エピソード
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Vers 1919, suite aux expériences vécues durant la Première Guerre mondiale et à ses premiers succès sur le marché de l’art, Paul Klee se pencha sur le thème de l’autoréflexion à travers un grand nombre d’autoportraits, dont le plus célèbre est un dessin au crayon intitulé « Méditation ». Dans ce contexte, le thème de Klee était davantage l’autopercéption et la réflexion sur soi-même d’un être introspectif et méditant que la réflexion sur le rôle de l’artiste, qui ne regarde plus vers l’extérieur, mais tourne son regard vers l’intérieur. Les yeux sont hermétiquement clos, les oreilles manquent. Aucune perturbation ou influence extérieure ne peuvent le distraire de sa méditation. Klee transposa également ce dessin en lithographie tirée à de nombreux exemplaires. Une partie des épreuves furent colorées à la main. En 1919, Paul Klee fit publier la version lithographique de « Méditation » dans les « Münchner Blättern für Dichtung und Graphik », se présentant ainsi comme un mystique détaché du monde. L’artiste avait contribué lui-même à véhiculer cette image qu’il fixa par écrit dans la préface de sa première biographie: « Ici-bas, je suis insaisissable … ».
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La « jeune fille affamée » de Paul Klee, créée en 1939, n’est pas de celles que l’on aimerait rencontrer la nuit, au coin d’une ruelle sombre. L’artiste dépeint la jeune fille sous les traits d’une bête féroce qui montre les dents et ouvre grand ses yeux. Il ne reste rien de la créature humaine et encore moins de la mignonne petite fille. Tout, dans son apparence, relève de l’animal, jusqu’aux petits traits que Klee utilise pour représenter les pupilles. Dans ses dernières années surtout, Klee se concentre très largement sur l’humain. Il s’intéresse notamment aux pulsions, aux désirs et aux traits de caractère les plus divers de l’homme, de l’enfant jusqu’au vieillard.Ici, Klee ne nous montre pas une jeune fille particulièrement laide. C’est parce qu’elle a faim qu’elle devient un monstre laid, bestial. Il faudrait pouvoir satisfaire son besoin ; rien, sinon, ne saurait l’apaiser. L’image de Klee reflète la psyché du personnage.Il a réalisé son œuvre dans la technique préférée de ses dernières années : la peinture à la colle. C’est lui qui fabrique la colle, à laquelle il mélange des pigments. Pour sa « jeune fille affamée », Klee s’est limité à une faible quantité de pigment en poudre. De ce fait, la couleur reste, jusqu’à un certain point, transparente et de petites bulles apparaissent, qui sont encore visibles aujourd’hui. Sa palette est réduite : du bleu, du rouge, du vert, ainsi que du noir, qu’il étale en vigoureux coups de pinceau. On devine le tracé du dessin initial grâce à la transparence de couleur. À certains endroits, dans la partie inférieure de l’image, Klee exploite le blanc de la feuille comme élément pour construire l’ensemble. Dans la version finale, on remarque que Klee n’a pas totalement respecté le tracé du dessin. On voit ainsi nettement une autre paire d’yeux et des narines sur la gauche de l’œil, finalement peint à gauche. À côté de l’œil droit, on distingue aussi une oreille que Klee n’intègre pas non plus.
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La « poupée suspendue à des rubans violets », est une chimère androgyne déconcertante qui semble flotter dans l’espace comme dirigé par une main invisible. Pour la première fois l’œuvre de Klee présente une figure d’apparence humaine, mis en scène comme une marionnette. Un motif qui deviendra très important dans son œuvre ultérieur. La poupée suit ses propres régles du jeu, elle flotte dans la pesanteur complète entre les rubans violets, ses pieds son hors d’usage. Or, comme ces derniers n’ont plus d’utilité, deux mains ont poussé à leurs places. Depuis le seizième siècle la peinture sous verre était largement rependue en Europe centrale. Les familles paysannes nombreuses s’occupaient l’hiver en produisant des images votives, des représentations bibliques et des scènes de la vie rurale. Ces dernières étaient ensuite revendues par des colporteurs. Klee fit l’acquisition de quelque ’unes de ces peintures à l’Auer Dult à Munique. Franz Marc et Wassily Kandinsky étudièrent cette technique dans le cadre de leurs réflexions sur les traditions populaires. Au contraire de Klee qui l étudiât pour son caractère expérimental. Les peinture sous verre de Klee connues à ce jour sont au nombre de 64. Ces dernières représentent d’ailleurs un défi en termes de conservation, car les couches de peintures adhèrent mal à ces surfaces lisses.
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Comme Picasso, Klee était lui aussi en quête de moyens d’expression simples, modernes. Mais contrairement à Picasso, qui avait été impressionné et séduit par la magie de la sculpture « primitive », Klee découvrit « les origines de l’art » dans ses propres dessins d’enfant. Il s’essaya d’abord prudemment à une réduction de la forme, avant de faire évoluer plus tard sa maladresse intentionnelle pour l’élever et en faire sa forme spécifique. Dans son aquarelle « Théâtre de poupées », le théâtre se fait scène imaginaire de l’enfance. La feuille recèle des abîmes qu’on ne soupçonne pas au premier coup d’œil : les figures bariolées et articulées en bandes sont mises en scène comme un négatif lumineux ; ce dernier semble à la fois émerger sur le fond sombre tout en y restant inscrit. La poupée au sol semble avoir été abandonnée là par inattention, la petite licorne à droite s’avance obstinément. L’ambivalence du tableau correspond au traitement technique de l’œuvre : il est composé de deux parties dont Klee a retouché l’emplacement à l’aquarelle noire ; la partie inférieure est un fragment de la feuille « Nature morte {{au dé.}} », que Klee inscrivit dans son catalogue d’œuvres au numéro 1923,22. Vu sous cet angle, le théâtre de marionnettes se révèle comme une scène avec un double fond, qui recèle une sorte d’« enfer » végétatif.
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Paul Klee ne s’intéresse que rarement aux constructions d’espaces, d’architectures et de lieux en perspective. Assez vite, il préfère à la représentation traditionnelle perspectiviste, des modes de construction plus libres, qui s’inspirent notamment de conceptions cubistes – mais en les prolongeant. Les places et architectures métaphysiques du peintre italien Giorgio de Chirico constituent une autre source d’inspiration. Dans les années 1910, les toiles de Chirico, avec leurs places et leurs espaces vides, évoquant les rêves, ont une grande influence sur les créateurs les plus divers, et en particulier sur les surréalistes.Dans « Vue perspective d'une chambre avec habitants » on remarque bien cette parenté avec les œuvres de Chirico. Klee construit de manière simple la saisie visuelle de l’espace. On y voit quelques meubles cubiques ainsi que des habitants. Ceux-ci sont comme « encastrés » dans la perspective ; trois personnages semblent allongés sur le sol, trois autres collés au mur, à droite. Leurs corps ne sont pas représentés de manière plastique, mais construits à partir de formes bidimensionnelles. Ils contredisent par conséquent l’image tridimensionnelle d’une construction en perspective puisqu’ils sont représentés à plat. Sont également conservés un dessin au crayon et une version colorée de « Vue perspective d'une chambre avec habitants », datant de 1921. Par ailleurs une composition en couleur similaire, titrée « Vue perspective d'une chambre à la porte sombre » a été créée peu auparavant. Klee a transféré la version colorée sur le support à l’aide d’un décalque à l’huile. Raison pour laquelle on trouve sur le dessin des traces d’entailles qui résultent parfois du décalquage avec un objet pointu. Quatre ans plus tard, Klee retravaille les deux « Perspectives d’une chambre » et les renomme respectivement « L'autre chambre hantée » et « Chambre hantée à la porte haute ». Les figures humaines sans volume deviennent de ce fait des esprits provenant d’une autre sphère.
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Des représentations de la nature, il s’en trouve dans l’œuvre de Paul Klee depuis ses premiers dessins, dans les carnets d’esquisse de sa jeunesse, et jusqu’à l’année de sa mort. La nature, la croissance et les plantes en général sont un thème central de sa pensée et de sa création.Dans l’essai intitulé « Voies diverses dans l’étude de la nature » de 1925, Klee exprime sa conception de la nature: « Le dialogue avec la nature reste pour l’artiste conditio sine qua non. L’artiste est homme, il est lui-même nature, morceau de la nature dans l’aire de la nature. » Se colleter avec la nature, c’est donc pour Klee le fondement de toute création artistique. La nature et ses phénomènes ne constituent pas seulement des motifs de base de son œuvre, ils pénètrent véritablement sa pensée artistique. La nature, certaines de ses parties, tout comme leur croissance et leur structure représentent des modèles. De même qu’à partir d’une simple graine se forment une tige, puis des feuilles et une fleur, de même naissent, à partir du mouvement d’un point, une ligne et finalement une forme.Dans l’essai cité, Klee écrit : « Par notre connaissance de sa réalité interne, l’objet devient bien plus que sa simple apparence. Nous savons que l’objet est davantage que ne le laisserait penser son seul aspect extérieur. » Selon Klee, c’est la réalité interne de l’objet qui détermine sa forme externe. Ce type de réflexions fondamentales irrigue sa création. Ici, il propose une variation libre, ouverte et riche sur ce thème. Dans « Flore cosmique » de1923, Klee nous montre une sorte de jardin avec différents parterres plantés, dans la partie inférieure, de végétaux insolites. Ceux-ci rappellent des plantes carnivores, toutes réduites à une tige et une fleur. La partie supérieure de l’aquarelle est encore plus abstraite. On y voit surtout des signes et des formes géométriques, seules quelques plantes sont identifiables. Les végétaux s’apparentent à des « acteurs botaniques » sur une scène de jardin. Klee a configuré l’image à partir de multiples hachures tracées avec un pinceau extrêmement fin, réalisant là un travail d’une minutie très élaborée.Il a écrit sur le carton « pour Lily », un gadeau à sa femme Lily en octobre 1928, la plaçant en même temps dans la catégorie classe spéciale.
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En 1939, quelques traits de crayon suffisent à Paul Klee pour dessiner cet« ange oublieux ». C’est l’une des quelque 35 représentations d’anges créés durant les dernières années de la vie et de l’œuvre de l’artiste. Leur aspect nous rappelle tout à fait l’image traditionnelle que nous avons de ces créatures douces et ailées, même si Klee réduit les ailes à des formes se terminant en pointe et qu’il peut, à l’occasion, en faire des êtres laids.Mais l’apparence des anges de Klee n’est pas transfigurée par la lumière, ce ne sont pas les créatures divines que connaissent le christianisme et l’histoire de l’art depuis des siècles ou même des millénaires. Ces anges sont en réalité plus proches de nous que des sphères célestes, on les imagine quelque part dans un monde intermédiaire. Ils se sont humanisés et permettent surtout à Klee de faire référence à des états d’âme, des caractères et des singularités qui sont le propre de l’homme. L’artiste évoque nos bons côtés tout autant que nos imperfections. Ces anges ont souvent gardé quelque chose de naïf et d’enfantin, ils demeurent en partie inachevés ou sont encore en formation. Où cette gestation, ce développement vont-ils mener ? Cela reste ouvert. Dans sa Théorie créatrice de la mise en forme, Klee a écrit : « L’être humain n’est pas achevé. On doit continuer à évoluer, être ouvert, comme un enfant qui voit le jour, un enfant de la création, du créateur. »L’« ange oublieux » est l’un des plus expressifs et des plus magiques parmi tous ceux que Klee a créés. Trois lignes lui suffisent pour dessiner le visage de l’ange, à savoir ses yeux pudiquement baissés et sa petite bouche. Il ne faut rien de plus à Klee pour donner à son ange cette expression douce et tendre. Il a les mains jointes comme s’il les frottait, tout confus, l’une contre l’autre.
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Le dessin de grand format, exposé ici et réalisé sur du papier d’emballage, est l’une des dernières œuvres créées par Paul Klee. Début 1940, l’état de santé de l’artiste s’aggrave. En mai, il part faire une cure à Ascona, d’où il ne reviendra pas. Quelques-unes de ses œuvres restent inachevées dans son atelier, d’autres ne portent pas de titre et ne sont pas numérotées. Cette « Composition aux fruits », qui n’a été baptisée ainsi qu’a posteriori, est l’une d’entre elles. Avec un pinceau et de la couleur à la colle, Klee a dessiné toute une collection de formes qui rappellent des fruits – pommes, cerises – ou bien des feuilles, des branches, des plantes ou des graines. En bas et sur les bords gauche et droit, ces formes sont coloriées en blanc, à la craie. En dessous, on distingue une structure linéaire en brun rouge qui cimente toute la composition. Et en dessous, à un autre niveau encore, apparaît tout un enchevêtrement de lignes. Concevoir une composition à partir de différentes couches superposées est une démarche qui intéresse Klee depuis les années 1920. Malgré la simplicité des motifs choisis, ses œuvres se révèlent ainsi d’une grande complexité. Et l’artiste peut, en même temps, combiner le concret et l’abstrait, le linéaire et l’aplat, le graphique et le pictural.À la fin de sa vie, Klee travaille encore le thème de la nature mais en le rapportant à sa propre vie : genèse et naissance, croissance et transformation, maturité et mort. Les plantes et fruits représentés ici illustrent ces idées. Ils symbolisent le cycle apparemment éternel de la nature: son devenir et son déclin. En pensant à sa maladie, peut-être même à la mort qui approche, Klee se souvient de son enfance et de sa vie et il se projette déjà dans l’au-delà. Dans la partie supérieure de la feuille, l’artiste a écrit au crayon : « Tout devrait-il être su ? Non, je ne crois pas! » À la fin de sa vie, Klee en arrive à la conclusion que les premières et les dernières questions de l’existence peuvent rester sans réponse.
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En 1938, deux ans avant sa mort, Klee travaille de manière intensive à partir de l’écriture, des caractères et, plus généralement, d’éléments visuels évoquant des signes. Il crée plusieurs œuvres intitulées « Alphabet », dans lesquelles une multitude de lettres semble répartie sur la surface de manière arbitraire. Klee peint même l’un de ces alphabets sur du papier journal.Pour « Début d’un poème », l’artiste disperse les lettres dans l’espace de la feuille. Elles sont un peu plus concentrées dans le bas de l’image, moins denses dans le haut. On voit surtout des consonnes. L’artiste a marqué d’un nombre cinq mots bordant cette forêt de lettres. Quand on les lit en respectant l’ordre des chiffres, une phrase ressort : « Alors que cela soit en secret ». Conformément au titre de l’œuvre « Début d'un poème », Klee semble retracer sous nos yeux la genèse d’un poème. La suite de ce texte poétique est dissimulée dans la forêt de lettres : elle est ouverte et doit encore prendre forme. La phrase : « Alors que cela soit en secret » est extraite d’un choral de Jean-Sébastien Bach « Si tu veux me donner ton cœur ». En voici la première strophe : Si tu veux me donner ton cœur,Alors que cela soit en secret,Pour que nos deux penséesPersonne ne puisse les deviner.L'amour doit pour nous deuxToujours être discret,C'est pourquoi cache les plus grandes joiesÀ l'intérieur de ton cœur.Entre les mots numérotés et à côté d’eux émergent différentes formes, comme si l’artiste ne voulait pas seulement rendre visible l’acte d’écrire un poème, mais qu’il voulait aussi bien créer une image – représenter un paysage à ses débuts, par exemple. Une fois de plus, Klee relie l’acte créateur de l’artiste aux processus de croissance et de transformation propres à la nature. Dans son texte de 1920, « Credo du créateur », il déclare : « La genèse de l’Écriture nous offre une bonne illustration du thème du mouvement. L’œuvre d’art également est en premier lieu genèse ; elle n’est jamais vécue comme simple produit. » Et dans les notes de ses cours au Bauhaus, il précise : « L’écriture et l’image, ou plutôt écrire et dessiner sont identiques en leur fond. » L’œuvre que nous voyons se trouve ainsi enrichie d’une autre dimension : Klee montre d’une part comment naît un poème qui semble, en outre, croître comme une plante. Et en même temps, tandis que naît ce poème, une image prend également forme. Écrire et donner forme, image et écriture sont devenus une seule et même chose.
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Affichant une longueur impressionnante de 176 cm, ce tableau est le plus grand jamais réalisé par Paul Klee. Comme il en avait l’habitude à cette époque, Klee utilise ici du papier journal collé sur de la toile de jute. Employant une peinture à base de colle, il réalise directement sur le papier de larges bandes noires. Ensuite seulement, il passe sur ce support un apprêt de couleur blanche avant de peindre le fond en pastel avec un mélange de pigments et de colle d’amidon. Comme souvent dans ses œuvres ultimes, une structure de base est donnée, composée de larges bandes noires d’apparence massive. Celles-ci laissent toutefois suffisamment d’espace aux tons clairs pour s’affirmer sous forme d’accents autonomes. Les motifs graphiques noirs, qui apparaissent tantôt comme des raccourcis picturaux d’éléments figuratifs et tantôt comme les caractères d’un mystérieux alphabet, s’opposent aux surfaces de couleur dans des jeux de tension saisissants. Ces idéogrammes sont caractéristiques des œuvres tardives de Klee. Largement inspirés par les alphabets, les hiéroglyphes et les symboles d’origine diverse, ces signes naissent, comme Klee le décrira lui-même, de manière automatique, sans réflexion préalable et ne possèdent de ce fait pas de signification véritable. Les signes constituaient aux yeux de Klee une possibilité inédite de composition formelle sur la toile et sont aujourd’hui encore utilisés à cet effet dans l’art pictural. Parfois les signes conservent leur forme rudimentaire abstraite, parfois ils se retrouvent condensés pour dessiner les contours d’une figure. Le titre initial du tableau « L’île de Calypso » renvoie à la première idée, la thématisation du séjour d’Ulysse sur l’île de la nymphe Calypso. En cours de travail, Klee a élargi son propos, au-delà de la référence mythologique, à un message pictural plus ouvert. Le message est en fait tellement ouvert que l’on aurait tendance à y chercher des motifs de l’ordre du personnel et à interpréter cette œuvre à l’aune de la situation difficile dans laquelle le peintre se trouvait à l’époque. Certes, il faut regarder ce tableau comme un témoignage autobiographique mais sans oublier toutefois que Klee ne s’est jamais prononcé sur le message qu’il véhicule.Le centre du tableau est dominé par un visage blême aux contours noirs. Klee reprend le thème des visages et des masques dans de nombreuses réalisations, dessins ou peintures qui reflètent sa situation du moment. Conscient de l’approche de sa mort, Klee travaille toutefois en touches évocatrices plutôt qu’en images clairement autobiographiques.Le titre « Insula dulcamara » a des résonances exotiques, tout en renvoyant à l’antinomie du doux (lat.: dulcis) et de l’amer (amarus), antinomie soulignée par la douceur des couleurs contrastant avec le blanc éclatant d’un visage aux allures de tête de mort. Klee fait toutefois ici vraisemblablement référence en premier lieu à la médecine: solanum dulcamara est le nom latin de la douce-amère, une plante extrêmement toxique qui, employée comme plante médicinale, est anti-inflammatoire et stimule le métabolisme. Utilisée pour ses propriétés antirhumatismales, elle était capable de soulager les symptômes de la sclérodermie dont souffrait Klee. Les baies écarlates réparties sur le tableau et quelques petites feuilles brunes évoquent ainsi de manière assez directe la solanum dulcamara arrivée à maturité.
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« la belle jardinière », appelée aussi « ein Biedermeiergespenst » est une mise en scène d’une gaîté surréelle. Celle qu’ironiquement Klee désigne comme une belle jardinière est une figure vêtue d’une jupe à fronces, formée schématiquement à partir de quelques lignes rouges et bleues, et qui brandit un bouquet de fleurs dans sa main gauche levée.Ce fantôme du style Biedermeier apparaît presque comme un fantôme brillant et magique, qui se dérobe à toute tentative d’interprétation. Les lignes qui lui confèrent sa forme saillent comme des signes lumineux rouge et bleu phosphorescents, il en émane une lumière colorée sur le fond brunâtre. L’arrière-fond brun présente de bout en bout une structure vive, entre autres avec des dessins au pochoir.Avec son contraste entre les lignes de couleurs pleines et intenses de la « belle jardinière », et les teintes claires de l’arrière-plan, Klee obtint un effet de couleur extrêmement spatial. Les couleurs brillent en fluorescence sur la toile de jute irrégulièrement couverte de blanc.Klee développa cette figure sur la base de son dessin au crayon « Avec des fleurs » et en quelques traits, il fit de sa porteuse de fleurs une inquiétante jardinière. La simplicité des moyens picturaux utilisés dans ses œuvres tardives exprime toujours une extrême concentration créatrice. La belle jardinière apparaît comme un fantôme du style Biedermeier. Ce titre constitue peut-être une attaque détournée du concept artistique du national-socialisme, qui idéalisait les critères artistiques du XIXe siècle pour les opposer à l’art moderne, considéré comme diffamatoire.
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Bien qu’il n’ait été réalisé qu’en 1930, le tableau « Mesure individualisée des niveaux » présente au niveau de sa construction formelle un rapport direct avec les aquarelles égyptiennes. La composition est divisée en douze bandes horizontales, que Klee appelle couches, elles-mêmes coupées de cinq traverses verticales. A chaque étape, les couches se divisent ou s’assemblent. Le rythme du dédoublement des couches s’amorce depuis le bord droit du tableau. Il ne s’agit pas ici d’une aquarelle, mais d’une peinture à la colle, ce qui rapproche cette œuvre des tableaux à carrés. Une teinte complètement autonome vient rompre la répétition régulière du triple accord de couleurs. Le centre est dominé par un rectangle rouge et maintenu en équilibre par différentes bandes de couleur. Plein de tension, le mouvement part d’en bas, du vert clair, et enjambe le rouge pour aboutir à la bande d’un bleu éclatant, déposée vers le bord supérieur du tableau avec la bande rose pâle. Entre deux, des étagements sombres et clairs jouent les intermédiaires. Ainsi, en dépit de la force des contrastes, l’impression qui en résulte est celle d’un mouvement de couleurs harmonieux et clos sur lui-même.
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Le tableau date de 1939, année où Klee se retrouve à Berne après avoir été chassé de son poste à l’Académie de Düsseldorf. Il n’est donc pas étrange qu’il fasse allusion, ici, à l’exubérance des nazis en Allemagne. Les bras tendus en avant du batteur de tambour renvoient à Hitler, qualifié d’«éternel batteur de tambour».
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La période qui vit la réalisation de « Pomone, trop mûre » fut elle aussi fructueuse : en 1936, Klee n’avait réussi à réaliser que vingt-cinq travaux en raison de la progression de sa sclérodermie. Mais un an plus tard et jusqu’à sa mort, il déploya une force créative insoupçonnée.Les fruits figurent parmi les motifs les plus importants de ses tableaux des dernières années. Klee rapporta cette densification du contenu à sa propre création pendant ces années et la perçut comme le « fruit » d’un long processus de maturation artistique. Dans son œuvre « Pomone, trop mûre », cette thématique s’associe de manière sensuelle et perceptible à son origine mythologique.
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Paul Klee répertoria le tableau » Le créateur «, en 1934 sous le numéro 213 de son catalogue manuscrit et nota en marge: »resté inachevé plusieurs années«. Il arriva souvent à Klee de mettre longtemps de côté un tableau pour y retravailler ou peindre par dessus ultérieurement. Il commença vraisemblablement celui-ci alors qu’il était encore au Bauhaus de Dessau et le reprit seulement après avoir émigré en Suisse.
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Paul Klee rentre en Suisse le 23 décembre 1933 et revient s’installer à Berne, la ville de son enfance et de sa jeunesse. Loin d’être volontaire, cette émigration est déclenchée par la prise de pouvoir des nazis en Allemagne. Dès le début, Paul et Lily Klee suivent avec appréhension le déroulement des événements en Allemagne. A Weimar et Dessau, ils ont à subir les violentes agressions des nationaux-socialistes à l’encontre du Bauhaus.
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Paul Klee est à la caserne de Gersthofen jusqu’en décembre 1918. Il ne sera libéré qu’en février 1919. Les trois années précédentes, en pleine guerre, il a été extrêmement productif. Sa création forme un contraste saisissant avec les circonstances extérieures. Les nombreuses aquarelles de cette époque sont dominées par des couleurs lumineuses qui ne sont pas encore ordonnées de façon stricte. Elles expriment davantage le ressenti et une grande force d’expression.
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Les premières, fabriquées par Klee pour le neuvième anniversaire de son fils, avaient nom »Monsieur la Mort«, »Guignol«, »Gretl, sa femme«, »Sepperl, son meilleur ami«, »le Diable« et »le Policier«. A une exception près, elles ont toutes disparu en 1945 lors d’un bombardement à Würzburg.
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Le panorama de la ville s’est mué en un jeu lâche de simples surfaces rectangulaires et de teintes souplement superposées. De là, il ne restait plus qu’un petit pas à franchir pour aboutir aux aquarelles composées uniquement de carrés de couleurs qu’il réalisa à son retour, en souvenir de Kairouan. Au soir, Klee nota dans son journal : « La couleur me tient. Je n’ai pas besoin de la poursuivre. Elle me possède pour toujours, je le sais. C’est le sens de cette heure heureuse: la couleur et moi, nous ne faisons qu’un. Je suis peintre. »
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Dans ses aquarelles noires, il dispose sur la feuille de la peinture noire, presque transparente, une couche après l’autre; c’est en superposant les différentes couches qu’il parvient à une gradation nuancée du clair à l’obscur.Dans « Seau et arrosoir » de 1910, Klee réutilise ce procédé avec des couleurs d’aquarelle très douces. Ici aussi, il juxtapose et surtout superpose des couches presque transparentes de couleurs. Si bien que le motif s’estompe peu à peu sous la planéité de la peinture. Les contours deviennent flous car ils se mélangent avec les surfaces environnantes. Aucun détail n’est dessiné. L’aspect aérien de la composition et son haut degré d’abstraction rappellent la peinture à l’encre de Chine des Japonais.
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