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C’est un projet structurant pour l’Europe de la Défense, son nom : le MGCS, pour système principal de combat terrestre. Ce char du futur, qui doit remplacer le Leopard 2 dans l'armée allemande et le Leclerc dans l'armée française vers 2040, peine pourtant à décoller. Mais le canon de ce char du futur existe déjà, KNDS France a présenté l’Ascalon, mais il fait l’objet de désaccords entre industriels.
Qu’il est difficile de s’entendre lorsqu’on est quatre. Le char du futur est porté par Thales, Knds France–anciennement Nexter- Knds Allemagne avec Krauss Maffei Wegmann et enfin Rheinemetall, le géant allemand de la défense. Pour garantir un partage équitable des tâches, huit piliers capacitaires ont été édictés. Mais les choix technologiques seront faits après évaluation et des deux côtés du Rhin, on s’écharpe sur le canon.
Rheinmettal a fait le choix d’un tube de 130 mm, quand Nexter propose l’Ascalon deux tubes pour tirer des obus de 120 et 140 mm.
L’Ascalon est doté d’une architecture Super ShotEt l’Ascalon, nous l’avons vu au dernier salon d’Eurosatory, monté sur un char Leclerc Evolution, François Groshanny directeur de programme Char de combat futur chez KNDS France nous en a fait la présentation : « Quatre caractéristiques essentielles, d'abord, un niveau de puissance délivré à la bouche et à la cible jamais égalé. On a là une capacité à changer de calibre en moins de 30 Min. Troisième caractéristique, il est extrêmement compact, donc on utilise une architecture dite super shot. On voit ici la munition qui est une munition de 140 qui fait donc 130 millimètres de haut. Dernière chose, on travaille beaucoup à l'intégrabilité de ce canon en tourelle pour avoir une empreinte à l'intérieur de la tourelle qui est minimale et donc on pourra loger plus de personnel en châssis. »
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Côté français, l’on craint que Rheinmetall et Krauss Maffei Wegmann réunis impose le canon allemand, et ce, malgré le coup d’avance de Nexter qui avec l’Ascalon propose une technologie de rupture. « Ascalon, c'est d'abord une technologie. »,François Groshanny,« Ici, elle est déclinée en 140 et en 120. Mais c'est une technologie qui pourrait être déclinée dans un autre calibre si c'était de nature à faire l'assentiment d’une force occidentale intéressée par le canon. Tout le monde connaît bien le canon du César qui est aujourd'hui une référence mondiale. On espère faire de l’Ascalon également la référence mondiale, mais cette fois-ci, pas sur le segment de l'artillerie, mais sur le segment des chars. »
Des arbitrages industriels lourds de conséquencesIl y a donc des arbitrages industriels lourds de conséquences, surtout dans un contexte de retour de la guerre de haute intensité. La France ne veut pas devenir un nain industriel dans le segment des chars de combat. Pour François Groshanny, « La guerre en Ukraine a remis sur le devant de la scène la guerre symétrique. La France était plutôt organisée autour d'une armée de projection. On voit que cette période est révolue. On est en train de changer d'ère. Et quand on change d'ère et qu'on revient au combat asymétrique, ça veut dire qu'il faut se rééquiper avec toute la gamme et pas seulement avec la gamme des véhicules médians. Et puis le segment du char est un segment stratégique puisque c'est autour de ce segment qu’est en train de se réorganiser l'industrie de défense terrestre. On est dans une phase un peu de concentration. On l'a vu, nous, avec la création de Knds Group qui résulte de la fusion de Nexter et de Krauss Maffei Wegmann. Mais cette concentration est plus générale puisqu'on voit maintenant que dans MGCS on intègre Rheinmetall. Donc c'est vraiment sur ce segment de produit que s'opère la concentration de l'industrie et chacun travaille ses domaines d'excellence pour arriver à construire dans la durée le Lego qui va faire matcher les différents industriels. »
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Et pour que cela puisse « matcher » et satisfaire français et allemand, la Direction Générale de l’Armement émet l’hypothèse d’une coexistence de deux chars différents, rappelant que le projet commun ne préfigure en rien la nature du char du futur, MGCS étant avant tout un système de systèmes avec un cloud de combat et des drones. Mais qui pour l’heure reste à l’état d’ébauche.
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La chute éclair du régime de Bachar el-Assad constitue un revers immense pour la Russie qui possédait deux importantes bases militaires en Syrie : le port de Tartous et la base aérienne voisine de Hmeimim. La perte de ces deux emprises est un revers géopolitique pour le Kremlin, et pose la question de la présence militaire russe en Méditerranée.
Samedi 9 et dimanche 10 décembre : trois frégates et un sous-marin russes quittent précipitamment le port de Tartous. Officiellement, compte tenu des soubresauts politiques syriens, c’est une mesure de sauvegarde, mais pour les observateurs, la manœuvre s’apparente plus à un sauve-qui-peut général : les Russes évacuent en urgence Tartous, leur seule et unique base navale en Méditerranée. Évacuation également de la base aérienne voisine de Hmeimim. Un naufrage spectaculaire, car les bases syriennes sont la clé de voute des ambitions militaires de Moscou en Méditerranée et au-delà l'Afrique, souligne Vincent Tourret de l’Université de Montréal.
« La base qui hébergeait l'escadron méditerranéen, qui était une flotte détachée en fait de la flotte de la mer Noire russe, assurait en fait, sa reconnaissance en avant, c'était comme une sorte d'avant-poste si vous voulez, pour la dissuasion russe de façon générale et notamment pour menacer le flanc sud de l'Otan, explique l'universitaire. Et le second point, c'est effectivement la projection vers l'extérieur, notamment pour du matériel lourd. C'est un hub extrêmement pratique vers l'Afrique et donc vers les tentatives russes d'y créer des États satellites ou clients, notamment avec des groupes paramilitaires ou privés de type Wagner ou maintenant Africa corps ».
La flotte russe, coupée de la Mer Noire depuis le début de la guerre en Ukraine et la fermeture des détroits turcs, était déjà isolée en Méditerranée, les rotations de navires s'effectuent depuis la flotte du Nord, obligeant les navires de guerre à de longs transits. Sans base navale, il sera impossible pour cette flotte de se maintenir en Méditerranée. Le Kremlin va donc faire feu de tout bois pour conserver Tartous analyse le directeur de recherche à l’Iris (Institut des Relations Internationales et Stratégiques) et diplomate Jean de Gliniasty. «Tartous est en plein réduit alaouite (région côtière dont est originaire le président déchu Bachar el-Assad). La base aérienne de Hmeimim est à 20 km de Lattaquié, donc c'est la zone que pour l'instant HTS (Hayat Tahrir al-Sham, groupe rebelle islamiste de la guerre civile syrienne, dirigé par Abou Mohammed al-Joulani, qui a pris le contrôle de Damas) n'a pas conquise et ça va être difficile. Je pense que ce n’est pas encore perdu pour les Russes. Ils doivent s'échiner, s'efforcer, de négocier de tous côtés pour essayer de garder cette base parce que c'est leur seule base en Méditerranée ».
Quel point de chute pour la flotte russe en Méditerranée ?Premier port d’accueil : Tobrouk dans la Libye du Maréchal Haftar proche de Moscou, mais les infrastructures sont limitées et ne permettent pas l’entretien des navires. La flotte russe pourrait donc se tourner vers les ports algériens mieux équipés, mais cette réarticulation en urgence ne sera pas une mince affaire et l’image de la Russie en sort très abimée insiste Vincent Tourret : « Le coût le plus dur, il est surtout, je trouve, symbolique, parce que la Syrie, c'était la première victoire à l'époque, donc 2017, qui devait prouver au monde que la Russie était de retour dans les relations internationales. C'est un désaveu à nouveau de la puissance russe et un désaveu de sa capacité à stabiliser des conflits. La Syrie était censée être la vitrine d'une pacification à la Russe plus efficace, plus réaliste que les tentatives occidentales ».
L’aventure syrienne de Moscou, abonde Jean Pierre Maulny chercheur à l’Iris, se solde par un immense revers. « Les Américains, ont eu l'Afghanistan dans les années 2000. Nous, on a eu Barkhane (Opération militaire française au Sahel 2014-2022) dans les années 2010. Eh bien eux, ils auront la Syrie dans les années 2010 - 2020, c'est-à-dire une opération militaire qui aboutit à un échec pour les Russes comme pour les Américains ou comme pour les Français. Ça, c'est quand même un enseignement qu'il faut retenir ».
La Russie a donc momentanément perdu la main et se retrouve en grande difficulté dans la très stratégique mer Méditerranée.
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Estão a faltar episódios?
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La section technique de l’armée de Terre a présenté, lors d’un exercice d’évaluation, ses capacités nouvelles du combat aéroterrestre le mercredi 4 décembre sur le plateau du Larzac dans le sud de la France. Essaims de drones, drones suicides, capacité de cartographie, l’exercice avait pour objectif de démontrer la montée en puissance des drones dans les forces. Reportage
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Coup de tonnerre, jeudi 28 novembre au soir à Ndjamena… Quelques heures après une visite du chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot, le Tchad a déclaré qu’il mettait fin à l’accord de coopération en matière de défense signé avec Paris. Le Tchad était le dernier point d'ancrage militaire français au Sahel, et plus largement un maillon clé de la présence militaire sur le continent. Cette décision unilatérale vient mettre à mal la nouvelle stratégie en Afrique portée par Paris.
L’annonce du Tchad est un séisme, pourtant Paris avait pris les devants avec un vaste plan de réduction de sa présence militaire en Afrique, proposant une nouvelle philosophie, basée sur des dispositifs légers, réactifs pour répondre aux besoins des partenaires.
Une offre, qui visiblement, n’a pas été jugée suffisamment rentable à Ndjamena, indique Thierry Vircoulon chercheur à l’Ifri : « La question fondamentale, c'est celle de ce 'nouveau paradigme', le président Macron avait employé cette expression, un nouveau paradigme de la coopération militaire donc, où la demande des partenaires devait primer sur l'offre française. Pour le moment, ce qu'on en a perçu était surtout focalisé sur la réduction des effectifs de l'armée française en Afrique et l'avenir des bases. Donc, on attend des décisions là-dessus, et on n'a pas l'impression que ça soit le cas. »
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Le rapport de Jean Marie Bockel, sur la ré-articulation du dispositif militaire français, remis lundi 25 novembre à l'Élysée, semble aujourd'hui déjà caduc. Car le Sénégal aussi indique qu'il ne souhaite plus de base militaire étrangère sur son territoire.
Pour être présent en Afrique, il faut un vrai partenariat, insiste Peer de Jong, docteur en sciences politiques et ex-colonel des troupes de Marine, « On appelle ça de la 'co-collaboration'. C'est le terme qui a été utilisé dans les discussions et dans les présentations. Les États africains de façon générale ne sont pas réfractaires à une présence française, mais ils ne la veulent pas sur ce modèle-là, ils la veulent plus fraternelle, moins donneuse de leçons. Donc, ils veulent un vrai partenariat. On doit impérativement se différencier. C'est ça le souhait des États africains qui, en plus de ça, émettent un souci d'exigence de la souveraineté des États. On ne peut plus faire ce qu'on veut en Afrique, ça, c'est sûr et certain ! »
Encore une fois, c'est une surpriseAprès avoir été brutalement poussé vers la sortie du Mali, du Burkina, du Niger, vient donc le tour du Tchad et encore une fois, c'est une surprise.
En particulier au Tchad où l’armée française a mené le plus d’opérations extérieures. À lui seul, le pays était presque le dépositaire de la relation militaire franco-africaine avec ses trois bases historiques : le camp Kosseï, Faya Largeau et Abéché. « Les bases, c'est le symbole de cette relation militaire franco-africaine qui est très décriée par les opinions publiques africaines », reprend Thierry Vircoulon ; « elles apparaissent comme un des derniers héritages de la France Afrique. Et du coup, dans ces bases, les effectifs français ont déjà beaucoup diminué, et vont diminuer davantage et donc la raison d'être de ces bases se pose. On s'interroge beaucoup puisqu'on a l'impression qu'on va avoir des bases vides et donc à quoi ça sert ? Dans la mesure aussi où il n’y a plus d'opérations extérieures, elles sont devenues taboues ; donc les bases, on ne voit pas trop quelle est leur justification. »
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Des bases vides à offrir alors que sur plan sécuritaire, ajoute Peer de Jong, la concurrence fait rage en Afrique, « La concurrence Union européenne ! Qui a l'argent en Europe ? C'est l'Union européenne et non pas la France ! C'est la Russie, c'est la Chine, c'est la Turquie, ce sont les États-Unis. Mais même au sein de l'Union européenne, il y a la forte concurrence de l'Espagne, de l'Italie, de la Pologne, des Allemands qui sont également très présents en Afrique. Donc, en fait, on ne peut pas maîtriser ce flot, ce renversement incroyable qu'on n'a pas du tout anticipé. On est dans une situation extrêmement défensive. On est sur un modèle qui réduit ses effectifs, mais qui ne parle pas de politique. À mon avis, on va vers un modèle en totale rétraction. C'est comme ça que ça va terminer, bien évidemment. »
L’armée et la diplomatie française semblent subir les évènements, quant à la position de l’Élysée, elle se fait attendre.
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En réaction à l’autorisation de Joe Biden permettant à l’Ukraine de frapper le territoire russe avec des missiles américains, Moscou a franchi cette semaine plusieurs marches de l’escalier nucléaire. D’abord en rendant public une actualisation de sa doctrine puis en tirant jeudi un missile inquiétant sur l’Ukraine. Le tir de missile russe relève du pur signalement stratégique, le Kremlin envoie un message clair aux Occidentaux : il ne perdra pas la guerre en Ukraine.
Jusqu'à présent, les menaces du Kremlin n'étaient que verbales. Cette fois, c'est un missile qui sent le souffre qui a été tiré. Un « missile expérimental », dit Vladimir Poutine, de portée intermédiaire, baptisé Orechnik, mais le missile qui se rattache à la famille des armes balistiques porteurs du feu nucléaire. Moscou a donc brisé un tabou.
C'est une intimidation particulièrement rude, assure le chef d'état-major de l'armée de Terre, le général Pierre Schill : « Une attaque, c'est toujours inquiétant. Maintenant, je pense qu'il faut prendre du recul et nous, il faut qu'on regarde ce qui s'est passé. Quel est le signal envoyé. Tous les jours, il y a des attaques sur l'Ukraine. Il y a eu ces derniers jours des tirs très massifs sur l'appareil de production électrique. Nos outils de renseignement sont évidemment tournés vers l'observation de ce théâtre. Tout dans la guerre est signal. Tout ce qui se passe ces jours-ci en déclaratoire ou en manœuvre effective rentre dans une dialectique des volontés qui passent aussi par des questions d'intimidation et de contre intimidation, c'est clair. »
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Une grammaire que Vladimir Poutine, ex-officier du KGB, maitrise parfaitement
Il en connait la limite : seul le nucléaire peut répondre au nucléaire. Mais sous ce seuil, l’escalade est permise. En début de semaine, il y a donc eu cette mise à jour de la doctrine nucléaire de la Russie. En filigrane, elle dit qu’essayer de vaincre l’armée russe est vain puisque l’option nucléaire est réaliste. La doctrine ajoute qu’elle ne laissera pas se prolonger les attaques de missiles en profondeur sur son sol.
S’ajoute à cette ligne rouge, un élargissement, non pas du seuil, mais des conditions d’emploi de l’arme, il est aussi question de nouveaux vecteurs comme l’Orechnik tiré jeudi, précise Thibault Fouillet de la Fondation pour la recherche stratégique : « En matière stratégique, le discours doit toujours, pour être crédible, s’appuyer sur des faits. Donc, on ne peut pas juste annoncer un renforcement de posture ou la volonté d'une évolution de posture sans derrière insister sur la capacité à agir si le besoin s'en faisait sentir. On a bien cette nécessité de parler aussi des armements, de mettre en avant de nouveaux systèmes, de nouveaux vecteurs, de nouvelles possibilités. C’est pour crédibiliser cette posture. »
Donald Trump aux portes du pouvoir
Or, la Maison Blanche desserre les conditions d’emploi de ses missiles ATACMS, car le temps est compté. Donald Trump est aux portes du pouvoir et Moscou en attend beaucoup. « L'ambition qui a été affichée par Donald Trump d'un accord rapide avec Vladimir Poutine sur une ligne qui serait le gel du conflit selon la ligne de front actuelle, mais surtout une concession sur un principe de neutralisation de l'Ukraine, de renoncement à l'entrée dans l'OTAN. Si vous combinez un gel du front et un principe de neutralisation, on retombe rapidement sur les lignes de ce qu’était l'accord de Minsk ou même du mémorandum de Budapest. Et ça, la Russie a bien montré qu’elle n'était pas prête à le respecter », décrypte Elie Tenenbaum, directeur de recherche de l’Ifri.
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Sur le terrain, la logique est celle d’un conflit qui ne semble pas porter de solution militaire, la menace nucléaire est donc une partie de l’équation des futurs négociations, précise Thibault Fouillet. « De toute façon, la sortie sera politique. Mais pour que la sortie soit politique, il faut une certaine crédibilité. Il faut user de tous les moyens. Il faut aussi rappeler que même si certains peuvent croire en un affaiblissement russe, ça reste une puissance dotée, l'une des principales puissances nucléaires. La Russie est inscrite dans le concert des Nations, il ne faut pas s'attendre à une Russie émoussée ou à une Russie qui s'effondrerait », dit-il.
« L’apocalypse nucléaire n’est pas pour demain », abonde Cyrille Bret, enseignant à Sciences Po, mais ces derniers jours marqueront l’histoire, « un cran », insiste-t-il, « a incontestablement été franchi dans les menaces nucléaires par la Russie ».
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Des militaires nord-coréens ont été engagés cette semaine dans des combats dans la région russe de Koursk, a affirmé mercredi le renseignement sud-coréen, après que les États-Unis eurent confirmé l'implication de Pyongyang dans la guerre lancée par la Russie contre l'Ukraine. Les chiffres sont invérifiables, mais l’Ukraine estime que 10 000 soldats nord-coréens sont déployés, une présence qui interroge les spécialistes quant à l’efficacité et l’objectif réel de cette troupe.
Jamais la Corée du Nord n’avait envoyé de troupes à l’étranger. Selon le renseignement sud-coréen et américain, ces soldats sont désormais au feu. Équipés d'uniformes russes, ils seraient même en première ligne, mais qui sont ces combattants ? Premier élément de réponse avec Philippe Gros, de la Fondation pour la recherche stratégique :« Ce n'est pas évident d'avoir une vision définitive. On sait qu'il y a au moins une partie des troupes qui viennent des forces spéciales, du 11ᵉ corps qui relèverait des forces spéciales nord-coréennes. Ils sont considérés comme des troupes d'élite par les observateurs ».
Reste à placer ces pions sur l’échiquier du front. Il y a trois échelons dans l’armée russe, rappelle Vincent Tourret de l’université de Montréal : « Le premier échelon, c'est de l'infanterie consommable qui est envoyée par petits groupes entre 3 et 5 hommes par vagues successives pour tester les défenses ukrainiennes et commencer à infiltrer le dispositif. Ce premier échelon est ensuite appuyé par des troupes plus régulières qui vont manier des armements lourds et sophistiqués de type mortiers, mitrailleuses lourdes, drones et qui enfin sont appuyés par un troisième groupe, un groupe d'élite des troupes parachutistes, de l'infanterie navale et des Spetsnaz qui eux vont faire la coordination des feux, ce troisième groupe va agir comme un coup de poing et exploiter ».
Ces troupes nord-coréennes : chair à canon ou forces spéciales ?Philippe Gros et Vincent Tourret, privilégient la seconde option. « Il se dit que les Russes les ont formés aux tactiques de base, avance Philippe Gros. C'est-à-dire à manœuvrer avec l'artillerie, à utiliser des drones. Mais jusqu'à quel point ? Ce n'est pas du tout évident ». « Ce qui apparaît être clair, dit Vincent Tourret, c'est qu’elles vont être utilisées de la façon dont les Russes utilisent leur infanterie légère, à savoir par vagues. Soutenu par leur artillerie et avec des pertes assez importantes, donc c'est un modèle très attritionaire où les pertes sont complètement acceptées et elles seront lourdes ».
10 000 hommes, cela reste un volume limitéSans compter, précise Philippe Gros, que la barrière de la langue peut poser problème au combat :« Il a fallu apprendre aux nord-coréens les termes de base pour manœuvrer. Ils ont un traducteur pour 30 soldats, donc en gros, un traducteur pour une section. Et puis évidemment, les russes se heurtent aux problèmes d'interopérabilité qu'il y a à intégrer des troupes dans un dispositif. Il semble qu'une partie des troupes nord-coréennes soit rattachée à une des brigades d'infanterie de Marine russe, la 810ᵉ. Donc, on est là vraiment sur une logique d'intégration tactique de ces unités dans le dispositif russe, et pas sur une logique de laisser les forces coréennes occuper un créneau avec leurs propres chaînes de commandement. Ils ont choisi le cas, le plus difficile à mettre en œuvre en termes d'intégration ».
Néanmoins, analyse Elie Tenenbaum directeur de recherche de l’Ifri (Institut français des relations internationales), cette force ne sera pas négligeable, si les troupes nord-coréennes restent dans la région de Koursk. « Dans un premier temps, elles permettent à la Russie de maintenir son effort principal sur le Donbass, en lui évitant finalement d'avoir à exercer une sorte de balance de forces, précise-t-il. Elles sont vraisemblablement là aujourd'hui aussi pour être testées pour voir ce que ces nord-coréens sont capables de produire. Peut-être, dans un second temps, les employer sur une zone plus importante ou plus prioritaire pour la Russie ».
Dans l’hypothèse également où l’armée russe viendrait à manquer de ressources, redoutent les renseignements ukrainiens et sud-coréens, ces troupes nord-coréennes, pourraient être seulement l’avant-garde d’un contingent futur, cette fois plus étoffé.
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Qu’ils soient sous-marins ou de surface, de surveillance ou de combat, les drones font une entrée tonitruante au sein des flottes militaires. Ils étaient d’ailleurs partout dans les allées du salon Euronaval qui s’est tenu cette semaine près de Paris, véritable reflet d’une « dronisation » massive et rapide des marines militaires du monde.
Effilés comme une torpille, carénés comme un bateau, il n’y avait pas une allée, pas un stand sans drones au salon Euronaval, une production à foison, fruit de l’imagination de PME et des grands de l’industrie au premier rang desquels Naval group… Pierre Antoine Fliche, responsable des lignes de produits drones : « Chez Naval Group, on a deux grandes catégories de véhicules, les drones de surface et les drones sous-marins. Dans le drone de surface, on a la gamme Seaquest, dont le plus petit, le Seaquest S, a déjà été lancé. C'est un produit industriel qui est en essai à la mer en ce moment. Il a pour particularité d'être embarquable sur des frégates et donc de pouvoir faire tout un tas de missions à leur profit, comme une extension de leur capacité. Alors on est dans la classe 9,30 m, donc ça reste un gros objet pour nous tous, mais ramené à l'échelle d'une frégate par exemple, c'est quelque chose d'assez petit. Il peut être armé ».
Complément de protection de la frégate, le Seaquest S peut naviguer plusieurs jours, tout comme l’Ucuv un sous-marin de 10 tonnes et de 10 mètres, le bébé de l’ingénieur principal de l’armement Patrick de la DGA, « Je suis le manager en charge du projet technologique de développement Ucuv pour Unmanned Combat Underwater Vehicle. Quelque part, on est en train de défricher un nouveau domaine avec ce type d'engin. Aucune marine dans le monde aujourd'hui n’est dotée de ce genre d'outils. Donc on réfléchit beaucoup avec la marine nationale à quelle pourrait être les usages de ce type d'engin. Donc de facto, quel armement il faudrait lui confier ».
La mission de ce drone sous-marin, sécuriser par exemple le goulet de Brest pour assurer la sortie des sous-marins nucléaire lanceur d’engins (SNLE), fer de lance de la dissuasion.
Dans cette course aux drones, les PME en têteDelair Exail, Diodon, ou encore Alseamar avec son glider Sea explorer, Nicolas Delmas : « C'est un planeur sous-marin et on vient jouer sur la flottabilité de l'engin pour le faire couler ou remonter dans la colonne d'eau. Ça lui permet d'avancer horizontalement comme un planeur aérien. Sa fonction est multiple, ça dépend de la charge utile. Ici, par exemple, on a une charge utile acoustique qui permet de faire de la détection ou de la localisation de bateau. L'autonomie du glider, c'est plusieurs mois. Il est opérationnel, il a été mis en œuvre dans différents exercices. Ce qui va changer, c'est que c'est un produit qui est peu cher, qui est très facile à mettre en œuvre et donc en fait on peut en mettre beaucoup. Actuellement, de manière industrielle, on n'est que deux sociétés dans le monde à proposer un tel produit, Alseamar, société française et une autre société américaine ».
Et si les petits acteurs comme Alseamar, ont un coup d’avance, c’est qu’ils proposent déjà leurs solutions au marché civil, c’est la clé du succès martèle Timothée Moulinier délégué innovation du Gican, le groupement des industries navales :« Au Gican on en est persuadé. Nous, on travaille bien ces deux axes. On a 50% de notre chiffre d'affaires qui est dans le militaire, 50% dans le civil. Et on voit que les technologies qui sont robustes dans le temps, c'est celles qui sont capables justement de s'adresser aux deux marchés, qui sont capables de faire face aux cycles au temps long du militaire, avec le temps court, la réactivité plutôt du civil. On croit beaucoup à cette approche duale ».
Microcosme d'entreprisesEn s’appuyant sur un microcosme d’entreprises très dynamiques situées sur la Côte d’Azur et en Bretagne du sud, la France, en retard sur le segment des drones aériens, semble cette fois avoir tous les atouts pour devenir numéro un des drones navals, assure Tamara Brizard cofondatrice d’Arke Océan. Son entreprise produit des essaims de petits drones sous-marins, destinés à l’origine à la protection de la biodiversité. Ils ont depuis trouvé une application militaire : « Nous, c'est du petit drone qui ne va pas naviguer très loin, mais par contre qui va être beaucoup plus précis dans son positionnement. Donc on va modéliser l'espace. C'est pour protéger des sites, les essaims de drones sont destinés à faire de l'écoute acoustique. Ils peuvent rester jusqu'à un mois dans l'eau parce qu'ils se posent au fond et ils vont écouter. Et dès qu'ils entendent la signature d'une menace, ça peut être des plongeurs ou des bateaux spécifiques, des bateaux de pêche aussi, ils vont sonner une alarme et dire, attention, il y a cette signature, il y a quelqu'un qui est sur site ».
La France qui possède le second plus grand domaine maritime au monde doit être capable de l’occuper et ces drones sont une partie de l’équation indique Sébastien Moulinier du Gican : « Ces nouveaux moyens permettent d'aller surveiller ces zones là, d'aller lutter contre les trafics illicites, d'aller lutter contre la pêche illégale. Et ça c'est des outils qui sont à la disposition à la fois des marines militaires mais aussi de l'action de l'État en mer ».
Les drones navals, acteurs clés du futur combat en mer, permettront également dans un futur proche d’assurer la présence presque permanente de la marine nationale y compris dans les océans les plus vastes et les plus éloignés, mais néanmoins au cœur de rivalités entre nations.
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Depuis la fin de la guerre froide, la présence militaire américaine en Europe est assez stable. Alors que les forces armées américaines comptent un peu plus de 1 200 000 personnels militaires, dont 230 000 sont stationnés à l'étranger, 60 000 d’entre eux sont présents en Europe au sein de l’Otan. La victoire de Donald Trump pourrait-elle rebattre les cartes de cette présence militaire en Europe alors que la Chine est devenue l’adversaire n°1 de Washington ?
La menace d’une nouvelle administration américaine plane sur l’Europe… Elle a même été verbalisée, le 10 février dernier. Dans l’un de ses meetings, le candidat républicain Donald Trump a assuré ne plus garantir la protection de tous les pays membres de l’Otan face à la Russie : « L’un des présidents d'un grand pays s'est levé et a dit : "Si nous ne payons pas et que nous sommes attaqués par la Russie, nous protégerez-vous ?" Non, je ne vous protégerai pas. En fait, je les encouragerai même à faire ce qu'ils veulent. Vous devez payer, vous devez payer vos factures ! »
S’il est élu, souligne l’expert en relations internationales Cyrille Bret, Donald Trump pourrait bien chercher à diviser les Européens. Exigeant d’eux tout à la fois un alignement sur les États-Unis et une plus grande autonomie en matière de défense : « Il a déjà annoncé plusieurs inflexions dans sa perception et son action du lien transatlantique. Il rappellera la nécessité de faire payer aux Européens leur propre sécurité. Et les chiffres sont impitoyables. L'effort de défense américain est à lui seul près de 70% de l'effort de défense de toute l'alliance de l'Atlantique Nord. Donc, il voudra continuer à faire payer. Il voudra également vraisemblablement instaurer une Otan à deux vitesses. Et puis, il y a une troisième inflexion qui est prévisible en cas d'élection de Donald Trump, c'est la volonté de conserver ce qui est l'essentiel pour Donald Trump de la présence américaine en Europe, le parapluie nucléaire, les vecteurs et les chaînes de commandement. Et de déléguer aux Européens de plus en plus la question des armements terrestres et la question des équipements de détection. »
Si la menace chinoise devient prioritaire, les États-Unis pourraient-ils conserver un important contingent en Europe ?La question des ressources et des savoir-faire militaires se posera indubitablement. En revanche, un départ américain ne se fera pas d’un claquement de doigt, même avec Donald Trump à la Maison Blanche, assure Cyrille Bret : « Il y aura des résistances de la part de l'appareil militaire américain où les atlantistes sont importants. Il y aura des résistances aussi dans l'entourage de Donald Trump parce que tous ne sont pas convaincus de cette lecture des relations internationales ou seule la Chine compte. Il y a des "Cold Warriors" autour de Donald Trump, il y a des "Cold Warriors" qui se feront entendre au Sénat et au Pentagone, donc ça ne se fera que graduellement. »
Une candidate démocrate pas si éloignée de Donald TrumpSi la candidate démocrate Kamala Harris porte une ambition pour le lien transatlantique, en cas de victoire, elle devra également faire face à la montée en puissance de la Chine. Paradoxalement cela pourrait aboutir à une position qui sur le fond ne serait pas si éloignée de celle de Donald Trump, indique Cyrille Bret, seule la forme serait différente : « L'encouragement contre les invectives, tout cela évidemment pour défendre les intérêts nationaux américains, c'est bien légitime. Naïfs seraient ceux qui croiraient en Europe qu’il y a une candidate pro-européenne face à un candidat pro-américain. Les deux ont pour charge, c'est dans leur mandat, c'est dans leur serment, de promouvoir et de défendre les intérêts américains partout dans le monde, aux Européens eux-mêmes de promouvoir leurs propres intérêts. »
Alors que la nature de la relation transatlantique est en train de muter, le scrutin américain met en lumière une Europe prise en étau entre Pékin et Washington.
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La Fabrique nationale belge (FN) de la région de Liège est une véritable pépite, spécialisée dans les armes automatiques et les mitrailleuses. Si elle est déjà un fournisseur privilégié de l’armée de terre française, l’entreprise pourrait être amenée à jouer un rôle plus important encore dans le paysage industriel militaire français. Cela notamment grâce à sa capacité à produire des munitions de petits calibres. FN Herstal, peu connue du grand public, a exceptionnellement ouvert ses portes à quelques journalistes.
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On les appelle les traqueurs d’ondes, ils mènent la guerre électronique sur le champ de bataille. Le 54e régiment de transmissions, installé vers Haguenau en Alsace, est le seul régiment de l’armée de Terre à détenir cette spécialité rare : écouter les conversations radios de l’adversaire et au besoin les brouiller. Une guerre de l’ombre aux effets majeurs. Pour la première fois ce régiment a embarqué une radio, RFI, dans l’un de ses exercices qui s’est déroulé il y a quelques jours… le reportage de Franck Alexandre.
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Le mercredi 9 octobre dernier, le chef de l'État français Emmanuel Macron, accompagné de Roustem Oumerov, ministre ukrainien de la Défense, a, pour la première fois, rendu visite aux soldats ukrainiens formés en France. C'est d'autant plus une première qu'il s'agit de la formation d'une brigade interarmes entière, soit 2 300 hommes. À ce jour, aucun pays européen n'avait formé une unité de combat de cette taille.
Une brigade baptisée « Anne de Kiev » - du nom d’une reine de France du XIe siècle - pour rappeler que Paris assume sa part de l’effort, car, à ce jour, aucun des pays soutien à l’Ukraine n’a formé une aussi grosse unité, souligne le général Damien Wallaert sous-chef opérations terrestres : « Nous formons une brigade interarmes dont le cœur est constitué de bataillon d'infanterie mais qui est constitué aussi de ses appuis et de ses soutiens, c'est-à-dire de ses fonctions, génie, artillerie, drones, défense sol-air, mais également logistique. Le ravitaillement, comment est-ce qu'on amène les munitions, les vivres et ce dont ont besoin les combattants au plus près du front… C'est toute cette approche vraiment globale et intégrée de la formation de la brigade que nous proposons à notre partenaire ukrainien. »
Beaucoup de jeunes soldats dans les rangsAu total, 2 300 soldats sont arrivés début octobre, certains sont aguerris, d’autres moins, note le colonel Guillaume Vancina responsable de cette formation.
« Les profils sont très variés, une grande partie sont des conscrits, explique-t-il. Il y a également des volontaires puisqu'il y a une loi de mobilisation qui est en cours en Ukraine et qui concerne l'ensemble des jeunes. Il y a aussi un petit pourcentage de vétérans. Quand on discute avec le chef de cette brigade, qui lui est un officier de carrière, il rappelle qu’il est en guerre depuis 2014 ! Après, vous avez beaucoup de jeunes puisque c'est une brigade qui est en cours de formation, donc beaucoup de nouveaux dans les rangs. »
Un retour en Ukraine début décembre, avec les matériels fournis par l’armée françaiseLa brigade n°155 est entièrement équipée, dotée de 128 véhicules blindés de transport de troupe, 18 canons Caesar, 18 chars légers AMX 10 RC, et des véhicules logistiques.
La formation est rapide - deux mois seulement - mais celle-ci pèse lourd pour l’armée française qui y consacre 1 500 spécialistes. Un gage d’efficacité. « Ce qui est frappant au premier contact, c'est qu’ils arrivent dans un pays en paix, il y a un stress qui s'estompe d'emblée. Ça c'est un aspect très important et qui, je pense, leur donne de la sérénité dans le travail », indique le colonel Guillaume Vancina.
« Il y a d'abord tout un "fond de sac", comme on dit, à acquérir et qui va prendre un peu de temps. Donc non, on ne plonge pas d'emblée dès la première semaine dans une ambiance de combat, mais ça va venir très rapidement. On va les habituer au bruit du combat par des artifices de simulation qui existent dans l'armée de terre. Ensuite, le partenaire est très exigeant. Il est en guerre, il demande tout ce qu'il peut. »
Les mêmes tranchées qu’en UkraineIl faut donc coller aux standards de la guerre, aux tactiques des Ukrainiens, insiste le général Wallaert : « Pour ça, nous avons creusé plus de 600 mètres de tranchées et des postes de combat enterrés. Nous avons pris en compte les indications qu'ils nous ont données sur la réalité en termes de taille, de dimension, de profondeur, des tranchées qu’ils creusent en Ukraine, pour qu’ils puissent s'entraîner dans les conditions les plus proches du réel. »
« Le second point, c'est l'usage permanent et omniprésent des drones. Ils sont utilisés au quotidien pendant l'entraînement, donc soit en appui, soit les drones sont utilisés pour les menacer. Là encore, il s’agit de les placer dans les conditions les plus proches du réel en termes de bruit, de stress, de fatigue et pour que ce soit le plus réaliste possible, pour que le jour J, ils aient les meilleurs réflexes, qu’ils survivent au combat et qu’ils emportent la victoire. »
Objet unique, fruit d’une ambition, la 155e brigade a pour objectif de régénérer au plus vite l’armée ukrainienne, très éprouvée par presque trois ans de guerre.
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Il y a soixante ans, le 8 octobre 1964, pour la première fois, la France mettait en œuvre la dissuasion aéroportée avec le couple Mirage IV et la bombe nucléaire à gravitation. Depuis, les moyens ont été adaptés à l’évolution technologique, géopolitique et opérationnelle. Les Rafale B emportent désormais des missiles nucléaires et constituent la partie visible de la dissuasion française.
Depuis la première prise d’alerte sur la base de mont de Marsan le 8 octobre 1964, les forces aériennes stratégiques sont l’une des clés de voûte de la dissuasion française. Le rôle de l’armée de l’air est certes indissociable et complémentaire de la composante océanique, les sous-marins lanceurs d’engins balistiques, mais aux yeux du général Jean-Patrice Le Saint qui, cet été, a quitté ses fonctions de chef d’état-major des Forces aériennes stratégiques, la dissuasion aéroportée, a des atouts bien spécifiques : « Le premier atout, c'est l'arme. Et l'arme aujourd'hui, c'est un missile de croisière, le asmp-AR pour air sol moyenne portée amélioré et rénové. C'est un missile qui est extrêmement rapide... extrêmement manœuvrant. C'est un missile qui est extrêmement précis. Le 2ᵉ atout de la composante aéroportée, c'est qu'elle est mise en œuvre à partir de bases aériennes qui sont des infrastructures visibles, ce qui permet, dans le cadre de la dialectique nucléaire qu’engagerait le président de la République, de bien matérialiser son intention ».
Istres, Avord, Saint-Dizier : la triade de bases aériennes nucléaires
Depuis les bases d’Istres, Avord et Saint-Dizier, plus de 2000 aviateurs sont chargés de la mise en œuvre de la dissuasion par les airs, la composante nucléaire qui se voit selon la formule du président Hollande. Car s’il est impossible de rappeler un missile balistique, la réversibilité d’un raid aérien est toujours une option, jusqu’à un certain point. « À partir du moment où le raid d’avions des Forces aériennes stratégiques est engagé, les équipages poursuivront la mission jusqu'au bout, reprend le général Le Saint. Mais jusqu'à ce point de l'engagement, il est possible de rappeler le raid. Et donc, quand on voit aujourd'hui l'allonge des moyens de transmission et les capacités de nos vecteurs, les Rafales associés aux avions ravitailleurs A330 MRTT, il est possible, de lui faire parcourir plusieurs milliers de kilomètres avant de l'engager. Et le fait qu’il y ait le raid qui transite, c'est quand même un signal assez fort, qui, on peut l'imaginer, incite à réfléchir. »
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La crédibilité au cœur de la dissuasion nucléaire
Un signal fort qui repose sur la crédibilité, c’est le cœur même du concept de dissuasion, insiste Jean-Patrice Le Saint, « Cette crédibilité, elle a trois dimensions, une première dimension politique qui est incarnée par le président de la République, il est le détenteur du feu nucléaire. Le second volet, c'est la crédibilité technologique et cette crédibilité, c'est ce qui permet en fait de garantir que nous sommes en mesure de concevoir, de fabriquer, de déployer des armes qui soient fiables et sûres et que nous savons leur faire traverser les défenses adverses pour atteindre leur point d'explosion. Le troisième volet, c'est celui de la crédibilité opérationnelle. Et là, il y a un point qui est important, car la crédibilité ne se décrète pas. En revanche, il y a certains paramètres qui permettent d'objectiver la crédibilité. Nous sommes crédibles parce que les équipages des Forces aériennes stratégiques sont très entraînés, extrêmement aguerris, parce qu'ils conduisent et souvent de manière ostensible des manœuvres, les opérations Poker qui, quatre fois par an, engagent dans un scénario extrêmement réaliste, une cinquantaine d'avions dans la simulation d'un raid nucléaire ».
D’ailleurs, à chaque exercice Poker, les satellites espions des grandes puissances braquent leurs antennes vers la France pour observer la manœuvre et mesurer la crédibilité de la dissuasion française. Un scénario qui se répète depuis maintenant soixante ans.
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Pour la marine russe, ce devait être un exercice naval taille XXL. Son nom Okéan 24, il s’est déroulé du 25 août au 16 septembre, du jamais vu depuis la guerre froide, sur le papier seulement. Car les marines occidentales ont suivi de près la manœuvre et elles restent circonspectes quant aux réelles capacités de la flotte russe.
Okéan 24 a été annoncé à grand renfort de publicité avec des chiffres vertigineux : 400 navires, 90 000 soldats et marins mobilisés et 17 pays invités pour un exercice qui s’est joué sur les océans Arctique, Pacifique, ainsi que sur les mers Baltique, Caspienne et Méditerranée.
Mais dans les faits, quelques dizaines de navires seulement ont pris la mer, avec beaucoup de petites unités comme des canonnières. « Il y a une véritable distorsion entre les annonces et ce que l’on a observé », notent des marins de haut rang. Les observateurs indiquent qu’il n’y a eu aucun entrainement en Atlantique et aucune manœuvre terrestre, contrairement à ce qui était annoncé.
« C’est un exercice en trompe-l'œil, abonde le spécialiste de la pensée stratégique russe Dimitri Minic chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri) : « C'est vrai que c'était une annonce faite par Moscou qui était inédite, depuis la guerre froide. On se rend bien compte que les effectifs d'entraînement ne sont pas du tout ceux qui avaient été annoncés par le ministre de la Défense Andreï Belousov. Au fond, qu'est-ce que cela nous dit ? Cela nous dit que c'est une manière pour la Russie d'impressionner évidemment ses adversaires déclarés ou non. Ils veulent montrer que leurs ambitions sont totales, que la Russie n’est pas seulement une armée de terre, une armée de l'air, mais que c'est aussi une marine puissante, et qu’elle est capable d’être active sur toutes les frontières de la Russie et même au-delà. On a vu que la Méditerranée orientale a également été concernée par ces entraînements. »
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En Méditerranée, la frégate française Languedoc a observé l'exercice russeEn Méditerranée Orientale, Moscou dispose d’une base navale à Tartous en Syrie. Depuis ce point d’ancrage, la marine russe a engagé dans Okéan 24, trois navires et un sous-marin (l’Oufa). Une manœuvre qui a été observée par la frégate française Languedoc, nous avons joint le Capitaine de Vaisseau Loïc Boyer son commandant lorsqu’il était en mer, voici son appréciation : « Nous avons pu l'observer parce que l'objectif de déployer une frégate en Méditerranée orientale, c'est de faire de l'appréciation autonome de situation. Pour autant, ça n'a absolument pas fait l’objet d'une attention particulière. Oui, effectivement, les unités russes qui sont stationnées en Méditerranée orientale ont participé à cet exercice. Mais je dirais, comme pour tout exercice routinier d'entraînement habituel d'une marine, c'était une manœuvre habituelle pour la région. »
La flotte russe du Pacifique impressionne toujoursExercice routinier donc, excepté dans le Pacifique où la Chine était aux côtés des russes. Si côté occidental, personne n’a acheté le narratif d’Okéan 24, la presse japonaise, en revanche, s’en est fait l’écho : 4 navires russes et 4 navires chinois ont patrouillé en mer du Japon, une région où la flotte russe du Pacifique impressionne toujours souligne Eric Frécon enseignant à l’université de Singapour : « La Russie a quand même cette image de grande puissance et maintenant, elle est justement à la limite. Mais elle essaye d'apparaître encore comme cette grande puissance qu'elle était et qu'elle serait toujours. Je vous renvoie à un récent rapport commandé par la Marine australienne et qui ciblait la flotte du Pacifique, qu'il ne faudrait peut-être ne pas trop négliger non plus. Un des principaux enseignements, c'était que la guerre d'Ukraine n'a pas d'impact sur la flotte du Pacifique, même si effectivement, peut-être qu'il y a eu embrouille ou esbroufe sur les chiffres pour Okéan 24. »
Plus qu'un exercice de grande ampleur, Okéan 24 fut surtout une manœuvre informationnelle
L’illusion d’Okean 24 a aussi porté sur la participation des marines étrangères, en particulier dans l’Indo-Pacifique, où excepté la Chine, personne n’a souhaité s’associer à l’exercice, « Okéan 24 montre toutes les limites de la stratégie mondiale de la Russie, insiste Dimitri Minic de l’Ifri. On voit bien les failles, on voit bien les lacunes de cette politique, on voit bien que le sud global n’est pas trop russe. Faire des exercices navals avec la Russie, c'est aller un peu trop loin aussi. Très peu de ces pays veulent s'aliéner les Occidentaux. Et c'est là que l'on voit que la Chine a une trajectoire spécifique dans les différents États du Sud global, Pékin a plus intérêt que les autres, à faire apparaître la Russie comme une puissance forte et qui résiste à l'Occident. »
Okéan 24 voulait être la réponse de Moscou à Steadfast defender, le gigantesque exercice de l’Otan du printemps dernier. Mais dans les faits, ce fut plus une manœuvre informationnelle qu’un véritable exercice naval.
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Des centaines de bipeurs et de talkies-walkies utilisés par l’organisation islamique libanaise, ont explosés mardi et mercredi. Tous les regards se tournent vers Israël, dont le service de renseignements le Mossad est soupçonné d’avoir mené l’opération. Une action coup de poing, qui fera date mais qui a sidéré le monde des espions.
Les explosions ont débuté mardi 17 septembre, dans les bastions du Hezbollah au sud Liban… Des milliers de bipeurs système de radio messagerie utilisé par l’organisation chiite libanaise ont sauté simultanément, bilan 12 morts et près de 3000 blessés.
Une opération minutieusement planifiéeLe lendemain, deuxième vague d’explosions visant cette fois les talkies-walkies, 25 morts, du jamais vu. Le fruit nécessairement d’une opération au long cours indique Vincent Crouzet ancien collaborateur de la DGSE, le renseignement extérieur français. « C'est une opération planifiée, de grande ampleur, qui s’est étalée sur plusieurs mois. Le Mossad et les différentes agences de renseignements israéliens ont dû à un moment donné identifier cette demande du Hezbollah en matière de communication pour répondre à un besoin de non interception par le cyber et de manière électronique de leurs communications. Peut-être même ont-ils suggéré au Hezbollah, de manière indirecte, par des proxys ou autres, d'utiliser ce type de communication. Parfois la manipulation est très en amont, c'est tout à fait possible. Et ensuite ils sont intervenus dans la chaîne de livraison certainement de ces matériels ».
Et une question reste en suspens : comment le Mossad a-t-il pu s’immiscer dans les chaines d’approvisionnement du Hezbollah ? « On est en Orient, on est dans un monde de négoce, de marchands ». dit Vincent Crouzet,« la plupart des grandes familles chiites Hezbollah sont des familles de négociants, de banquiers, et qui font des affaires. Beaucoup de gens font des affaires avec le Hezbollah. Donc c'était relativement aisé pour le Mossad de monter une filière d'approvisionnement du Hezbollah ».
Des appareils piégés avec des explosifs indétectables, produit en série, c’est la clé de cette opération. Bipeurs et talkies-walkies étaient programmés pour tuer, un savoir-faire dans lequel Israël excelle indique Vincent Crouzet : « Ce qui en fait un cas d'école, c'est l'échelle et c'est surtout la méthode. Ce n’est pas un exploit technologique. Ça fait longtemps que le piégeage des appareils de téléphonie est une spécialité israélienne. Mais c'est la première fois qu’ils utilisent cette technologie qui n’est pas une technologie de pointe. L'explosif a été déclenché à partir d'un message d'alerte déclenché par Radiomessagerie, tout à fait classique. Il ne faut pas surestimer la question technique de cette affaire, simplement, elle est sortie de l'imagination de maîtres espions et de mastermind assez exceptionnels, mais cruels ! »
Un dépassement des limites moralesCruel et c’est bien ce qui pose problème aux services occidentaux…Cette fois insiste l’ancien espion français, le renseignement israélien coutumier des assassinats ciblés, s’est affranchi de toutes barrières morales : « Ce qui est clair, c'est que l’on se permet d'assassiner des chefs, des chefs responsables d'atrocités comme celles du 7 octobre. Le fait qu'Ismaël Haniyeh (Chef du Hamas assassiné à Téhéran le 31 juillet 2024) ait été tué en Iran par une frappe israélienne ne choque personne. Mais que le Mossad se lance dans ce type d'opération qui est non contrôlé avec plus d'un millier de cibles, c'est tout à fait préoccupant. Et là, le Mossad a transgressé énormément de règles et de codes du monde du renseignement, en vigueurs dans les opérations clandestines ».
Avec des pratiques flirtant avec le terrorisme, une ligne rouge a été franchie, et l’ex collaborateur de la DGSE d’insister : « un pays démocratique ne fait pas ça ».
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En réussissant une percée dans la région de Koursk en août dernier, Kiev a obtenu un demi-succès qui pourrait être sans lendemain, faute notamment de chars de combat pour poursuivre la manœuvre. En l’espace d’une année, les forces armées ukrainiennes ont perdu un grand nombre de leurs chars modernes fournis par les occidentaux.
L’armée ukrainienne a perdu près de la moitié de ses 31 chars Abrams fournis après beaucoup de réticence par les Américains. Sur les 21 chars allemands Leopard 2A6 qu’elle a reçus, relève le site Oryx qui documente les pertes du conflit, douze ont été détruits ou endommagés et 21 Leopard dans la version 2A4 ont été mis hors de combat. Le char, c’est du consommable, rappelle le spécialiste français de l’arme blindée, Marc Chassillan : « Dans tout conflit de haute intensité, vous avez des attritions qui paraissent totalement anormales, mais qui, en fait, relèvent de la normalité. On a quand même quelques références pour ça. Je parle, par exemple, de la guerre du Kippour, 3 000 chars détruits en trois semaines. On peut parler de la guerre Iran-Irak. Donc aujourd'hui, ce qui nous paraît énorme relève en fait de la normalité pour ce type de conflit. La guerre de haute intensité, c'est une immense chaudière qu'il faut alimenter en matériel, en munitions, en rechange, en carburant, de manière quotidienne et de manière continue. C'est un énorme glouton qui absorbe absolument tout. »
Le combat des ressourcesEt c’est bien le problème qui se pose à l’armée ukrainienne : comment remplacer ces chars alors que son offensive surprise dans la région de Koursk, lancée cet été, ne progresse plus faute de ressources et subit même depuis quelques jours une contre-attaque. « C'est un peu comme au poker, Kiev a fait tapis », estime Marc Chassillan, qui ajoute : « Il a tout misé sur cette offensive pour espérer renverser la situation d'un point de vue politique et stratégique. D'un point de vue strictement tactique, l'opération a réussi, puisque les Ukrainiens sont rentrés sur le territoire russe, mais ce qu'ils pensaient obtenir, c'est-à-dire en fait un déplacement des unités russes du Donbass vers ce front, ne s'est pas opéré ; maintenant, on le sait après ces quelques semaines d'offensive. Donc là, d'un point de vue opératif, c'est raté. Après, d'un point de vue stratégique, est-ce que ça a déstabilisé la Russie, Moscou, son gouvernement, son régime ? Évidemment que non. Aujourd'hui, toute la question est de savoir à quel moment finalement les Ukrainiens se retireront de cette région. Et c'est là qu'on retrouve les basiques de la guerre qui sont qu’une guerre, c'est deux combats, c'est le combat des ressources et le combat du moral. »
Et le combat des ressources, c’est aussi pour l’Ukraine faire un choix aujourd’hui entre des missiles ou des chars…Des missiles à longue portée que Kiev réclame en nombre et surtout avec l’autorisation des Occidentaux de pouvoir les utiliser dans la profondeur du territoire adverse, pour attaquer les bases aériennes d’où partent les bombes planantes russes et autres missiles fournis par l’Iran. L’heure n’est pas au combat de chars, note Marc Chassillan : « Les chars ne sont rien s’ils ne sont pas environnés par les véhicules tactiques qui doivent les accompagner. Donc, livrer des chars sans livrer des engins du génie pour déminer, ça ne sert à rien, sans livrer des véhicules de combat d'infanterie pour les escorter, ça ne sert à rien. Et donc, le char lui-même aujourd'hui, il est une des composantes, mais il n'est pas la totalité. Il faudrait entre 500 et 700 chars modernes à l'armée ukrainienne pour obtenir quelque chose. Mais si ces chars ne sont pas capables de percer les champs de mines russes, ils ne vont pas servir à grand-chose. »
Pour Kiev, l’urgence est de contrer les bombardements massifs, desserrer l’étau russe, le temps des chars reviendra à la condition expresse de renouer avec une guerre de mouvement.
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Jean-Michel Jacques, député réélu de la sixième circonscription du Morbihan, est le nouveau président de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale. Ancien commando de la Marine, ce député compte sur l’esprit d’équipage de l’Assemblée pour préserver le budget de 413 milliards d’euros de la loi de programmation militaire récemment votée et dont il fut le rapporteur. Portrait d’un député au profil atypique.
Au palais Bourbon, il est dit que c’est le plus beau bureau de l’Assemblée nationale. Au mur, une immense toile représentant une bataille navale et sur une console, un béret vert de commando Marine, matricule 7480, Jean-Michel Jacques nous y accueille.
« En arrivant ici, c'est vraiment impressionnant, parce qu'on a un bureau avec de vieux meubles et puis aussi de vieilles moulures et c'est un des plus beaux de l'Assemblée nationale. À un moment, l'administration a été tentée, pour gagner de la place, de le couper en deux, mais le service historique en a décidé autrement. Ils ont bien fait d’ailleurs, ce qui a permis d’en conserver toute sa splendeur. Et sur une commode, j'ai mis mon béret de commando Marine. Ce béret qui me m'a jamais quitté depuis que je l'ai eu par un de mes anciens et qui me suivra partout. Donc, il m'a suivi dans mon bureau de maire. Il m'a suivi dans mon bureau de député. Pour moi, c'est beaucoup de choses et si je m'égare ou s'il y a quoi que ce soit, il suffit que je le regarde et tout se remet bien dans l'axe. »
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La flamme de la résistanceRien ne le prédestinait à entrer au Palais Bourbon, Jean-Michel Jacques, 56 ans, est né en Moselle, dans la vallée de la Fensch. « C'est une vallée sidérurgique et minière et en fait, j'avais un grand-père qui était italien, qui est venu dans les mines de charbon travailler très jeune, et puis un autre grand-père qui travaillait dans les usines d'acier, un grand-père d'ailleurs qui avait été résistant et déporté en camp de concentration au Struthof et au camp de concentration de Dachau. Ce grand-père résistant et déporté, lors des repas de famille, racontait ce qu'il avait vécu. Très jeune, j’ai eu cette prise de conscience de ce que peut être l'homme, le meilleur et le pire. Et très vite, j'ai eu ce besoin de m'engager pour mon pays pour éviter, peut-être, que notre pays soit de nouveau maltraité comme je l'entendais à travers les récits de mon grand-père. Et donc cela m'amène à 18 ans, sans prévenir mes parents d'ailleurs, à franchir les portes du Bureau de recrutement de la caserne Ney à Metz, pour m'engager. »
Pour donner du sel à sa vie, sourit-il, ce sera la Marine : « Et ce sera la Marine parce qu'à ce moment-là, j'ai une formation de menuisier et je me dis, je vais faire charpentier de Marine pour partir en mer, voyager ! Très vite, on me dit, charpentier de Marine, ce n'est pas possible, il faut choisir autre chose. Alors, je choisis de faire commando Marine parce que tout simplement, j'avais vu en rentrant dans ce bureau de recrutement un poster avec un homme qui se jetait d'un hélicoptère au-dessus du désert. Je trouvais ça extraordinaire et du coup, je me dis : je vais faire ça et donc je m'engage comme ça ! Et c'est parti pour une formation de fusiller marin commando, et je m'en vais rejoindre les commandos de Marine à Lorient. »
L'expérience afghaneFusilier au sein du Commando Jaubert, puis du Groupe d’Intervention de combat en milieu clos, il intègre enfin le commando Trépel, avec l’expérience de la guerre en Afghanistan : « Effectivement, c'était un terrain difficile où la mort était continuellement et potentiellement là. En tout cas, c'est une séquence de ma vie que je n'oublierai jamais. Des moments de camaraderie, mais aussi des moments de peine quand on a le triste honneur, comme je l'ai eu de porter le cercueil de son frère d'armes dans la Cour des Invalides. »
Une seule boussoleAprès 24 ans dans la Marine, Jean-Michel Jacques poursuit son engagement en politique cette fois : d’abord comme maire de Brandérion, petite commune près de Lorient, puis comme député du Morbihan, élu à trois reprises sous les couleurs de la majorité présidentielle. À la tête de la commission de la défense nationale et des forces armées, il plaide pour instaurer à l’Assemblée nationale l’esprit d’équipage acquis lors de ses années dans la Marine, « L'ambition, c'est déjà de s'assurer que la loi de programmation militaire soit accomplie dans sa globalité et comme elle a été votée. Et donc cela va demander de veiller à ce que le budget consacré à nos forces armées soit préservé, ceci n'est pas un luxe. Nous avons la guerre aux portes de l'Europe, nous avons le droit international qui est bafoué. On le voit à travers l'agression russe en Ukraine. Nous ne devons garder qu'une seule boussole, c'est l'intérêt supérieur de la nation. Et l'intérêt supérieur de la nation passera par une défense solide. Et là, je ne doute pas que mes collègues députés de tous bords sauront toujours garder cela en tête et faire en sorte que, malgré des débats peut-être agités au sein de la commission de la défense, nous garderons cet esprit d'équipage dans l'intérêt de notre pays et de nos militaires. »
Cette méthode revendiquée : concertation et sens du collectif sera précieuse dans un hémicycle particulièrement fragmenté.
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La guerre d’Ukraine a mis en lumière une caractéristique du champ de bataille contemporain, inédite par son ampleur et ses effets sur les manœuvres militaires. : la « transparence ». Tout ce qui bouge de part et d’autre de la ligne de front est détecté et détruit, réduisant à néant toute velléité d’attaque. Mais néanmoins, selon une récente étude de l’Ifri, l’Institut français des Relations internationales, la transparence n’est pas un phénomène indépassable.
S’enterrer pour échapper au regard de l’adversaire.Après l’échec de l’offensive d’été ukrainienne en 2023, Valeri Zaloujny, ex-commandant en chef des armées ukrainiennes l’avait confessé, du fait de la transparence le conflit ressemble furieusement au premier conflit mondial, c’est une guerre de position, il faut s’enterrer pour échapper au regard de l’adversaire.
Est-il possible de contourner cette transparence ? oui, dit Guillaume Garnier auteur de l’étude de l’Ifri, mais à condition de privilégier la dispersion et la discrétion : « Il y a des technologies qui permettent effectivement de mieux voir sur le champ de bataille notamment avec des drones de plus en plus précis. Mais il y a aussi des contre-technologies. On est dans une dialectique permanente : quand on a un avantage trop prononcé dans un domaine, on invente une parade. Ce sont des filets de camouflage intelligents qu'on appelle multispectraux. Ce sont des capacités de brouillage aussi. Ça ne sert plus à rien d'avoir un drone s'il n'a plus la liaison de données pour transmettre ses informations.
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Vous avez également des possibilités de modification des signatures thermiques ou acoustiques des véhicules donc vous avez un char et par des procédés thermiques, quand vous l'observez avec des appareils optiques, vous voyez un véhicule civil. Tout ça, ça va mûrir, doctrinalement et ça va venir contrer, sinon toute la transparence, tout au moins une partie. »
La vitesse d’exécution ou l’attaque brusquée pour contourner la transparenceSecond volet de l’adaptation, pointe Guillaume Garnier, la vitesse d’exécution ou l’attaque brusquée pour contourner la transparence, « Un exemple : je sais que je suis vu par l'adversaire, oui, mais j'ai appris à mes troupes à manœuvrer très rapidement et donc OK, je suis vu, mais l'adversaire n'a pas le temps de réagir. Donc le fait de me voir ne lui sert pas à grand-chose puisque je le prive d'une capacité de réaction parce que je vais plus vite que lui.
Et puis l'art de la guerre, au vingt-et-unième siècle, comme durant l'Antiquité, c’est aussi la ruse. Ça, ça reste d'actualité et donc je peux donner à voir à l'ennemi ce que j'ai envie qu'il voie, tout en faisant un effort de dissimulation sur ce que je n'ai pas envie qu'il voie. Et donc il va se tromper dans l'interprétation de ma manœuvre parce qu'il n'a pas vu les bonnes choses. On appelle ça des opérations de déception. L'exemple le plus célèbre, c'est l'opération Fortitude, organisée par Churchill lui-même en 1944, visant à faire croire à Hitler que le débarquement allait s'opérer dans le Nord-Pas-de-Calais et non pas en Normandie »
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Reste que le coût humain et matériel dans un environnement transparent est exorbitant. Et c’est la raison pour laquelle, estiment les chercheurs de l’Ifri, le contournement de la guerre, théorisé par les officiers russes il y a trente ans est toujours pertinent. « Nous partons du constat qu'il y a un couplage dangereux entre ce phénomène de transparence du champ de bataille et la létalité des armements modernes, de plus en plus précis, qui portent de plus en plus loin et dont le pouvoir de destruction est de plus en plus grand, reprend Guillaume Garnier. Donc vous pourriez imaginer la tentation d'effectuer des frappes préemptives pour paralyser totalement l'adversaire d'emblée. Tout ceci a un coût, un coût militaire, un coût financier, un coût politique. La guerre de haute intensité conventionnelle, finalement, son coût est exorbitant. La Russie paye bien plus cher que ce qu'elle avait imaginé dès le départ. Il est envisageable donc que l’on en revienne à des agressions sous le seuil du conflit ouvert en jouant sur la difficulté de l'attribution des attaques, c'est à dire dans le domaine cyber par exemple. Des cyber agressions ou des perturbations de satellite, très difficile de désigner quel est l'agresseur. On a parlé des technologies qui favorisent la transparence, mais il y a aussi des technologies qui favorisent ces modes d'action dits hybrides, dont l'un des volets principaux est la désinformation, la manipulation des opinions publiques ou la désinformation aussi parce qu'on en parle moins, des cercles dirigeants eux-mêmes pour les induire en erreur. Tout ceci est aussi envisageable »
L’hybridité des combats comme solution à la Transparence du champ de bataille.Les agressions sous le seuil du conflit ouvert, conservent de fait, un excellent rapport coût-efficacité pour les États souhaitant remettre en question le statu quo international
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L'Intelligence artificielle s'invite dans tous les segments du combat moderne : notamment pour une meilleure lecture du champ de bataille et désormais l'IA s'impose aussi sous l'eau... La Marine nationale les appelle les oreilles d'or, ce sont les analystes capables d'identifier les sons captés sous la surface de la mer, l'IA va bouleverser leur métier, l'objectif : aller vite pour gagner la guerre acoustique.
Rediffusion du 19 mai 2024.
Tac tac tac tac tac tac... Ce son régulier, c'est le bruit d'un pétrolier tel qu'on l'entend sous l'eau, un bruit caractéristique. L'oreille d'or d'un sous-marin pourrait dire que l'hélice de ce navire est composée de cinq pales et que sa ligne d'arbre tourne à 120 tours/minutes. Des informations cruciales pour la marine de guerre, en particulier pour la sous-marinade, souligne le capitaine de frégate Vincent Magnan, commandant du centre d’interprétation et de reconnaissance acoustique, le Cira à Toulon.
« Il se passe énormément de choses sous le dioptre, comme on dit dans notre milieu. Pour vous donner des exemples très précis, un bâtiment de commerce est entendu par le sonar d'un sous-marin d'une frégate, notamment par ce qu'on appelle le bruit rayonné, qui peut être composé de plusieurs types de sons. Un des sons caractéristiques, c'est ce qu'on appelle le nombre de tours minute d'arbre, c'est-à-dire la vitesse de rotation de la ligne d'arbre qui propulse le navire auquel est aussi associé à un nombre de pales. Et lorsqu'on maîtrise cette information-là, on sait quelle est la vitesse du bateau que l'on recherche. Et en fonction de la vitesse de ce bateau, on est capable de mettre en place une idée de manœuvre. Et donc la vraie réflexion, c'est de se dire que la guerre acoustique passive permet en toute discrétion, sans élever le niveau de crise, de capter des informations techniques dont découlent des conclusions tactiques décisives pour les opérations. »
Et c'est d'autant plus important pour un sous-marin qui par définition est aveugle, or, les capteurs acoustiques sont de plus en plus puissants et par conséquent les oreilles d'or sont confrontées à une inflation de données, souligne le commandant Magnan.
« Au début des années 2000, un opérateur sonar disposait d'un équipement qui lui permettait d'entendre à environ 20 km et de traiter simultanément une dizaine de contacts acoustiques. Aujourd'hui, on est plutôt sur des sonars capables de détecter jusqu'à presque 200 km et permettent de traiter simultanément presque une centaine de pistes acoustiques. Ce qui fait qu'effectivement le volume de données à traiter, s'est considérablement augmenté. La conséquence directe et que pour les oreilles d'or à la mer, pour l'analyse de tous ces contacts acoustiques, il y a un engagement humain qui est beaucoup plus important qu'auparavant. »
Les algorithmes de PreligensL'intelligence artificielle va permettre de discriminer les sons beaucoup plus rapidement. Et c'est là qu'intervient une pépite française, Preligens, bien connue pour ses analyses d'images spatiales, l'entreprise a mis ses algorithmes au service de la guerre acoustique. Un démonstrateur a vu le jour l'an dernier, avec une première expérience. Douze jours durant, la Marine a enregistré tous les bruits de la mer au large de Toulon.
« Ces 12 jours-là ont nécessité d'être annoté pour pouvoir entraîner des algorithmes d'intelligence artificielle. Il nous a fallu presque une quarantaine de jours pour annoter ces 12 jours de travaux », souligne Vincent Magnan. « Désormais, avec l'algorithme et les démonstrateurs obtenus, on injecte 12 jours d'enregistrements acoustiques dans la machine, et en quatre heures à peu près, la machine nous sort les phases sur lesquelles les analystes peuvent aller apporter leurs compétences métier. Ce qui signifie que de 40 jours initiaux, on est passé plutôt à 5-6 jours. L'objectif, c'est être capable d'analyser de plus en plus de données. En 2020, le CIRA recevait annuellement environ un téraoctet de données. En 2024, on est plutôt sur 10 téraoctets de données acoustiques. On dépassera certainement les 100 Terra à l'horizon 2030. »
Mais l'IA ne peut pas tout, les oreilles d'or seront toujours décisives, assure Vincent Magnan. « C'est bien l'objectif de dire qu'une fois qu'on a vu un bateau, on sera capable de le revoir à chaque fois qu'il rentrera dans notre volume de détection. À la nuance près, qui est quand même très importante et qui rend l'application de l'intelligence artificielle assez complexe, c''est que le même bateau, vu en Méditerranée en janvier et vu en Atlantique Nord en décembre, ne fera pas le même bruit. Parce que l'environnement acoustique aura changé, parce que peut-être que les paliers de sa ligne d'arbre auront été abîmés ou auront été corrodés, peut-être parce qu'il y aura des concrétions sur sa coque, qui modifieront sa cavitation. Et donc le bruit rayonné ne sera pas tout à fait le même. Et c'est pour ça qu'aujourd'hui, si l'intelligence artificielle permet de détecter globalement les grandes caractéristiques d'un bateau, il faudra aussi le savoir-faire de l'homme pour aller chercher vraiment les éléments discordants par rapport à une interception précédente par exemple. »
Les oreilles d'or sont rares, il n'y a pas plus d'une trentaine d'analystes dans la Marine. L'IA va leur permettre de se concentrer sur les écoutes d'intérêts, quant à la machine, elle permettra d'écarter les bruits des crevettes et des cachalots.
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Spécialiste de la détection de radiofréquence par satellite, la start-up Unseenlabs s'est imposée dans le domaine de la surveillance maritime. Basée à Rennes cette jeune pousse multiplie les levées de fonds et affiche des ambitions à la frontière du spatial civil et militaire. Zoom sur le « New Space » français.
Rediffusion du 12 mai 2024.
Attention pépite ! Unseenlabs a vu le jour il y a dix ans. Les frères Galic, Clément Benjamin et Jonathan ont saisi les opportunités offertes par les nano satellites pour détecter et localiser en mer avec une extrême précision n'importe quel navire grâce à ses émissions électromagnétiques.
Ce fut une première révolution, nous explique Clément Galic : « Nos satellites sont des antennes dans l'espace qui peuvent capter des signaux radiofréquence. Ça, c'est un domaine qui était réservé. C'était la chasse gardée de la défense - pour la défense dure - jusqu'à ce que nous décidions en 2015 d'ouvrir ce marché au monde de la sécurité civile et du privé.
Donc, tout part de trois frères qui ont envie de tenter l'aventure spatiale, de placer en orbite un instrument capable de localiser les sources d'émissions radio fréquence. On s'est dit : on est des ingénieurs mais on crée une boîte privée qui devra gagner de l'argent, essayons au moins dans un premier temps, de nous attaquer à un marché que l'on sait en besoin de nouveaux types de données.
C'est comme ça qu'on s'est focalisé sur la surveillance maritime. Ca va intéresser ce qu'on appelle 'l'action de l'État en mer'. Nous, l'essentiel de nos activités, c'est la lutte contre la pêche illégale. Donc ce n'est pas de la défense dure, c'est de la police des mers en fait. Et on a le pendant privé qui vont être les armateurs, les assureurs : on va pouvoir leur apporter des données qui vont renseigner plus finement sur la réalité des trafics maritimes ».
Avec leur technologie et leur constellation de 13 nano-satellites, les ingénieurs d'Unseenlabs peuvent cartographier la position des bateaux, y compris détecter les navires qui auraient coupé leur système d'identification automatique comme le font régulièrement des bateaux russes qui s'arrêtent au large de l'Irlande, à la verticale d'un câble sous-marin stratégique.
Adapter le système à n'importe quel type d'émetteurForte de ce savoir faire, l'entreprise rennaise souhaite élargir ses capacités de surveillance au domaine terrestre pour traquer les brouilleurs, un sujet saillant notamment en Ukraine où les brouillages antidrones sont omniprésents.
« Un brouilleur, reprend Clément Galic, Pdg d'Unseenlabs, c'est une grosse machine, qui est un gros camion qui envoie ce qu'il faut en radiofréquence pour brouiller tout ce qui passe autour.
Nous depuis l'espace, on sera capable de localiser ces sources de brouillage, de les caractériser et d'expliquer aux intéressés, comment contre-brouiller, pour pouvoir agir. Aujourd'hui ce qu'on fait, c'est de localiser des bateaux, et bien on fera la même chose pour les brouilleurs. Et en fait, l'idée c'est vraiment de répliquer ce marché du maritime à n'importe quel type de marché, n'importe quel type d'émetteur. Nous, on n'a pas le rôle de se substituer à l'Etat, par contre, ce qu'on apporte, c'est une capacité qui va coûter moins cher pour compléter ou soulager peut-être des services patrimoniaux, grâce à nos données. Donc c'est du complémentaire ».
Unseenlabs, n'a qu'un concurrent américain, et pour continuer à mener la course en tête, la pépite tricolore envisage dès 2026 de lancer une flotte de satellites de 150 kilos, de nouvelle génération.
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Quarante-cinq artilleurs ukrainiens étaient en France en mai 2024 pour apprendre le maniement du canon français Caesar. L'armée française s'est mise en ordre de marche pour former les soldats de Kiev au cours d'une formation expresse de quinze jours seulement. [Rediffusion]
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