Episódios
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Je ne sais pas ce que je suis. Je ne sais pas si je suis quelque part. Je ne sais pas si je suis quelqu’un.
Pourtant, juste avant, j’existais. Pleinement. J'existais pleinement. Aucune distinction avec le reste du monde. J’étais le monde. J’étais le vent, l’oiseau qui se pose sur l’arbre, l’arbre, ses feuilles, ses branches, son tronc, ses racines, je continuais d’être l’oiseau en même temps. Et la terre, et la vie sous terre. Et tout ce qui vit. Je resurgissais à l’air. Libre.
Et puis la chute.
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La journée est passée. Tu rengaines tes outils. Tu quittes ton poste. Les turbines décélèrent. Leurs kilomètres d’entrailles dégorgent un dernier râle. Dans ton bleu souillé, tu poisses. Ta carcasse perle de suie. La fourmilière se vide. Les autres te traînent au zinc. Vous avez souqué ferme, bon sang de bois. Les tournées sont lancées, le dégel éthylique. Cela devient infernal. Tu patientes. Tu décomptes la durée congrue avant de déguerpir. Le temps amical est gradué, comme toute chose. Tu échappes aux fins de parties, avant la politique et les engueulades. Quel éteignoir tu fais. Dans la foule transportée de gare en gare, tu penses à l’autre. Le feulement de l’express te rappelle son souffle, et les remous la houle, les roulis qui te portaient là-bas. Cette nuit, elle viendra. Il te tarde.
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Estão a faltar episódios?
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Les échos de mon dernier cachet d’Acétyl-Fentanyl finissent de disparaitre, et aussitôt la douleur revient par vagues, comme une marée montante. D’abord un premier coup de semonce, sec et brutal, qui en annonce d’autres, de plus en plus insupportables, comme chaque fois que ma blessure aux lombaires se réveille et que ma colonne vertébrale se met à me vriller le cerveau. Incapable de prononcer le moindre mot, mâchoires serrées à m’en péter les dents, je fais quelques pas pour m’éloigner des autres, le temps de poser mon fusil sur le sable, de détacher mon sac à dos et d’y chercher ma trousse à pharmacie, les mains tremblantes...
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Le matin, j’étais tombé sur une annonce dans la rue : « Souvenirs d’enfance perdus. J’offre tout à qui me les rapportera, par voie postale, écrite ou orale. » C’était une feuille A4 légère, placardée à un poteau sur le chemin de mon atelier. Sous le message, les lamelles pré-découpées pendaient, sans élégance. Personne n’avait encore pris de numéro. Ça m’a fait un peu de peine, cette poésie sans destinataire. Alors j’ai déchiré un papier. Histoire de. Puis je l’ai fourré dans ma poche.
Et je n’y ai plus pensé. -
Tu ne m’as jamais dit que tu partais pour elle. Pour elle, la formule est sans doute inexacte. Tu n’as jamais admis que l’énergie qui te traversait, qui te bordait, te protégeait, cette énergie te venait d’elle. Non, tu as simplement découvert que toi et moi, ça ne marchait plus. Tu m’as fait croire que tu avais cette force, de me quitter pour épouser la solitude, pour te retrouver. Et j’y ai cru, je t’ai même admiré pour cela. Ton départ a déclenché en moi une admiration nouvelle, je t’ai aimé d’avoir ce tempérament, d’avoir ce cran, de reprendre ta vie en mains, comme tu disais, entre tes mains, tes propres mains, tes seules mains. Seulement voilà.
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Elle prend l'avion pour Keflavik. Elle va le retrouver. Elle est partie de Nantes ce matin direction Paris, puis un premier avion pour Vienne et désormais, ce vol pour l'Islande. Les voyageurs low cost font des trajets en Z pour se rendre d'un point A à un point B.Il y a trente ans, elle y était restée à ce fameux point A, tandis que lui avait filé tout droit dans une direction qu'il était seul à connaître. Mais aujourd'hui elle part enfin le retrouver : Le Capitaine.
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A quel moment tout ça a basculé ? A quel moment me suis-je retrouvé, ici, sur la piste du Twenty two bar, à danser au milieu de gens que je n’ai jamais vus de ma vie ? Comment en est-on arrivé là ? Parfois il y a des choses qu’on ne maîtrise pas.
A la base, j’étais venu pour Emilie. Elle devait être ici ce soir, j’avais eu vent de cette information par un ami, au détour d’une phrase, et j’avais trouvé judicieux que, par le plus grand des hasards, nous nous y croisions. On ne s’était pas revus ni parlé depuis une semaine, quand elle était partie en claquant la porte, et sa dernière phrase avait été : Tu finiras seul avec ton chien !
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Le vent fouette la roche brune, escarpée, qui borde la plage. Une pluie fine et piquante a vidé le sentier de ses promeneurs et la brume s’est levée, brouillant l’horizon. On ne discerne rien à un mètre, il faut être du coin pour s’aventurer dans ce coton épais. Ou bien fou. Fou amoureux.
L’homme à la carrure imposante s’abrite des bourrasques en relevant seulement le col de son manteau noir, il ne sent pas l’eau glacée sur son visage ; son cœur brûle. Il progresse coûte que coûte.