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  • Comment draguer dans le futur ? Convaincue que « le swipe est un geste de droite », cette autrice et journaliste parisienne, spécialiste des applis de rencontres, rêve de flirts en mode avion et d’amour sans algorithme.


    « La simple idée de me connecter à une application me glaçait le sang. Draguer un mec me collait de l’hypertension. J’étais clouée sur le banc de touche des grands brûlés de l’amour. » Dans Dating fatigue, son dernier essai publié ce printemps aux éditions de l’Observatoire, Judith Duportail, 34 ans, livre une enquête introspective sur cette forme « d’épuisement mélancolique » consécutif à « l’errance entre relations floues » nées des rencontres en ligne. Ce qui fatigue, c’est le fait de devoir « dérouler ce qu’on fait dans la vie à une table de café avec des mots déjà tant répétés qu’ils semblent caoutchouteux », slalomer parmi les nouveaux comportements numériques tels que le ghosting (« quitter quelqu’un en cessant brusquement de répondre à ses messages ») ou l’orbiting (« l’art d’ignorer une personne tout en continuant de suivre assidûment sa vie sur les réseaux et en réagissant strictement avec des émojis »), tout en espérant « construire des relations égalitaires entre hommes et femmes dans un monde qui ne l’est pas », « faire respecter son consentement, concrètement » et envisager, dans son cas, de se transformer en « hétéra : une hétéro qui veut kiffer les hommes hors des structures de domination et des enjeux de pouvoir, une hétéro qui baisse les armes ».


    À l’avenir, au nom de cet ultra-libéralisme amoureux passablement dégoûtant, froid et déshumanisé en passe de devenir la norme, devra-t-on apprendre à se contenter de « miettes » sentimentales – avant de finir avec l’âme en mille morceaux ? Pour le savoir, Judith voyage, interroge. L’autrice de l’enquête de référence sur les coulisses de Tinder (L’amour sous algorithme, éditions de La Goutte d’Or, 2019) discute « d’anarchisme relationnel » avec un.e militant.e trans non binaire, sent l’électricité reparcourir son corps dans le recoin d’un immense résidence d’artistes à Berlin, mais s’inquiète que quelqu’un puisse poster une photo d’une soirée où elle tient la main de son ex.


    Grimpant à bord de notre navire utopique, Judith Duportail se demande justement comment draguer dans le futur en rêvant de grandes fêtes réussies où le smartphone serait interdit, pour « tromper les apparences », « écrire sa propre histoire sans stories » et conjurer toute tentation de mise en scène de soi et se désintoxiquer de notre dépendance à la dopamine générée par les likes et les coeurs synthétiques. Convaincue que « le swipe est un geste de droite », la journaliste rêve ici de flirts en mode avion et d’amour sans algorithme. 


    P.-S. : Pour le tout dernier épisode de ce podcast né une semaine après le premier confinement en mars 2020, miroir de nos espoirs et de nos angoisses durant quinze mois de crise sanitaire, terminer cette aventure sur l’image d’une fête pleine d’amour est un présent – un cadeau – hautement désirable que les deux pilotes de L’Arche de Nova accueillent à bras ouverts.


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Image : Les Rencontres d’après minuit, de Yann Gonzalez (2013).


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  • Sensible à la théorie du complot selon laquelle TOUS LES OISEAUX seraient en réalité des drones de surveillance gouvernementaux, cette étudiante du master de création littéraire du Havre a mené l’enquête dans les volières secrètes de l’Hexagone, en remontant… jusqu’au Général de Gaulle.


    Elle déclare, non sans panache, aimer « les bus de banlieue et les documentaires animaliers de la BBC ». Elle aurait dédié ses trois dernières années à enseigner le français dans une classe d’accueil pour adolescents non-francophones de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Étudiante du master de création littéraire du Havre, elle écrit désormais un roman sur quatre spécimens de copines présentant la particularité de savoir lever le coude en milieu bistrologique, dont l’une est « une assistante sociale au bord du burn-out ». Spoiler : c’est pas triste.


    Voici l’essentiel, à ce jour, des pièces que nous pouvons verser au dossier concernant notre invitée du soir répondant au nom d’Iris Kooyman. Nouvel élément, peut-être décisif : ces derniers mois, l’intéressée a compulsé les discussions ornithologiques du forum américain Reddit, notamment à propos de cette vertigineuse théorie du complot, Birds Aren’t Real, selon laquelle les oiseaux « n’existent pas » et seraient en réalité des drones de surveillance gouvernementaux.


    Sensible à cette hypothèse, Iris Kooyman a donc mené l’enquête dans les volières secrètes de l’Hexagone, en remontant jusqu’au Général de Gaulle et le prototype d’un « pigeon robotique de surveillance des frontières » baptisé Lucien, expérimenté dès 1945. Une technologie que tous les Présidents de la Ve République ont utilisée par la suite en contrevenant à toutes nos libertés fondamentales : observer « la calvitie de la population, afin d’évaluer le nombre et les turpitudes du stock national de chauves » (Giscard), assurer le soutien logistique de la FrançAfrique, notamment au Rwanda (Mitterrand), muscler nos « basses barbouzeries » (Chirac, Sarkozy), « traquer les chômeurs récalcitrants » (Hollande) ou enfin – les pigeons ayant été dotés de la précision des drones développée depuis une sinistre « birdcave » cachée dans les îles du Frioul – « filmer les banlieues, les piquets de grèves et l’intégralité des manifestations des Gilets Jaunes, voire certains concerts en plein air » (Macron).


    Mais le gouvernement n’a pas su anticiper la sagacité d’un groupuscule de hackers, Les Oiseaux Rares, qui ont réussi tôt ou tard à « cracker les codes » de ces cyber-piafs… pour une belle révolte anticapitaliste, qui ne ménagera pas non plus les nervis et porte-paroles du crypto-fascisme contemporain, non sans un ultime scoop. Comme le déclamait Benoît Poelvoorde dans C’est arrivé près de chez vous : « Pigeon / Oiseau à la grise robe / dans l’enfer des villes / à mon regard, tu te dérobes. »


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Pour écouter la précédente utopie d’Iris Kooyman, c’est ici : https://www.nova.fr/news/iris-kooyman-demain-les-francais-deviendront-peu-a-peu-des-opossums-141627-12-05-2021/


    Image : campagne d’affichage contre les oiseaux-drones, vue sur Reddit (2020).


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  • À Nantes, cette plasticienne, poétesse et dessinatrice se jette dans les bras « immenses et chaleureux » de l’avenir, après une expiration « dé-sidérante » inspirée par la « puissance de la douceur » chère à la psychanalyste Anne Dufourmantelle.


    « La chute / Lente / Le décordé / Le corps / Lentement / Le qui monte plus / Plus dure sera l’ascension / Qui prend fin / La tension / La corde molle / La corde dure / La corde au cou / À la taille / à la taille de qui… » C’était en octobre 2019, aux cafés littéraires de Montélimar. Une randonnée immobile de dix minutes avec la plasticienne, poétesse et dessinatrice nantaise Delphine Bretesché, étirant les motifs escarpés de la triste formule d’Emmanuel Macron, lors de sa première interview télévisuelle post-élection, cimentant son image de président des riches : « Je crois à la cordée, il y a des hommes et des femmes qui réussissent parce qu’ils ont des talents, je veux qu’on les célèbre (…) Si l’on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée, c’est toute la cordée qui dégringole. »


    Formée aux Beaux-Arts de Nantes, l’artiste posait pas à pas, parfois mot à mot, son contre-poème sur le culte de l’ascension. « Corps et corde / Tirée d’où / Tirée vers / Où / L’haut / L’en haut / Que t’auras jamais / Jamais / Autrement / Qu’au-dessous / À voir les culs / Du dessus / Ceux qui grimpent / Les mains / Arrachées / Grimpe / Grimpe / Grimpe / Avec tes dents / Celles qui te restent / Grimpe / Grimpe / Grimpe / T’auras marché sur / Suffisamment / Grimpe / Grimpe / Grimpe / De têtes / Peut-être / Pour imaginer… » Dans les crevasses de ce texte vivifiant paru aux éditions Apocope accompagné des dessins de Clara Djian et Nicolas Leto, il est aussi question de « léchage des culs du dessus », des « miettes aux petits chiens », mais également, ça alors, en contrebas, de « ceux qui s’allient », qui ont quitté l’ascension « depuis longtemps » et qui apprennent à « marcher ensemble ».


    Depuis, Delphine a poursuivi son éloge du collectif avec Marseille festin ! (éditions Laskine, 2020), témoignage de cinq semaines de résidence dans la cité phocéenne dans cinq quartiers différents, avec le repas cuisiné puis dévoré en commun comme motif éternel de compréhension, de fraternité et d’harmonie. « Qu’est-ce qui se déplace quand on se déplace ? Qu’est-ce qu’on offre ? Qu’est-ce qu’on reçoit ? Qu’est-ce qui résiste ? Et si la rencontre est une nourriture ? » Ce principe appétissant sera renouvelé dans un ouvrage à paraître, Québec festin !


    Grimpant pour la seconde fois à bord de notre Arche, Delphine Bretesché, qui anime aussi depuis deux ans des ateliers d’écriture à la faculté de médecine de Nantes, se jette dans les bras « immenses et chaleureux » de l’avenir après une expiration « dé-sidérante », inspirée par la « puissance de la douceur » chère à la psychanalyste Anne Dufourmantelle, titre d’une « courte méditation » publiée en 2013. Cette dernière écrivait : « La douceur allège la peau, disparaît dans la texture même des choses, de la lumière, du toucher, de l’eau. Elle règne en nous par de minuscules brisures de temps, donne de l’espace, enlève leur poids aux ombres. » Et que ne durent que les moments doux.


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Pour écouter une autre utopie de Delphine Bretesché, c’est ici : https://www.nova.fr/news/delphine-bretesche-demain-eliminera-le-pourri-la-hache-38963-15-05-2020/


    Pour voir Delphine Bresteché performer Premiers de cordée en solo intégral, c’est là : http://tapin2.org/premiers-de-cordee?fbclid=IwAR3ZyjGMCr3LNU83ZlD9DJcaQPl19LmFKcUaa5dBUuWwvnmdPxT63Th5HDQ


    Image : Maps To...

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  • À Genève, ces douze musiciens anticonformistes se font l’écho du possible voyage, cet été, d’une centaine de zapatistes mexicain.e.s pour des rencontres entre mouvements de résistance, de l’Espagne à la Russie, visant à obtenir « la destruction du capitalisme ».


    « We’re OK, but we’re lost anyway. » Le titre du cinquième album de L’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, à paraître le 2 juillet sur le label Bongo Joe, mériterait d’apparaître sur des milliers d’affiches aux quatre cents coins du globe, tant la formule résume notre sentiment après quinze mois de crise sanitaire. Pas de grandes remises en question pour le très attendu « monde d’après », juste un retour à l’anormal et le durcissement des discours politiques. De quoi rester, en effet, « perdus, quoi qu’il arrive », comme le chante en 2021 les douze membres de cette fanfare exploratoire à géométrie variable formée quinze ans plus tôt par le contrebassiste Vincent Bertholet, qui confie parfois : « À la base, le but était de faire un groupe de rock avec de la marimba. » Divers instruments se sont greffés pour repeindre notre monde de couleurs funk, soul, jazz, pop, dub, post-punk, highlife ou samba.


    Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp : le nom, déjà, ne laisse guère indifférent les amateurs de curiosités hybrides, brassant la fièvre de légendaires combos africains (OK Jazz au Congo, Poly Rythmo au Bénin) et l’héritage anticonformiste de « l’anti-artiste » autodidacte, peintre et plasticien pataphysic-oulipien, qui demanda un matin : « Faut-il réagir contre la paresse des voies ferrées entre deux passages de trains ? » Sur son morceau Flux, l’OTPMD, lui, vocalise d’un ton monotone, équipé d’une cadence afro-beat striée de riffs à la Tortoise : « Des containers européens remplis de pommes pour la Chine croisent dans l’océan Indien des containers chinois remplis de pommes pour l’Europe. Ah ? Ah ? De jeunes paysans africains partent ruinés vers l’Europe, pour cueillir des tomates qui sont envoyées en Afrique. Ah ? Ah ? Oui, oui, oui, oui. »


    Grimpant sur L’Arche de Nova, Vincent Bertholet se fait l’écho du possible voyage, cet été puis cet automne, de zapatistes mexicain.e.s à travers l’Europe, de l’Espagne à la Russie. En janvier dernier, des insurgé.e.s du Chiapas publiaient une « déclaration pour la vie », appelant à des rencontres entre des mouvements de résistance avec, pour but, « la destruction du capitalisme ». Le 2 mai, le voilier « La Montagne » a quitté le Mexique avec à son bord « quatre femmes, deux hommes et une personne transgenre » en direction de Madrid, pour une arrivée prévue le 13 août, cinq cents ans après « la prétendue conquête du Mexique » ; cette aventure est d’ores et déjà racontée en bande dessinée par Lisa Lugrin, à lire sur le site de Mediapart. De nombreux collectifs, présents par exemple sur la ZAD de Notre-Dame des Landes, sont impatients de les accueillir.


    Comme l’explique le magazine radical Basta !, ces sept dé-conquistadors devraient être rejoints par plus de cent militant.e.s, « aux trois quarts des femmes », puis par des membres du Congrès national indien et du Front des villages en défense de la terre et de l’eau. Le fondateur de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp imagine alors les conséquences inespérées de « l’escadron 4-2-1 » : sanglots des dirigeants européens et « démantèlement des grands empires commerciaux au profit d’initiatives paysannes locales ». Soon, we’ll be OK !


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Pour lire la BD de Lisa Lugrin, c’est là : https://blogs.mediapart.fr/le-voyage-pour-la-vie


    Pour écouter une utopie d’Iroquois anarchistes, contée par...

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  • À Bordeaux, cette autrice de bande dessinée lève la patte pour une imminente civilisation de toutous philosophes, sagement inspirée par « Demain les chiens » de l’Américain Clifford D. Simak.


    « Jean Cocteau. On vous accuse d’être un touche-à-tout, un dilettante mondain, un séducteur opportuniste, un poète superficiel et un fantaisiste. Votre œuvre ne suit aucune logique. Vos métamorphoses agacent. » Dans Cocteau l’enfant terrible, magnifique biographie dessinée parue aux éditions Casterman en septembre dernier, Laureline Mattiussi et François Rivière imaginent le jeune et le vieux Cocteau conjointement convoqués au tribunal de leur existence. « On vous manque souvent de respect. Peut-être parce que vous manquez de sérieux. A-t-on jugé votre œuvre avec trop de désinvolture, ou êtes-vous un imposteur, un être éparpillé, pris en défaut de profondeur ? » Dans un subtil entrelac de tableaux noirs et blancs tracés à la plume et au pinceau, la vie tumultueuse du poète se déploie sous nos yeux captivés, en empruntant autant à la réalité qu’à ses œuvres sulfureuses. « Si votre maison brûle, qu’emportez-vous ? », demanda-t-on un jour au réalisateur du Sang d’un poète (1930), son premier film, considéré comme scandaleux pour sa « curiosité érotique, plastique et suicidaire ». Cocteau répondit : « Le feu. »


    Seize ans plus tard, en 1946, Jean Cocteau a besoin du corps d’un chevreuil pour le tournage de La Belle et la Bête. Deux assistants lui apportent deux chiens morts, pullulant de mouches ; « en les amenant chez l’équarisseur et en leur fabriquant des bois… » C’est le genre de choses qui n’arriverait pas dans le futur canin prédit, depuis Bordeaux, par Laureline Mattiussi. Grimpant à bord de L’Arche de Nova, le dessinatrice et scénariste a rouvert l’une des huit nouvelles qui composent le recueil Demain les chiens de l’Américain Clifford D. Simak. Dans ce classique S.-F. de 1952 – l’un des livres de chevet de Michel Houellebecq –, une société de toutous érudits, doués de parole, étudient et commentent les quelques « douze mille ans » du règne humain sur la Terre, jusqu’à douter de l’existence de ceux auxquels ils ont succédé. Chiennes et chiens élaborent alors, « avec une clarté d’esprit inédite », leur propre utopie basée sur « la beauté, la compréhension de cette beauté – et plus important encore, la camaraderie, comme nul n’en a encore jamais connue, ni homme ni chien ». Belles bêtes. Les métamorphoses peuvent reprendre.


    Réalisation : Tristan Guérin.


    Pour écouter une autre utopie de chiens savants, contée par Eva Bester, c’est ici : https://www.nova.fr/news/eva-bester-demain-nous-serons-gouvernes-par-des-chiens-42171-19-11-2020/


    Image : Mr. Peabody & Sherman : les voyages dans le temps, de Rob Minkoff (2014).


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  • La plume la plus politique du rap francophone nous engage à tisser des « lianes solides » entre les mouvements « écologistes, féministes, anticapitalistes et panafricains », pour faire briller les énergies « cachées sous la brume des systèmes d’oppression ».


    « J’suis pas un ouf, je suis en colère. Vous êtes des oufs de ne pas l’être. » C’était fin mai, près des platines de Sims sur Nova : le retour époustouflant de la plume la mieux renseignée du rap francophone, vingt minutes de live avec Rocé « l’intrépide » – dont le flow posé navigua entre quelques-uns de ses titres exemplaires (On s’habitue, En apnée) et des tranches de son nouvel EP, Poings serrés, à paraître vendredi sur le label Hors Cadres. « Les MCs appellent punchlines ce que j’appelle écrire. ». Un tel échantillon de rimes « simples, intenses » rappela, si nécessaire, que le hip hop hexagonal peut évoquer autre chose que la virilité toxique de machos matamores, une bien pauvre obsession pour l’argent et la réussite individuelle, ou de pseudos exploits criminels.


    Sur le récent Cxpitxlistes, celui qui se nomme à l’état-civil José Youcef Lamine Kaminsky écrit par exemple : « J'aimerais transformer le malheur en fleur / pour voir qui ferme le poing sur les épines / Tout ce qui y est bon dans cette vie se fait descendre / Mais on ne fera pas du feu avec des cendres / Ils ont cassé humanité et jambes / de l'Afrique à la cordillère des Andes (…) On est mangé par du capitalisme, alors on meurt sur du capitalisme (…) Ce monde nous vend le dépassement de soi / Pas pour le sport mais pour un poste en stage / Comme ça tu t'exploiteras toi-même / Pas pour l'oseille mais pour pas être en marge. »

    Sur Tenir debout, ce « Russo-Algérien panafricain » né en 1977 à Bab-el-Oued, catapulté sept ans plus tard dans le 9-4, se demande : « On laissera quoi aux gosses à part une vie de start-up ? Des cagnottes, des hold-ups, des ragots et des carottes ? Aucune bonne intention, pas de projet de société, ils ne cherchent pas à protéger, ne cherchent pas à s’auto-gérer. » Puis Rocé égrène à toute vitesse la liste de ses principales références politiques et littéraires – Frantz Fanon, Miriam Makeba, Rosa Luxembourg, Aimé Césaire, Che Guevara… –, en passant par son père, Adolfo Kaminsky, résistant et spécialiste dans la fabrication de faux-papiers pour peuples en révolte aux quatre coins du globe.


    Toujours disposé, depuis 2001, à « changer le monde », Rocé grimpe avec panache à bord de L’Arche de Nova et nous engage à « tisser des lianes solides » entre les mouvements « écologistes, féministes, anticapitalistes et panafricains », ainsi que d’inclure « l’Histoire des vaincus à l’école », pour faire briller les énergies collectives « cachées sous la brume des systèmes d’oppression ». Tandis que les gauches rament à s’unir face à l’effarante montée de l’extrême-droite aux multiples visages, le rappeur nous incite, si, on peut le faire, à « briser l’inertie ». 


    Pour réécouter Rocé chez Sims, c’est là, à partir de 41’00 : https://www.nova.fr/news/sims-sur-nova-30-avec-roce-142902-24-05-2021/


    En concert le 9 juillet à Roubaix (La Condition publique).


    Image : Rocé photographié par Ousmane Diaby, tous droits réservés.


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  • À Clermont-Ferrand, ce romancier de l’apocalypse, qui flippe à mort dès qu’il entend parler d’utopies, nous offre une visite guidée de sa Gotham City post-soviétique : la « République indépendante de Mertvecgorod », dégueulasse et corrompue, où les kebabs ont enfin ce goût d’hydrocarbure dont il rêve la nuit.


    Ce sera, probablement, le bouquin le plus poisseux de la rentrée. Son titre, déjà : Feminicid, en librairies le 16 septembre, deuxième tome des chroniques de la « République indépendante de Mertvecgorod », un an et demi après Images de la fin du monde, tous deux publiés aux éditions Au Diable Vauvert. Dédié aux victimes de l’authentique féminicide perpétré dans la ville-frontière de Ciudad Juárez au Mexique depuis 1993 (quatre cents femmes assassinées, six cents disparues), le nouveau roman de Christophe Siébert est une sorte de Millenium craspec, à la sauce ruskoff. Son héros, Timur Maximovitch Domachev, est un fouille-merde, un résidu de journaliste spécialisé dans « les égouts et le caniveau », sans « aucune conscience sociale ni politique, aucune culture ». Son destin bascule le jour où il est contacté par des « aktivisti » énervées représentées par la mystérieuse Lily (ses loisirs : la techno hardcore, le chamanisme, la sexualité sacrée, les drogues synthétiques artisanales). Au prix d’une balle dans la tête, Timur enquêtera avec elle sur les milliers de meurtres atroces qui frappent les dames de Mertvecgorod.


    Mertvec-go-quoi ? L’auteur décrit sa Gotham City comme « une mégapole déliquescente de sept millions d’habitants, post-soviétique et pré-apocalyptique, dévorée par la pollution, perdue dans la toundra, pourrie jusqu’à la moelle, criblée de surnaturel. La version russe du Los Angeles de Blade Runner. Le Londres de Jack l’éventreur déplacé à la frontière ukrainienne. » Depuis sa (vraie) ville de Clermont-Ferrand, ce prince des ténèbres de l’underground littéraire, qui depuis plus de vingt piges propose via sa prose macabre un « réalisme critique et une forme de naturalisme social qui mêle horreur, pornographie et gore », très justement récompensé du prix Sade pour sa Métaphysique de la viande (2019), nous offre une visite guidée de sa contrée « où ça grouille, ça pue et ça braille », « purement, totalement soumise aux passions humaines : orgueil, avidité, narcissisme, impulsivité, égoïsme, libido ». Quelque part, oui : un futur désirable.


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Pour en savoir plus sur le parcours de Siébert et la « fabrication » de cet écrivain, c’est ici : https://audiable.com/boutique/cat_document/fabrication-dun-ecrivain/


    Image : Joker, de Todd Philipps (2019).


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  • À Paris, cette dessinatrice franco-écossaise esquisse le « service civique d’inactivité », un rendez-vous quotidien obligatoire avec l’ennui et « l’immobilité inefficace », sans écrans ni yoga. Zéro injonction à être zen. Une heure pour que dalle, nada, walou. Waou !


    Un arbre lui pousse dans le cœur. Pour Faune et flore, l’un de ses autoportraits à l’encre noire sur fond blanc rassemblés dans l’exposition Double Trouble visible à la galerie parisienne Arts Factory jusqu’au 26 juin, Maya McCallum se représente assise, le sein gauche à l’air libre, entourée d’angelots chérubins qui peignent ou croquent des fruits défendus, dans un ardent buisson de mains élastiques et de fleurs vaginales. Pour Sacré-cœur, son alter ego s’accroche à un myocarde en flammes, que trois cosmonautes en apesanteur semblent analyser ; les anges se sont démultipliés et cette forêt de symboles ésotériques devient de plus en plus inquiétante. Enfin, sur Printemps 2020, elle apparaît via trois versions d’elle-même masquées et ligotées sur une chaise, tenant un crayon, un sablier ou la planète Terre, avec es œufs sous cloche et un pangolin dont on ne voit que la queue ; tout autour, sept anges dansent en regardant tourner des horloges.


    Mais qui est Maya ? Selon ses propres mots, cette dessinatrice franco-écossaise de 43 ans est une « enfant de la Goutte d’Or », qui vit et travaille à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), après avoir « écumé dès 1995 la scène rock indépendante avec de nombreux projets à l’esprit Do It Yourself largement assumé ». Très tôt « fascinée par le surréalisme, le psychédélisme ou la dimension médiumnique de certains artistes issus de l’art brut », elle pose ses guitares début 2014 pour reprendre le dessin, via des « fresques érotico-baroques réalisées à la limite de l’état de transe » ou de « foisonnantes frises aux motifs hérités de la Renaissance », entre esthétique punk-rock, iconographie judéo-chrétienne et décorum fétichiste.


    Pour Double Trouble, expo qui l’associe au dessinateur Jean-Luc Navette, elle revisite donc l’art de l’autoportrait, via des dessins qui saisissent par la luxuriance minutieuse de leurs détails. « Ma technique me demande des heures (des jours, des mois) pour finir un dessin. Cet appel impératif et obsessionnel des détails, des petits traits noirs, m’apporte une qualité de concentration proche de la méditation. Ce temps long et suspendu est devenu le refuge évident de ma pensée, une accalmie salvatrice, à contre-courant d’un monde qui me semble souvent trop peuplé, trop bruyant, trop rapide pour ma nature plutôt contemplative. »

    Ces accalmies, un soir, lui ont donné une idée, qu’elle esquisse ici : le « service civique d’inactivité », un rendez-vous quotidien obligatoire avec l’ennui et « l’immobilité inefficace », sans écrans ni yoga. Zéro injonction à être zen. Une heure pour que dalle, nada, walou. Waou !


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Galerie Arts Factory, 27 rue de Charonne, Paris 11e.


    Pour écouter une autre utopie improductive signée du musicien Floyd Shakim, c’est ici : https://www.nova.fr/news/floyd-shakim-demain-on-applaudira-tout-ce-qui-est-rate-foireux-mal-prepare-130414-25-02-2021/


    Dessin : Maya McCallum, fragment de Vanité (2019).


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  • Lauréat 2020 du Prix de la Page 111, cet écrivain de Châlons-en-Champagne nous branche sur un plan de reforestation de l’Europe, pour planter des cèdres ou des saules à la place des champs de monocultures qui servent, majoritairement, à nourrir le bétail. 


    « Il nous faudra des millénaires pour démanteler les anciens dieux, et le démantèlement virera au culte. Mais pour la Terre, ça s’achèvera comme ça. Les cerfs croisant à nouveau les belettes au milieu des forêts ; des renards leur filant entre les pattes à l’affût des poussins protégés par leur mère, aux plumes rousses – sans personne pour les broyer, les abattre ni les enfumer. » Paru en septembre aux éditions Alma, récompensé sur Nova du très convoité Prix de la Page 111, Les Métamorphoses, le second roman de Camille Brunel, se déroule dans un avenir proche où une pandémie transforme soudain les humains en bestioles, au hasard. En hyène, en écrevisse, en brebis, en taon. La société toute entière s’en trouve assez naturellement bouleversée. « Et dans l’Amazonie, dont on n’arrivera pas à croire qu’on ait pu l’incendier sciemment, il n’y aura plus personne pour épier les lamantins croisant les dauphins croisant les piranhas(…) J’ai rien compris, mais je t’aime. »


    Pour sa septième utopie à bord de L’Arche de Nova, ce drôle d’oiseau de Châlons-en-Champagne (Marne), qui publiera bientôt un Éloge de la baleine aux éditions Rivages, nous branche sur un plan de reforestation de l’Europe, pour planter des cèdres ou des saules à la place des champs de monocultures qui servent, majoritairement, à nourrir le bétail. « Il y aura plus de forêts en France qu’on en a vues depuis la Préhistoire. Ce qu’on prenait pour des édens arboricoles – la Colombie-Britannique, Yellowstone, ce genre de spots de rêve – ce sera chez nous. La Chine regardera l’Europe comme Manhattan regarde le Yukon. L’Europe sera le far-west ré-ensauvagé de l’Asie, et non cette espèce de plaque de béton pullulant de promoteurs immobiliers et de pilotes de bulldozers. Elle ne sera plus tartinée de monocultures comme aujourd’hui, qui font parfois ressembler la Champagne au Sahara… la poésie des champs de blé à perte de vue, c’est mignon deux minutes, mais quand on pense aux forêts dont ils ont pris la place, on réalise qu’on a raté de peu l’époque où les paysages français étaient autrement plus touffus que ces dunes de céréales qui lissent l’horizon. Mais un jour, on pourra arrêter de se dire qu’on est arrivés après la désertification… puisqu’on sera nés après la reforestation.»


    Autre idée de l’écrivain, qu’on aimerait bien aussi voir prendre racine, pour calmer tout le monde : « Quant aux éoliennes qui fonthurler les réacs, on ne les voit même plus. Cachées par la canopée. »


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Pour écouter la précédente utopie de Camille Brunel, c’est là : https://www.nova.fr/news/camille-brunel-demain-la-variete-de-lespece-humaine-explosera-143223-25-05-2021/


    Image : Le domaine des dieux, de René Goscinny & Albert Uderzo (1971).


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  • Ce travailleur social organisa pendant dix ans des concerts à la prison de Fresnes, en invitant Gaël Faye, Vaudou Game, Youssoupha ou Sofiane Saidi. Co-auteur d’une BD sur cette expérience électrique, il aimerait maintenant, d’un geste, faire sauter les barrières de béton.


    « Dix ans que je suis derrière les barreaux. Enfin, je me lève chaque matin pour aller en prison. J’en sors en fin de journée, rassurez-vous. » Dans Symphonie carcérale, sa première BD dessinée par son ami Bouqé paru en 2018 aux éditions Steinkis, Romain Dutter raconte son travail de coordinateur culturel au sein du Centre Pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne), l’une des plus vieilles zonzons françaises en activité, la deuxième en termes de taille et de capacité : 3000 personnes y sont incarcérées. Au quotidien, sa mission consiste à mettre en place des ateliers (théâtre, écriture, musique) et, pour ce mélomane compulsif également batteur d’un groupe de cumbia, d’organiser des concerts. Parmi les invités de ses « Journées Zébrées » de barreaux, notons le nombre éclatant d’artistes joués sur Nova : Youssoupha, Vaudou Game, Gaël Faye, Sofiane Saidi, Arat Kilo, le Congolais Jupiter Bokondji et son orchestre Okwess, leurs compatriotes du Staff Benda Bilili, Scred Connexion ou David Neerman.


    « Au fil des années, la prison est un peu devenue la deuxième MJC de la ville », écrit Romain surnommé « Romano », à qui la direction fit entièrement confiance en termes de programmation. Dans ce « monde béton, inhumain, rétréci, sans aucun lendemain » chanté par Trust dans sa chanson Le mitard, le trentenaire a bien conscience que ces lives, difficiles à monter, ne sont « qu’un infime pansement sur toutes les plaies carcérales ou sociétales », tout en sachant que cette « goutte d’eau est vitale » pour certains détenu.e.s. À la fin du livre, ce travailleur social s’avoue cependant « usé ». « Tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la prison partagent le même constat depuis des décennies : la prison ne réinsère pas (ou peu), elle détruit les personnes qui y séjournent, la peine de prison reste trop souvent sans contenu et l’oisiveté y règne en maître, conduisant notamment à des phénomènes de violence et/ou de radicalisation », écrit encore Dutter, en citant, par le biais d’une étude de l’Observatoire international des prisons, le modèle suédois, qui maintient un minimum de quatre à cinq heures d’activités culturelles par jour aux personnes incarcérées, dont près de la moitié participe aux ateliers.


    Préparant avec Bouqé la sortie de Good bye Ceausescu, leur seconde BD sur la « révolution » roumaine de 1989 (à paraître en septembre 2021, toujours chez Steinkis), attelé à l’adaptation du roman Le jour d’avant de Sorj Chalandon (avec le dessinateur Simon Géliot), en pleine écriture d’un quatrième scénario (sur sa passion pour l’Amérique latine), Romain Dutter grimpe à bord de L’Arche de Nova pour faire péter les murs et les transformer, selon les vœux d’Isaac Newton, en ponts.


    Souvenons-nous alors, dans un murmure – pardon, dans un pont-pont – des vers de l’Haïtien James Noël, dans son long poème en prose La Migration des murs en 2016 : « Devant les murs, les pans de murs, les murs pour rien, les murs en masse, les murs en pente élevés comme pour rire, le monde s’embrouille, roule sa barque dans la farine, s’enfonce gravement dans la théorie du mortier et la pratique du gravier strict. La Terre se défonce, s’ensable platement dans l’asphalte (…) Il faudrait un peu méditer sur les murs des maisons qui parfois sont sans fenêtre, ni porte de secours. Nulle vue qui ne donne sur l’humain (…) Solide absence de liens, solide absence de ciment social des espèces et des espaces. Fortement critique, le cas clinique du monde au pied du mur (…) Viendra un jour un peuple de maçons de dernière heure qui se retournera d’un seul bond, en...

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  • Tandis que les thèses d’extrême-droite n’ont jamais eu tant d’écho dans l’Hexagone, cette fanfare afro-groove francilienne relit les mots du dernier empereur d’Ethiopie, Haïlé Sélassié, prononcés à la tribune des Nations-Unies en 1963.


    « La musique guérit nos âmes égarées depuis la nuit des temps. » Dix ans déjà que Balaphonics, réunion en fanfare de neuf musiciens franciliens sous le signe de l’afro-groove, soigne nos corps et nos esprits. Leur dernière ordonnance est épicée : Spicy Boom Boom, second album sorti ce printemps, nous prescrit des prises quotidiennes de highlife, d’éthio-jazz ou de rumba congolaise, antidotes possibles aux thèses d’extrême-droite qui salissent de plus en plus souvent le débat public hexagonal. Enregistré à Bamako et à Pantin (Seine-Saint-Denis), le disque séduit par son idée du métissage et la joie contagieuse de ses arrangements, amplifiées par la présence de nombreux invités : le griot malien Moriba Diabaté, le rappeur jamaïcain Franz Von, la chanteuse burkinabé Kandy Guira ou les Congolais menés par Jupiter Bokondji (présents cette semaine dans notre Chambre noire).


    « Faire écho pour nous rassembler, échanger », entend-t-on sur le morceau Onalala. Par la voix du batteur Florent Berteau, ces ambassadeurs du balafon baladeur prolongent cette pensée pacifiste en relisant pour L’Arche de Nova les célèbres paroles prononcées par le dernier empereur d’Ethiopie, Haïlé Sélassié, à la tribune des Nations-Unies en 1963, qui seront littéralement reprises et adaptées par Bob Marley sur sa chanson War (1976). « Tant que la philosophie qui considère qu’une race est supérieure et une autre inférieure ne sera pas finalement et en permanence discréditée et abandonnée ; tant qu’il y aura des citoyens de première et de seconde classe dans une nation ; tant que la couleur de la peau d’un homme aura plus de signification que celle de ses yeux… » À se remettre en tête avant d’aller voir Balaphonics en concert, le 26 juin à Oignies (Pas-de-Calais), le 16 juillet à Massy (Essonne) ou le 24 juillet à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines).


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Pour voir le magnifique clip animé de Demain, dès l’aube réalisé par Mathieu Choinet, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=d7Kg8t3uMO0&ab_channel=BALAPHONICS-afrobrassband


    Image : drapeau levé pour Haïlé Sélassié lors d’un concert de reggae à Saint-Elizabeth, Jamaïque (2012).


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  • Avant de reprendre le rôle de « Mademoiselle Julie » au festival d’Avignon, la fille de Romy Schneider nous incite à porter des lunettes extra-sensorielles, les « Véri-Verres », qui révéleront instantanément les émotions de notre entourage, telle une « réalité augmentée adaptée aux relations sociales ». Vu ?


    Elle a joué Feydeau, Sweig, Shakespeare. Du 7 au 30 juillet au festival d’Avignon, Sarah Biasini reprendra le rôle de Mademoiselle Julie, tragédie en cuisine du Suédois August Strinberg (1889) sur la lutte des classes et les jeux de pouvoir et de séduction entre trois personnages à la veille de la nuit de la Saint-Jean, mise en scène par Christophe Lidon avec Déborah Grall et Yannis Baraban. À 42 ans, cette native de Ramatuelle a fait ses preuves en tant que comédienne, mais les gens ne lui parlent que de sa mère (y compris à la maternité, en devenant mère à son tour, pendant l’accouchement, entre deux contractions), à laquelle elle ressemble certes beaucoup et qu’elle évoqua, en tout début d’année, dans un livre : La Beauté du ciel, aux éditions Stock. « Si j’écrivais ici le nom de ma mère, j’aurais l’impression de parler de quelqu’un d’autre, d’une étrangère. Son nom d’actrice, de travail, ne lui appartient presque plus et j’ai l’impression qu’à moi, il n’a jamais appartenu (…) L’appeler ma mère, il n’y rien de plus beau. Personne à part moi ne peut le faire. Je ne vais pas m’en priver (…) Personne ne veut oublier ma mère, à part moi. Tout le monde veut y penser, sauf moi. Personne ne pleurera autant que moi si je me mets à y penser. »


    Dans l’impressionnante filmographie de Romy Schneider, Sarah Biasini voit et revoit, « entre peur, gêne et fascination », La Piscine (Jacques Deray, 1969), César et Rosalie (Sautet, 1972), Le vieux fusil (Robert Enrico, 1975) ou Une histoire simple (Sautet, 1978). Elle adore aussi son sens du tempo dans la comédie d’espionnage What’s New Pussycat ? (Clive Donner, 1965). Et dans Les Choses de la vie (Claude Sautet, 1970), une scène apparemment anodine retient son attention. Romy interprète Hélène qui, devant sa machine à écrire, au petit matin, ne sait plus comment traduire de l’allemand le mot « mentir ou, non, pas mentir ; tu sais, quand on invente des histoires ? » Et Michel Piccoli, en peignoir, clope au bec, répond : « Affabuler. »


    C’est peut-être de là, de ce bref moment d’intimité de l’Histoire du cinéma, qu’est venue à Sarah l’idée des « Véri-Verres », des lunettes spéciales, « bioniques, extra-sensorielles », qui révèlent instantanément les émotions authentiques de notre entourage. « Une petite machine sensible, intelligente, qui nous aiderait à VOIR les gens AUTREMENT. La réalité augmentée adaptée aux relations sociales. Pour que la vérité nous saute aux yeux. »


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Mademoiselle Julie, du 7 au 30 juillet au Théâtre des Halles, chaque jour à 16h30, 4 rue Noël Biret, Avignon.


    Image : Invasion Los Angeles, de John Carpenter (1988).


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  • Dans un livre d’entretien baptisé « Tout tremble », cette écrivaine parisienne, chanteuse et danseuse du groupe Catastrophe, aligne des idées pour un monde « plus sensible, sans se laisser aliéner par le pouvoir, l’argent, la technique ».


    « Dans un monde qu’on dit sans espoir, nous essayons de rester malicieux (…) De ne pas laisser la sidération gagner la partie. De déjouer la fatalité, mais avant tout celle qu’on éprouve en soi-même. C’est en ce sens, mathématique, que nous sommes positifs. » Dans un livre d’entretien baptisé Tout tremble, co-écrit avec le journaliste Jean-Marie Durand et publié ce printemps par les Presses Universitaires de France, Blandine Rinkel confie sa peur d’une « massification » de la bêtise, « celle qui consiste à répéter mécaniquement des choses qu’on n’a pas comprises ». L’autrice parisienne de 30 ans admet bien entendu qu’il lui arrive –comme nous tous – de tirer des conclusions de la simple lecture du titre d’un article, de répéter des opinions toutes faites, « des insultes ou des indignations », « d’imiter, de jouer à, de mentir parfois », comme la narratrice de son dernier roman en date, Le Nom secret des choses (Fayard, 2019).


    À moins d’un an des élections présidentielles, la parolière, chanteuse et danseuse du groupe Catastrophe s’effraie de cette attitude (« qui gagne du terrain ») consistant à « abdiquer toute personnalité » en se ralliant « à une même formule, à un même cliché ». Ces comportements moutonniers lui rappellent aussi le brillant film d’animation de l’Américain Charlie Kaufman, Anomalisa, dans lequel, dit-elle, « un homme est si sclérosé par l’aspect mécanique de sa vie que pour lui tous les humains ont exactement le même timbre de voix. Jusqu’à ce qu’il rencontre quelqu’un – une autre voix – pour la première fois. » Dans ses lectures adolescentes, Blandine Rinkel a entendu « des aveux d’imperfection, des refus de n’engager que des relations de pouvoir » et la leçon fut la suivante : savoir dire je ne sais pas, assumer sa vulnérabilité, développer une pensée propre.


    « La jeunesse n’a d’autre choix que la responsabilité. » Tandis que Catastrophe repart enfin en tournée à l’affiche notable ce jeudi 10 juin du festival des Inrocks à l’Olympia avec La Femme et les Hollandais turcophiles d’Altin Gün, sa meneuse de revue énumère à bord de L’Arche de Nova des propositions pour un monde « plus sensible, sans se laisser aliéner par le pouvoir, l’argent, la technique (…) où cultiver sa conscience, son imagination, serait considéré comme souhaitable. » C’est sur ces mots, quasiment, que se conclut Tout tremble.


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Catastrophe jouera Gong ! et autres surprises ce mercredi 9 juin à Rennes, le 15 à Saint-Brieuc, le 18 à Marseille, le 26 à Mayenne ainsi qu’un peu partout en France jusqu’à mi-novembre.

    Image : Anomalisa, de Charlie Kaufman (2015).


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  • À Paris, cet écrivain et éditeur fomente la révolte « horizontale » de « l’an zéro virgule un », lors d’une « panne d’oreiller interactive » des Français.es, épuisé.e.s par « les excréments de langage » et « la guérilla psychique du capital-risque ». 


    Son livre est délicatement dédié « aux quantités négligeables ». Dans Il était une fois sur cent, drôle de recueil de « rêveries fragmentaires sur l’empire statistique » publié ce printemps aux éditions La Découverte, Yves Pagès rassemble des centaines de pourcentages glanés pendant des années sur un carnet, l’oreille tendue, l’œil alerte, en lisant les journaux, en écoutant la radio. « Vertigineux inventaire », qu’il se hasarde à interpréter pour insuffler du vivant et des « utopies discordantes » et « traquer les failles implicites » au pays des chiffres. « Il était une fois – entendez une fois sur cent – un seul aristocrate au sang bleu parmi cent Français de toutes extractions sous l’Ancien régime ou, pour revenir à notre immédiat contemporain, un rare mec développant un cancer du sein pour quatre-vingt-dix neuf femmes atteintes d’une tumeur mammaire. De même, il n’est qu’un rouquin de naissance pour chaque centaine de têtes blondes, brunes, auburn, châtaines, qu’un seul mâle repenti à s’être fait retirer son tatouage ou qu’une adulte sur cent sondées de sexe féminin à se déclarer bisexuelle. Pareil pour l’infime proportion d’ados sachant siffler au moyen de 2 fois 2 doigts calés à la commissure des lèvres, sans négliger que, sur les millions de courriers publicitaires envoyés dans nos boîtes aux lettres, 1% d’entre eux reviennent à l’envoyeur avec la mention N’habite plus à l’adresse indiquée. »


    Et que faire du 1% de diagnostiqués schizophrènes, de bouddhistes pratiquants, de citoyens gardés à vue dans un commissariat, « de petiots non encore scolarisés en maternelle », de « kleptomanes aux deux tiers plutôt woman », d’« automobilistes sans permis d’ainsi se conduire », de femmes « encartées dans une société de chasse », ou de « profils Facebook s’affichant à titre posthume » ? Peut-être sont-ils liés, allez, par un sentiment commun d’aliénation qui commence sérieusement à leur courir sur le haricot (bio à 66,66%). Celui d’être épuisé.es par « le grand bla-bla managemental » qu’Yves Pagès décrit avec humour dans cette vision d’anticipation en hommage à L’An 01, cette merveilleuse bande dessinée signée Gébé en 1970, où la société dans son ensemble se met à l’arrêt pour réfléchir – influence première de L’Arche de Nova.

    Co-directeur des éditions Verticales, auteur d’une quinzaine de livres (romans, essais, photos), l’écrivain parisien fomente la révolte « horizontale » de « l’an zéro virgule un », lors d’une « panne d’oreiller interactive » des Français.es devenu.e.s « grêveuses et grêveurs » en quête d’« anonymaginaires en libre partage ». Suivons-le à 100% !


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Yves Pagès sera statistiquement présent ce jeudi 10 juin à 19h à la Maison de la Poésie de Paris lors d’une rencontre animée par Sophie Joubert, ainsi que samedi 12 juin à 17h pour un goûter-lecture à la librairie L’Atelier, 2 bis rue de Jourdain, métro Jourdain, Paris.


    Image : L’An 01, de Jacques Doillon, Alain Resnais et Jean Rouch (1973).


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  • Pour les trente piges du premier album « authentik et radical » du Suprême NTM, le Jaguar Gorgone déclame a cappella les paroles de leur hit emblématique initial, qui incitait l’élite à « regarder sa jeunesse dans les yeux ».


    « Je suis le haut-parleur d’une génération révoltée prête à tout ébranler / même le système qui nous pousse à l’extrême / Mais NTM Suprême ne lâchera pas les rênes. » 3 juin 1991 : date-clé pour le hip hop francophone via la sortie d’Authentik, premier album d’un posse de Seine-Saint-Denis appelé à devenir légendaire. Déjà familiers des studios de Radio Nova via leurs passages dans l’émission Deenastyle de Lionel D et Dee Nasty, les deux principaux MCs nommés JoeyStarr et Kool Shen, 23 et 24 ans à l’époque, affirment « combattre pour la jeunesse, pour faire valoir leurs droits » face au « pouvoir institutionnel », « armés » de leurs textes urgents et portés par la production plaquée or de DJ S

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    Quelques mois plus tôt, le 9 octobre 1990, le groupe a publié un 45-tours à succès intitulé Le monde de demain qui, tout en samplant T stands for Trouble de Marvin Gaye, évoque le « point critique » des tensions en banlieue suite à des décennies de mépris de la part des élites politiques. « La délinquance avance », la violence aussi, clament les rappeurs du 9-3 dans cet « appel » à ceux « qui commandent en haut-lieu » ; un vrai morceau de « lanceurs d’alerte » comme on dirait aujourd’hui, pour dire le risque de guerre civile nourrie par l’exclusion, le racisme systémique et le désir consécutif de « tout foutre en l’air ».

    Trente ans plus tard, c’est avec ce hit emblématique initial que JoeyStarr conclue cette journée anniversaire sur Nova, au cours de laquelle il joua les programmateurs très spéciaux. Grimpant à bord de L’Arche de Nova, l’expert de la maison-mère relit pour nous, a cappella, les paroles du monde de demain – tandis que vient de s’achever à Paris le tournage de la série du même nom sur l’épopée Nique Ta Mère, réalisée par Katel Quillévéré et Hélié Cisterne, à découvrir prochainement sur Arte en 6 épisodes de 52mn. Le film Suprêmes, mis en scène par Audrey Estrougo, sortira en salles, lui, le 24 novembre 2021. « Le monde de demain, quoi qu’il advienne, nous appartient… on attend toujours », lâche le Jaguar à notre micro, sans illusion.


    Propos recueillis par Reza Pounewatchy. Réalisation : Mathieu Boudon.


    Pour écouter les quatre saisons du podcast Gang Stories raconté par JoeyStarr, c’est ici : https://www.deezer.com/fr/show/901962


    Image : extrait du clip du Monde de demain, réalisé par Stéphane Sednaoui (1991).


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  • Du côté d’Angers, le généreux chanteur et « poète-à-chapeau » de cette caravane de fieffés bourlingueurs-funambules cherche le « perfect timing du mouvement de nos existences » à l’écoute des dernières splendeurs du pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim.


    « Tout est si minuscule. Ce vieux piano bancal qui parle d’océan. Et le reste, il s’en moque. » La voix grave pose en quelques mots un décor de « rafiots rouillés », soutenue par des chœurs angéliques. Plus tard, « un matelot naufragé construit une voile de plumes. Tout est majestueux. » Sur Transe de papier, seizième album des nomades angevins de Lo’Jo paru en décembre sur le label Yotanka, une chanson peut tout à fait « flâner dans le jardin », en sentant « le lys et le jasmin », tout en « prenant le pouls des solitudes, car… », dit Denis Péan, « … je suis l’incertain qui dérobe le parfum au deuil de quelques roses ». Ces tendres vers seront repris à la fin du disque, en français s’il lui plaît, par l’immense ami anglais Robert Wyatt, tandis que le batteur légendaire de l’afro-beat, le regretté Nigérian Tony Allen, secoue ses fûts sur deux titres qui compteront parmi ses ultimes enregistrements.  


    Oh, mais qui est Lo’Jo ? Depuis trente ans et selon leurs propres termes : « Un grand souk acoustique qui proposerait au chaland esbaudi arômes de guinguette et effluves tziganes, valse apache et bamboche rasta, blues berbère et swing africain, rock et danse du ventre, groove et vaudou. Un sacré Bazar Savant avec henné et barbe à papa, muezzins et camelots ». « Une caravane de fieffés bourlingueurs-funambules-globe-trotters » dont le « charme aventureux » reposerait sur « ces violons aux coups de reins voluptueux, ces cascades de kora agile, ces chœurs féminins virevoltants et ces percussions acrobatiques, arômes polyrythmiques, petites fleurs pentatoniques ». Sans oublier, donc, les textes d’un chanteur et « poète-à-chapeau », le père Péan, « mélange de sabir guttural et de poésie à la Desnos, entre fables de griots et aphorismes humanistes, mêlant français, espagnol, arabe, créole ou anglais » ; un lecteur sûr, bluffé pour toujours par la prose d’Henri Michaux ou plus récemment par le « néo-langage » du roman S.-F. Les Furtifs d’Alain Damasio.


    Pour L’Arche de Nova, Denis Péan s’accorde une nouvelle pause à L’hôtel du souvenir, cette chanson méditative où ce tout jeune sexagénaire paraissait « hypnotisé » par sa « vie de bohème ». Il revient sur l’utopie de Lo’Jo, cette maison communautaire des environs d’Angers qui accueillit dix-sept ans durant des artistes des lointains, « havre de paix, quartier général des fantaisies, bouée pour quelques humains en rupture de ban, école quotidienne pour le partage ». Puis s’interroge avec sagesse sur le « perfect timing du mouvement de nos existences » à l’écoute des dernières splendeurs du pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim, en solo sur Dream Time (2019). Avant de laisser un ami musicien, Scott Taylor, chanter « l’oubli » et le passage de « trois anges » en s’accompagnant au sanza. Tout est majestueux.


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Lo’Jo sera en concert le 18 juin à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), le 9 juillet à Miramas (Bouches-du-Rhône) ou le 28 août à Pézénas (Hérault).


    Image : Lo’Jo, tous droits réservés (2017).


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  • Dans l’Ain, cette bouchère à la retraite – qui vient de fêter ses 90 ans et se trouve être, ça alors, la grand-mère du créateur de ce podcast – découpe des conseils sur-mesure pour les générations futures.


    La scène rappelle un peu Un dimanche à la campagne, de feu Bertrand Tavernier. Passage express ce week-end à Miribel (Ain), près de Lyon, pour célébrer comme il se doit les quatre-vingt dix printemps de ma grand-mère paternelle, Marcelle Marchand, benjamine (sur cinq enfants) d’un tourneur-ajusteur et d’une femme de ménage. Dans sa prime jeunesse, Marcelle est l’employée d’une usine de tissage, tout en participant pour ses loisirs à des ballets, aux ateliers de gymnastique rythmique, au groupe théâtral – elle joue Feydeau – et surtout à la chorale de l’union laïque, où elle chante Étoile des neiges et rencontre un garçon « toujours dans les bagarres », René Gaitet.


    Une fois marié, le couple reprend puis tient de 1952 à 1974 la boucherie-charcuterie des parents de René. Tranches de confidences : « Je n’y connaissais strictement rien, pas capable de différencier le veau du bœuf ! J’ai débarqué comme ça. Pendant que René faisait ses tournées en camion à la campagne, moi je tenais le magasin. Au début, les clientes en profitaient un peu, je coupais pas comme il faut, j’abimais la viande, mais c’est rentré, à force. Fallait se lever à 4h du matin, tout préparer pour l’ouverture, jusqu’à 20h, du mardi matin au dimanche midi – avec quand même une fermeture en milieu de journée, pour nettoyer la machine à jambon. Le lundi, le grand-père allait chercher ses bêtes à la ferme et il les tuait dans notre abattoir. Puis fallait faire la tripe, détailler, tirer parti de tous les organes commercialisables. Aujourd’hui, c’est moins difficile : les bouchers se font livrer. On a travaillé bien deux ans sans personnel. Après, on a pris un employé, qui désossait. Mais après, on arrivait à trop travailler, donc j’ai proposé à René d’abandonner ses tournées, qu’on travaille que tous les deux, sans personnel, sans femme de ménage. J’aimais le contact. J’achetais des kilos de bonbons pour les gosses qui passaient dire bonjour. Et chaque premier de l’an, les clients arrivaient de leur réveillon pour boire le café. C’était dur, mais tellement sympa. »


    Désormais aussi âgée que William Shatner, l’inoubliable interprète du Capitaine Kirk dans Star Trek, Mémé grimpe à bord de L’Arche de Nova et découpe des conseils sur-mesure pour les générations futures. « Faut pas demander l’impossible, hein ! Je rêvais pas d’aller sur une autre planète, par exemple. On a bien assez de la Terre. Et j’ai jamais eu de vélo ! »


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Image : Jacqueline Bouvier, mère de Marge Simpson, dans Les Simpsons de Matt Groening (1989).


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  • Entre Paris et Kinshasa, ce rappeur-producteur prêche avec ferveur son désir d’unité mondiale inter-espèces « win-win, spirituelle et égalitaire », via un texte coécrit avec sa mère, la scientifique et militante féministe congolaise Georgette Biebie Songo.


    « À chaque nouvelle rime, j’écris mon futur NostraDashmus / Certains ont pris ça comme un don / D’autres m’appelaient l’rêveur », rappait-il à la rentrée 2020 sur son morceau Casablanca. Branchons-nous sur les visions de Freddy Biebie dit Grödash, « artiste humaniste et producteur engagé ». Né en 1981 (comme Radio Nova), ce fils d’intellectuels congolais opposés à Mobutu grandit au Congo Brazzaville et arrive en France à 14 ans, direction Les Ulis (Essonne). « Au lycée, j’étais en cours avec Diam’s et c’est un petit peu elle qui m’a boosté en premier. Elle écrivait déjà, elle me faisait écouter ses trucs. On a commencé à gratter avec Fik’s, Bobby, Sinik… » Ce qui donna, depuis son premier enregistrement au « mental de mercenaire » en 1999, depuisson passage en solo en 2008 après l’aventure collective Ul’Team Atom, « des poignées de punchlines » parfois devenues des classiques, comme l’inoxydable et si puissant Charme du ghetto.


    Invité récent d’une session de freestyle aux côtés des platines de Sims sur Nova, Grödash y présentait des éclats de son dernier EP sorti en avril dernier, Ghetto littérature, porté par les samples de son compère Coazart, où son flow est irrigué à plusieurs reprises par sa relation complexe au continent africain. Sur Jeux pervers, qui détourne et « fait chialer » la guitare mélancolique du Wicked games de Chris Isaak, le tout jeune quadragénaire écrit : « Africa je t’ai détesté de toutes mes forces, depuis que t’as baissé la garde, que t’as traité de sorciers tes gosses. T’as préféré viser le Nord, délaissé nos cités d’or. Tu t’es trompé de Léopold, fallait enseigner du Senghor. » Grödash lui fera « un doigt d’honneur » pour avoir « bafoué les droits de l’homme », avant d’avouer à l’Afrique qu’il « l’aime depuis le placenta » et rêve de se « blottir dans ses courbes » tandis qu’à Paris, il « crève de froid ».


    Pour L’Arche de Nova, Grödash signe un beau prêche utopique d’unité mondiale inter-espèces… avec sa mère, la Congolaise Georgette Biebie Songo, professeure de toxicologie ayant œuvré dans la recherche du vaccin contre le virus Ebola, « aînée d’une famille de vingt-et-un enfants dont quatorze filles » devenue militante acharnée pour la promotion des droits humains et des droits de la femme en particulier, lauréate en 2016 d’un prix décerné par l’ONU pour son combat en faveur de l’égalité des sexes et de l’autonomie des femmes africaines. En 2008, afin de lutter contre « la pauvreté excessive » de celles-ci, ce « diamant brut » a fondé à Kinshasa une mutuelle d’épargne et de crédit d’appuis au développement, prolongée depuis 2017 avec la GBS Fondation, qui promeut l'entrepreneuriat féminin, le micro-crédit et l’accès pour toutes à la téléphonie connectée. Sa lutte a également permis d’inscrire la parité et la condamnation des violences sexuelles en tant que crimes contre l’humanité dans la constitution de la République Démocratique du Congo. Changer le monde, en mieux, avec verve et panache : une mission poursuivie de mère en fils.


    Pour en savoir plus sur les actions de Georgette Biebie Songo, c’est ici : https://www.gbs.foundation/


    Pour écouter Ghetto littérature, c’est là : https://music.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_khv-lxzOo_QvUETMSHInwRqTBFcLTl1IA


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Image : Kinshasa, de Guillaume Jan (2009).


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  • À Grenoble, cet auteur de BD prolonge avec sa langue les aventures coquines de son célèbre ourson érotomane, pour interroger les frontières du genre et les limites de la fluidité.


    Trouble des sens sur la planète bleue. À Brooklyne, ce bon vieux Teddy Beat, l’ourson baiseur au grand cœur dont la peau est de la même couleur que les Schtroumpfs, a sacrifié son corps sur l’autel de la science « afin de percer le mystère de la jouissance féminine ». Par la magie d’une opération de chirurgie esthétique aux bons soins du Docteur Ragoût, ce Casanova a casquette est devenu « Jamie-Lee », sculpturale bimbo aux longs cheveux roses en mini-jupe jaune. Et inévitablement, « ça dérape ». Sa recherche insouciante du plaisir se transforme en expérience du sexisme ordinaire, du harcèlement de rue, avant un viol sinistre – et le « vol de sa bite » chapardée par un chanteur cafardeux, que Teddy cherche à récupérer par tous les moyens. Mais comme l’apprendra ce nounours « femâle » lors d’une scène splendide d’épiphanie psychédélique : « La route de l’excès mène au palais de la sagesse. »


    Ecrit et dessiné par Morgan Navarro, Sex Change, troisième tome des aventures sexuelles de son érotomane favori (qui lui valut en 2012 le prix de l’audace au festival d’Angoulême), est sorti en mars aux éditions Les Requins Marteaux au sein de leur coquinette collection « BD cul ». Pour L’Arche de Nova, ce Grenoblois de 45 ans livre avec la langue une sorte d’épisode-bonus, où Teddy rencontre une femme-oiseau, en interrogeant les frontières du genre et les limites de la fluidité. Si vous n’êtes pas d’accord, sachez que Morgan Navarro sera en dédicace ce vendredi de 17h à 19h à la librairie BD Net Bastille, 26 rue de Charonne dans le 11e arrondissement.


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Illustration : Sex Change, de Morgan Navarro (éditions Les Requins Marteaux, 2021).


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  • [Archive.] Toute sa vie, le surréaliste peintre catalan tressa des lauriers aux « beautés terrifiantes » de son compatriote Antoni Gaudí, créateur de la Sagrada Família ou de structures « aussi visqueuses qu’un foie de veau ».


    « Dresser des tours de chair et d'os à vif dans le ciel vivant par excellence de notre Méditerranée, telle a été l'architecture de Gaudí. » En 1933, Salvador Dalí érige un cryptique et mystérieux palace de mots et de louanges à son compatriote catalan, Antoni Gaudí, créateur de la mythique Sagrada Família de Barcelone, disparu sept ans plus tôt. Publié dans la revue Minotaure avec des photographies de Man Ray, son article, intitulé De la beauté terrifiante et comestible de l'architecture modern style, exprime le désir d’une architecture « phénoménale » qui reposerait essentiellement sur une « dépression très accentuée de l’activité raisonnante, allant jusqu’aux confins de la débilité mentale », une « imbécilité lyrique positive », « échappement, liberté, développement des mécanismes inconscients », « grande névrose d’enfance, refuge dans un monde idéal, haine de la réalité », « folie des grandeurs, mégalomanie perverse », « besoin et sentiment du merveilleux et originalité hyper-esthétique », « impudeur absolue de l’orgueil, exhibitionnisme frénétique du caprice », « aucune notion de mesure », « réalisation de désirs solidifiés », « éclosion majestueuse aux tendances érotiques ».


    Où sont aujourd’hui les « maisons pour les fous vivants » réclamées par le peintre surréaliste à moustache qui rebique ? Ces « tartes et gâteaux ornementaux » ? Ces « grottes aux tendres portes en foie de veau » ? La « dynamique-asymétrique » de ce style « gothique méditerranéen » capable de se « métamorphoser », « par une certaine fantaisie involontaire », « en hellénique, en extrême-oriental, en Renaissance » ? L’édifice de mes connaissances en architecture contemporaine est bien trop fragile pour répondre à la question. Réécoutons alors Dalí, via ce montage de deux interviews télévisées de 1958 et 1964, tresser des lauriers à Gaudí.


    (P.-S. : Une exposition « immersive » baptisée Gaudí, architecte de l'imaginaire, créée par le studio Cutback et visible jusqu’en janvier 2022 vient de s’ouvrir aux Ateliers de Paris, 38 rue Saint-Maur dans le 11e arrondissement. Le prospectus annonce : « Par un jeu de matières et de lumières, l’Atelier prend les formes de voûtes hyperboliques, de piliers obliques, de façades ondulées et s’ornent de motifs organiques et de mosaïques de verre et céramique. En une dizaine de minutes, au rythme des courbes musicales de Gershwin, le matin se lève sur le parc Güell, éclairant le visiteur au milieu des moulures ou chapiteaux mais surtout de la texture des rochers, du parfum des plantes, de la couleur des fleurs, du chant des oiseaux. » Et les foies de veau, caramba ?)


    Réalisation : Mathieu Boudon.


    Pour écouter la précédente archive du futur, avec Marguerite Duras, c’est là : https://www.nova.fr/news/marguerite-duras-demain-tout-recommencera-par-une-indiscipline-140475-04-05-2021/


    Tableau : Réminiscence archéologique de l’Angelus de Millet, de Salvador Dalí (1934).


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