Episódios

  • Il semble que l’Occident et l’ExtrĂȘme-Orient, sous des formes diffĂ©rentes, aient vĂ©cu les mĂȘmes Ă©volutions aux mĂȘmes moments. La rĂ©duction de l’ĂȘtre humain au dualisme corps/Ăąme ou corps/psychisme ou encore corps/qi procĂšde de la mĂȘme dĂ©marche limitative et rĂ©ductionniste. En dĂ©pit des grands discours spirituels, la grande majoritĂ© des pratiquants et des thĂ©oriciens du taijiquan, sans mĂȘme sans rendre compte, sont enfermĂ©s dans le paradigme dualiste.

    Depuis le dĂ©but de ma pratique, je n’ai jamais considĂ©rĂ© la forme (les formes) comme une finalitĂ©. J’ai utilisĂ© (et j’utilise) la forme (aspect extĂ©rieur) pour dĂ©couvrir le moule (pattern/forme intĂ©rieure) qui me permet de remonter jusqu’à l’Esprit.

    Ma recherche ne va pas dans le sens de remonter le cours d’une histoire linĂ©aire Ă  la recherche d’une forme qui, parce qu’elle serait plus ancienne, serait forcĂ©ment plus authentique. Je suis en quĂȘte non de l’original, mais de l’originel.

  • À l’origine, confucianisme et taoĂŻsme sont des mouvements spontanĂ©s avec un enseignement fluide et vivant communiquĂ© Ă  des groupes de tailles restreintes. AprĂšs quelques siĂšcles, l’un et l’autre s’érigeront en doctrine. Le confucianisme se fige en ritualisme et bureaucratie tandis que le taoĂŻsme se dĂ©lite en superstitions. Le premier succombe Ă  un excĂšs de « terre » et le second Ă  un excĂšs de « ciel ».

    Comme l’histoire n’est qu’un Ă©ternel recommencement, le taijiquan aujourd’hui en Occident est confrontĂ© aux mĂȘmes problĂ©matiques : d’un cĂŽtĂ©, le cadre institutionnel des fĂ©dĂ©rations et de l’autre, la magie du Qi. Dans le premier cadre, les structures limitantes Ă©touffent et provoquent une perte de vie tandis que dans le second, faute d’un minimum de structures, la vie se disperse. On a le choix entre rigiditĂ© ou laxisme. Dans les deux cas, on se coupe de l’esprit. La voie du milieu est la plus Ă©troite, la plus difficile et la moins frĂ©quentĂ©e.

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  • Le taoĂŻsme religieux (utopisme dogmatique, superstition, magie horizontale) illustre les risques et Ă©cueils Ă  Ă©viter par tout pratiquant ou groupe engagĂ© dans une recherche sincĂšre. La magie horizontale amĂšne Ă  dĂ©velopper son pouvoir sur les autres par l’utilisation de trucs et recettes tandis que la magie verticale vise Ă  se relier Ă  un principe universel transcendant (le Dao par exemple) afin de rĂ©cupĂ©rer son propre pouvoir (que l’on exerce sur soi-mĂȘme).

    Comme Confucius, nous assistons nous aussi Ă  un dĂ©litement de l’ordre politique combinĂ© Ă  la disparition d’une certaine conception du monde, le phĂ©nomĂšne atteint maintenant une dimension mondiale. Comme Platon Ă©tait confrontĂ© Ă  la dĂ©sintĂ©gration de l’ancienne institution qu’était la citĂ© grecque, nous sommes aujourd’hui confrontĂ©s Ă  la dĂ©sintĂ©gration de l’ancienne institution que sont nos États. Avons-nous, aurons-nous des philosophes comme Platon, des penseurs comme Confucius ? Serons-nous capables de les entendre, de les comprendre et d’agir dans les directions qu’ils nous montre(ro)nt ?

  • Wang Fuzhi (1619-1692) est considĂ©rĂ© comme l’un des plus Ă©minents philosophes chinois. Pour lui, l’unitĂ© de l’homme et du monde est rĂ©alisĂ©e dans l’énergie vitale. Il rĂ©cuse le non manifestĂ© (wu) taoĂŻste afin de rĂ©affirmer la rĂ©alitĂ© Ă©ternelle et indescriptible de l’énergie universelle (qi). Pour lui, il n’y a rien Ă  chercher en dehors de l’interaction du Yin et du Yang qui suffit Ă  expliquer entiĂšrement le fonctionnement de l’univers. Il s’agirait en quelque sorte d’un monisme vitaliste.

    Dai Zhen (1724-1777) est issu de l’élite intellectuelle qui se dĂ©veloppe dans le milieu des riches marchands du Jingnan. Ce gĂ©nie rigoureux et curieux reprĂ©sente une parfaite illustration du nouvel esprit critique qui se dĂ©veloppe en Chine Ă  cette Ă©poque. Sa devise est de « ne rechercher le vrai que dans les faits rĂ©els ». Il est sans aucun doute le digne homologue de ses contemporains europĂ©ens, les EncyclopĂ©distes.

  • À partir du 11Ăšme siĂšcle, les nĂ©oconfucĂ©ens mirent Ă©galement l’accent sur la vocation de l’homme Ă  s’unir avec le cosmos, prĂ©occupation premiĂšre des taoĂŻstes depuis toujours, mais avec une coloration plus humaniste, caractĂ©ristique de la tradition confucĂ©enne : il s’agit alors d’accomplir en soi ce qui est spĂ©cifiquement humain tout en participant Ă  l’Ɠuvre crĂ©atrice du Ciel et de la Terre. Isabelle Robinet prĂ©cise que l’une des vertus cardinales du nĂ©oconfucianisme est la connaissance zhi qui n’est pas seulement une connaissance cognitive, mais aussi une expĂ©rience existentielle intĂ©grĂ©e, et qui porte Ă  la fois sur le sens des choses de l’univers afin de s’y conformer, et sur soi-mĂȘme pour trouver sa nature propre, car l’un et l’autre ne font qu’un. (...) Cette connaissance est indissociable de sa mise en acte, sans quoi elle n’est pas : « Savoir est le dĂ©but de l’action, agir en est le parachĂšvement » dit le nĂ©oconfucĂ©en Wang Yangming (1472-1529).

  • Plus qu’un homme ou un penseur, Confucius reprĂ©sente un vĂ©ritable phĂ©nomĂšne culturel. Plus qu’une Ă©cole de pensĂ©e, le confucianisme se confond avec le destin de la civilisation chinoise depuis plus de 2.500 ans.

    Anne Cheng dĂ©gage trois pĂŽles essentiels dans son enseignement : l’apprendre, le sens de l’humain et l’esprit rituel. Pour MaĂźtre Kong, apprendre est Ă  la fois une dĂ©marche intellectuelle et une expĂ©rience de vie. Il n’y a pas de sĂ©paration entre thĂ©orie et pratique. L’éducation, selon Confucius, ne saurait ĂȘtre purement livresque, la connaissance consiste davantage dans le dĂ©veloppement d’une aptitude que dans l’acquisition d’un contenu intellectuel. Apprendre, c’est finalement apprendre Ă  ĂȘtre humain, car notre humanitĂ© n’est pas un donnĂ©, elle se construit et se tisse dans nos rapports avec les autres.

    Les deux principaux hĂ©ritiers de Confucius ont formĂ© un corps de doctrine appelĂ© confucianisme qui, sous les Han, fut choisi comme philosophie d’État. Le systĂšme d’examen basĂ© sur le corpus confucĂ©en resta en vigueur jusqu’à la fin de l’Empire en 1911.

  • À la fin du 4e siĂšcle apparaĂźt un nouveau taoĂŻsme dans lequel les pratiques physiologiques se trouvent transposĂ©es sur le plan spirituel, notamment avec le courant du Shangqing (La Haute PuretĂ©).

    L’alchimie intĂ©rieure (neidan) ne cherche pas Ă  fabriquer un produit, elle est avant tout une mĂ©thode d’ordonnancement et de façonnement du monde et de soi-mĂȘme entraĂźnant une comprĂ©hension au sens d’intĂ©gration existentielle et intellectuelle.

    Sous les dynasties Ming et Qing (1368-1911), c’est le dĂ©clin 
 Il faudra attendre la politique de libĂ©ralisation lancĂ©e par Deng Xiaoping en 1979 pour que le taoĂŻsme puisse commencer Ă  tenter, non sans mal, de revivifier ses anciennes traditions.

    Les cultes populaires envers les Immortels abondaient sous les Han. Dans le courant du 2e siĂšcle aprĂšs J.– C. apparaĂźt une forme de taoĂŻsme collectif (politico-religieux) bien diffĂ©rente de celle des petits groupes indĂ©pendants que l’on avait connus jusqu’alors. Ces mouvements messianiques et utopistes connurent un grand succĂšs.

  • Le principe ultime est spontanĂ©, il est par lui-mĂȘme. La libertĂ© et l’autonomie consistent Ă  Ă©pouser complĂštement le grand mouvement naturel de l’univers : c’est lĂ  la Voie vĂ©ritable. Cette thĂšse se dĂ©veloppe donc en opposition aux structures culturelles telles qu’elles sont reprĂ©sentĂ©es par le confucianisme naissant.

    Lorsque la notion de taoĂŻsme se cristallise vers le 2e siĂšcle av. J.-C., l’opposition idĂ©ologique du naturel et du culturel avait dĂ©jĂ  revĂȘtu diverses formes : rĂ©action contre l’envahissement de l’administration centrale, option pour l’individualisme contre l’assujettissement aux normes officielles et Ă  leurs systĂšmes de valeurs. Cette polarisation, tout en conduisant aussi bien Ă  l’évasion mystique qu’à la rĂ©volte populaire, donnera au taoĂŻsme sa qualitĂ© d’éternel alternatif et contribuera Ă  faire de lui une doctrine de la libertĂ© profondĂ©ment originale.

    Les pratiques vivifiantes auxquelles s’adonnaient les taoĂŻstes sont mentionnĂ©es de maniĂšre allusive dans le Daode jing. Le Zhuangzi en fournit des indications bien plus nettes. L’union avec le Dao se rĂ©alise par l’extase.

  • Fonctionnant par champs et totalitĂ©, la pensĂ©e chinoise embrasse et englobe. Elle apprĂ©hende, non par secteurs isolĂ©s, mais par ensembles. La pensĂ©e chinoise privilĂ©gie le mode gĂ©nĂ©ratif au mode causal, elle n’est pas de l’ordre de l’ĂȘtre, mais du processus.

    La Chine est souvent prĂ©sentĂ©e comme un autre monde. Sa culture, sa langue, sa pensĂ©e apparaissent alors comme l’antithĂšse, la contre-Ă©preuve de leurs homologues occidentaux. Ces images frappent, interpellent, plaisent, sĂ©duisent.

    J’ai moi aussi rencontrĂ© l’ailleurs en Chine. J’ai bien sĂ»r, comme tout Occidental, Ă©tĂ© confrontĂ© Ă  sa logique tout autre. Mon intellect ne pouvait qu’ĂȘtre enthousiaste de cette vision Orient-Occident en Yin/Yang. Pourtant, sans ĂȘtre tout Ă  fait fausse, cette conception ne me semblait pas tout Ă  fait juste : quelque chose sonnait faux.

    Je prĂ©sente plusieurs interprĂ©tations et c’est Ă  chacun de se questionner, de rĂ©flĂ©chir, de croiser et de choisir 
 de penser autrement pour tenter de comprendre.

  • Dans ma pratique du taijiquan, en utilisant mon esprit analytique, j’ai assez vite distinguĂ© ce que je comprenais bien, ce que je comprenais mal et ce que je ne comprenais pas.

    AprĂšs cette premiĂšre opĂ©ration de mise en Ă©vidence des difficultĂ©s, j’ai toujours utilisĂ© mon intuition et mon imagination pour voyager au cƓur du taijiquan. AprĂšs une analyse minutieuse des Ă©lĂ©ments formels d’une forme, je navigue dans l’imaginal, je me laisse porter par mes visions Ă  la recherche de la trame sous-jacente.

    Il me faut ensuite me reconnecter Ă  mon Ăąme (ce qui anime la vie intĂ©rieure) occidentale et laisser mes visions et sensations se transformer subtilement en ce qui peut ĂȘtre ressaisi et compris par la sensibilitĂ© occidentale.

    Je n’hĂ©site pas Ă  prendre certaines libertĂ©s si c’est pour mieux faire comprendre L’esprit du taijiquan. J’essaie de faire goĂ»ter la quintessence en utilisant tous les outils et Ă©clairages de la culture occidentale de ce dĂ©but de troisiĂšme millĂ©naire.

  • Lorsque le calligraphe possĂšde en lui toutes les ressources du rĂ©pertoire, son Ă©criture coule de source. Lorsqu’il se rĂ©vĂšle tout entier dans son Ă©criture, celle-ci dĂ©gage un extraordinaire rayonnement.

    Il abandonne toute soumission pour ne plus suivre que son propre mouvement. Il s’aventure au-delĂ  de toute perfection apprise pour aller dans ce qui semble ĂȘtre une imperfection. L’impertinence remplace l’application, les Ă©carts et impairs rĂ©sultent d’une crĂ©ation permanente et non plus d’une maladresse ou d’une inattention.

    Dans mon cheminement, je n’ai pas provoquĂ© les Ă©vĂ©nements, les choses se sont faites d’elles-mĂȘmes. Elles se sont, Ă  un moment donnĂ©, imposĂ©es avec une Ă©vidence incontournable.

    L’effet de mode, l’ambiance syncrĂ©tiste, la marchandisation et le pouvoir castrateur de certaines personnes et/ou associations ne reprĂ©sentent certes pas le contexte le plus propice, ni pour le dĂ©veloppement et la maturation des diffĂ©rentes phases de l’apprentissage, ni pour l’émergence d’ĂȘtres authentiques capables de (se) crĂ©er.

  • L’acquisition de la technique en taijiquan et en calligraphie rĂ©pond aux mĂȘmes exigences : la progressivitĂ© de la mĂ©thode, la difficultĂ© de coordonner le tout et les parties, l’orientation dans l’espace, la rĂ©fĂ©rence au modĂšle choisi, la nĂ©cessitĂ© de la pratique rĂ©guliĂšre, la recherche et l’expĂ©rimentation des diffĂ©rents paramĂštres du mouvement, le maintien d’une attention vigilante en toutes circonstances. Dans ces deux disciplines, la maĂźtrise de la technique remplit l’élĂšve d’une joie intense. Il rĂ©alise qu’il a acquis non pas un simple savoir-faire, mais un pouvoir nouveau qu’il apprendra Ă  utiliser dans l’étape suivante.

    L’étude des oeuvres/formes de diffĂ©rents styles reprĂ©sente une suite d’imprĂ©gnations qui fĂ©condent peu Ă  peu la substance du pratiquant. En se conformant aux formes qui l’informent, il se transforme. En s’oubliant et en se perdant, il se trouve. Le vieil homme (l’aspect extĂ©rieur, superficiel) meurt et l’homme nouveau (l’ĂȘtre profond) naĂźt.

  • Les similitudes entre la posture du corps du calligraphe et celle du pratiquant de tai chi chuan sont interpellantes : quoi de plus normal lorsque les fondements (la tradition chinoise et ses classiques), les exigences techniques (geste naturel, libĂ©rĂ© et vivant pour mieux occuper l’espace) et les finalitĂ©s (obtention du gong fu, c’est-Ă -dire connaissance et maĂźtrise de soi au travers de la connaissance et de la maĂźtrise de l’art) sont identiques.

    Le calligraphe doit avoir la possibilitĂ© de partir Ă  n’importe quel moment dans n’importe quelle direction et donner Ă  l’élĂ©ment qu’il trace n’importe quel calibre, n’importe quelle modulation : sa libertĂ© de mouvement doit ĂȘtre maximale. De lĂ  dĂ©coulent la façon d’utiliser le corps et les rĂšgles du positionnement. Les mouvements qui dĂ©placent le pinceau dans l’espace Ă©manent du tronc en passant par l’épaule. Afin de donner au torse un socle large et solide, les jambes sont Ă©cartĂ©es et les pieds plantĂ©s de part et d’autre de l’axe central.

  • Certains Ă©lĂšves Ă©prouvant des difficultĂ©s dans l’apprentissage du tai chi chuan disent spontanĂ©ment : « c’est du chinois ». Cela peut ĂȘtre compris et interprĂ©tĂ© Ă  deux niveaux. Tout d’abord, ils se rendent compte de la distance qui sĂ©pare l’Orient de l’Occident : deux conceptions du monde, deux visions de l’ĂȘtre humain fondamentalement diffĂ©rentes.

    Ils mesurent ainsi la difficultĂ© de pĂ©nĂ©trer dans un systĂšme Ă©laborĂ© sur d’autres bases. En outre, l’expression « c’est du chinois » comparerait les difficultĂ©s rencontrĂ©es dans l’apprentissage des gestes du tai chi chuan Ă  celles rencontrĂ©es dans l’étude de la langue chinoise. Cette mĂ©taphore spontanĂ©e et rĂ©currente est non seulement trĂšs rĂ©vĂ©latrice, mais aussi trĂšs instructive.

    Afin d’expliquer mon approche mĂ©thodologique et pĂ©dagogique, j’ai souvent comparĂ© l’étude et la pratique du tai chi chuan Ă  l’étude et Ă  la pratique d’une langue, et ce sur trois plans :

    ‱ La structuration et l’articulation des matiùres ;

    ‱ Les Ă©tapes dans la progression ;

    ‱ La question de la traduction et de l’interprĂ©tation.

  • La structure de ma pensĂ©e et de ma personnalitĂ© ainsi que les alĂ©as de la vie m’ont toujours amenĂ© Ă  ĂȘtre dans l’entre-deux : entre l’Orient et l’Occident, entre tradition et modernitĂ©, entre pratique corporelle et philosophie. C’est cette pratique de l’entre-deux qui m’a amenĂ© Ă  l’élaboration de la mĂ©thode tai chi.

    La mĂ©thode est ce qui apprend Ă  apprendre, son objectif est d’aider Ă  penser par soi-mĂȘme pour mieux rĂ©pondre aux dĂ©fis de la complexitĂ© de la vie. La mĂ©thode, mĂȘme si elle comprend des mĂ©thodologies, ne se rĂ©duit pas Ă  des recettes techniques. Si certains segments sont programmĂ©s, une large place est rĂ©servĂ©e Ă  la dĂ©couverte, Ă  la stratĂ©gie et Ă  la crĂ©ativitĂ©. La mĂ©thode, comme son Ă©tymologie grecque l’indique, est une voie.

    La mĂ©thode tai chi plutĂŽt que d’utiliser des modĂšles particuliers et contingents propres Ă  une culture se focalise davantage sur les zones de concordances : l’axe, le centre, la sphĂšre, la spirale, la triade matiĂšre/souffle/esprit.

  • Beaucoup d’enseignants restent assez flous sur leur propre formation, titres et parcours tandis que d’autres se cachent derriĂšre ceux-ci.

    Quel est le parcours de l’enseignant ? Qui est-il ? A-t-il quelque chose Ă  transmettre ? PossĂšde-t-il les aptitudes et les moyens de transmettre ? A-t-il la volontĂ© de le faire ? Qu’est-ce qui anime sa dĂ©marche ? Pourquoi transmet-il ? Quelle est la mission qu’il s’est donnĂ©e ? Vend-il des enchaĂźnements de tai chi chuan ? Les vend-il dans un emballage exotique ? Culturel ? 
 ou aide-t-il des ĂȘtres humains Ă  se tenir debout et Ă  se mettre en marche (au sens propre comme au sens figurĂ©) ? L’enseignant explique-t-il les principes posturaux ? Veille-t-il aux alignements corporels, particuliĂšrement au niveau des genoux ? PrivilĂ©gier des postures trop basses peut avoir des consĂ©quences au niveau des articulations. Les diffĂ©rentes facettes de l’art sont-elles transmises ? On peut dĂ©buter par la pratique de santĂ© et puis progressivement ĂȘtre intĂ©ressĂ© par les mains collantes ou par la dimension initiatique.
  • Qu’est-ce que le tai chi chuan ? : Une gymnastique douce, une mĂ©thode de santĂ©, une mĂ©ditation en mouvement, un art martial? Une pratique effectuĂ©e avec un regard critique amĂšnera rapidement d’autres questions :

    Est-ce rĂ©ellement si doux ? En effet, si l’on demande de dĂ©tendre l’extĂ©rieur, le dĂ©veloppement de la force interne nĂ©cessite de maintenir et d’unifier la structure par le tonus des muscles profonds. Les effets du tai chi chuan se limitent-ils au niveau prĂ©ventif ou dĂ©bordent-ils parfois dans le domaine curatif ? Le tai chi chuan pratiquĂ© en tant que mĂ©ditation amĂšne-t-il l’éveil ou l’endormissement ? La pratique martiale se rĂ©duit-t-elle Ă  l’efficacitĂ© extĂ©rieure ? Ou bien l’efficacitĂ© extĂ©rieure reflĂšte-t-elle une pratique intĂ©rieure ?

    Si nous considĂ©rons comme le philosophe Alain qu’une idĂ©e est fausse Ă  partir du moment oĂč l’on s’en contente, nous devons donc admettre que le questionnement est inhĂ©rent au cheminement.

  • Pour moult d’Occidentaux pratiquant le tai chi chuan, la comprĂ©hension reprĂ©sente une Ă©tape indispensable entre le savoir (domaine de la matiĂšre) et la connaissance (domaine de l’esprit). Beaucoup de nos contemporains rĂȘvant Ă  une spiritualitĂ© facile sont sĂ©duits par un taoĂŻsme superficiel. Au nom d’une harmonie avec la nature, ils confondent souplesse et mollesse, libertĂ© et laxisme.

    La quasi-totalitĂ© des auteurs dĂ©veloppe largement l’influence du taoĂŻsme dans l’élaboration du tai chi chuan et personne ne mentionne les apports du confucianisme. Je suis de plus en plus convaincu que cet art du geste, dans les premiĂšres annĂ©es de sa pratique, dĂ©veloppe principalement des qualitĂ©s confucĂ©ennes : l’apprentissage, le sens de l’humain et l’esprit rituel.

    Nombre de pratiquants n’ont d’ailleurs jamais vraiment accĂšs Ă  la dimension taoĂŻste : ils en sont toujours Ă  l’apprentissage des techniques, Ă  dĂ©velopper leur Ă©thique et Ă  pratiquer des formes, c’est-Ă -dire des rituels.

    Lorsque la technique maßtrisée est dépassée et transcendée, alors nous expérimentons la spontanéité et la liberté propres au taoïsme.

  • Comprendre, c’est Ă  la fois contenir en soi, englober, inclure, incorporer mais, aussi percevoir le sens de, dĂ©chiffrer, traduire, interprĂ©ter. C’est d’abord accepter et puis creuser en faisant appel aussi bien Ă  l’analyse qu’à l’intuition. Faire comprendre, c’est montrer et dĂ©montrer.

    Incorporer : qu’est-ce que le taijiquan, sinon un travail d’intĂ©gration, d’incorporation ? L’objectif est d’incarner dans sa chair et dans son sang le principe de la coĂŻncidence des contraires, de faire vivre et de donner corps et forme Ă  notre pensĂ©e.

    Traduire, interprĂ©ter : la vĂ©ritable comprĂ©hension ne peut se limiter au simple fait de (re)copier. Il faut ĂȘtre capable de s’oublier pour copier les modĂšles et puis d’oublier les modĂšles pour se retrouver. Il faut ĂȘtre capable d’oublier son formatage culturel pour traduire et puis ĂȘtre capable de se le rĂ©approprier pour interprĂ©ter. Sans traduction, ni interprĂ©tation, le taijiquan se rĂ©duit Ă  une caricature. Il n’est qu’un article de plus dans le grand rayon des nouvelles recettes de bien-ĂȘtre.

  • Les 109 Ă©pisodes prĂ©cĂ©dents proposent de se familiariser avec les diffĂ©rentes facettes du tai chi chuan et des arts internes. Ils mettent l'accent sur la maniĂšre dont ces pratiques peuvent nous aider Ă  mieux gĂ©rer les multiples crises et dĂ©fis en ouvrant d'autres possibles.

    Les prochains épisodes proposent d'approfondir le taijiquan. Ils nous invitent à aller plus loin. Ils suivent la trame d'un de mes ouvrages publiés en 2010 : Comprendre le taijiquan. Les différentes thématiques de ce livre seront reprises, expliquées, complétées.

    Depuis ma plus tendre enfance, je me suis toujours interrogĂ© sur le mode de fonctionnement des choses. Lors de mes sĂ©jours en ExtrĂȘme-Orient, je me suis immergĂ© dans cette culture autre. Enseigner Ă  des Occidentaux les arts traditionnels Ă©tudiĂ©s lĂ -bas demande un travail d’intĂ©gration et de rĂ©interprĂ©tation.

    Cela m’a permis d’élaborer diverses stratĂ©gies d’apprentissage, de vĂ©rifier leur efficience dans des contextes trĂšs diffĂ©rents et de mettre en Ă©vidence certaines clĂ©s facilitant l’accĂšs Ă  une comprĂ©hension vĂ©ritable.