Episodes
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Vinciane Pirenne-Delforge
Collège de France
Religion, histoire et société dans le monde grec antique
Année 2022-2023
11 - Déméter Thesmophoros : La Thesmophoros, entre global et local
Le titre choisi pour cette dernière leçon fait écho aux raisons pour lesquelles l'étude des représentations et des pratiques autour de Déméter Thesmophoros a été privilégiée cette année : la première raison est la spécificité du titre cultuel pour la déesse, ce qui est une pierre de touche intéressante pour saisir un profil divin ; la deuxième raison est la présence de cette dénomination dans l'ensemble du monde grec. La spécificité de l'attribut onomastique et l'extension du culte sous ce nom devaient permettre de cerner le profil de la déesse dans l'ensemble polythéiste auquel elle appartenait. Il s'agissait également de saisir l'articulation entre niveau partagé des représentations et des pratiques, et déclinaisons locales, quand celles-ci affleuraient assez clairement de notre documentation. Une telle tension entre le général et le particulier se retrouve sur plusieurs plans, dont trois sont ici abordés. Premièrement, on analyse l'identité du dieu qui vient se greffer aux deux déesses thesmophores et dont le nom varie d'un endroit à l'autre, entre Zeus Bouleus, Zeus Eubouleus, Ploutôn, Klymenos, voire Zeus Chthonios si l'on intègre au dossier la prière de l'agriculteur d'Hésiode à la veille des semailles. Si toutes ces figures pointent vers l'époux de Perséphone, le choix du nom de Zeus et l'appariement ponctuel à la seule Déméter invitent à nuancer le caractère strictement infernal de la figure masculine du trio. Deuxièmement, c'est la récurrence d'un « paysage thesmophorique » qui retient l'attention. Depuis la Sicile jusqu'à l'Asie mineure, en passant par Cyrène en Afrique du Nord, nombre de sanctuaires voués à Déméter et à sa fille présentent une structure en terrasses, plus ou moins marquées, sur les pentes d'une éminence rocheuse, voire d'une acropole en bonne et due forme, à une distance plus ou moins importante du cœur de la ville. Troisièmement, et en forme de perspectives conclusives, c'est le profil spécifique de Déméter Thesmophoros qui est déployé, en repartant des éléments saillants qu'a mis au jour l'analyse de l'Hymne homérique à la déesse : l'omniprésence de l'élément féminin ; l'indissoluble relation entre la croissance des céréales et la trophie des enfants ; la compétence de Déméter sur tous les aspects de la chthōn, la terre des céréales et celle des morts, par l'intermédiaire de sa fille.
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10 - Déméter Thesmophoros : Sacrifier au Thesmophorion
Après une mise au point sur les différents sacrifices prévus au Thesmophorion de Délos, c'est la prédilection manifeste de Déméter pour les porcins qui est analysée, notamment mais pas seulement, quand elle est Thesmophoros. Que ce soit dans les données littéraires, épigraphiques, zooarchéologiques ou coroplastiques, l'association avec cette espèce animale, si elle n'est pas exclusive, est massivement représentée. En outre, si Déméter et sa fille ne sont pas, loin s'en faut, les seules divinités à recevoir ce type d'animal en offrande, leurs rituels et sanctuaires sont assurément en première ligne pour les sacrifices de ce type, à toutes les étapes du développement de l'espèce et, pour les femelles vouées à Déméter, quand elles sont pleines également. Lors des Thesmophories, des sacrifices de type thusia, suivis d'un banquet festif, impliquaient l'immolation de porcins. L'un ou l'autre holocauste pouvait également être accompli. Quant à la précipitation de porcelets dans les cavités appelées megara, en l'état actuel de notre documentation, il est particulièrement délicat de généraliser la pratique décrite par le texte de la scholie à Lucien et d'en saisir le détail (les porcelets étaient-ils toujours vivants ?) Les variations locales sont rarement apparentes, même si l'on sait, par exemple, que le deuxième jour des Thesmophories athéniennes s'appelait Nesteia (« le jeûne »), tandis que le jour correspondant à Thasos s'appelait Prostropè (« la supplication »). Les distinctions étaient sans doute plus importantes que ne le laissent paraître les fragments d'information dont nous disposons. Toutefois, partout où elle était honorée, la déesse Thesmophoros détenait quelques clés essentielles du devenir de la polis : l'obtention de la nourriture céréalière pour la communauté et la fécondité de ses citoyennes, deux éléments indispensables à sa continuité.
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Déméter Thesmophoros
Une scholie aux Dialogues des courtisanes du satiriste Lucien de Samosate décrit avec un degré de détail inusité des manipulations rituelles accomplies pendant les Thesmophories. Cette glose byzantine est probablement fondée sur un texte d'érudit de la période hellénistique, qui a également inspiré, dans le Protreptique, Clément d'Alexandrie et ses diatribes contre les mystères païens. Elle décrit la précipitation de porcelet dans des cavités appelées megara, avec des branches de pin et des symboles sexuels en pâte à pain, que des « puiseuses » remontent quand le tout s'est décomposé. Ce compost est ensuite sacralisé sur des autels et mélangé aux semences de l'année pour l'obtention de bonnes récoltes. Toute l'opération est vue comme « symbole de la naissance des fruits de la terre et de celle des humains, en action de grâce pour Déméter ». L'analyse de cette réflexion érudite atteste l'origine probablement athénienne de la description et pose le problème du dévoilement du secret féminin normalement indicible.
Dans un autre registre documentaire, c'est aussi la question de l'entre-soi féminin du rituel qui est exploitée par la comédie d'Aristophane intitulée Femmes aux Thesmophories. Les indices proprement rituels qui traversent la pièce font surgir l'usage de torches allumées, la mise en place d'abris provisoires pour accueillir les femmes par petits groupes, l'offrande sacrificielle de gâteaux et de pains, des prières dont les destinataires divins dessinent la portée de la fête, le dévoilement de rites secrets successifs, jusqu'à l'épiphanie attendue des deux déesses Thesmophores. Quant aux participantes responsables de la fête, d'autres volets de la documentation attique – décret d'un dème et discours d'orateurs – atteste qu'au IVe siècle avant notre ère deux femmes par dème étaient responsables de la célébration au titre d'archousai, avec la prêtresse, et que les maris nantis étaient supposés, à cette occasion, régaler les participantes au nom de leur femme légitime. Des bonnes récoltes aux beaux enfants, en passant par l'affirmation du statut des épouses de citoyens, on voit se dessiner autant d'éléments constitutifs des Thesmophories athéniennes.
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Déméter Thesmophoros
Les erga de Déméter
Au fil des cours précédents s'est affirmée toujours davantage la relation entre l'action de Déméter parmi les humains et la croissance des céréales. En conséquence, il est de bonne méthode de poser, au moins à titre d'hypothèse préliminaire, que les fêtes célébrées en son honneur ont un lien avec cette action spécifique de la déesse dans le monde, même si la compréhension des rituels qui scandent le cycle agraire ne peut que s'enrichir de l'intégration d'autres dimensions, qu'elles soient anthropologiques, sociologiques, politiques.
Les karpoi de Déméter sont avant tout les fruits « secs » de la production agricole, à savoir les céréales et les légumineuses. Entre la culture des semis et celle des plantations qui caractérisent l'agriculture grecque, c'est la première que Déméter prend en charge, quand Dionysos est davantage concerné par la seconde. L'« usage des champs » dont témoignent Les Travaux et les Jours d'Hésiode est centré sur les erga de Déméter à accomplir au fil des saisons. Mais à ce cycle des travaux – qui est de la responsabilité des hommes sous l'égide de Déméter – s'ajoute le cycle végétatif lui-même – dont les dieux ont la maîtrise. L'ambivalence de l'expression Δημήτερος ἔργα réside dans la double portée du génitif : il s'agit à la fois des travaux agricoles, mais aussi des actions de la déesse elle-même sur la vie végétale. C'est dès lors le cercle vertueux de l'échange entre hommes et dieux que dessinent les fêtes liées à la terre des semences. Sont ici analysées les données issues de documents attiques, brièvement comparées au calendrier des fêtes agraires de l'île de Mykonos.
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Vinciane Pirenne-Delforge
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Année 2022-2023
Déméter Thesmophoros
Que signifie Thesmophoros ?
Les composés en –phoros sont nombreux dans la langue grecque et renvoient au fait de « porter » ou d'« apporter » quelque chose. Dans le cadre des cultes, des titres sacerdotaux ou de desservants sur ce thème sont légion : porteurs de rameaux, porteurs de paniers, etc. Les dieux ne sont pas en reste : Apollon est Daphnēphoros en Eubée, Dionysos est Thyllophoros à Cos, Athéna est Nikēphoros à Pergame, et Déméter est Thesmophoros partout dans le monde grec.
À partir de la période classique, le mot thesmos est surtout compris en tant qu'« institution », « règle », « loi ». Et c'est en ce sens que Callimaque, au IIIe siècle avant notre ère, définit l'épiclèse divine de Déméter dans l'hymne qu'il lui consacre : elle aurait apporté aux hommes les principes de la culture des céréales. Cette vision civilisatrice de la déesse remonte au moins au Ve siècle, dans la vision athénocentrée de son action, par l'enseignement de l'agriculture et des mystères aux mortels. Les interprètes modernes se sont divisés sur le sens à donner à l'épiclèse de Déméter, les uns adoptant la vision antique de « pourvoyeuse de lois », les autres considérant que les thesmoi étaient les restes putréfiés de porcelets que, lors de la fête, des « puiseuses » remontaient des fosses où ils avaient été précipités. Mais ce sont les desservantes du culte dont cette interprétation fait des thesmophoroi, et non la déesse elle-même.
Pour tenter d'éclaircir ce point discuté depuis plus d'un siècle, ce sont les usages les plus anciens du terme thesmos qui sont envisagés. La portée concrète du mot transparaît dans les (rares) usages dont témoigne la poésie archaïque, mais il ne s'agit pas de « ce qui est déposé ». Le terme semble bien désigner un artéfact soigneusement assemblé et conservant quelque chose de précieux. Il est dès lors probable qu'aux périodes les plus anciennes, la Thesmophoros n'est ni « celle qui apporte les lois », ni « celle qui apporte "ce qui est déposé" », mais bien celle qui a confié aux femmes le contenant sécurisé abritant ses orgia.
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Déméter Thesmophoros
Déméter Thesmophoros (5)
L'Hymne « homérique » à Déméter a été conservé au sein d'un recueil de trente-trois pièces hymniques en l'honneur de toute une série de divinités, que leur forme hexamétrique a associées au nom d'Homère. Tant la date que la longueur respective de ces poèmes sont variables. Le plus long des deux hymnes à Déméter, daté à l'entour de 600 avant notre ère, se situe dans la même veine que les hymnes à Apollon, à Hermès et à Aphrodite, qui comptent eux aussi une pars epica étendue, entre l'évocation préliminaire et la prière finale. Il s'agit à chaque fois d'inscrire l'hommage à la divinité chantée sur l'arrière-plan de la stabilisation du cosmos par Zeus et de la définition ou la redéfinition des honneurs divins qui l'accompagne. Dans le poème pour Déméter, l'enlèvement de sa fille par Hadès, avec la complicité de Zeus, et la crise cosmique qui en résulte sont au centre de l'intrigue. Une fois rappelées les étapes du récit, deux points sont analysés : la détermination des honneurs alloués respectivement à Hadès et à Perséphone par le biais de leur statut de couple souverain des enfers, et la redéfinition des honneurs de Déméter qui s'était mise en grève de ses prérogatives céréalières et menaçait tant la survie de l'humanité que la divinité des dieux privés de leurs offrandes. La colère de Déméter et ses effets sur le cosmos organisé par Zeus est comparée à la colère d'Héra à l'égard de son époux telle que l'évoque une digression de l'Hymne homérique à Apollon sur l'engendrement de Typhon par la déesse.
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Vinciane Pirenne-Delforge
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Déméter Thesmophoros
Déméter Thesmophoros (4)
L'Hymne « homérique » à Déméter a été conservé au sein d'un recueil de trente-trois pièces hymniques en l'honneur de toute une série de divinités, que leur forme hexamétrique a associées au nom d'Homère. Tant la date que la longueur respective de ces poèmes sont variables. Le plus long des deux hymnes à Déméter, daté à l'entour de 600 avant notre ère, se situe dans la même veine que les hymnes à Apollon, à Hermès et à Aphrodite, qui comptent eux aussi une pars epica étendue, entre l'évocation préliminaire et la prière finale. Il s'agit à chaque fois d'inscrire l'hommage à la divinité chantée sur l'arrière-plan de la stabilisation du cosmos par Zeus et de la définition ou la redéfinition des honneurs divins qui l'accompagne. Dans le poème pour Déméter, l'enlèvement de sa fille par Hadès, avec la complicité de Zeus, et la crise cosmique qui en résulte sont au centre de l'intrigue. Une fois rappelées les étapes du récit, deux points sont analysés : la détermination des honneurs alloués respectivement à Hadès et à Perséphone par le biais de leur statut de couple souverain des enfers, et la redéfinition des honneurs de Déméter qui s'était mise en grève de ses prérogatives céréalières et menaçait tant la survie de l'humanité que la divinité des dieux privés de leurs offrandes. La colère de Déméter et ses effets sur le cosmos organisé par Zeus est comparée à la colère d'Héra à l'égard de son époux telle que l'évoque une digression de l'Hymne homérique à Apollon sur l'engendrement de Typhon par la déesse.
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Déméter Thesmophoros
Chanter Déméter : l'Hymne homérique (1)
L'Hymne « homérique » à Déméter a été conservé au sein d'un recueil de trente-trois pièces hymniques en l'honneur de toute une série de divinités, que leur forme hexamétrique a associées au nom d'Homère. Tant la date que la longueur respective de ces poèmes sont variables. Le plus long des deux hymnes à Déméter, daté à l'entour de 600 avant notre ère, se situe dans la même veine que les hymnes à Apollon, à Hermès et à Aphrodite, qui comptent eux aussi une pars epica étendue, entre l'évocation préliminaire et la prière finale. Il s'agit à chaque fois d'inscrire l'hommage à la divinité chantée sur l'arrière-plan de la stabilisation du cosmos par Zeus et de la définition ou la redéfinition des honneurs divins qui l'accompagne. Dans le poème pour Déméter, l'enlèvement de sa fille par Hadès, avec la complicité de Zeus, et la crise cosmique qui en résulte sont au centre de l'intrigue. Une fois rappelées les étapes du récit, deux points sont analysés : la détermination des honneurs alloués respectivement à Hadès et à Perséphone par le biais de leur statut de couple souverain des enfers, et la redéfinition des honneurs de Déméter qui s'était mise en grève de ses prérogatives céréalières et menaçait tant la survie de l'humanité que la divinité des dieux privés de leurs offrandes. La colère de Déméter et ses effets sur le cosmos organisé par Zeus est comparée à la colère d'Héra à l'égard de son époux telle que l'évoque une digression de l'Hymne homérique à Apollon sur l'engendrement de Typhon par la déesse.
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Année 2022-2023
Déméter Thesmophoros
Généalogies hésiodiques
Dans la Théogonie d'Hésiode, Déméter est une déesse de la génération de Zeus : elle est fille de Rhéa et de Kronos, petite-fille de Gaia et d'Ouranos. Selon le principe des énoncés généalogiques qui veut que les enfants divins spécialisent les fonctions de leurs parents, les six enfants du couple formé par Kronos et Rhéa vont en quelque sorte « réaliser » certaines des potentialités de leurs géniteurs. Après l'analyse des implications de ce principe pour Zeus, Poséidon et Hadès, Hestia et Héra, le cas de Déméter est interrogé par le biais des enfants que lui attribue la Théogonie, à savoir Perséphone, née de Zeus, enlevée à sa mère pour être donnée à Hadès, roi des morts, et Ploutos, né de l'union de la déesse avec le héros Iasion dans un champ au repos, trois fois labouré. Le sort de Perséphone, qui devient reine du monde souterrain, fait de Déméter un vecteur de souveraineté : elle est, avec Zeus, une courroie de transmission généalogique des compétences de ses parents qui règnent sur le cosmos. Quant à Ploutos, il est le fruit de la première union du catalogue qui referme la Théogonie, quand les Muses sont invitées à chanter « les déesses, les immortelles, entrées au lit d'hommes mortels, qui leur ont engendré des enfants pareils aux dieux » (v. 965-968). Cependant, le statut de Ploutos est singulier au sein d'une liste qui produit des héros épiques comme Achille, Énée, Géryon, Memnon, ou des héroïnes comme Inô et Sémélè. Il est à rapprocher de la figure de Phaéthon, né de l'union de la déesse Éos et du mortel Képhalos, puis enlevé par Aphrodite pour en faire un daimōn divin dans ses temples. Ploutos est un être « daïmonique » de ce type. Là où Phaéthon manifeste la puissance divine d'Aphrodite, Ploutos est la manifestation spécifique de celle de Déméter.
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Vinciane Pirenne-Delforge
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Année 2022-2023
Déméter Thesmophoros
Son nom est Déméter
Après un rappel des principes méthodologiques de l'étude des dieux grecs, entre traditions et narratives et pratiques cultuelles, le nom de la déesse Déméter est interrogé. En effet, le mot mētēr, « mère », entre dans la composition du théonyme, tandis que le préfixe dē reste à ce jour inexpliqué. Le nom de Déméter se situe dès lors à mi-chemin entre la transparence des théonymes immédiatement signifiants pour une oreille grecque, comme Dikè, « Justice », ou Peitho, « Persuasion », et l'opacité d'autres noms divins, parmi lesquels ceux des Olympiens comme Aphrodite, Héra, Hermès ou Artémis. Si son nom fait de Déméter une mère, l'opacité du préfixe empêche de savoir à quel type de mère le théonyme faisait référence. Les Anciens se posaient déjà la question, et nombre de spéculations plus ou moins érudites, associaient dē à gē, et donc à la terre. Mais la figure globalisante – et souvent considérée comme « originelle » – d'une « Terre-mère » ou d'une « Déesse-mère », susceptible de ressortir de ces réflexions anciennes, reste vague. Un tel constat n'aide guère à comprendre les relations qui se nouent au sein du monde des dieux à la période historique, car d'autres déesses sont des « mères » ou sont rapprochées de la terre. Il convient dès lors d'affiner les outils d'analyse. Pour ce faire, une première approche de la figure de Déméter en explore les manifestations dans l'épopée homérique. Dans les interstices des intrigues de l'Iliade et de l'Odyssée dont, pas plus que Dionysos, elle n'est une protagoniste notable, Déméter affleure comme déesse de la terre cultivée, la terre des labours. On constate l'étroite relation qui s'opère entre l'action de la déesse, le travail accompli par les hommes au fil des saisons et l'alimentation spécifique qu'ils en obtiennent, à savoir le grain qui fait d'eux des mangeurs de pain.
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Vinciane Pirenne-Delforge
Collège de France
Religion, histoire et société dans le monde grec antique
Année 2021-2022
Norme religieuse et questions d'autorité dans le monde grec (2)
Depuis la publication des Leges graecorum sacrae de H. von Prott et L. Ziehen à l'entame du XXe siècle, les textes épigraphiques prescriptifs portant sur les affaires des dieux ont été qualifiés de « lois sacrées ». En ce début du XXIe siècle, une telle catégorie documentaire a été largement questionnée, remise en cause, et le projet de Collection of Greek Ritual Norms a proposé de lui substituer la notion moins problématique de « normes rituelles ». Mais de quels types de normes s'agit-il, en regard de ce que l'on a perçu jusqu'ici de la norme religieuse en pays grec ? Une inscription concernant la pureté du sanctuaire d'Alektrona à Ialysos sur l'île de Rhodes est convoquée pour affronter ce questionnement (CGRN 90). En effet, elle constitue un bel exemple de hiérarchie des normes en matière cultuelle et la difficulté de déterminer avec certitude ce que recouvre le terme nomos dans ses différentes occurrences. S'agit-il de la législation officielle de la cité, consignée par écrit ? S'agit-il de normes coutumières conservées oralement ? La référence aux patria, les « coutumes ancestrales » du groupe concerné atteste l'inscription – réelle ou fantasmée – de ces prescriptions dans la longueur du temps. Mais ce patrimoine n'était pas incompatible avec la nouveauté, qui était construite sur cet arrière-plan et en fonction de lui. Enfin, la notion de hieros nomos, qui semble valider le label de « loi sacrée », est examinée en quelques-unes de ses occurrences, qui s'avèrent tout aussi plurielles et tout aussi peu rigides que le système global dans lequel elles s'inscrivent.
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Année 2021-2022
Norme religieuse et questions d'autorité dans le monde grec (2)
Depuis la publication des Leges graecorum sacrae de H. von Prott et L. Ziehen à l'entame du XXe siècle, les textes épigraphiques prescriptifs portant sur les affaires des dieux ont été qualifiés de « lois sacrées ». En ce début du XXIe siècle, une telle catégorie documentaire a été largement questionnée, remise en cause, et le projet de Collection of Greek Ritual Norms a proposé de lui substituer la notion moins problématique de « normes rituelles ». Mais de quels types de normes s'agit-il, en regard de ce que l'on a perçu jusqu'ici de la norme religieuse en pays grec ? Une inscription concernant la pureté du sanctuaire d'Alektrona à Ialysos sur l'île de Rhodes est convoquée pour affronter ce questionnement (CGRN 90). En effet, elle constitue un bel exemple de hiérarchie des normes en matière cultuelle et la difficulté de déterminer avec certitude ce que recouvre le terme nomos dans ses différentes occurrences. S'agit-il de la législation officielle de la cité, consignée par écrit ? S'agit-il de normes coutumières conservées oralement ? La référence aux patria, les « coutumes ancestrales » du groupe concerné atteste l'inscription – réelle ou fantasmée – de ces prescriptions dans la longueur du temps. Mais ce patrimoine n'était pas incompatible avec la nouveauté, qui était construite sur cet arrière-plan et en fonction de lui. Enfin, la notion de hieros nomos, qui semble valider le label de « loi sacrée », est examinée en quelques-unes de ses occurrences, qui s'avèrent tout aussi plurielles et tout aussi peu rigides que le système global dans lequel elles s'inscrivent.
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Religion, histoire et société dans le monde grec antique
Année 2021-2022
Norme religieuse et questions d'autorité dans le monde grec (2)
La formule hiera kai hosia est surtout attestée dans la documentation officielle athénienne et participe aussi de la définition de la citoyenneté : être citoyen, c'est notamment « avoir part aux hiera et aux hosia ». Une telle formule a pu être interprétée comme l'expression de la dichotomie « sacré/profane ». Et, de fait, des documents crétois offrent l'exemple d'une conjonction comparable en plaçant en regard les « choses divines » (theia) et les « choses humaines » (anthrōpina). Toutefois, l'analyse du champ sémantique de l'hosion menée lors du cours précédent laisse entendre que cette famille de mots n'a pas grand-chose à voir avec ce que nous qualifions de profane. En outre, rabattre les « choses humaines » sur ce qui serait « profane » est assurément réducteur. Dès lors, en s'appuyant sur les usages de l'adjectif hosios par l'historien Thucydide, la présente leçon circonscrit d'une manière plus précise encore la dimension régulatrice des comportements ainsi qualifiés, leur insertion dans un cadre normatif conçu comme divin et, en conséquence, leur étroite relation à la notion de piété. Ce que désigne la formule hiera kai hosia recouvre au sein de la collectivité une dimension que nous divisons, nous modernes, en conscience sociale, morale, religieuse, voire politique, mais qui, dans les cités grecques, est un tout indissociable ou, à tout le moins, fait l'objet d'intersections rendant invalide toute dichotomie stricte de type « sacré/profane ».
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Vinciane Pirenne-Delforge
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Religion, histoire et société dans le monde grec antique
Année 2021-2022
Norme religieuse et questions d'autorité dans le monde grec (2)
Dans le registre de la piété en tant que norme, la famille de hosiē, hosios, hosiotēs occupe une place importante. Les diverses occurrences du substantif hosiē dans l'Odyssée et les Hymnes homériquessont intimement liées aux honneurs que les hommes doivent rendre au monde supra-humain. Le terme désigne également les attitudes adéquates à l'égard d'autres humains, sous le regard des dieux qui sanctionnent ces gestes et ces paroles. L'expression négative ouk hosiē est de ce point de vue très proche de l'expression ou themis dans sa portée régulatrice. Mais si themis est un vaste filet régulateur qui englobe l'ordre du monde dont Zeus est le garant, la portée de l'hosiē se limite aux normes de comportement qui forment les obligations des hommes à l'égard des dieux. Après la fin de la période archaïque, le substantif n'est plus guère en usage, mais l'adjectif hosios prend le relais pour désigner ce type de norme, au même moment où le substantif eusebeia et les mots de sa famille se développent eux aussi. Le Socrate de Platon, dans l'Euthyphron, usera de l'une et l'autre famille de mots de façon interchangeable et précisera en outre que l'hosion est une partie du dikaion, et donc inséparable de la justice. En conséquence, l'eusebeia est la piété vue sous l'angle du respect scrupuleux suscité par les dieux, tandis que l'hosion est la piété vue sous l'angle de la norme que ces derniers produisent. Ces deux regards sur la piété les incluent l'une et l'autre dans le registre de ce qui est juste.
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Vinciane Pirenne-Delforge
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Année 2021-2022
Norme religieuse et questions d'autorité dans le monde grec (2)
La présente leçon continue de repérer les attestations de nomos en tant qu'ordonnancement voulu par les dieux. Chez Héraclite d'Éphèse, on trouve (fr. 144 D-K6) une intéressante comparaison entre le socle commun des logoi qu'est le logos (cf. fr. 2 D-K6) et le socle commun des nomoi humains qu'est le nomos divin, dont il est dit qu'« il domine autant qu'il veut, [qu']il les protège tous et l'emporte (sur eux) ». Le caractère fragmentaire et l'obscurité de l'œuvre de l'Éphésien rendent difficiles l'analyse et la compréhension fine de ces assertions. En outre, Héraclite se démarque clairement de ses devanciers et de leurs manières de décrire le monde, au premier rang desquels Homère et Hésiode. Toutefois, il continue de s'exprimer dans une langue traditionnelle, et ce travail sur la tradition laisse (comme dans le cas de Solon) percevoir des représentations partagées, fussent-elles repensées et recomposées dans un projet spécifique. En l'occurrence, l'articulation entre norme divine et normes humaines résonne avec ce que laissent apparaître les auteurs antérieurs.
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Vinciane Pirenne-Delforge
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Norme religieuse et questions d'autorité dans le monde grec (2)
La présente leçon continue de repérer les attestations de nomos en tant qu'ordonnancement voulu par les dieux. Chez Héraclite d'Éphèse, on trouve (fr. 144 D-K6) une intéressante comparaison entre le socle commun des logoi qu'est le logos (cf. fr. 2 D-K6) et le socle commun des nomoi humains qu'est le nomos divin, dont il est dit qu'« il domine autant qu'il veut, [qu']il les protège tous et l'emporte (sur eux) ». Le caractère fragmentaire et l'obscurité de l'œuvre de l'Éphésien rendent difficiles l'analyse et la compréhension fine de ces assertions. En outre, Héraclite se démarque clairement de ses devanciers et de leurs manières de décrire le monde, au premier rang desquels Homère et Hésiode. Toutefois, il continue de s'exprimer dans une langue traditionnelle, et ce travail sur la tradition laisse (comme dans le cas de Solon) percevoir des représentations partagées, fussent-elles repensées et recomposées dans un projet spécifique. En l'occurrence, l'articulation entre norme divine et normes humaines résonne avec ce que laissent apparaître les auteurs antérieurs.
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Norme religieuse et questions d'autorité dans le monde grec (2)
La présente leçon continue de repérer les attestations de nomos en tant qu'ordonnancement voulu par les dieux. Chez Héraclite d'Éphèse, on trouve (fr. 144 D-K6) une intéressante comparaison entre le socle commun des logoi qu'est le logos (cf. fr. 2 D-K6) et le socle commun des nomoi humains qu'est le nomos divin, dont il est dit qu'« il domine autant qu'il veut, [qu']il les protège tous et l'emporte (sur eux) ». Le caractère fragmentaire et l'obscurité de l'œuvre de l'Éphésien rendent difficiles l'analyse et la compréhension fine de ces assertions. En outre, Héraclite se démarque clairement de ses devanciers et de leurs manières de décrire le monde, au premier rang desquels Homère et Hésiode. Toutefois, il continue de s'exprimer dans une langue traditionnelle, et ce travail sur la tradition laisse (comme dans le cas de Solon) percevoir des représentations partagées, fussent-elles repensées et recomposées dans un projet spécifique. En l'occurrence, l'articulation entre norme divine et normes humaines résonne avec ce que laissent apparaître les auteurs antérieurs.
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Année 2021-2022
Norme religieuse et questions d'autorité dans le monde grec (2)
Engagée dans le cadre des enseignements de l'année 2020-2021, la réflexion sur la norme grecque et l'autorité en matière religieuse se poursuivra en cette année 2021-2022, toujours dans la lignée d'une étude du lexique attentive aux nuances et à l'évolution de l'emploi des mots, de la période archaïque à la période classique (eunomia, nomos, isonomia, hosiē et eusebeia). L'arrière-plan de cette investigation lexicale est une interrogation sur la place des dieux dans la structuration des normes au sein des poleis, avant que ne s'impose le « règne de la loi » tel qu'en témoigne un penseur comme Aristote.
C'est enfin par le biais des prescriptions épigraphiques en matière rituelle aux périodes classique et hellénistique que l'on tentera de mieux comprendre la portée de « la norme » ou « des normes » dans la pratique de ceux et celles qui honoraient les divinités dans leurs multiples sanctuaires, ainsi que les interventions des différentes autorités susceptibles d'en assurer l'application.
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Vinciane Pirenne-Delforge
Collège de France
Religion, histoire et société dans le monde grec antique
Année 2021-2022
Norme religieuse et questions d'autorité dans le monde grec (2)
Engagée dans le cadre des enseignements de l'année 2020-2021, la réflexion sur la norme grecque et l'autorité en matière religieuse se poursuivra en cette année 2021-2022, toujours dans la lignée d'une étude du lexique attentive aux nuances et à l'évolution de l'emploi des mots, de la période archaïque à la période classique (eunomia, nomos, isonomia, hosiē et eusebeia). L'arrière-plan de cette investigation lexicale est une interrogation sur la place des dieux dans la structuration des normes au sein des poleis, avant que ne s'impose le « règne de la loi » tel qu'en témoigne un penseur comme Aristote.
C'est enfin par le biais des prescriptions épigraphiques en matière rituelle aux périodes classique et hellénistique que l'on tentera de mieux comprendre la portée de « la norme » ou « des normes » dans la pratique de ceux et celles qui honoraient les divinités dans leurs multiples sanctuaires, ainsi que les interventions des différentes autorités susceptibles d'en assurer l'application.
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