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Retour aux questions d’éducation, que vous considérez comme la priorité parmi les priorités. Vous avez organisé le 6 juin dernier un dialogue virtuel sur le thème de la place des langues locales africaines dans les systèmes éducatifs en Afrique de l’Ouest.
C’est peut-être l’une des plus cruciales à traiter si l’on veut remédier aux évaluations parfois accablantes de la qualité des apprentissages des enfants dans les langues officielles héritées de la colonisation (le français, l’anglais et le portugais dans les pays d’Afrique de l’Ouest).
Dans une région où tous les pays sont caractérisés par une extraordinaire diversité linguistique, l’enseignement de qualité dans les langues locales africaines, dans les langues parlées par les enfants à la maison et dans leur environnement social, semble encore aujourd’hui un défi insurmontable.
En juillet 2021, la Banque mondiale avait publié un rapport qui réaffirmait ce que de nombreux experts des sciences de l’éducation expliquaient depuis longtemps : « Les enfants apprennent mieux et sont plus susceptibles de poursuivre leurs études lorsqu’ils commencent leur scolarité dans une langue qu’ils utilisent et comprennent ». Le rapport observait que « Trop d’enfants reçoivent un enseignement dans une langue qu’ils ne comprennent pas, ce qui est l’une des principales raisons pour lesquelles de nombreux pays ont de très faibles niveaux d’instruction ». Des études montrent que les enfants qui reçoivent un enseignement dans leur langue maternelle et quotidienne ont 30 % de chances en plus que les autres de savoir lire à la fin de l’école primaire.
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Votre invité, Hamidou Seydou Hanafiou, docteur en linguistique et sciences du langage, enseignant-chercheur à l’université Abdou Moumouni de Niamey, a insisté sur le fait que « les Africains – ou une partie d’entre eux plus précisément – sont les seuls au monde à commencer leur éducation avec une langue qui n’est pas celle qu’ils parlent à la maison ».
Nous avons eu plus de deux heures d’une conversation franche qui a fait ressortir, au-delà de l’expertise pointue sur le sujet, la passion et l’engagement de notre invité qui a mis le doigt sur les véritables causes de l’insuffisance de résultats des nombreuses réformes des systèmes éducatifs dans les pays francophones de la région, y compris dans son pays, le Niger, pourtant pionnier de l’introduction des langues maternelles dans l’enseignement formel avec une première école expérimentale bilingue ouverte en 1973-1974.
Absence de volonté politique, changements réguliers d’orientations stratégiques du fait de l’instabilité à la tête des ministères, incapacité des États à prendre le relais des financements extérieurs. Dr Hanafiou a témoigné du fait que des hauts fonctionnaires des ministères concernés étaient parfois les plus hostiles à l’enseignement dans les langues premières. Évidemment, il est difficile d’obtenir des résultats lorsqu’on met en œuvre des politiques auxquelles on ne croit pas.
L’enjeu de l’enseignement des langues locales, c’est la qualité des apprentissages de manière générale, mais c’est aussi la préservation du riche patrimoine linguistique des pays africains.
Oui bien sûr. Et le représentant de l’ambassade d’Irlande au Sénégal, notre partenaire qui soutient notre série de débats sur les questions d’éducation au cours de cette année, décrétée année de l’éducation par l’Union africaine, a rappelé l’importance de la valorisation de la langue irlandaise pour son pays, ancienne colonie britannique.
Il n’est pas inutile de rappeler parfois que les peuples africains ne sont pas les seuls au monde à avoir été victimes du crime de la colonisation à un moment de leur histoire. On se relève de ces périodes douloureuses par l’obsession de l’amélioration du bien-être des populations, par le travail exigeant dans la durée, par la tempérance, l’adaptation au monde tel qu’il est et par l’anticipation de ses évolutions. S’il est un domaine où la croyance aux solutions faciles et à la résolution magique des problèmes par des décrets garantit la production et la reproduction de la médiocrité, c’est bien celui de l’éducation.
À lire aussiLes défis de l'éducation en Afrique
Pour aller plus loin :
► La place des langues locales africaines dans les systèmes éducatifs en Afrique de l’Ouest,
► Haut et fort : Politiques efficaces de langue d’enseignement pour l’apprentissage, Banque mondiale,
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Un week-end avec deux sommets en Afrique de l’Ouest, un sommet de l’Alliance des États du Sahel (AES) hier samedi 6 juillet à Niamey et un sommet de la Cédéao ce dimanche à Abuja. Deux sommets qui illustrent une cassure sans précédent au sein de la région, depuis l’annonce simultanée en janvier dernier du départ des trois pays du Sahel central, Mali, Burkina Faso et Niger, de la Cédéao.
Oui, une profonde cassure et surtout un immense gâchis. En 2017, j’écrivais dans une tribune que le fait « d’accepter le détachement géopolitique progressif du Sahel de l’Afrique de l’Ouest institutionnelle incarnée jusque-là par la Cédéao pourrait être une erreur stratégique majeure… qui conduirait à casser la dynamique de solidarité entre pays côtiers et pays enclavés et à mettre en danger les principaux chantiers de l’intégration ouest-africaine ».
À lire aussiLes regards tournés vers le sommet de l'AES à Niamey lors d'une réunion de ministres de la Cédéao
Je n’imaginais pas qu’on y serait arrivé sept ans plus tard. Qu’on en serait à commenter d’un côté un sommet d’un trio de chefs militaires qui ont pris le pouvoir et le conservent par la force et de l’autre, un sommet de dirigeants de la Cédéao dont plusieurs ont contribué à la décrédibilisation de l’action de l’organisation régionale. Le dernier en date, le dirigeant du Togo, a quand même choisi de doter son pays d’une nouvelle constitution supprimant l’élection présidentielle au suffrage universel, une constitution qui ne sera connue des citoyens togolais qu’après sa promulgation.
Les acteurs politiques civils qui n’ont jamais cru aux vertus de la démocratie et de l’État de droit ne veulent pas d’une Cédéao réformée pour être plus efficace. Ils veulent une Cédéao affaiblie, qui laisserait chaque dirigeant faire ce qu’il veut dans son pays.
Un rapport récent de l’Institut d’études de sécurité recommande aux autorités militaires de « conduire des transitions véritablement inclusives, en respectant les libertés fondamentales », de « repenser la gestion de la crise sécuritaire à l’aune des enseignements de la dernière décennie, notamment en matière de protection des civils et concernant la nécessité de compléter l’action militaire par des actions non militaires».
Oui, ce rapport est très intéressant et constructif et ses recommandations sont bienvenues. Le souci est que les dirigeants militaires semblent s’orienter chaque jour encore plus dans la voie de la militarisation à outrance de l’État et de la société. La peur est maintenant bien installée. Même les ardents défenseurs des pouvoirs militaires devraient avoir maintenant compris qu’ils peuvent eux aussi se retrouver rapidement arrêtés, condamnés et emprisonnés dès qu’ils ont la mauvaise d’idée d’émettre des réserves sur la conduite des affaires du pays.
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Vous dites que nombre d’acteurs militaires et civils qui sont aussi comptables du délitement de leurs États que les anciens présidents renversés se font passer sans mal comme des révolutionnaires patriotes et vertueux
Oui, dans ce registre, les généraux au pouvoir à Niamey sont les moins crédibles: Le général Abdourahmane Tiani, qui a commandé la garde présidentielle sous Mahamadou Issoufou pendant dix ans, et le numéro deux et ministre de la Défense actuel, le général Salifou Mody, qui fut chef d’état-major des Forces armées nigériennes également sous le président Issoufou, sont tout sauf des hommes neufs. Au Niger, depuis bientôt un an, la réalité est celle d’une prise de contrôle de l’État, y compris de l’administration civile, de la gouvernance locale, et des entreprises publiques, par des hauts gradés.
Dans le pays non sahélien que tout le monde oublie, la Guinée, l’ex numéro deux de la junte, le général Sadiba Koulibaly, tombé en disgrâce, est mort en détention dans des conditions fort douteuses fin juin. Tous les médias indépendants ont été fermés depuis quelques mois. Le général Mamadi Doumbouya et ses fidèles sont en roue libre. C’est ce à quoi d’autres pays de la région seront exposés au cours des prochaines années si les voix des sociétés civiles qui peuvent encore s’exprimer ne le font pas.
► Pour aller plus loin :
Repenser la gestion des changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique de l’Ouest, Institut d’études de sécurité,
Le spectre de la fragmentation de l’Afrique de l’Ouest et de la recolonisation du Sahel, Gilles Yabi,
Face à la menace de la désintégration régionale en Afrique de l’Ouest, la résignation n’est pas une option, Gilles Yabi,
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Wathi a organisé en avril dernier une table ronde virtuelle sur le thème des transports dans le contexte d’urbanisation accélérée et du changement climatique.
Oui, nous avons organisé cette table ronde en partenariat avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE. Le Club a notamment développé Africapolis, un outil d’analyse et de visualisation de données qui permet de cartographier, d’analyser et de comprendre la croissance urbaine en Afrique.
La population urbaine africaine double tous les 20 ans depuis 1990. En Afrique de l’Ouest, le taux d’urbanisation varie significativement d’un pays à l’autre mais il augmente rapidement partout. Ce taux est plus faible dans les pays sahéliens comme le Niger avec 18 % de part de la population vivant dans une ville, le Burkina Faso est à 32 %, le Mali à 34 %. Le taux d’urbanisation est de 40 % en Guinée, 50% au Ghana, 53% au Sénégal et en Côte d’Ivoire, 58 % au Nigeria comme au Bénin, et 61 % au Togo.
L’urbanisation prend la forme de l’émergence de nouvelles villes mais les capitales politiques ou économiques comme Lagos, Abidjan, Accra, Dakar continuent à attirer des flux croissants de personnes. Parmi les nombreux défis que pose cette urbanisation accélérée, celui des transports est au premier plan
Absolument. Des dizaines de milliers de personnes vivent loin de leurs lieux de travail et passent deux à trois heures tous les jours dans les transports. Les embouteillages sont chaque année plus monstrueux, malgré les nouvelles infrastructures routières. La pollution de l’air, encore peu mesurée dans les villes ouest-africaines, représente une menace grave à la santé. Et bien sûr, la hausse continue du nombre de voitures génère des émissions de carbone et participent à un réchauffement climatique. Les voitures électriques partout en Afrique de l’Ouest, ce n’est pas pour demain.
Nous avons fait en deux heures de discussion un tour d’horizon des défis liés aux transports urbains en donnant la parole à quatre experts, Ousmane Thiam, ancien directeur du Conseil exécutif des transports urbains de Dakar (CETUD), qui est aussi président d'honneur de l'Union internationale des transports publics (UITP), Charlène Kouassi, directrice de Movin'On LAB Africa, think tank dédié à la mobilité urbaine, Brilé Anderson, économiste environnementale au Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest et Abdoulaye Maïga, entrepreneur dans le domaine des transports qui avait co-fondé une entreprise de taxi-motos à Bamako.
Quelles sont les principales pistes d’action qui sont ressorties de cette discussion ?
Impossible de les rappeler toutes en une minute. Je renvoie les auditeurs à l’enregistrement de la table ronde qui est disponible sur la chaîne Youtube de Wathi. Nous avons parlé du coût qui reste le premier critère du choix des modes de transport, ce qui explique l’importance des modes de transport informels, des minibus en assez mauvais état mais aussi des bateaux-taxis informels qui opèrent par exemple dans le transport lagunaire à Abidjan aux côtés de trois opérateurs formels.
Le développement des transports en commun à grande capacité est la priorité parmi les priorités. Nos invités ont souligné les évolutions positives dans plusieurs pays ouest-africains avec les premiers bus de transport rapide (BRT) à Lagos, depuis 2008, puis depuis quelques mois à Dakar. Ce sont des bus confortables, non polluants, qui font gagner beaucoup de temps aux usagers. Le train express régional, TER, connectant Dakar, les communes périphériques, et bientôt l’aéroport, le métro d’Abidjan très attendu, sont aussi des exemples du développement des modes de transport dits capacitaires. Mais il ne faut pas oublier la nécessité de promouvoir le vélo et la marche à pied, qui est le principal mode de déplacement dans les villes africaines, malgré les trottoirs souvent encombrés et les passages piétons parfaitement ignorés par les automobilistes.
Pour aller plus loin :
Urbanisation et changement climatique : l’avenir des transports, table ronde virtuelle, Wathi et Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest
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Après le Mexique, l’Inde, l’Afrique du Sud dont vous nous avez parlé ces dernières semaines, il est encore question d’élection cette semaine. Il y aura des élections législatives en France le 30 juin, et la veille, le 29 juin, un scrutin présidentiel en Mauritanie
L’élection du 29 juin en Mauritanie ne semble pas susciter un grand enthousiasme dans le pays du Sahel le moins concerné par la violence terroriste et par l’instabilité politique. Essentiellement parce que le président sortant, Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani, candidat à un second et dernier mandat, est largement favori face à ses six rivaux dont le plus connu est le militant des droits humains Biram Ould Dah Ould Abeid, arrivé deuxième à l’issue de la présidentielle de 2019.
Le président Ghazouani, qui est aussi l’actuel président en exercice de l’Union africaine, a le profil type des chefs d’État mauritaniens depuis l’indépendance : il a fait sa carrière dans l’armée, occupant notamment les fonctions de chef d’état-major des armées avant d’être ministre de la Défense sous son prédécesseur, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, condamné en décembre dernier à cinq années d’emprisonnement pour « enrichissement illicite » et « blanchiment ».
La Mauritanie a fait des petits pas dans sa démocratisation depuis le dernier coup d’État en 2008, dites-vous…
Oui, ce coup d’État avait renversé Sidi Ould Cheikh Abdallahi, président civil élu qui venait de limoger les généraux les plus influents de l’armée, dont Ould Abdel Aziz qui commandait alors le Bataillon de la sécurité présidentielle. Si la page des coups d’État a été tournée, il faut l’espérer durablement, celle d’une influence politique permanente de la hiérarchie militaire ne l’est clairement pas encore.
Mais au-delà de la politique, cette élection est un bon moment pour s’intéresser à l’état du pays dans différents domaines, de l’économie à la santé en passant par l’éducation et l’environnement. Nous proposons sur le site de Wathi une sélection de documents sur ces secteurs en plus de la présentation des biographies des candidats et des grandes lignes de leurs programmes.
En observant les résultats des élections dans des pays aussi différents que l’Inde, les États-Unis, la France ou l’Italie, et la montée de partis porteurs de discours extrémistes, vous estimez qu’il faut discuter des limites et des travers des exercices électoraux partout dans le monde
Oui. Mais entendons-nous bien, il ne s’agit pas de donner des arguments à ceux qui préfèrent la prise de pouvoir et le maintien au pouvoir par la force, mais il s’agit de mettre en évidence les travers des compétitions électorales en décryptant les pratiques politiques réelles et les facteurs qui sont de plus en plus déterminants pour gagner une élection dans le monde actuel.
Je ne pense pas qu’on mesure encore suffisamment l’impact sur les choix électoraux du matraquage d’informations soigneusement sélectionnées par des médias privés politiquement orientés, ou encore l’impact sur les électeurs des fameuses « vérités alternatives », c’est-à-dire des mensonges, relayées massivement sur les réseaux sociaux. Les discours politiques les plus simplistes, qui s’affranchissent de toute exigence de justesse des faits et de profondeur analytique, sont d’une redoutable efficacité pour gagner en popularité.
Sur l’immigration, sujet de prédilection des partis d’extrême droite en Europe, des leaders politiques au plus haut niveau peuvent répéter à longueur de journée des chiffres complètement erronés sur les entrées nettes de migrants sans la moindre gêne et la moindre contradiction.
On est bien parti pour voir arriver à la tête de plusieurs pays démocratiques des acteurs politiques dont les seules qualités sont leur maîtrise de la communication et du marketing politiques et l’absence de limite éthique quant aux discours et aux manipulations qui peuvent leur faire gagner des élections.
Pour aller plus loin :
Initiative Election Mauritanie, Documents de contexte, biographies et programmes des candidats
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Vous avez publié il y a quelques jours une tribune avec ce titre « Face à la menace de la désintégration régionale en Afrique de l’Ouest, la résignation n’est pas une option ». C’est une alerte sur les conséquences graves d’une fragmentation institutionnelle et politique de l’Afrique de l’Ouest si le Mali, le Burkina Faso et le Niger ne reviennent pas sur leur décision de quitter la Cédéao.
Tout à fait. Le 28 mai dernier marquait les 49 ans d’existence de la Cédéao. Il se pourrait bien que dans un an, au moment de commémorer un demi-siècle de processus d’intégration, la Cédéao ait perdu trois parmi ses 15 pays membres. Ce serait un anniversaire bien triste. L’annonce simultanée le 28 janvier 2024 de la sortie de la Cédéao par les gouvernements de Bamako, Ouagadougou et Niamey, tous dirigés par des militaires, a ouvert une crise sans précédent du processus d’intégration régionale.
À lire aussiCédéao: le plaidoyer de l’organisation régionale pour convaincre Burkina Faso, Mali et Niger de rester
Avec ce texte, je voulais attirer l’attention à la fois sur le degré très élevé d’incertitudes politiques et sécuritaires, même à court terme, dans plusieurs pays de la région et sur les implications probables d’un arrêt brutal du processus d’intégration régionale. Douze ans après le début de la crise malienne en 2012, l’état des lieux sécuritaire, politique et sociétal dans la moitié au moins des pays d’Afrique de l’Ouest est très préoccupant et les tensions vives entre des pays voisins augmentent les risques d’amplification des crises internes. Nous avons publié cette semaine sur le site de Wathi une tribune de Juste Codjo, professeur de Sécurité internationale aux États-Unis et ancien officier béninois, qui alerte sur le risque d’une escalade dans l’animosité actuelle entre le Bénin et le Niger.
Vous dites que le coût politique de l’annonce de la sortie de la Cédéao pour les dirigeants des trois gouvernements sahéliens était limité parce qu’ils étaient au fait de l’image dégradée de l’organisation régionale au sein d’une grande partie des populations ouest-africaines
Tout à fait. Il faut reconnaître l’accumulation au cours des dernières années de décisions malheureuses prises par l’autorité politique de la Cédéao qui est la conférence des chefs d’État et de gouvernement. Les plus graves furent sans doute les sanctions économiques indiscriminées contre le Mali puis le Niger, frappant directement les populations de pays parmi les plus démunis du continent et l’annonce d’une intervention militaire au Niger.
Ces décisions ont offert l’occasion inespérée aux dirigeants militaires de se poser en victimes et de mobiliser leurs opinions publiques au nom de la défense de la patrie agressée. Cela leur a permis, en particulier au Niger, de détourner l’attention du coup d’État lui-même, de l’incohérence des justifications mises en avant et des conséquences durables sur leur pays.
Selon vous, beaucoup de citoyens ouest-africains réduisent la Cédéao à la Conférence des chefs d’État et de gouvernement et à leurs décisions sur les crises politiques et sécuritaires.
Oui, et cela est tout à fait malheureux, permettant à des dizaines d’influenceurs, parfois de bonne foi, souvent de mauvaise foi, de désinformer massivement et de traiter avec légèreté de sujets d’une importance capitale pour la région. Les critiques sur la Cédéao sont indispensables pour pousser l’organisation à faire beaucoup mieux dans tous les domaines, tout en n’oubliant jamais qu’aucune organisation régionale ne peut compenser les déficits de leadership politique éclairé et de capacité au niveau de ses États membres. Mais ceux qui prônent l’abandon par la Cédéao de son agenda politique, ou se réjouissent de son affaiblissement, sont en train de créer les conditions pour le retour à des nationalismes belliqueux et à des régimes autocratiques partout dans la région. Ce n’est pas cette Afrique de l’Ouest là que nous souhaitons pour les jeunes, pour les enfants d’aujourd’hui.
► Pour aller plus loin
► « Face à la menace de la désintégration régionale en Afrique de l’Ouest, la résignation n’est pas une option », Olakounlé Gilles Yabi,
►« Tensions Bénin-Niger : quelques leçons d’histoire géopolitique et de relations internationales », Juste Codjo,
►« L’avenir de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest », table ronde virtuelle.
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C’est une année d’élections dans toutes les régions du monde. Alors que les pays membres de l'Union européenne élisent actuellement leurs députés au Parlement européen, nous revenons que les récents scrutins au Mexique et en Inde.
Le Mexique a organisé le 2 juin dernier les élections les plus importantes de son histoire avec la tenue simultanée des scrutins présidentiel, législatifs et locaux. Au total quelque 98,3 millions d'électeurs étaient inscrits sur les listes électorales dans ce pays d’Amérique centrale voisin des Etats-Unis et très lié à celui-ci par l’économie, les migrations et par la circulation des armes, qui alimente un niveau de violence insupportable infligé par les cartels mexicains de la drogue. Vingt-huit candidats aux élections locales ont été assassinés pendant la campagne, ciblés par les cartels, rappelant le défi immense de la lutte contre la violence au prochain dirigeant du pays.
Et ce sera pour la première fois de l’histoire du Mexique, une présidente, Claudia Sheinbaum, élue avec 59% des voix et dont le parti Morena (le Mouvement de régénération nationale) a également largement remporté les législatives avec une majorité confortable au Congrès. Claudia Sheinbaum succèdera le 1er octobre prochain à celui qui est considéré comme son mentor, Andrés Manuel Lopez Obrador, qui a dirigé le pays pendant six ans, la durée du mandat présidentiel non renouvelable au Mexique. Ce dernier est toujours très populaire malgré les critiques sur son bilan négatif en matière de réduction de la violence. La présidente élue est créditée, elle, d’un bon bilan à la tête de la mégalopole de Mexico, avec ses 22 millions d’habitants estimés, où les statistiques de sécurité se sont améliorées sous son autorité de 2018 à 2023.
La nouvelle présidente devrait notamment maintenir les orientations de son prédécesseur, notamment les politiques sociales visant à lutter contre la pauvreté et les inégalités
Claudia Sheinbaum est une scientifique qui a été membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), mais elle est aussi une militante engagée dans des mouvements sociaux et politiques depuis plus de 40 ans. Au cours des six dernières années, sous la présidence de Manuel Lopez Obrador, le gouvernement a mis en œuvre des programmes sociaux qui ont directement bénéficié aux catégories les plus démunies et vulnérables des populations.
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25 millions de Mexicains reçoivent des aides directes, notamment des pensions pour des personnes âgées, des bourses scolaires et universitaires, des aides pour les jeunes en apprentissage et les personnes handicapées, des subventions pour les petits agriculteurs… Le salaire minimum a aussi été revalorisé de près de 40%. Ce sont des politiques publiques qui rappellent celles du président Lula da Silva au Brésil. En Amérique latine, il existe encore des personnalités et des partis qui ne se contentent pas de discours et de promesses mais qui mettent effectivement en œuvre des politiques audacieuses qui s’attaquent à la pauvreté de masse et aux inégalités abyssales, malgré un contexte économique et des finances publiques fragiles.
Les élections en Inde, un défi logistiqueLa plus grande démocratie du monde, l’Inde, sort aussi d’élections générales étalées sur six semaines, élections remportées par le parti nationaliste hindou, le BJP du Premier ministre sortant Narendra Modi, mais avec une majorité significativement réduite l’obligeant à former une coalition avec d’autres partis pour gouverner…
On peut souligner la qualité de l’organisation, car organiser des élections dans le pays le plus peuplé de la planète est un défi logistique exceptionnel qui a été relevé haut la main par la commission électorale. Ce sont 642 millions d’Indiens, plus de 66 % des 968 millions d’électeurs recensés, qui se sont exprimés dans les urnes, souvent dans des conditions climatiques très difficiles, avec des températures dépassant 45 degrés Celsius dans plusieurs régions. Trente trois membres du personnel électoral sont morts par insolation. Quelque 15 millions d’agents électoraux ont été déployés, recourant à tous les moyens de déplacement imaginables, pour donner la possibilité à tous les citoyens, jusque dans les villages les plus reculés, d’exercer leur droit de vote.
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Des machines électroniques ont permis le dépouillement rapide des bulletins de vote. Des machines qui ne sont pas tombées en panne au moment où on avait besoin d’elles, comme cela est souvent arrivé dans les pays africains qui ont dépensé des millions de dollars pour moderniser prétendument la gestion des élections. On se souvient encore de la déception des citoyens au Nigeria, lorsque les espoirs d’une nette amélioration de la qualité de l’organisation des élections s’étaient vite évanouis après la défaillance de machines électroniques. La combinaison d’un déficit d’intégrité et d’une incompétence incompréhensible dans l’organisation et la logistique continue de détruire la crédibilité des élections dans beaucoup de pays africains. Il faut cependant saluer parmi les belles exceptions, celle de l’Afrique du Sud qui sort aussi d’élections générales fort bien organisées et dont les résultats sont incontestables.
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Le 28 mai est célébrée la Journée mondiale de l'hygiène menstruelle, sans doute pas l’une des plus connues et les plus médiatisées. La question de l’accès à l’information et aux produits essentiels à l’hygiène menstruelle pour les filles est pourtant une question importante et un des défis majeurs pour l’éducation des filles en Afrique.
Wathi a organisé, en mars dernier, une table ronde sur la précarité menstruelle en milieu scolaire, dans le cadre d'une série de débats virtuels sur l’éducation en Afrique de l’Ouest en partenariat avec l’Irlande. Une série commencée avec une table ronde en février dernier sur l’égalité de l’accès des filles à l’enseignement scientifique, ce qu’on appelle généralement les STEM [sciences, technologies, ingénierie et mathématiques, Ndlr]. On se rend compte assez vite dans une telle discussion qu’il y a de nombreuses sous-questions à aborder, qui sont des obstacles à l’éducation dans des conditions minimales d’apprentissage tout court.
Une de ces conditions minimales, c’est le fait pour les filles adolescentes qui commencent à avoir leurs règles, de ne pas devoir manquer plusieurs jours d’école tous les mois. Un des invités à la table ronde, Jerry Azilinon, secrétaire général de Yeewi, une association qui lutte contre la précarité menstruelle au Sénégal, souligne que les filles peuvent manquer jusqu’à 300 heures de cours par an, un quart du temps d’apprentissage, en raison de la précarité menstruelle, qu’on peut définir comme étant la difficulté d’accès aux protections hygiéniques.
La difficulté principale, est-ce le coût financier des protections hygiéniques pour les filles ?
C’est un facteur essentiel. Les protections périodiques coûtent cher, et il s’agit d’une dépense récurrente, sauf pour les serviettes lavables bien conçues qui sont encore trop peu disponibles et connues. Fatoumata Leye, chargée des programmes de l’organisation Kitambaa qui fait de la sensibilisation et du plaidoyer sur le sujet et promeut la production locale de serviettes hygiéniques lavables, a rappelé que les protections périodiques font l’objet de taxes au Sénégal, alors qu’elles devraient être subventionnées notamment pour les filles d’âge scolaire.
Il est clair que les filles issues des familles les plus pauvres et dont les parents ont un niveau d’éducation faible et un accès limité à une information fiable sont les plus affectées par la précarité menstruelle et qu’elles sont aussi celles qui vont voir leur scolarité fortement, parfois irrémédiablement perturbée en raison des menstrues qui sont naturelles pour toutes les filles et toutes les femmes du monde, et qui sont indispensables à la reproduction humaine et donc à la vie.
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En plus de l’obstacle économique, l’accès à une bonne information et à une éducation sexuelle et reproductive est un immense défi. Cette table ronde a permis de rendre compte de la réalité que vivent les jeunes filles en milieu scolaire, de leur difficulté à s’informer sur les règles qui surprennent encore beaucoup de filles totalement non préparées lorsqu’elles passent de l’enfance à l’adolescence. Nos deux invités ont aussi rappelé qu’il y avait encore beaucoup de tabou par rapport aux règles, de la désinformation qui pouvait entraîner des pratiques nocives pour la santé des filles, et aussi un niveau parfois ahurissant d’ignorance de la part des garçons et des hommes.
En mettant dans le débat public le sujet de la précarité menstruelle en lien avec celle de l’éducation des filles, vous espérez pousser les élus, les décideurs, à se préoccuper de tout ce qui affecte directement le bien-être de millions de filles.
Tout à fait. Les participants à la table ronde ont par exemple souligné l’état souvent lamentable des toilettes dans les écoles, ce qui rebute particulièrement les filles de manière générale et encore plus pendant leurs règles. Un inspecteur de l’éducation nationale à la retraite au Sénégal a témoigné de cette réalité qui impacte directement l’attachement des filles à l’école.
Certains s’étonneront peut-être que nous nous intéressions à des questions qui semblent triviales et secondaires. Le fait est que nos États ont peu de chances de résoudre des problèmes complexes s’ils ne sont pas capables de régler des questions relativement simples, si nous ne sommes pas collectivement capables de doter nos écoles de toilettes décentes et d’un environnement scolaire propice à l’apprentissage joyeux et confortable des enfants, et pas seulement de ceux des familles privilégiées. Alors oui, pour nous, réduire les périodes d’inconfort, de douleurs physiques et morales des filles, et lever tous les obstacles à la réalisation de leur potentiel, c’est loin d’être une question secondaire.
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Les bases militaires à l’étranger sont l’apanage de quelques puissances militaires dans le monde. La semaine dernière, il était question des États-Unis qui avaient une avance considérable sur tous les autres pays dans ce domaine, avec des dizaines de milliers de troupes hors de leur territoire, la majorité en Asie-Pacifique, en Europe et au Moyen-Orient. Mais en Afrique, la France a longtemps été très présente militairement et c’est un sujet d’actualité dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest.
On peut dire que cette présence militaire fait débat en ce moment. Lors d’une conférence à l’université de Dakar le 16 mai dernier, à l’occasion de la visite de l’homme politique français Jean-Luc Mélenchon au Sénégal, le Premier ministre Ousmane Sonko, qui s’exprimait en tant que chef de parti et pas de gouvernement, s’est interrogé sur la justification de la présence de bases militaires étrangères permanentes au Sénégal plus de soixante ans après l’indépendance. Ousmane Sonko a réitéré dans son discours « la volonté du Sénégal de disposer de lui-même, laquelle volonté est incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères au Sénégal ». Le message est plutôt clair.
Le Sénégal, mais aussi le Gabon, la Côte d’Ivoire et Djibouti sont les pays d’accueil des bases militaires permanentes en Afrique.
Même s’il faudrait en réalité ajouter le Tchad à cette liste. Ce pays n’accueille pas formellement une base permanente mais les soldats français n’ont jamais cessé de s’y relayer depuis l’opération Manta lancée en 1983 en réponse à l’appel du président tchadien Hissène Habré, menacé par des rebelles appuyés par la Libye du colonel Kadhafi. L’opération Épervier avait pris le relais de 1986 à 2013 jusqu’au lancement de l’opération Barkhane. Il faut distinguer base militaire permanente et opérations extérieures mais des opérations à durée indéterminée et à objectifs modulables dans le temps finissent par ressembler à une présence militaire permanente.
Les éléments français au Sénégal (EFS) et les éléments français au Gabon (EFG), sont constitués d’effectifs plutôt modestes, 350 militaires dans chaque pays. Les bases de Dakar et de Libreville constituent des « pôles opérationnels de coopération à vocation régionale » dans le jargon du ministère français des Armées. Leurs principales missions sont « d’assurer la défense des intérêts français et la protection des ressortissants ; d’appuyer les déploiements opérationnels dans la région et de contribuer à la coopération opérationnelle régionale ». Les effectifs étaient historiquement beaucoup plus importants. Au Sénégal par exemple, c’est sous la présidence d’Abdoulaye Wade en 2010 que les effectifs sont passés de 1200 soldats à 350.
La base militaire en Côte d’Ivoire accueille officiellement 600 militaires. Le ministère français des Armées qualifie cette base de « plateforme stratégique, opérationnelle et logistique majeure sur la façade ouest-africaine ». Lors de la longue et grave crise ivoirienne, on a vu le rôle décisif joué par la force Licorne dont le déploiement avait été largement facilité par l’existence préalable de cette base française située tout près de l’aéroport et du port d’Abidjan.
Et il y a bien sûr les Forces françaises de Djibouti qui constituent le contingent le plus important de forces de présence françaises en Afrique, 1 500 soldats. Djibouti, devenu indépendant seulement en 1977, fait de sa position géographique stratégique un atout majeur et loue une partie de son territoire aux grandes, moyennes et petites puissances qui voudraient y avoir une présence militaire. Depuis les années 2000, les États-Unis, l’Allemagne, le Japon, l’Italie et la Chine ont ouvert des bases à Djibouti, enclave sur-militarisée en Afrique. Rien ne devrait changer au cours des prochaines années de ce côté-là.
Du côté de la France, il est peut-être temps d’accepter qu’une page historique se tourne en Afrique et que des partenariats dans le domaine de la défense et de la sécurité ne requièrent pas une présence permanente.
« La France est une nation singulière en tant qu’elle demeure la seule puissance qui conserve des bases militaires permanentes dans ses anciennes colonies africaines. » C’est ce qu’on peut lire dans le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur les relations entre la France et l’Afrique, rédigé par les députés Bruno Fuchs et Michèle Tabarot. Hors du continent africain et bien sûr des territoires français d’outre-mer, eux aussi issus de la colonisation, comme la Nouvelle-Calédonie actuellement dans l’actualité, la seule base permanente de la France à l’étranger se trouve aux Émirats arabes unis, inaugurée en 2009.
Du côté des pays africains, l’urgence est de prendre la mesure de l’absurdité qui consiste à confondre la juxtaposition de nationalismes étriqués avec le panafricanisme. Un panafricanisme pragmatique et éclairé devrait mettre en avant l’impératif de déterminer dans le cadre des organisations régionales et de l’Union africaine les principes devant guider la présence, qu’elle soit permanente ou ponctuelle, de forces militaires étrangères sur le continent.
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Les discussions sont en cours entre les États-Unis et les autorités militaires du Niger pour organiser le retrait du millier de soldats américains présents sur le sol nigérien, à la suite de la décision du régime du général Tchiani de rompre le partenariat militaire qui avait permis l’installation de deux bases de l’armée américaine, à Niamey et dans la région d’Agadez. C’est l’occasion pour vous de partager avec nous quelques faits sur le petit groupe de pays qui disposent de bases militaires permanentes hors de leur territoire.
Le départ des soldats américains du Niger implique la fin des deux bases de l’armée américaine, et en particulier celle de la base 201 située près de la ville d’Agadez au nord du Niger, clairement conçue pour la durée. Lorsque l’on visionne les reportages vidéo réalisés par les services de communication de l’armée américaine disponibles sur internet qui relatent la construction de cette base, on imagine le dépit actuel des décideurs qui avaient été engagés dans la réalisation de ce projet.
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La construction de cette base 201, dont le coût est estimé à 110 millions de dollars US, est décrite comme le projet le plus important de construction jamais entrepris par les ingénieurs de l'armée de l'air. Il fallait partir de zéro, construire une piste d’atterrissage de 1890 mètres dans les conditions rudes du désert saharien, forer jusqu’à 275 mètres pour trouver de l’eau. Les hauts gradés de l’armée de l’air qui s’expriment dans ces reportages étaient très fiers du travail des équipes d’ingénieurs qui se sont relayés pendant un peu plus de trois ans sur le chantier de cette base inaugurée en novembre 2019.
Les États-Unis voulaient disposer de cette présence dans cette partie du continent africain, à la jonction de l’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique du Nord et de l’Afrique centrale, en plus de leur base militaire du camp Lemonnier à Djibouti.
Les États-Unis sont de très loin le pays qui dispose du plus grand nombre de bases militaires extérieures dans le monde et cela sert évidemment avant tout à la défense de leur statut de puissance planétaire…
Il y avait en septembre 2022, 171 736 militaires américains en service actif dans 178 pays, le plus grand nombre se trouvant au Japon (53973), en Allemagne (35781) et en Corée du Sud (25372). Ces trois pays, Japon, Allemagne et Corée du Sud, sont également ceux qui comptent le plus grand nombre de bases militaires américaines, respectivement 120, 119 et 73. Le média al-Jazeera estime à environ 750 le nombre de bases militaires américaines dans au moins 80 pays, et précise que le nombre réel pourrait être plus élevé, toutes les données n’étant pas publiées par le ministère de la Défense des États-Unis. En juin 2023, plus de 30 000 soldats américains étaient stationnés au Moyen-Orient.
La Seconde Guerre mondiale, puis la guerre froide et la guerre de Corée ont donné aux États-Unis de bons prétextes pour assurer le déploiement de leur puissance militaire à l'échelle mondiale. Mais il faut aussi observer que des pays comme le Japon, l’Allemagne et la Corée du Sud, qui n’avaient certes pas vraiment le choix initialement de refuser une présence militaire massive et permanente sur leur sol, ont su en tirer profit pour se concentrer sur le développement de leurs économies, délégant de fait leur sécurité aux États-Unis.
Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à se déployer à l’étranger. Ils surveillent notamment la Chine et la Russie…
La logique des puissances est celle d’une volonté de domination et de maintien des concurrents à distance. C’est peut-être précisément sur le plan de la présence militaire dans le monde que les États-Unis gardent une avance considérable sur tous leurs rivaux, à commencer par la Chine. C’est seulement en août 2017 que la Chine a ouvert sa première base militaire officielle à l'étranger, à Djibouti, où elle a rejoint la France, les États-Unis, l’Allemagne et même le Japon et l’Italie... Les États-Unis surveillent de près les intentions de l’armée chinoise et la soupçonnent de vouloir ouvrir des bases dans 19 autres pays dans le monde, dont huit pays africains. Le ministère de la Défense des États-Unis produit un rapport annuel au Congrès dédié à l’analyse de la puissance militaire de la Chine (China Military Power Report).
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Autre puissance militaire planétaire en quasi-guerre avec les États-Unis et l’Europe de l’Ouest, la Russie évidemment. Elle a une présence militaire extérieure qui reste géographiquement limitée. Les bases russes se concentrent dans les anciennes républiques soviétiques et en Syrie. La poussée en Afrique depuis quelques années se traduit par des projections de combattants et d’équipements. On ne peut évidemment pas exclure la volonté de s’installer durablement, mais jusque-là, il semble que l’objectif est de pousser dehors les armées des États-Unis et de la France qui y étaient plutôt confortablement installées.
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L’élection présidentielle au Tchad du 6 mai 2024 a rendu son verdict beaucoup plus tôt que prévu, avec la proclamation des résultats provisoires par l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE) trois jours après le scrutin. Alors que l’opposant et Premier ministre Succès Masra a été le premier à revendiquer la victoire, les résultats provisoires officiels ont attribué au président de transition Mahamat Idriss Déby une large victoire dès le premier tour avec 61% des voix. Vous disiez à cette antenne il y a deux mois que cette élection présidentielle avait toutes les chances de maintenir le Tchad dans sa trajectoire politique des trois dernières décennies…
Oui, et j’avais ajouté que le Tchad de « la loi du plus fort, du plus armé, du plus brutal » avait toutes les chances de se perpétuer après cette élection et pendant longtemps. La célébration de l’annonce de la victoire du président-candidat a donné lieu à des cris de joie de ses partisans civils mais aussi à des rafales d’armes automatiques de ses partisans militaires qui quadrillaient la capitale. Malheureusement, un nombre encore indéterminé d’innocentes vies tchadiennes ont été perdues, touchées par des balles perdues de soldats aussi joyeux qu’irresponsables.
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Le déploiement massif des forces armées et l’opacité organisée des opérations électorales ne pouvaient que sécuriser la victoire de Mahamat Déby Itno. Il n’y avait aucune raison de s’attendre à un dénouement électoral à la sénégalaise, avec des résultats dont la sincérité ne ferait pas l’objet de doutes profonds. Au Tchad, l’affichage et la prise de photo des procès-verbaux des résultats des bureaux de vote étaient interdits et personne n’a encore compris comment l’agence électorale a pu traiter et vérifier les résultats venus de tout le pays avec une telle célérité. Ce scrutin présidentiel a rejoint la longue liste des élections dont on ne connaîtra vraisemblablement jamais les véritables résultats.
Vous avez à l’occasion de cette élection proposé sur le site de WATHI une sélection de documents sur le contexte politique, économique, social, éducatif, sanitaire, environnemental et sécuritaire du Tchad, ainsi que les biographies des candidats et les programmes qui étaient disponibles. Ce travail sert-il à quelque chose ?
Je crois que oui, même si au Tchad et dans son voisinage immédiat, du Soudan à la République centrafricaine, du Niger au Cameroun, il faut s’accrocher pour ne pas céder à la tentation du dépit et de la résignation face à la résilience de pratiques politiques qui œuvrent contre l’amélioration des conditions de vie de millions de personnes. Nous estimons que les rendez-vous électoraux devraient être des moments privilégiés de débat public sur les questions fondamentales pour l’avenir de chaque pays dans notre zone de focalisation, qui inclut le Tchad. Mais nous ne sommes pas dupes. Nous savions très bien que la campagne électorale ne ferait pas beaucoup de place à une confrontation de programmes pour sortir la majorité des 18 millions d’âmes tchadiennes de leurs conditions de vie très précaires et pour leur faire croire en un avenir meilleur.
Les documents de contexte sur le Tchad décrivent un pays dont la base économique est très étroite et un pays où les carences du système éducatif nourrissent le sous-emploi et les frustrations des jeunes…
Absolument. Dans une tribune que nous avons publiée, Jean Martin Leoba Dourandji, économiste et entrepreneur tchadien, rappelle que 60% de diplômés se retrouvent au chômage, un énorme gâchis de l’investissement dans l’éducation. La question de l’emploi des jeunes renvoie inévitablement à celle de l’éducation.
Une étude de la Banque mondiale indique que « même si l’enfant tchadien moyen effectue 5,3 années de scolarité, la mauvaise qualité de l’éducation reçue fait que ce nombre n’équivaut qu’à 2,8 années de scolarité ». Dans une évaluation faite en 2019 sur 14 pays d’Afrique francophone, le Tchad présentait la plus faible proportion d’élèves en 6ème année d’études atteignant le niveau minimal de compétence en langues et en mathématiques. En milieu rural, le taux d’absence des enseignants atteint 38,3 %, soit près de 2 enseignants sur 5 absents dans la salle de classe lorsqu’on effectue une visite inopinée.
Au Tchad comme dans les autres pays du Sahel, où les militaires au pouvoir vont vraisemblablement choisir bientôt la voie de la légitimation de leurs coups d’État par des élections à la tchadienne, la faillite des systèmes éducatifs sur plusieurs décennies est une des sources majeures de la situation actuelle. Il y a au Tchad comme partout ailleurs sur le continent une jeunesse qui ne demande pourtant que le minimum pour pouvoir apprendre, travailler et servir. Une jeunesse qui voudrait bien aussi ne pas courir le risque de se faire tuer par des militaires, même lorsque ces derniers célèbrent joyeusement le nouvel épisode d’un coup d’État permanent.
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►Pour aller plus loin
Initiative Election Tchad 2024 sur le site de WATHI:
Tchad : le défi négligé de la lutte contre le chômage, Jean Martin Leoba Dourandji
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Alors que l'Afrique du Sud se prépare à des élections générales le 29 mai, le pays a vécu un important changement politique en 1994. La Constitution sud-africaine est citée en exemple pour les autres pays africains. Après avoir mis en avant la déclaration des droits, retour sur « les institutions de soutien à la démocratie », qui occupent un chapitre de la Constitution sud-africaine.
Le chapitre 9 de la Constitution sud-africaine est intitulé « State institutions supporting constitutional democracy », « Les institutions de l'État qui sont au service de la démocratie constitutionnelle ». C’est la logique qui guide ce chapitre qui est très intéressante. Il s’agit de prévoir des institutions qui vont incarner les principes constitutionnels, y compris tous ceux qui sont inscrits dans la Déclaration des droits, des institutions qui vont être dédiées à la mise en œuvre de ces principes. Cela permet d’identifier clairement qui est responsable de quoi. Cela permet aussi de montrer que la démocratie et l’État de droit ne se confondent pas mais sont complémentaires et que leur construction progressive exige une architecture institutionnelle complexe. Les élections et la loi de la majorité ne sont pas des conditions suffisantes pour édifier des sociétés démocratiques apaisées, en particulier dans les pays africains caractérisés par une extraordinaire diversité interne.
Quelles sont ces institutions et en quoi sont-elles si utiles ?
Elles sont citées dans l’article 181 de la Constitution sud-africaine : le Protecteur public, la Commission sud-africaine des droits de l'homme, la Commission pour la promotion et la protection des droits des communautés culturelles, religieuses et linguistiques, la commission pour l'égalité des sexes, l'auditeur général, la Commission électorale et l’Autorité indépendante de régulation de la radiodiffusion.
Le Protecteur public a le pouvoir d'enquêter sur toute conduite dans n'importe quelle sphère du gouvernement, qui est soupçonnée d'être inappropriée ou d'entraîner une irrégularité ou un préjudice ; faire rapport sur cette conduite ; et prendre les mesures correctives appropriées. La Commission sud-africaine des droits de l'homme a comme missions de promouvoir le respect des droits de l'homme et une culture des droits de l'homme ; de surveiller et évaluer le respect des droits de l'homme dans la République. Chaque année, elle doit exiger des organes de l'État concernés qu'ils lui fournissent des informations sur les mesures qu'ils ont prises en vue de la réalisation des droits énoncés dans la Déclaration des droits.
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Les missions de la Commission pour l'égalité des sexes sont aussi explicites : promouvoir le respect de l'égalité des sexes et la protection, le développement et la réalisation de l'égalité des sexes. L’auditeur général, équivalent d’une Cour des comptes dans la plupart des pays francophones, a pour mission de vérifier les états financiers et la gestion financière de l'État. À l’instar de l’auditeur général, ou du Protecteur public dont le mandat est proche de celui d’un médiateur de la République, certaines de ces institutions sud-africaines ont des équivalents dans beaucoup d’autres pays africains. Mais c’est la clarté des principes et des dispositions prévus pour assurer l’indépendance de ces institutions qui fait la différence.
L’article 181 précise que ces institutions sont indépendantes et ne sont soumises qu'à la Constitution et à la loi et qu’aucune personne, ni aucun organe de l'État, ne peut interférer avec leur fonctionnement. Elles sont responsables devant l'Assemblée nationale et doivent rendre compte de leurs activités et de l'exercice de leurs fonctions à cette Assemblée au moins une fois par an.
Le chapitre 10 de la Constitution sud-africaine porte sur l’administration publique et vous trouvez qu’il y a là aussi non pas des recettes mais au minimum une source d’inspiration pour les pays ouest-africains où la politisation de l’administration est un fléau majeur.
Tout à fait. On a dans ce chapitre non seulement une déclinaison des valeurs et des principes fondamentaux devant régir l'administration publique mais aussi des dispositions précises pour que ces principes aient des chances d’être respectés. Une Commission de la fonction publique qui doit être indépendante et impartiale, est responsable devant l'Assemblée nationale et doit faire rapport au moins une fois par an.
Beaucoup diront que nous avons déjà dans nos pays trop d’institutions et inutiles et qu’il faudrait supprimer des institutions plutôt que d’en rajouter. Sauf qu’il ne s’agit pas d’avoir plus ou moins d’institutions. Il s’agit de penser les institutions publiques dont un pays a besoin pour s’acquitter de missions précises, des institutions incarnées par des personnalités qui ont l’obligation constitutionnelle de rendre des comptes sur leur action et des institutions dont on détaille les modes opératoires dans la loi fondamentale, que chacun peut lire et comprendre.
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Le 27 avril 1994, il y a tout juste 30 ans, des millions de Sud-Africains se rendaient aux urnes lors des premières élections démocratiques du pays, des élections qui aboutiront à la victoire de l’ANC, le Congrès national africain, et de son icône Nelson Mandela. Il y a aujourd’hui beaucoup de critiques sur la gestion du pays, de désillusion même au sein d’une partie de la population et notamment des jeunes qui n’ont pas connu le régime raciste de l’apartheid, mais la situation aurait pu être catastrophique si l’Afrique du Sud ne s’était pas dotée d’une Constitution remarquable.
Je pense que cette Constitution est bel et bien une des plus abouties dans le monde dans sa volonté de tirer des leçons de l’histoire d’un pays pour se projeter dans l’avenir sur la base de principes très clairs. Alors, bien sûr, l’Afrique du Sud est dans une situation économique difficile, les niveaux de violence, d’inégalités sociales et de corruption sont trop élevées et une pauvreté extrême frappe encore largement les populations noires.
Tout cela ne change pourtant rien au fait que ça ne fait pas de sens de comparer l’Afrique du Sud post-apartheid de ce que fut l’Afrique du Sud pendant plus d’un siècle de domination de la majorité noire par la minorité blanche, des décennies de mépris et de crimes perpétrés par un État raciste assumé et organisé. Lorsqu’on a l’occasion de visiter le musée de l’apartheid à Johannesburg, on réalise très vite que ce serait une insulte inacceptable à la mémoire de millions de personnes qui se sont battues pour la justice, la liberté et l’humanité que de relativiser la signification de la rupture politique et sociale de 1994.
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L’Afrique du Sud aurait pu être aujourd’hui un pays en guerre civile ou un pays qui serait en train d’essayer de s’en relever, dites-vous ?
Oui. On sait où en est l’Afrique du Sud aujourd’hui. Ce qu’on ne sait pas et ce qu’on ne saura jamais, c’est le contrefactuel. C’est ce que l’Afrique du Sud serait devenue si Mandela et ses compagnons de l’ANC avaient fait des choix politiques différents, s’ils n’avaient pas su notamment dominer la tentation naturelle de la vengeance. S’ils n’avaient pas fait beaucoup de compromis au nom des objectifs de paix et de réconciliation nationale. S’ils n’avaient pas travaillé à l’élaboration d’une Constitution sud-africaine qui jetterait les bases d’une société multiraciale ancrée dans le respect des droits de chacun.
L’Afrique du Sud aurait pu être aujourd’hui un pays en guerre civile ou un pays qui serait en train d’essayer de s’en relever, avec l’intervention d’une nuée d’acteurs étrangers tentant de tirer parti de ses immenses ressources naturelles en soutenant des groupes armés qui auraient dépecé le pays, un pays qui aurait peut-être accueilli une mission de maintien de la paix installée dans la durée, un pays en déconfiture pour longtemps. L’Afrique du Sud de 2024 reste au contraire une république unie dont les institutions sont solides et résistent à la corruption de nombre d’acteurs politiques. C’est une raison suffisante pour célébrer les 30 ans de la nouvelle Afrique du Sud.
Vous souhaitez parler en particulier de la Constitution sud-africaine, vous pensez qu’elle devrait être une source d’inspiration pour les autres pays africains ?
Oui, même si cela n’intéresse pas les dirigeants qui ne s’engagent dans des changements constitutionnels que pour se maintenir indéfiniment au pouvoir en rusant avec les textes et en se moquant de l’intelligence collective de leurs concitoyens.
Non, la Constitution sud-africaine fut, elle, le résultat d’un travail sérieux, appliqué, inclusif et ambitieux. « The Bill of Rights », La Déclaration de droits, qui constitue le chapitre 2 de la Constitution, est composée de 33 articles qui déclinent de manière très précise les droits fondamentaux des citoyens. Le champ couvert et le niveau de détail sont remarquables. Le premier article de ce chapitre dit ceci : « Cette déclaration des droits est la pierre angulaire de la démocratie en Afrique du Sud, elle consacre les droits de tous les habitants de notre pays et affirme les valeurs démocratiques de la dignité humaine, de l'égalité et de la liberté ».
On retrouve certes dans le préambule de presque toutes les Constitutions, l’affirmation de grands principes. Mais la différence est qu’en Afrique du Sud, on prend tout ce qui est prescrit dans la Constitution un peu plus au sérieux qu’ailleurs. En Afrique de l’Ouest, ces dernières années, à quelques exceptions près, on a plutôt choisi de démanteler des États de droit en gestation, et d’accepter que les plus forts et les moins scrupuleux imposent leur loi à tous.
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L'édition 2024 du très sérieux Rapport mondial sur le bonheur, World Happiness Report, a été publiée il y a quelques semaines.
Alors qu’on attache beaucoup d’attention aux statistiques économiques comme le produit intérieur brut et dans une certaine mesure aux statistiques sur le développement humain mesuré à travers des données objectives sur l’espérance de vie, l’éducation et le niveau de revenu, on a tendance à accueillir la publication d’un rapport sur l’évaluation individuelle que les gens font de leur vie avec un petit sourire et un doute sur le sérieux d’une telle entreprise.
Cela en dit long, me semble-t-il, sur la confusion que nos sociétés font peut-être aujourd’hui plus que jamais entre la fin et les moyens. Il n’est pas incongru en réalité de penser que l’augmentation au fil des années de la proportion de gens dans un pays qui s’estiment satisfaits de la vie qu’ils mènent serait un des meilleurs indicateurs d’un progrès collectif.
Ce World Happiness Report, publié par le Centre de recherche sur le bien-être de l’Université d’Oxford au Royaume-Uni, est un rapport très sérieux basé sur une enquête d’opinion à l’échelle mondiale de l’institut Gallup. L’institut demande à environ 1 000 personnes chaque année dans chaque pays d'évaluer leur vie dans son ensemble à l'aide d'une échelle, la meilleure vie possible pour eux étant un 10 et la pire possible un 0. Les auteurs du rapport établissent le classement des pays sur la base de la moyenne sur trois ans de ces évaluations.
Quels sont les résultats les plus marquants de ce rapport 2024 basé sur la période 2021 à 2023 ?
Il y a beaucoup de richesse dans les résultats. D’abord le classement de 143 pays en fonction de cette évaluation du bonheur qui place les pays d’Europe du Nord en tête, avec la Finlande au premier rang, devant le Danemark, l’Islande et la Suède. Suivent Israël, les Pays-Bas, la Norvège, le Luxembourg, et la Suisse. Les cinq pays nordiques sont tous dans le top 10. On compte 14 pays européens parmi les 20 les mieux classés selon cet indice subjectif du bonheur, auxquels s’ajoutent l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada. Mais on y voit aussi un pays d’Amérique centrale, le Costa Rica, à la 12ᵉ place mondiale, et un émirat du Golfe, le Koweït, à la 13ᵉ place.
Le rapport observe que les pays les mieux classés ne comprennent aucun des plus grands pays : parmi les dix premiers pays, seuls les Pays-Bas et l'Australie ont une population supérieure à 15 millions d'habitants et dans l'ensemble des vingt premiers pays, seuls le Canada et le Royaume-Uni ont une population supérieure à 30 millions d'habitants. Les auteurs observent aussi que l'écart entre les pays du haut et du bas de l'échelle reste très important : six points, sur une échelle de 0 à 10, séparent ainsi la Finlande en haut de l’échelle de l'Afghanistan au dernier rang mondial.
Le classement illustre aussi le désarroi qui s’est installé au Liban, avant-dernier mondial. Il y a aussi une forte concentration de pays d’Afrique australe tout en bas du classement. Parmi les 10 derniers, on compte huit pays africains : Lesotho, Sierra Leone, République démocratique du Congo, Zimbabwe, Botswana, Malawi, Eswatini et Zambie.
Le rapport met aussi en évidence des résultats importants s’agissant des différences d’évaluation de la satisfaction de la vie entre les jeunes et les plus âgés…
Le résultat le plus préoccupant concerne l’Amérique du Nord où le bonheur des jeunes âgés de 15 à 24 ans a fortement chuté, au point que les jeunes sont désormais moins heureux que les personnes âgées, ce qui est un résultat très inhabituel. En revanche, le bonheur à tout âge a sensiblement augmenté en Europe centrale et orientale.
En Afrique subsaharienne, la satisfaction à l'égard de la vie a augmenté en moyenne chez les jeunes. Enfin, un peu comme pour les mesures de revenu, il est pertinent de s’intéresser aux inégalités dans les perceptions du bonheur. Le rapport montre que depuis les années 2006-2010, l'inégalité dans l’accès au bonheur a beaucoup augmenté dans toutes les régions, sauf en Europe. C'est en Afrique subsaharienne que l'augmentation de cette inégalité est la plus forte. Cela signifie concrètement que l’écart entre le bonheur ressenti se creuse entre les gens qui sont fort satisfaits de leur vie et ceux qui ne le sont pas du tout. Les instituts statistiques nationaux africains devraient, me semble-t-il, réaliser des enquêtes de ce type pour mieux comprendre les mutations en cours dans nos sociétés et leur impact sur le bien-être des individus.
►Pour aller plus loin :
The World Happiness Report 2024, Wellbeing Research Centre, University of Oxford, UK.
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Ça fait débat avec Wathi, avec Gilles Yabi qui a organisé en partenariat avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE le 21 mars dernier, une table ronde virtuelle sur l’avenir de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest, deux mois après l’annonce du départ simultané des trois pays du Sahel central, le Mali, le Niger et le Burkina Faso de la Cédéao.
J’avais titré une tribune publiée dans le magazine Jeune Afrique en juillet 2020 : « Sale temps pour l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest », en commentant à l’époque l’incapacité pour les leaders des pays de la région de faire progresser le projet de création de l’Eco, monnaie unique et commune aux 15 pays membres de la Cédéao.
Ce titre était prématuré. C’est maintenant le vrai « sale temps pour l’intégration régionale ». Le périmètre géographique de la Cédéao pourrait être réduit à 12 pays membres, sa population totale amputée de 72 millions d’âmes et sa production de biens et services évaluée par le PIB d’environ 7% (19% si on calcule le poids économique des trois pays dans la Cédéao en excluant le mastodonte nigérian). Tout cela si les trois États sahéliens dirigés par les militaires ne changent pas d’avis d’ici fin janvier 2025. Pour le moment, ils s’en tiennent à leur départ « sans délai ».
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Vos panélistes ont tous relevé à la fois l’importance cruciale de l’intégration régionale et les accomplissements de la Cédéao dans différents domaines, mais ont aussi été très critiques sur les décisions prises par les chefs d’État au cours des dernières années…
Oui, avec des mots forts comme ceux d’Ibrahima Kane, conseiller spécial de la directrice de la fondation Open Society pour l’Afrique et acteur de la société civile ouest-africaine. « Le principal problème au niveau de la Cédéao est un problème de leadership… Le président de la commission n’a pas d’autorité, il ne choisit pas les commissaires. On a aussi un manque de mémoire parce que tous les quatre ans, les commissaires changent, avec l’impression de reprendre chaque fois à zéro… On a ensuite un problème de leadership au niveau politique. Il y avait à l’époque de vrais leaders qui orientaient la région vers plus d’intégration. Ce leadership est aujourd’hui absent. Les chefs d’État essaient de régler leurs propres problèmes, pas les problèmes de la région ». Fin de citation. Il a aussi évoqué le problème posé par les interférences extérieures, une des conséquences de la défaillance du leadership politique régional.
En somme, la Cédéao ne peut pas faire l’économie de réformes profondes, mais la région a plus que jamais besoin d’intégration dans toutes ses dimensions…
Tout à fait. Cela est ressorti aussi clairement des interventions de Modibo Mao Makalou, économiste et gestionnaire financier malien qui a insisté sur l’impact désastreux des sanctions économiques qui ont isolé le Mali et plus tard le Niger, sans faire le tri entre les auteurs des coups d’État et les populations qui ont payé le prix fort de ces sanctions. Lori-Anne Théroux-Bénoni, directrice du bureau régional de l'Institut d’études de sécurité (ISS) pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, a montré de manière très pointue comment la Cédéao a montré ses limites dans la réponse à la crise sécuritaire au Mali en 2012-2013, et elle a rappelé pourquoi la coopération sécuritaire entre les pays sahéliens et les pays côtiers ouest-africains était une absolue nécessité compte tenu de l’intégration régionale de facto des groupes armés.
Les entrepreneurs aussi ont tout intérêt à disposer d’un espace régional gouverné par des règles, qui leur permet de servir un marché vaste de 15 pays plutôt que des marchés nationaux restreints. Didier Acouetey, fondateur et président du cabinet Afric Search et, entre autres, commissaire général d’un forum qui rassemble des petites et moyennes entreprises africaines, a mis en avant les bienfaits économiques de l’intégration.
Son point de vue en tant que citoyen ouest-africain est aussi clair s’agissant de la question des principes de démocratie et d’État de droit. Lorsque je lui ai demandé s’il pensait qu’il fallait se contenter d’intégration économique et renoncer à l’ambition de construire une région partageant des principes de convergence constitutionnelle, il a répondu ceci : « Les droits humains, ce sont des principes élémentaires. Lorsqu’on commence à y renoncer, on prend des risques qui vont à l’encontre de l’évolution de la race humaine. Moi je ne veux pas vivre au Moyen Âge... Je ne vois pas les jeunes des pays de la Cédéao qui accepteraient qu’on leur enlève le droit d’expression, de contestation… On doit faire marcher les libertés économiques avec les droits politiques ». Dans les pays sahéliens comme ailleurs, au-delà des illusions, je crois qu’on gagnerait à réfléchir davantage sur les sociétés et la région que nous voulons léguer à nos enfants.
► Pour aller plus loin
« L’avenir de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest », Table ronde virtuelle de WATHI en partenariat avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE.
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Le nouveau Premier ministre Ousmane Sonko a présenté le 7 avril le premier gouvernement du président Bassirou Diomaye Faye. Une équipe composée de 25 ministres et cinq secrétaires d'État, pour mettre en œuvre le programme de rupture promis aux Sénégalais.
Ce gouvernement est composé de cadres du Pastef, de personnalités politiques ayant déjà occupé des fonctions publiques importantes mais aussi de plusieurs personnalités affichant toutes des expertises et des parcours professionnels pertinents. Des personnalités fortes qui pourraient donner corps à une gouvernance plus collégiale que par le passé, avec il faut l’espérer, une capacité d’écoute réelle de la part du Premier ministre et du président, ce qui est essentiel pour tirer le meilleur de chaque membre du gouvernement.
Je trouve très rassurant le fait d’avoir, aux côtés des têtes pensantes du Pastef, des personnalités apolitiques de grande expérience comme le nouveau ministre des Forces armées, l'ancien chef d’état-major général des armées, le général Birame Diop, qui était jusque-là conseiller militaire du Département des opérations de paix des Nations unies.
Pour entreprendre des réformes audacieuses dans un pays, il faut non seulement savoir ce que l’on veut faire mais surtout savoir avec qui le faire et comment le faire sachant qu’il y aura au moins à court terme des gagnants et des perdants, et donc des obstructions délibérées en plus des contraintes liées à l’inertie de l’appareil étatique, à celle de la société, et aux contraintes induites par les relations internationales.
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Le seul reproche que l’on peut faire à cette équipe, et les Sénégalais et les Sénégalaises surtout ne s’en privent pas, c’est l’absence de signe de rupture en ce qui concerne la place des femmes dans l’exécutif. Quatre femmes sur 30 ministres et secrétaires d’État, moins de 15%, c’est vraiment très peu et cela ne se justifie pas.
Après le temps de l’enthousiasme et de l’excitation et de la célébration de ce tournant politique par la voie démocratique, voici venu le temps du travail.
Oui, il va falloir se mettre au travail et si le nouveau pouvoir à Dakar réussit vite à montrer qu’il est vraiment déterminé à faire de la double exigence du travail et de l’éthique la marque de l’action publique, une dynamique vertueuse collective peut réellement se mettre en place. L’enthousiasme qui s’entend lorsqu’on échange avec des citoyens sans affiliation politique qui croient au potentiel de transformation positive de leur pays est très prometteur. La volonté de servir leur pays d’une partie importante de la diaspora sénégalaise, qui a très massivement voté pour le duo Faye/Sonko, peut être aussi précieuse pour induire des changements rapides dans les manières de travailler dans des secteurs clés.
C’est aussi le moment d’écouter les chercheurs, de ne pas rester enfermé dans des certitudes sur toutes les réformes à entreprendre, de rester ouvert à toutes les idées, de faire preuve à la fois de créativité et de pragmatisme…
Oui, dans un moment comme celui-ci, un think tank citoyen comme Wathi ne peut que rappeler que sur tous les chantiers prioritaires, comme la lutte contre la corruption, la réforme des institutions politiques, le renforcement de l’indépendance et de l’efficacité de la justice, les réformes de l'éducation à tous les niveaux, la création d’emploi, la réduction des inégalités territoriales, sur toutes ces questions, il y a une production intellectuelle existante, il y a des idées qui sont sur la table, il y a des expériences de toutes les régions du monde qui peuvent être des sources d’inspiration.
En prélude à cette élection présidentielle, nous avons réalisé une série d'entretiens avec 20 enseignants-chercheurs de différentes spécialités associées à des universités sénégalaises, à qui nous avons demandé de partager leurs propositions sur les politiques publiques qui devraient être menées au Sénégal au cours des cinq prochaines années. Ces entretiens sont en libre accès.
C’est aussi pour nous le moment d’encourager les nouveaux décideurs à penser de manière systémique, à s’assurer de la cohérence et de la durabilité des réformes qu’ils entendent mener. Sur la lutte contre la corruption par exemple, il ne faudrait pas se focaliser seulement sur des mesures spectaculaires et attendues. Il faudra s’attaquer à l'ensemble des incitations qui induisent et facilitent tous les abus de fonctions publiques à des fins privées dans toutes les institutions. Nous avions formulé dans une de nos publications des pistes d’action dans ce sens il y a quelques années. Des audits organisationnels de toutes les institutions publiques pourraient être un bon début pour identifier de manière précise toutes les sources de vulnérabilité à la corruption et aux gaspillages des ressources publiques.
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Après plusieurs péripéties et des doutes sur la tenue de l’élection avant la fin du mandat du président Macky Sall le 2 avril, le scrutin présidentiel au Sénégal a été organisé sans incident le 24 mars. Le principal candidat de l’opposition, Bassirou Diomaye Faye, à tout juste 44 ans, deviendra dans quelques jours le plus jeune président de l’histoire du Sénégal indépendant et le plus inattendu.
L’élection du 24 mars est une victoire de la société sénégalaise, celle des citoyens qui se sont mobilisés et organisés de manière remarquable pour exiger que le scrutin se tienne avant la fin du mandat présidentiel et qui ont sans doute pesé dans la décision du Conseil constitutionnel d’aller à l’encontre de la volonté du président Macky Sall et de ses alliés politiques qui voulaient reporter l’élection à la fin de l’année.
C’est une victoire des défenseurs de l’État de droit, du respect de la Constitution et de la démocratie dans son essence. C’est une victoire de la voie du changement politique par l’expression libre et pacifique des citoyens, par opposition à l’illusion des ruptures brutales par la force militaire qui aboutissent, à de rares exceptions près, à des impasses.
C’est aussi une preuve, s’il en fallait encore, de la simplicité de l’exercice électoral quand les acteurs politiques n’ont pas décidé de voler, de travestir le choix des votants. Dès lors que les médias peuvent dès la fin du dépouillement annoncer les résultats, bureau de vote par bureau de vote, toute manipulation des résultats devient impossible. Il faut saluer le travail sérieux et non partisan de toutes les institutions impliquées dans l’organisation de cette élection.
Dans un contexte ouest-africain où se sont installés des pouvoirs militaires dans plusieurs pays, et où des présidents civils élus ont tenté et parfois réussi à s’accrocher au pouvoir par des manipulations constitutionnelles, vous estimez que cette élection sénégalaise est une excellente nouvelle ?
Absolument. L'espoir suscité par ce changement spectaculaire au Sénégal est immense. Une nouvelle page de l’histoire du pays s’ouvrira avec la prise de fonction de Bassirou Diomaye Faye avec de véritables opportunités de changement positif, mais aussi son lot d’incertitudes et de risques qu’il ne faut absolument pas sous-estimer.
Le maintien de l’engagement d’une grande partie de la société sénégalaise pour une gouvernance plus vertueuse, pour des institutions démocratiques fortes et pour des politiques publiques efficaces sera crucial pour que la rupture voulue par les électeurs conduise à une amélioration effective des conditions de vie des populations. Ce n’est évidemment pas gagné.
Vous êtes par contre très dur sur la surprise venue du Togo, un changement de constitution et de république par un vote au Parlement, même si le président Faure Gnassingbé a demandé hier soir à la présidente de l’Assemblée nationale de faire procéder à une deuxième lecture du texte.
Oui, pendant que toute l’attention était portée sur le Sénégal, les députés togolais votaient nuitamment le 25 mars pour une nouvelle constitution instaurant ni plus ni moins qu’une nouvelle république dotée d’un régime parlementaire. Le président de la République ne sera plus élu au suffrage universel, mais par les parlementaires pour un mandat unique de six ans. Le pouvoir exécutif sera exercé par un président du Conseil des ministres qui sera le chef du parti ou de la coalition majoritaire à l’assemblée. Le président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 19 ans, fils de Gnassingbé Eyadema qui a dirigé le pays pendant 38 ans, pourra ainsi choisir l’une ou l’autre fonction, sans devoir se soumettre à une élection présidentielle.
Ce n'est pas tant le contenu de cette constitution qui est en cause, mais l’élaboration dans le secret d’une loi fondamentale qui n’a fait l’objet d’aucun débat public, votée en catimini par des députés en dépassement de mandat, à quelques semaines des législatives.
Le communiqué de la présidence togolaise d’hier soir indique que le chef de l’État « au vu de l’intérêt suscité par cette loi », a demandé une deuxième lecture du texte, « toute chose étant perfectible ». En réalité, l’intérêt suscité par le texte, c’est une levée de boucliers de la part des partis politiques de l’opposition et des acteurs de la société civile, dont la première tentative de conférence de presse de protestation a été dispersée par les forces de l’ordre.
On attend désormais ce que donnera la deuxième lecture de cette nouvelle constitution par les mêmes députés du parti au pouvoir qui l’ont adoptée largement et dont on a du mal à penser qu’ils aient pu aller jusque-là sans l’assentiment du président de la République et président-fondateur du parti.
Cette manœuvre a le mérite de rappeler à tous que le Togo est le seul pays d’Afrique de l’Ouest à n’avoir jamais connu d’alternance démocratique depuis le coup d’État militaire de Gnassingbé Eyadema en 1967, il y a 57 ans. La semaine dernière fut celle du rappel des situations, des trajectoires et des perspectives politiques très contrastées en Afrique de l’Ouest. Rayons de lumière et lueurs d’espoir à Dakar. Politique crépusculaire d’une fausse démocratie à Lomé. Le président togolais a cette fois encore la possibilité de rebrousser chemin.
À lire aussiTogo: le président renvoie la nouvelle Constitution devant l'Assemblée pour une seconde lecture
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Ce dimanche, premier tour de l’élection présidentielle au Sénégal. Une campagne courte de deux semaines et une seule en présence de tous les candidats puisque Bassirou Diomaye Faye, candidat du parti Pastef, est tardivement sorti de prison en compagnie d’Ousmane Sonko, le président du parti, lui-même étant hors course. Comme pour toutes les élections présidentielles en Afrique de l’Ouest, vous présentez le contexte de l’élection à travers une sélection d’études et de rapports sur plusieurs secteurs, ainsi que les biographies des candidats et des extraits de leurs programmes politiques, avec les liens vers les programmes dans leur version intégrale.Nous considérons que les rendez-vous électoraux devraient être des moments privilégiés de débat public sur toutes les questions fondamentales pour l’avenir des pays de la région. Il est heureux qu’au Sénégal, malgré toutes les péripéties de ces dernières semaines, et malgré les montées de tensions et de violences depuis trois ans, on puisse enfin avoir une élection dont les résultats ne soient pas du tout connus à l’avance, et une campagne qui s’accompagne d’une multitude d’articles, de prises de position parfois très articulées dans les médias et sur les réseaux sociaux. Dans le contexte sécuritaire, politique et social dégradé dans une majorité de pays de la région, toutes les alternatives à une tenue rapide de l’élection présidentielle auraient été catastrophiques.
Le scrutin de ce dimanche est très ouvert selon vous ?Oui, les résultats sont bien incertains. Nous avons certes une forte focalisation de l’attention sur deux candidats, Amadou Bâ, Premier ministre il y a encore quelques semaines, celui qui représente a priori la continuité du pouvoir en place, et Bassirou Diomaye Faye, qui incarne l’opposition la plus tranchée au président sortant et même au système politique qu’on pourrait qualifier de traditionnel. Mais cette polarisation cache la grande diversité de l’offre politique qui est proposée aux électeurs sénégalais puisqu’on a 19 candidats au total, dont deux, Cheikh Tidiane Dieye et Habib Sy, ont appelé en toute fin de campagne à voter pour Bassirou Diomaye Faye.
Diversité en termes d’âge, avec 33 ans de différence entre le plus jeune et le plus âgé des candidats. Papa Djibril Fall, 35 ans, Anta Babacar Ngom, 40 ans et seule femme sur la liste, à la tête d’une des plus grandes entreprises agroalimentaires du pays, Bassirou Diomaye Faye, 44 ans, et Dethie Fall, 48 ans, font partie du groupe des jeunes candidats. On a ensuite les quinquagénaires plus ou moins avancés, Daouda Ndiaye, El Hadji Mamadou Diao, Serigne Mboup et Thierno Alassane Sall. Puis les 60 ans et plus, les plus nombreux, Aly Ngouille Ndiaye, Malick Gakou, Amadou Ba, Aliou Mamadou Dia, Mamadou Lamine Diallo, Boubacar Camara, Mohamed Ben Abdallah Dionne, Idrissa Seck et Khalifa Ababacar Sall.
Une diversité aussi de parcours de formation, d’expérience professionnelle et d’expérience politique…Et en lisant toutes ces biographies, et l’effort intéressant d’élaboration de programmes, des plus épais et détaillés aux plus évasifs, on se dit que beaucoup auraient pu se regrouper au sein de formations politiques solides et cohérentes, et incarner des équipes séduisantes pour les électeurs.
Nous avons sur la liste trois anciens Premiers ministres, six anciens ministres, des universitaires, des fonctionnaires internationaux, un scientifique de renom, parasitologue et mycologue, des entrepreneurs, des maires et une sur-représentation de hauts fonctionnaires des impôts ou des douanes…
Il reste encore quelques heures aux électeurs sénégalais pour examiner de près les biographies, mais aussi les propositions de tous ces candidats et pour faire leur choix. Nous ne sommes pas les seuls d’ailleurs à essayer d’attirer l’attention sur les programmes des candidats. Des organisations de la société civile ont développé des applications mobiles ingénieuses pour présenter les programmes, parfois avec l’utilisation de l’intelligence artificielle comme Jangat ou des formats ludiques comme Ndamli. D’autres comme le Consortium Jeunesse Sénégal ont multiplié les spots sur les réseaux sociaux pour inciter les jeunes à aller voter. Il ne reste plus qu’à souhaiter que l’élection se passe dans d’excellentes conditions, que tous ceux qui souhaitent voter puissent le faire dans la sérénité et qu’il n’y ait aucune raison objective pour qu’un camp puisse contester les résultats. Les conditions et l’épilogue de cette élection auront des implications pour l’ensemble de la région.
►Pour aller plus loinSur le site Sénégal Politique, le contexte, les biographies et les programmes des candidats :
Sur le site de WATHI, les entretiens avec 20 enseignants chercheurs sur les réformes prioritaires au Sénégal :
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Guerre et de paix aujourd'hui, surtout guerre. Vous avez récemment participé à un débat sur le thème : « Est-ce qu’on peut éviter la guerre ? », organisé par La Maison française de New York, un institut culturel logé au sein de l’Université de New York. Vous n’en êtes pas sorti particulièrement optimiste ?
Alors oui, c’est très difficile d’être optimiste lorsqu’on examine froidement les zones de guerre ouverte, les zones de conflit armé à moyenne intensité et qu’on y ajoute les pays dont certaines régions ne sont ni en guerre ni en paix depuis des années, voire des décennies. Le débat auquel j’ai participé était le troisième d’une série de trois conférences sur le thème général de la paix et de la guerre entre les nations, qui reprend le titre d'un essai du philosophe, sociologue et historien français Raymond Aron, publié en 1962.
Par rapport à la question : « Peut-on éviter la guerre ? », je me suis demandé s’il s’agissait d’éviter la guerre là où elle ne sévit pas encore, sur chacun des continents, ou s’il s’agissait d’éviter une troisième guerre mondiale, d’éviter en somme que la guerre ne touche pas directement les populations à niveau de revenu élevé qui se pensaient définitivement à l’abri du fait de la puissance technologique et militaire de leurs États ou de leurs alliés.
Vous rappelez que la guerre, les conflits armés dévastateurs et longs ne sont pas une nouveauté pour des millions de personnes, principalement dans le Moyen et l’Extrême-Orient et en Afrique au cours des quatre dernières décennies.
Tout à fait. Les conflits armés en Afrique aujourd'hui, et les autres formes d’insécurité qu’ils génèrent, sont de loin la principale raison de s'inquiéter pour les prochaines décennies. Nous avons une guerre dévastatrice accompagnée de crimes horribles au Soudan, troisième pays le plus vaste du continent avec sept pays voisins. Cela fera un an, le 15 avril prochain, que cette nouvelle tragédie soudanaise a commencé.
Nous avons une guerre dans l'est de la République démocratique du Congo, avec un niveau de tension extrême avec le Rwanda voisin. Avec désormais la mobilisation de moyens aériens. Des missiles sol-air mobiles sont de sortie du côté de l’armée rwandaise qui soutient les groupes armés rebelles, selon les enquêtes des Nations unies. La RDC, c’est le troisième pays le plus peuplé du continent et le deuxième le plus vaste, avec des frontières avec neuf pays. La paix n’est pas non plus durablement revenue en Éthiopie après une guerre civile meurtrière et accompagnée de crimes innommables entre 2020 et 2022. L’Éthiopie est le deuxième pays le plus peuplé du continent et a six pays voisins. Si on ne sort pas ces pays de la guerre et de la violence, on n’aura aucune chance de faire des incantations sur le futur heureux et triomphant de l’Afrique une réalité.
Selon vous, la question n’est pas de savoir si la guerre peut être évitée, mais plutôt de savoir si de nouvelles guerres, entre les pays riches et puissants, vont réduire ou plutôt augmenter les chances que s’aggravent et se multiplient les conflits armés en Afrique.
Oui, ce serait une grosse erreur de penser que chacun devrait s’occuper de ses guerres et se désintéresser de celles qui semblent être éloignées. Les conflits armés sont plus que jamais interconnectés, ne serait-ce que par le truchement de la circulation massive des moyens de la violence, et par la banalisation du recours aux armes sans aucune limite, sans aucune retenue.
Les conséquences de ce qui se déroule sous nos yeux à Gaza, par exemple, ne seront pas localisées. Les experts estimaient en janvier dernier, après trois mois de guerre, que l'armée israélienne avait déjà largué 45 000 missiles et bombes sur la bande de Gaza, dont le poids dépassait 65 000 tonnes, plus que l’équivalent de trois bombes nucléaires d'Hiroshima.
Semer la colère, le désir de vengeance, la haine, dans un monde où les moyens technologiques de la violence extrême n’ont jamais été aussi dévastateurs, c’est l’assurance d’ajouter de nouvelles guerres aux actuelles, de réduire encore plus la taille des zones de paix et de sécurité dans le monde. Qui va pouvoir donner des leçons à d’autres ? Qui va demander le respect du droit international ? Qui est et qui sera encore légitime pour demander de la retenue et de l’humanité aux autres ? Qui pourra affirmer avec conviction que les politiques étrangères des pays démocratiques sont moins cyniques que celles des régimes autocratiques ?
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« Je ne me voyais pas candidat, tant ma principale préoccupation était de faire aboutir cette transition dans la paix et la stabilité, dans un Tchad uni et réconcilié… Moi, Mahamat Idriss Déby Itno, je suis candidat à l’élection présidentielle de 2024 sous la bannière de la Coalition pour un Tchad uni », déclarait le président de transition du Tchad le 2 mars dernier à Ndjamena.
Pas de surprise pour ceux qui ont suivi les développements au Tchad, en particulier depuis la fin du dialogue national inclusif et souverain en octobre 2022, avec la validation de la possibilité d’une candidature du président de la transition à l’élection présidentielle. Cela constituait une remise en cause explicite d’un des principes de la gestion des coups d’État par les organisations africaines, qui voudrait que les auteurs d’un changement anticonstitutionnel de gouvernement ne se fassent pas tranquillement élire à la fin des périodes de transition comme présidents élus.
Après le dialogue national, parfaitement circonscrit et orienté par les cercles du pouvoir, il ne restait plus qu’à Mahamat Idriss Déby Itno, lui-même, de décider d’écouter l’appel de son parti, celui de son défunt père, Idriss Déby Itno, mort le 20 avril 2021, et d’une coalition de partis et de mouvements qu’il n’aura pas été difficile de susciter et d’encourager. Scénario et mise en scène qui rappellent les années de parti unique et des pères de la nation, suppliés par des citoyens en pleurs de rester au pouvoir ad vitam æternam parce qu’ils seraient les seuls à pouvoir garantir la paix, la stabilité et l’unité du pays.
C’est aussi le reniement d’un engagement personnel du chef militaire de la transition à ne pas rester au pouvoir au terme de celle-ci…
Tout à fait. En se portant candidat au scrutin prévu le 6 mai, Mahamat Déby Itno a renié son engagement initial de se limiter à conduire la transition qui s’est brusquement ouverte après la mort de son père. Il disait alors avoir accepté de prendre la direction d’un conseil militaire de transition pour préserver la sécurité du pays, une prise de pouvoir en violation de la constitution du Tchad qui prévoyait un intérim par le président de l’Assemblée nationale en cas de décès du président. Sur un continent où aime bien rappeler la sacralité de la parole donnée, on ne compte plus les chefs d’État civils et militaires qui renient leurs engagements sous les acclamations.
Après moult tractations, l’Union africaine avait fait le choix d’un traitement spécial du changement anticonstitutionnel au Tchad, épargnant le pays des sanctions systématiquement appliquées aux pays ayant connu des coups d’État. Il s’agissait pourtant bien d’un coup d’État militaire, le général Mahamat Déby ayant été choisi par ses collègues militaires les plus influents dans le régime du père. La France, acteur extérieur le plus influent au Tchad, avait aussi de fait soutenu le passage de témoin d’un père maréchal, au pouvoir pendant 30 ans, à un de ses fils, jeune général alors âgé de 37 ans.
Vous estimez que l’élection présidentielle du 6 mai a toutes les chances de maintenir le Tchad dans sa trajectoire politique des trois dernières décennies… Est-ce une certitude ?
Non bien sûr, le pire n’est heureusement jamais certain. On ne peut pas exclure d’avoir de bonnes surprises, de voir un fils différent du père, de le voir engager des réformes allant dans le sens de la construction de quelque chose qui finira par ressembler un jour à un État de droit. On ne peut pas exclure ce très optimiste scénario, mais il est beaucoup moins probable que celui du statu quo.
Ce qui se passe au Tchad est une confirmation des trop nombreux rendez-vous manqués dans beaucoup de pays africains, lorsque des fenêtres s’entrouvrent pour des changements significatifs de trajectoire politique, et qu’elles sont vite refermées. Deux jours avant la joyeuse cérémonie d’annonce de la candidature de Mahamat Déby, l’opposant virulent au sein du clan dominant, cousin du président, Yaya Dillo, était tué dans des circonstances qui ne seront vraisemblablement jamais élucidées. Et pour cause, le siège du parti de ce dernier, où se sont déroulés les affrontements, a été détruit et rasé. C’est ce Tchad-là, celui de la loi du plus fort, du plus armé, du plus brutal, qui a toutes les chances de se perpétuer après la prochaine élection et pendant longtemps.
À lire aussiTchad: une semaine après la mort de l'opposant Yaya Dillo, que devient son parti, le PSF?
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Le 24 février 2024, la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Cédéao a décidé à l’issue d’un sommet au Nigeria, de la levée avec effet immédiat, des sanctions imposées au Niger, ainsi que des sanctions financières et économiques à l’encontre de la Guinée. L’heure est à une approche conciliante avec les trois pays sahéliens, le Mali, le Niger et le Burkina Faso, qui ont annoncé fin janvier leur départ sans délai de la communauté régionale.
C’est incontestablement la confirmation de l’échec des mesures adoptées par les chefs d’État de la Cédéao, en réponse aux coups d’État militaires dans les trois pays sahéliens. La liste des sanctions prises à l’encontre du Niger, qui ont donc été levées après sept mois, était impressionnante : fermeture des frontières terrestres et aériennes, zone d'exclusion aérienne sur tous les vols commerciaux à destination et en provenance du Niger, suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les États membres de la Cédéao et le Niger, gel de toutes les transactions de services, y compris les services publics et l'électricité vers le Niger, gel des avoirs de l’État du Niger auprès des banques centrales, etc.
Si le caractère illégal de ces sanctions continuera à faire l’objet de débats entre experts des textes de l’organisation régionale, la gravité de leur impact sur l’activité économique et sur la vie quotidienne des populations d’un pays qui a le troisième indice de développement humain le plus faible du monde, ne faisait aucun doute. Je rappelais à cette antenne en août 2023, juste après le coup d’État au Niger que de la même manière que les sanctions économiques et financières sévères et non ciblées contre le Mali avaient de fortes chances de provoquer un plus grand soutien d’une partie importante des populations au pouvoir militaire, les sanctions contre le Niger, si elles n’étaient pas très limitées dans le temps, pourraient être tout autant contre-productives.
Vous disiez aussi alors que « l’immense gâchis nigérien faisait courir à la communauté politique et économique ouest-africaine un risque réel de dislocation, pour de vrai et pour longtemps ».
Oui et j’aurais vraiment voulu avoir tort en étant aussi alarmiste il y a quelques mois. On est aujourd’hui résolument engagé dans la voie de la fragmentation institutionnelle, de la divergence des choix politiques et géopolitiques des pays ouest-africains et de l’abandon d’un ambitieux projet d’intégration régionale qui ne se limite pas à la liberté de circulation des biens et des personnes et à quelques autres facilités.
Beaucoup de hauts cadres des pays de la région ne semblent pas prendre la mesure des implications possibles du départ définitif ou durable du Mali, du Niger et du Burkina Faso, pour les perspectives de stabilité, de sécurité et de développement économique dans tout l’espace ouest-africain dans les cinq, 10 ou 20 prochaines années. On peut comprendre que les dirigeants militaires des trois pays sahéliens ne soient préoccupés au premier chef que par leurs intérêts politiques à court terme, et que nombre de chefs d’État civils élus de la région ne se projettent pas non plus au-delà de quelques années. Il ne semble plus avoir grand monde pour expliquer à tous que l’enjeu, c’est l’état de l’Afrique de l’Ouest qu’ils laisseront aux jeunes et aux enfants.
Vous estimez que c’est le pire moment pour renforcer la balkanisation de cette partie du continent.
Oui. Après avoir de tout temps déploré la politique du diviser pour régner des anciens colonisateurs européens, nous nous gargarisons désormais de déclarations nationalistes flamboyantes, de l’échec de la Cédéao comme si elle était un corps étranger à ses pays membres, comme si ce n’était pas la faillite politique et économique de nombre des gouvernants des États membres, civils comme militaires, qui était à la base de la faiblesse et des errements de l’organisation régionale.
Au moment où les guerres se multiplient ici et là, où l’antagonisme guerrier entre les grandes puissances atteint un niveau rare, au moment où les pays sérieux essaient d’anticiper les bouleversements liés à l’intelligence artificielle et investissent dans le capital humain, nous ne trouvons pas très grave de passer des années à déconstruire ce qu’on a laborieusement construit pendant près de cinq décennies, à devoir négocier des accords bilatéraux entre pays sahéliens et pays côtiers, à faire chacun la course aux armements, à diviser joyeusement nos sociétés entre souverainistes, nationalistes, patriotes d’un côté, et traîtres à la patrie et suppôts du néocolonialisme de l’autre. C’est le temps des passions et celui de l’irresponsabilité.
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