album vibrant intitulé Fiman.
Moussa Koita (guitare), Vincent Bucher (harmonica) et Émile Biayenda (percussions) ont, tous trois, une identité culturelle spécifique mais ils partagent une vision commune du blues. Ils savent que cette forme d’expression née aux États-Unis prend sa source sur le continent africain. La traite négrière a projeté, au fil des siècles, des coutumes, des rythmes, des traditions, des danses jusqu’aux Amériques. Ce pont transatlantique invisible a permis, souvent dans la douleur, de maintenir un lien intercontinental que le blues préserve et perpétue. L’histoire de Soba s’inscrit dans cette longue évolution stylistique mais se distingue par ses protagonistes. Si ces trois brillants instrumentistes jouent le blues avec ferveur, ce n’est pas seulement la légende américaine qui les anime mais leurs échanges complices sur scène et hors de scène.
Que l’on soit Burkinabè, Français ou Congolais, le partage et l’enthousiasme permettent toutes les audaces. C’est ce qu’ont rapidement compris nos trois virtuoses qui ne relisent pas l’épopée américaine du blues mais inventent un autre récit proche de leur quotidien, de leur réalité, de leur présent. Chaque titre de l’album Fiman évoque les enjeux de notre XXIè siècle. Il peut arriver que certains sujets évoqués rejoignent les préoccupations des anciens bluesmen africains-américains mais, au-delà de l’humeur musicale, l’intention narrative est tout autre. Le trio Soba parle des défis d’aujourd’hui : la solidarité, la voix du peuple, les inégalités sociales, l’exil, l’espoir d’une maison commune.
Le parcours artistique et très éclectique de ces trois compagnons de route n’interdit pas une écoute sincère et un respect mutuel. Leurs chemins ont fini par se croiser et leur entente cordiale a suscité un projet lumineux nourri par une camaraderie indiscutable. La tradition orale des griots africains résiste ainsi à l’érosion du temps. Qu’ils se racontent à Paris, Memphis, Ouagadougou ou Brazzaville, nos trois compères portent une parole utile en ces temps de confrontation stérile, de défiance systémique et d’invectives absurdes. Ne soyons pas sourds à ce message unitaire si mélodieusement servi par les mots et les notes du blues africain ancestral.
Rendez-vous le 13 novembre au Studio de l’Ermitage à Paris et le 17 novembre 2024 au festival « Blues Maron » sur l’île de La Réunion pour acclamer le pertinent répertoire du trio Soba.
► SOBA - Tounga (official video).
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La chanteuse américaine Lizz Wright a un talent unique… Elle sait jouer avec les différentes consonances des musiques afro-planétaires. Sa tonalité vocale s’adapte à de nombreux univers sonores. La Soul-Music, le Gospel, la Folk-Music, le Jazz, le Blues, nourrissent son expressivité depuis son tout premier album paru en 2003. 20 ans plus tard, cette voix pénétrante continue d’ensorceler. Lizz Wright présente aujourd’hui Shadow, sa dernière lumineuse production inspirée par les enseignements de ses aînés.
Femme de convictions, Lizz Wright n’est cependant pas une activiste forcenée. Elle se voit d’abord comme une âme sensible qui a appris à choyer les vraies valeurs humaines et les défend autant qu’elle le peut. Son statut d’artiste lui permet de transmettre des émotions positives à tous ceux qui l’écoutent et d’apaiser aussi ses propres tourments. Toujours en quête de sérénité, elle partage avec certaines de ses consœurs cette aspiration à une citoyenneté équilibrée. Originaire de Géorgie, elle a connu l’âpreté du sud des États-Unis, mais elle préfère en donner une vision romantique que ses yeux d’enfant avaient magnifié.
« Ma grand-mère, Martha, avait l'habitude d’aller prier au pied d’un arbre près de sa maison. C’est une image dont je me souviendrai longtemps. Mon père me racontait beaucoup d’histoires à ce sujet. Il y a dans le sud des États-Unis des contes et légendes qui entretiennent le mythe des ancêtres, qui décrivent le vent qui souffle, la pluie qui tombe, la nature qui s’épanouit. Voilà ce que j'ai essayé de restituer. Je veux tirer les leçons de ce que m’a enseigné ma grand-mère. Je me souviens de ses déclarations et de cette phrase qu’elle répétait souvent : "J’aime tout le monde ! Je ne fais pas de différences !". Et, chaque fois, elle versait une larme en prononçant cette phrase. Quand j’étais gamine, je trouvais cela normal qu’une femme pieuse comme elle prononce de tels mots. Aujourd’hui, à 44 ans, je réalise que plus personne ne dit de telles choses, même mes parents ! Je comprends aujourd’hui que ma grand-mère me montrait la voie à suivre et me faisait prendre conscience de la dureté de ce monde troublé. Elle m’a donné le courage de revendiquer ma place sur cette planète sans attendre que quelqu’un ne me l’octroie. Je veux être responsable de l’amour que je donne et ne pas être un étranger pour autrui. Voilà les belles valeurs que ma grand-mère m’a transmises. » (Lizz Wright au micro de Joe Farmer)
Révélée grâce à l’album Salt, Lizz Wright a gagné en confiance en participant en 2009 à la tournée Sing the truth en hommage à la regrettée Nina Simone. C’est à ce moment précis, aux côtés de Dianne Reeves, Angélique Kidjo et Lisa Simone, qu’elle a pris conscience que son avenir se jouerait sur scène. « Nous voulions honorer la mémoire de Nina Simone en mettant nos voix au service de son répertoire. Nous voulions démontrer combien son patrimoine musical était riche et imposant. Nous voulions également mettre en relief les différents thèmes qu’elle évoquait dans ses chansons. Et surtout, nous voulions revitaliser l’émotion de sa voix. Je serai toujours reconnaissante à Danny Kapilian, le producteur de ce spectacle, de m’avoir conviée à participer à ce projet. Cette sollicitation tombait à pic, car j’hésitais vraiment entre deux carrières, la musique ou la cuisine. Il se trouve que mes colistières sur scène étaient aussi des cordons bleus. Finalement, je faisais une pierre deux coups. Je n’avais plus de choix à faire ! » (Lizz Wright sur RFI)
Sur son dernier album, Shadow, Lizz Wright s’est entourée de partenaires de choix dont la bassiste Meshell Ndegeocello. Leur complicité artistique rayonne sur le titre Your Love scellant une camaraderie sincère qui dépasse la collaboration artistique. Lizz Wright ne se prive d’ailleurs pas de faire la promotion de sa nouvelle partenaire dont elle ne tarit pas d’éloges. « Meshell est certainement l’une des plus grandes artistes de notre temps qui conjugue plusieurs disciplines. Elle est une bassiste super funky ! Elle est une fabuleuse compositrice, elle a beaucoup de sensibilité, elle transmet beaucoup d’émotions, et je suis très heureuse d’être son amie. Je vous recommande d’ailleurs d’écouter son dernier projet consacré à James Baldwin. Si vous avez l’opportunité de voir ce spectacle sur scène, ne vous en privez pas. J'ai eu la chance d'assister à une représentation à Chicago et j’en suis ressortie tout émue. Il se trouve, de surcroît, que je suis une fan de James Baldwin. Je partage les valeurs humaines de Meshell. Je les exprime peut-être différemment, mais nous considérons toutes les deux que l’amour et l’honnêteté sont les piliers de la paix universelle quand tant de souffrances troublent ce monde. Parfois, il est bon de se regarder dans le miroir et de se demander où l’on va et qui l’on est. Nina Simone a dit un jour : "Le devoir de l’artiste est de montrer la voie et de refléter le temps présent." Nous devons unir toutes nos voix pour atteindre ce but. » (Lizz Wright – Octobre 2024)
Lizz Wright est une femme fort respectable dont les mots choisis appellent à notre examen de conscience. Écoutons-la se raconter et prenons exemple. Sa poésie musicale prend sa source dans une épopée lointaine façonnée par ses ancêtres.
►Site internet de Lizz Wright.
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Au tournant des années 70, le jazz afro-américain épouse les rythmes scintillants du funk, l’énergie du rock et la richesse des cultures mondiales. Cette fusion des styles et des sources sonores inspire alors le pianiste Herbie Hancock en quête perpétuelle de nouvelles expériences. Il crée en 1973 les Headhunters, formation à géométrie variable qui épousera l’esprit d’ouverture de cette époque psychédélique échevelée. Un demi-siècle plus tard, deux membres historiques de ce groupe légendaire, Bill Summers et Mike Clark, se souviennent de cette aventure épique.
« Je fais partie de ce groupe depuis 1974. J’aime être en compagnie de mes amis musiciens car c’est toujours un défi de créer de la musique avec eux. Nous prenons beaucoup de plaisir à être ensemble, nous rigolons bien. Nous avons voyagé à travers la planète avec Bill et nous avons rencontré des milliers de personnes. Nous avons vécu des moments absolument incroyables. Certains membres du groupe nous ont quittés, d’autres sont arrivés, ce fut une expérience humaine très enrichissante tant au niveau spirituel que musical ». (Mike Clark, batteur des Headhunters).
Bill Summers et Mike Clark sont deux musiciens issus de cultures différentes. Ils ont appris à se connaître, à s’apprivoiser et à se respecter à travers ce compagnonnage musical sincère. S’il y a une constante dans l’intention artistique des Headhunters, c’est la défense des patrimoines ancestraux et l’ouverture d’esprit. Les deux piliers du groupe ont fini par harmoniser leur propos alors que tout pouvait les opposer. Chacun a fait un pas vers l’autre et il est plaisant de les entendre narrer l’évolution progressive de leur prise de conscience jusqu’à la source africaine de l’expression artistique.
« Notre contribution individuelle représente les pièces d’un puzzle planétaire. Nous avons tous un rôle à jouer mais le jazz ne repose pas uniquement sur l'apport africain. Si l'on prend le corps humain comme symbole, le cœur est africain mais les bras, les jambes, les mains, les doigts, les orteils proviennent de différentes régions du monde. Ensemble, tous ces éléments composent un organisme vivant et multiculturel. Qu'importe de savoir si la tête est celle d'un Noir ou d'un Blanc. Du moment que le cerveau fonctionne, nous savons qu'il apportera la touche finale à ce puzzle. Évidemment d'apparence, nous sommes différents. Un Européen ne ressemble pas à un Africain ni à un Asiatique mais nous venons tous de la même source. Nous avons juste fait évoluer notre manière de réfléchir et d'appréhender le monde. Mike et moi sommes deux êtres humains semblables mais nous représentons différentes branches de cet arbre dont le tronc est africain. Le sang qui coule dans nos veines est de la même couleur mais nous ne percevons pas les choses forcément de la même manière. Il faut juste apprendre à s'écouter, à recevoir des leçons et à s'enthousiasmer... ». (Bill Summers, percussionniste des Headhunters).
L’élan multiculturel des Headhunters est indéniable. Les idées fusent continuellement dans ce groupe de virtuoses complices mais, derrière cette propension à marier les styles, il y a beaucoup de travail et une expérience éprouvée. Depuis 50 ans, même s’il y eut des absences prolongées, les Headhunters distillent un esprit de concorde entre les peuples à travers une musique que tout le monde peut apprécier. D’abord étiquetés « jazz-rock » ou « jazz-funk », ils ont progressivement ouvert leur identité sonore à d’autres tonalités et peuvent être perçus comme de fervents partisans de la « sono mondiale ». Ils veulent juste conserver la liberté que leur confère leur statut de jazzmen.
Le nouvel album des Headhunters, The Stunt Man, propulse encore plus loin ces incroyables instrumentistes au cœur du XXIè siècle. Leur musique, née dans les années 70, n’est pas si datée qu’on a pu le dire. Elle s’est adaptée aux époques, aux courants, aux modes, aux évolutions sociales, aux goûts du public. Les Headhunters se produiront le 18 octobre 2024 au New Morning à Paris, mais aussi à Stockholm, Berlin, Milan, Varsovie, à l’occasion du 50è anniversaire du groupe.
► Site du groupe des Headhunters.
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Les Parisiens qui ont assisté aux grandes célébrations œcuméniques de la chorale « Gospel pour 100 voix » connaissent indirectement la chanteuse américaine Linda Lee Hopkins. Née en Caroline du Nord aux États-Unis, elle s’est finalement installée en France au début des années 90 mais n’a jamais oublié la source de son inspiration. Elle nous présente aujourd’hui Spirit & Soul, un album qui la révèle enfin après des décennies aux côtés des grandes figures de « L’épopée des Musiques Noires ».
Al Jarreau, Percy Sledge, Ray Charles, entre autres, ont été séduits par la mélodieuse tessiture de Linda Lee Hopkins mais le prestige de ces collaborations artistiques d’antan ne doit pas éluder l’intention première de porter une parole positive. Cette brillante artiste a aujourd’hui le désir ardent de susciter un élan de bonté et de générosité à travers ses scintillantes interprétations. Il fait dire que Linda Lee Hopkins sait, plus que quiconque, ce que le soutien moral signifie. Embourbée autrefois dans un dédale de difficultés existentielles, elle a su remonter la pente et croire en son avenir.
Sa foi l’a sauvée du précipice et l’encourage chaque jour à aller de l’avant. Son large sourire, son énergie et sa joie de vivre, défient sans cesse ses anciens démons. La chanson « Old Trouble », qui conclut son premier album sous son nom, est très explicite. Il faut trouver la force de résister aux aspects les plus négatifs d’une vie. Les souvenirs sont là mais ils ne doivent pas entamer l’enthousiasme du présent. Croire en une bonne étoile n’est pas un vain mot pour Linda Lee Hopkins. Sa spiritualité la protège. Pour autant, le prosélytisme ne guide pas son discours. Résidente française depuis plus de 30 ans, l’esprit laïque de sa terre d’adoption lui sied parfaitement. C’est au hasard de représentations en public qu’elle a pu noter les différences culturelles transatlantiques. L’attitude rétive des spectateurs français à danser, chanter et battre la mesure, lors de messes gospel exaltantes, l’a d’abord surprise. Elle a alors redoublé d’efforts pour que les codes sociaux s’effacent au profit d’une jubilation collégiale.
Comme elle aime à le rappeler, vibrer sur un répertoire sacré n’est pas dicté par une croyance mais par un sentiment naturel d’abandon à l’instant présent. Profiter du moment sans s’inquiéter du regard des autres est le préalable au plaisir. Linda Lee Hopkins en est convaincue et le prouve chaque soir sur scène. Aux côtés du guitariste Chris Lardeau, compositeur des principaux titres de son album, elle défend avec beaucoup de persuasion cette vision bienveillante qui la hisse au rang des femmes de cœur.
► Site officiel de Linda Lee Hopkins.
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Bud Powell fut un pianiste prodigieux dont le talent subjugua ses contemporains, dont l’illustre Thelonious Monk. Affaibli physiquement et psychologiquement par les revers d’une destinée chaotique, il passera beaucoup de temps dans les hôpitaux et maisons de repos, notamment en France, où il résidera à la fin de sa vie. Le cinéaste français Bertrand Tavernier s’inspira d’ailleurs indirectement de ce personnage insaisissable pour son film « Autour de minuit ». Bud Powell aurait eu 100 ans, le 27 septembre 2024.
Earl Rudolph Powell naît à New York dans une famille de musiciens. Naturellement, son goût pour le jazz et la musique classique se développe rapidement. Il évolue très jeune dans de grandes formatons dont celle du trompettiste Cootie Williams. À cette époque, deux formes d’expression se côtoient aux États-Unis, le swing des Big Bands et le Be Bop de la génération montante. Bud Powell n’est alors qu’un observateur de cette confrontation stylistique qui oppose deux approches d’une même culture jazz. De jeunes frondeurs, Miles Davis, Dizzy Gillespie, Charlie Parker ou Thelonious Monk, entre autres, s’autorisent une nouvelle lecture musicale qui bouscule le répertoire de leurs aînés, Duke Ellington, Cab Calloway ou Jimmie Lunceford. Bud Powell finira par épouser l’irrévérence de ses contemporains en devenant lui-même un acteur de cette révolution artistique notable dans les années 1940.
Son langage sonore s’affine et s’affirme au fil du temps. Son jeu délicieusement fougueux attire l’attention de ses homologues. La virtuosité de Charlie Parker au saxophone le fascine. Il parvient progressivement à transposer cette vivacité mélodique au piano. Bud Powell devient un instrumentiste de talent que l’on remarque et que l’on acclame. La société américaine reste cependant très inégalitaire et l’aura d’un artiste noir ne le préserve pas des réflexes racistes et des exactions policières. Tandis que le public salue les prouesses du nouveau prodige sur scène, sa vie bascule après avoir été violemment frappé à la tête par un représentant zélé de la force publique. Lentement, son esprit va se perdre dans un dédale de troubles mentaux qui le conduiront trop souvent dans des établissements spécialisés.
Bien que les années 1950 soient une période discographique faste pour Bud Powell, ses ennuis de santé perturbent son quotidien. La ségrégation raciale ne contribue pas non plus à son bien-être et sa vigueur décline. C’est à Paris que l’espoir renaît. Francis Paudras, jeune publicitaire français et pianiste à ses heures perdues, écoute depuis des lustres les disques de Bud Powell. Lorsqu’il croise la route de son héros, l’admiration se transforme en une complicité mutuelle. Prenant conscience des déboires de son camarade américain, Francis Paudras l’hébergera chez lui pendant de longs mois. La confiance reviendra, l’envie de jouer ressuscitera. Bud Powell retrouvera une forme de sérénité artistique et un fragile équilibre psychique. Il décidera alors de retourner vivre à New York en 1965. Il décédera un an plus tard, le 31 juillet 1966 à 41 ans.
Francis Paudras lui consacrera un ouvrage intitulé « La danse des infidèles » paru en 1986.
► Le site web consacré à Bud Powell
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En juin 2010, le virtuose de la kora, Toumani Diabaté, évoquait sur nos ondes ses collaborations avec le maître de Niafunke, le regretté Ali Farka Touré. À l’époque, l’album Ali & Toumani venait de paraître et immortalisait la dernière rencontre discographique de deux icônes de « L’épopée des Musiques Noires ». Toumani Diabaté nous a quittés le 19 juillet 2024 à 58 ans. Réécoutons-le se raconter avec sensibilité et modestie.
Très jeune, Toumani Diabaté avait épousé les délicates sonorités de la kora, instrument intimement lié aux cultures ouest-africaines. Comme ses aînés, il fut un conteur dont la mission était de transmettre un savoir légué par l’oralité ancestrale des griots mandingues. La musique était, pour lui, un langage universel qui lui permettait de porter une parole de paix et de tolérance. Cette forme d’expression spécifique accompagnait son discours d’homme sage. Toumani Diabaté a, tout au long de sa vie, multiplié les rencontres comme pour inciter ses contemporains à partager leurs connaissances pour le bien commun.
On le vit aux côtés du bluesman Taj Mahal. On le vit en compagnie du tromboniste de jazz Roswell Rudd. On le vit échanger avec le banjoïste Béla Fleck. On le vit se mesurer au London Symphony Orchestra. On le vit répondre aux sollicitations de la chanteuse islandaise Björk. On le vit s’amuser avec les rythmes latins du groupe Afrocubism. On le vit converser sur disque avec son fils Sidiki. Toumani Diabaté dessinait un univers multicolore sans frontières. Son ouverture d’esprit lui a ouvert les portes de la renommée même si les lauriers ne l’impressionnaient guère. Il préférait se livrer sur scène ou en studio et susciter l’écoute. Il y parvint sans effort.
Lorsqu’il nous rendait visite à RFI, sa voix sereine et posée narrait toujours avec grâce les histoires du quotidien. L’album Ali & Toumani, commercialisé après la disparition du grand Ali Farka Touré, devint l’écho d’une camaraderie sincère dont Toumani Diabaté se plaisait à révéler les secrets à notre micro. Entendre aujourd’hui les mots respectueux de Toumani pour Ali est, certes, émouvant mais, au-delà de notre frisson, ce document radiophonique fait entrer dans notre mémoire collective ces deux gardiens de la tradition.
► Toumani Diabaté sur le site de World Circuit.
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Il y a 40 ans, le guitariste, chanteur, chef d’orchestre et producteur américain, Prince Rogers Nelson, faisait paraître l’album qui allait le hisser au firmament de la gloire internationale. Purple Rain deviendra, en effet, le marqueur temporel d’une épopée vertigineuse que le journaliste Ersin Leibowitch narre avec allant dans son dernier ouvrage Prince Xperience – Dans la tête du génie (Hors Collection Editions).
Si le succès de Prince à cette période charnière de son existence ne souffre aucune contestation, l’envers du décor est plus sombre. C’est en substance ce que tente de révéler Ersin Leibowitch dans cet ouvrage vif qui s’intéresse aux circonvolutions artistiques et psychologiques d’un véritable génie dont les obsessions, les frasques, les tourments, l’insatisfaction permanente, la boulimie créative et l’arrogante incompréhension, le mèneront trop loin. Difficile de cerner un personnage aussi complexe et imprévisible. C’est l’exercice auquel se livre l’auteur de ce récit palpitant.
Quelle lecture doit-on avoir de son désir perpétuel d’indépendance face aux inévitables injonctions du marché discographique ? Avait-il raison de défier les lois du marketing ? S’égarait-il en voulant conserver le contrôle absolu de ses productions ? A-t-il finalement précipité son inéluctable isolement ? Le secret savamment entretenu de ses travaux lui a-t-il porté préjudice ou magnifié son image ? Prince était un homme pétri de contradictions. En quête perpétuelle de nouveautés, il lui arrivait de faire volte-face, quitte à déboussoler ses rares interlocuteurs, comptant sur la fidélité réelle de ses aficionados.
La frénésie de son quotidien lui a peut-être brûlé les ailes, mais comment ne pas saluer la qualité de ses réalisations et de ses prestations. Ses concerts, qu’ils fussent intimistes ou grandiloquents, ne suscitaient qu’admiration et acclamations. Ses apparitions surprises sur des scènes nocturnes ont fait sa légende. Le New Morning à Paris eut le privilège de l’accueillir trois fois lors de ces fameux marathons funk insensés. Prince était un indiscutable maestro dont l’indicible talent fascinait. Le choc de sa disparition, le 21 avril 2016 à 57 ans, fut d’autant plus sévère. Et pourtant, comme le raconte Ersin Leibowitch, les différentes pièces du macabre puzzle scellaient cette fin tragique aux barbituriques.
Son lègue patrimonial est gigantesque car, comme le regretté guitariste Frank Zappa, Prince conservait l’intégralité de tout ce qu’il enregistrait. Ses archives ne manqueront pas de surgir au fil des années et nourriront l’appétit glouton de l’industrie du disque pour le plus grand bonheur des fans éplorés.
Site internet de Prince.
À écouter aussi Un tube, une histoire: «Purple Rain» de Prince
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Le 25 septembre 1974, la ville de Kinshasa au Zaïre s’apprête à accueillir un combat de boxe historique. La rencontre devait opposer Mohamed Ali et George Foreman. Victime d’une blessure à l’arcade sourcilière, Foreman renonce temporairement à affronter son meilleur adversaire. Si la confrontation sportive est décalée d’un mois, le festival de musique est, lui, maintenu aux dates initiales. James Brown, Miriam Makeba, Tabu Ley Rochereau, B.B. King, entre autres, seront de la fête et raviront les spectateurs congolais. C’était il y a 50 ans !
L’intention de rapprocher les diasporas africaines transatlantiques est manifeste et Don King, promoteur américain de ce rendez-vous unitaire, y voit l’occasion de célébrer le peuple noir sous le haut patronage de l’omnipotent président Mobutu. Si l’enjeu politique de cet événement n’échappa pas aux plus fins observateurs, l’élan universel résista à l’érosion du temps. Durant trois jours, des artistes unis par leurs origines ancestrales africaines célébreront leur force expressive commune. À cette époque, la fronde des mouvements de contestation contre la ségrégation aux États-Unis peine à ébranler les certitudes d’un pouvoir blanc toujours très répressif. Les grands orateurs ont été réduits au silence. John Fitzgerald Kennedy, Malcolm X, Martin Luther King, Bobby Kennedy ne sont plus et les seuls porte-paroles, déclarés ou non, de la lutte antiraciste sont les artistes et les sportifs dont l’aura populaire provoque un sursaut citoyen.
Mohamed Ali est alors une icône dont les discours sont écoutés et dont les mots marquent les esprits : « Je pensais que le Congo était une immense jungle avec des animaux sauvages prêts à nous attaquer parce que c'est l'image qu'en donnent les États-Unis. Les américains ont peur de venir ici. Et finalement, j'ai découvert un peuple amical, un pays structuré avec des aéroports, des hôtels, de jolies maisons, des boîtes de nuits, c'est très accueillant. Pour vous dire la vérité, je pense que la jungle se trouve à New York. Vous avez des flics partout, armés jusqu'aux dents, on entend parler de meurtres tous les jours, de trafics de drogues, de viols de jeunes femmes, de vols à la tire... Encore récemment un type a fait irruption dans une banque et a tué 12 personnes, des accidents de train ont eu lieu, voilà ce qu'est l'Amérique aujourd'hui ! Ici, c'est si calme, les sauvages sont aux États-Unis. J'ai beaucoup voyagé et je peux témoigner de la différence entre plusieurs pays. J'arrive de Paris, et croyez-le ou non, ce sont des noirs qui pilotaient l'avion... Impensable aux États-Unis ! ». (Extrait du documentaire When We Were Kings réalisé par Léon Gast)
Mohamed Ali n’est pas le seul à revendiquer ses liens avec le continent africain. Le Roi du Blues, présent à Kinshasa en ce mois de septembre 1974, paraît lui aussi atterré par l’image désastreuse que la grande Amérique renvoie de l’homme noir à travers la planète et s’indigne des méfaits de l’esclavage sur ses contemporains : « Je nous vois comme de pauvres noirs qu'on aurait abandonnés dans le désert. On nous a séparés de notre culture ancestrale et largués au milieu de nulle part. Nous savons que nous avons une terre quelque part sur cette planète qui nous appartient. Nous ressentons les liens qui nous unissent à cette terre, mais nous ne savons pas où elle se trouve. Elle est en nous, mais nous devons trouver ceux qui pensent et vivent comme nous. Et aujourd'hui, nous sommes ici au Zaïre, nous sommes très bien accueillis, et même si nous ne comprenons pas la langue de ce pays, nous savons que des racines culturelles nous rapprochent au-delà du temps qui passe, au-delà des drames et des morts... » (Extrait du documentaire When We Were Kings réalisé par Léon Gast)
Cette réunion œcuménique de talents afro-confraternels ne règlera évidemment pas le problème des discriminations. Les exactions se poursuivront et les injustices subsisteront mais, durant quelques heures, une volonté sincère de faire entendre la voix de la raison et d’afficher la puissance sociale d’une communauté africaine soudée redonnera espoir aux combattants de la liberté. Un demi-siècle plus tard, ce vœu n’est peut-être pas exaucé, mais il inspire toujours les âmes sensibles et les hommes et femmes de bonne volonté.
Le Festival Jazz de Kinshasa accompagne d’ailleurs cette année cette profession de foi en choisissant de hisser le flambeau : « Jazz for Peace ».
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Parler de « la musique africaine » est un non-sens tant ce continent recèle de rythmes, mélodies, traditions et langages divers. Est-il pertinent de réunir sous une seule bannière des formes d’expression aussi différentes que le Makossa, l’Afrobeat, le Kwaito ou le Maloya ? Le dénominateur commun à tous ces vocabulaires sonores ne peut être que la dimension internationale de leur histoire. Que l’on perçoive ou non cette évidence, les musiques populaires actuelles ont toutes un enracinement africain. Pour autant, les fondre dans une appellation générique serait fort réducteur car chacune d’elles identifie un peuple, révèle une culture, détermine sa place dans L’épopée des musiques noires.
Tutu Puoane, Ablaye Cissoko ou Mokhtar Samba ont-ils des points communs ? Outre leurs origines africaines, ils ont tous une histoire propre qui les distingue les uns des autres. La chanteuse Tutu Puoane est une artiste sud-africaine qui défend ses racines avec vigueur en mettant en musique les mots de sa consœur poétesse Lebogang Mashile. Cette implication sincère revêt certainement un caractère revendicateur même si la principale intéressée préfère parler de célébration romantique de sa culture ancestrale. Tutu Puoane ne se considère pas militante. Elle se plaît seulement à exprimer ses états d’âme qui, parfois, rejoignent les préoccupations de ses contemporains. Sa participation au collectif « Black Lives – From Generation to Generation » en est une belle illustration. L’intention est louable puisqu’elle encourage la tolérance et l’unité des peuples du monde entier, sans discrimination, sans préjugés, sans idées préconçues.
Ablaye Cissoko fait également partie de ces esprits sages qui insufflent la concorde au-delà des frontières géographiques de son Sénégal natal. Virtuose de la kora, il promeut le partage et l’écoute en multipliant les projets multicolores. Avec son ami Simon Goubert, brillant batteur français, il a imaginé il y a 15 ans un orchestre dont les effluves musicaux transcendent les nationalités. « African Jazz Roots » fit paraître un premier album en 2012 et veille depuis à entretenir la flamme du consensus rythmique et mélodique. Une fois de plus, le continent africain, pétri de nombreuses sources sonores, nourrit l’universalisme de la musique.
Le batteur Mokhtar Samba ne peut que souscrire à cette définition incontestable. Ce maestro de la cadence africaine assumée est le fruit de plusieurs cultures. Ses racines marocaines et sénégalaises ont favorisé son ouverture d’esprit et accéléré sa compréhension de la « clave », ce rythme afro-planétaire que des milliers de musiciens ont dû appréhender pour développer leur personnalité artistique. Certains l’ont acquis avec effort, d’autres l’ont simplement ressenti et façonné à leur guise. Pour Mokhtar Samba, la maîtrise de cet art est innée. Elle s’inscrit dans son ADN culturel. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que son dernier album Safar soit un voyage international dont le tempo africain ponctue les différentes étapes.
À lire aussi sur RFI Musique Courants musicaux africains
Site internet Tutu Puoane Music
Site internet African Jazz Roots
Facebook Mokhtar Samba
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Délimiter l’espace caribéen est souvent périlleux car cette région du monde est une addition miraculeuse de cultures hybrides et de territoires ultramarins malmenés par l’histoire. Cette myriade de destinées populaires a donné naissance à une identité revendiquée. Pourtant, être Antillais, Jamaïcain, Trinidadien ou Cubain, ne peut se résumer à une simple affirmation unitaire. Les spécificités régionales, les idiomes locaux, les rythmes et harmonies, distinguent chaque créolité. Les musiciens en sont les garants.
Leyla McCalla est, certes, née aux États-Unis mais ses racines parentales la ramènent constamment à la source haïtienne de son expressivité. Chacun de ses albums distille cette émanation originelle qui inscrit son être tout entier dans une histoire patrimoniale façonnée par les soubresauts existentiels de ses ancêtres. Autrefois, à Port-au-Prince, la petite Leyla écoutait Radio Haïti chez sa grand-mère. Elle se souvient toujours aujourd’hui des voix et des musiques qui accompagnaient sa jeunesse auprès de ses aïeux. L’assassinat de Jean Dominique, directeur de cette antenne légendaire, le 3 avril 2000, suscitera tant d’émoi que Leyla McCalla imaginera un album partiellement composé d’archives sonores entendues sur cette station libre et indépendante. « Breaking the thermometer » sera l’écho de cette émotion vive qui ébranla les partisans de la liberté.
Haïti est une terre rebelle où défier le colonialisme est un combat ancestral. Le saxophoniste montréalais Jowee Omicil a fait paraître en 2023 un album destiné à panser les blessures. En remontant jusqu’au 14 août 1791, il convoque un passé redoutable quand les esclaves de Bois-Caïman, réunis lors d’une cérémonie vaudoue, envisagent déjà la fronde qui mènera à la révolution citoyenne de 1804 et à l’indépendance de ce pays meurtri. Toussaint Louverture, figure éminente de cet événement historique, n’est cependant pas le pilier de ce disque audacieux. L’intention artistique est davantage mue par un désir de guérison spirituelle que le free jazz peut nourrir. Ce jaillissement de notes multicolores est un cri libérateur que l’on doit accueillir avec candeur et compréhension.
Les territoires caribéens ont tous souffert du poids de l’oppression européenne. La Jamaïque, par exemple, fut très longtemps administrée par la couronne britannique. Les soulèvements populaires répétés furent souvent étouffés par la mainmise d’une violente tutelle. Lorsque le pianiste Monty Alexander voit le jour le 6 juin 1944 à Kingston, l’indépendance de la Jamaïque est encore loin d’être acquise. Les tensions politiques ne cessent de croître et poussent certaines familles à rejoindre les États-Unis. Le jeune Bernard Montgomery Alexander échappera donc à une jeunesse trop âpre en suivant ses parents à Miami et à New York. Pour autant, ses souvenirs d’enfant jamaïcain surgiront naturellement dans sa musicalité d’instrumentiste aguerri. À 80 ans, sa virtuosité de jazzman n’élude pas sa culture initiale. Comme nombre de ses contemporains caribéens, Monty Alexander a su conjuguer son goût pour le swing américain et son attachement au ska et au mento jamaïcains.
Questionner son identité n’est pas forcément un acte délibéré. Souvent, une parole ou une mélodie suffit à révéler l’essence d’une tradition. Georges Granville ne revendique pas ses liens avec la Martinique, il les laisse apparaître. Son jeu au piano dévoile sans ostentation une culture antillaise certaine mais il ne l’impose pas. Son album Perspectives nous laisse vagabonder dans son cheminement mélodieux. Les Beatles croisent Chick Corea, le Bèlè semble circonvoluer avec Keith Jarrett. Cette créolité crédule est peut-être le dénominateur commun à toutes les composantes de l’identité caribéenne.
Le site de Leyla McCalla
Le site de Jowee Omicil
Le site de Monty Alexander
Le site de Georges Granville
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La destinée du peuple afro-américain au fil des siècles a fait naître, souvent dans la douleur, des formes d’expression revendicatrices dont la vigueur a identifié ce que l’on a appelé la « Black Music ». Cette dénomination réunit des dizaines de genres musicaux qui continuent de se développer et de dessiner les contours de notre paysage sonore mondial. Le blues et le gospel sont les matrices de ces évolutions progressives vers une universalité artistique. Nos invités, auteurs, spécialistes, passionnés, relatent la genèse d’une culture séculaire.
Dater la naissance de la musique afro-américaine est assez périlleux car elle épouse la lente progression sociale de la communauté noire outre-Atlantique. Elle est le fruit amer d’une rencontre violente entre colons européens et esclaves africains. Elle est l’addition de rythmes et d’harmonies, de traditions séculaires et d’empreintes identitaires. La témérité des musiciens noirs sera déterminante pour affirmer leur place dans une société profondément inégalitaire. Le blues et le gospel symboliseront cette recherche perpétuelle d’équilibre entre le profane et le sacré, entre le corps et l’esprit, entre la réalité du quotidien et l’espoir d’un avenir meilleur. Les artistes ont souvent évoqué cette quête de sérénité et de justice.
La poésie des mots et la cinglante magie des notes ont façonné une histoire populaire qui transpire dans les œuvres de nombreux instrumentistes et interprètes. Lead Belly fut un pionnier dont le répertoire folk a résisté à l’érosion du temps. Son patrimoine musical est un lègue inestimable qui continue d’inspirer les créateurs actuels. Né à la fin du XIXè siècle, il connut les affres de l’homme noir confronté au racisme institutionnalisé. Il y puisera une force rebelle qui finira par séduire ses contemporains. Ce cheminement tortueux a guidé la plume d’Amaury Cornut, auteur d’un livre passionnant entièrement consacré à ce héros mésestimé de la composition narrative authentique.
Lorsque l’on cherche les vestiges d’une aventure humaine exceptionnelle, certaines traces indélébiles réapparaissent toujours et attestent d’un engagement sincère. Le guitariste et chanteur Son House a failli échapper au récit épique de la culture américaine. Disparu des radars pendant près de 20 ans, ce n’est qu’en 1963 que son nom rejaillit grâce à la curiosité de jeunes adeptes du blues ancestral. Son retour dans le feu des projecteurs réhabilitera son répertoire qui, aujourd’hui encore, fascine les virtuoses de notre temps. Olivier Renault a su restituer ce périple unique dans un ouvrage édifiant paru aux éditions « Le Mot et Le Reste ».
Batailler pour survivre fut tristement la norme aux États-Unis durant le XXè siècle. Certains choisiront les armes, d’autres les prières. Une fois encore, l’ambivalence entre le blues et le gospel rythmera l’activisme des citoyens noirs américains au fil des décennies. La guitariste et chanteuse Sister Rosetta Tharpe fut l’une des vaillantes voix de la contestation pieuse. Derrière ses prêches enflammés se cachait une battante qui n’hésitait pas à sortir du cadre spirituel pour asséner quelques vérités et vivre pleinement ses convictions. Sa vigueur instrumentale détona singulièrement à tel point qu’elle fut présentée comme l’instigatrice d’un genre musical révolutionnaire, le rock ‘n’roll. S’agit-il d’un raccourci de l’histoire ? Jean Buzelin, auteur et spécialiste de la culture afro-américaine, s’est posé la question dans une étude passionnante disponible aux éditions Ampelos.
Qui peut réellement décréter que le rock’n’roll vit le jour ici ou là ? Cette irruption stylistique des années 50 est le résultat d’une mutation progressive que Belkacem Meziane décrypte dans une énumération littéraire éclairée des différents courants constitutifs du rhythm’n’blues initial. Du Boogie-Woogie à la Soul-Music, le vocabulaire s’est enrichi et le tempo s’est affirmé. L’élan frondeur a subsisté et a nourri les soubresauts salvateurs de l’Amérique noire.
► Lead Belly, aux éditions Le Mot et le Reste
► Son House, aux éditions Le Mot et le Reste
► Sister Rosetta Tharpe, la femme qui inventa le rock'n'roll, par Jean Buzelin, aux éditions Ampelos
► Rhythm'n'Blues : Jump Blues, Doo-Wop & Soul Music - 100 Hits de 1942 à 1965, aux éditions Le Mot et le Reste.
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Depuis le milieu des années 80, le parc de la Villette à Paris accueille avec gourmandise les musiciens les plus audacieux, intrépides et frondeurs. « Jazz à la Villette » est l’héritier de cette périlleuse tradition qui entend bousculer les conventions et ouvrir l’esprit des spectateurs. Cette avide curiosité pour les expériences sonores continue de nourrir l’inspiration des programmateurs qui, cette année, au cœur des Jeux Paralympiques, proposeront une affiche palpitante. Discussion à bâtons rompus avec Anne Sanogo et Frank Piquard, instigateurs de cette édition 2024.
Si la diversité des cultures mondiales est le cœur battant du festival « Jazz à la Villette », le continent africain est le pilier de cet événement annuel incontournable à Paris. Qu’ils viennent des Caraïbes, des Amériques ou d’Europe, les musiciens qui se produisent lors de cette manifestation d’envergure portent tous un regard vers la source africaine de leur expressivité. Ainsi, du 29 août au 8 septembre 2024, Tinariwen, Anthony Joseph, Kenny Garrett ou Delgrès, entre autres, revitaliseront leurs racines ancestrales avec une jubilation communicative. L’effervescence populaire née des Jeux Olympiques va certainement accompagner les prestations de tous ces instrumentistes aguerris.
Pour l’occasion, « Jazz à la Villette » se démultiplie en sortant de son espace géographique habituel. Outre la Philharmonie et la Cité de la Musique, d’autres prestigieuses salles de spectacles ouvriront leurs portes aux spectateurs et virtuoses enjoués. Le New Morning, le Studio de l’Ermitage, la Dynamo de Pantin, scintilleront de mille feux. L’atelier du plateau et le périphérique-club vibreront également sur des rythmes multicolores. La tradition est respectée. La flamme de l’éclectisme ne vacillera pas. Cette promesse jazz, héritée de premiers concerts donnés il y a 40 ans à la Villette, a résisté à l’érosion du temps.
Les souvenirs ne manquent pas. Miles Davis, Dizzy Gillespie, John Mayall, Nile Rodgers, Gregory Porter, Archie Shepp, Femi Kuti, Salif Keita, Chucho Valdès, Oumou Sangaré, et tant d’autres, ont écrit l’histoire vivifiante du jazz et des musiques connexes à la Villette. Progressivement, ce lieu unique à Paris a su développer une offre culturelle imposante et toujours enthousiasmante. L’intention patrimoniale n’était pas nécessairement une exigence initiale mais elle s’est imposée d’elle-même au fil des années. Il est heureux que cet élan mémoriel parvienne malgré tout à restituer l’air du temps. Le festival « Jazz à la Villette » s’y emploie depuis des décennies et nous le prouvera, une fois de plus, à la fin de l’été.
► Le site de Jazz à la Villette.
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Créé en 2016 dans le but de célébrer les échanges interculturels de la diaspora africaine dans le monde, le « Paris New-York Heritage Festival » a progressivement évolué en développant des concepts interactifs sur plusieurs continents. En Afrique, en Europe, aux Amériques, ce rendez-vous annuel suscite des rencontres, des colloques, des ateliers, pour que les acteurs de la diversité se parlent et se comprennent. Cette année, les festivités accompagnent les Jeux olympiques grâce à divers événements musicaux du 27 juillet au 15 septembre 2024.
Benjamin Lévy, instigateur de cet événement international, évolue dans l’univers artistique depuis des décennies. Aux côtés des plus grandes figures du jazz, du blues, de la soul-music ou du gospel, il a soutenu des projets discographiques d’envergure, accompagné des prestations uniques, initié des programmes musicaux inédits. Son cheminement dans L’épopée des musiques noires lui a permis de croiser la route et de collaborer avec des personnalités aussi prestigieuses que James Brown, Archie Shepp, Roy Ayers, Billy Cobham, Herbie Hancock, Tony Allen, Alpha Blondy, etc. Il sait donc mettre en scène la pluralité éclectique de notre XXIè siècle.
Lorsque Benjamin Lévy inventa le Paris New-York Héritage Festival, l’intention était de créer un pont transatlantique entre les diasporas afro-européennes et afro-américaines. Très vite, ce choix éditorial montra ses limites. Par définition, l’universalité de la musique imposait de se tourner, aussi et surtout, vers la source originelle des métissages mondiaux, le continent africain, lui-même. Ainsi, plusieurs villes vinrent grossir l’affiche de ce festival global : Johannesburg, Vancouver, Montréal, Los Angeles, finirent par rejoindre Paris et New York dans cette célébration des patrimoines ancestraux. Subitement, les distances géographiques n’existaient plus, seule la ferveur des spectateurs rendait ce défi œcuménique palpable. Les hommages à Fela Anikulapo Kuti, au génial Prince, à Gil Scott Heron, par leurs amis et contemporains nourrissaient l’esprit collégial et unitaire de cette grand-messe afro-palpitante.
De Brian Jackson à Vieux Farka Touré, les plus grands représentants de la culture noire ont animé ce festival au fil des années. Aujourd’hui, l’enjeu d’une entente cordiale entre les peuples du monde entier est au centre de toutes les préoccupations alors que les velléités guerrières fragilisent les équilibres géopolitiques. L’art peut être une voie d’apaisement. Au cœur des Jeux olympiques, l’élan insufflé par le Paris New-York Heritage Festival n’est pas anodin. Entendre les mots de la conférencière et animatrice de radio sud-africaine, Nicky B, est une chance. Vibrer sur les notes caribéennes de David Walters est salutaire. Taper du pied en applaudissant le rythme funk du groupe canadien, The Brooks, réconforte. Tous ces moments sont la promesse d’une édition 2024 inscrite dans l’idéal olympique. Rendez-vous dans la fan-zone de la Mairie du XVè arrondissement de Paris et au Parc André Citroën jusqu’au 15 septembre 2024 pour goûter aux valeurs fédératrices de la musique et du sport.
Programmation du festivalParis New-York Héritage Festival
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