Episodes

  • Les jours ont passé. La déesse est repartie chez elle et les O’guf’n sont retournés dans leur village, avec la satisfaction d’avoir trouvé une fois encore la solution à un problème inextricable.

    Fermat, accompagné de Randt et Axelle, visitent une dernière fois la salle des stèles, avant de la sceller définitivement. Ils parcourent la grande salle et constatent que l’image s’est transformée. Désormais, elle représente Hel Talek, vaincu, agenouillé et en larmes devant ses vainqueurs et sous un ciel de fleurs blanches.

    Vraiment, vraiment, c’était un moment très émouvant et très épique, je dois dire ! Et très beau ! Affirme le collectionneur derrière eux en tapant dans ses mains.Vous êtes le fameux collectionneur. Je dois dire que j’étais curieux de vous connaitre ! Lance Randt.Avouez que vous l’aviez prévu, n’est-ce pas ? demande Fermat, suspicieux.Prévu…non, il y a toujours des aléas, le libre-arbitre…mais j’ai bien aimé cette version, cela change un peu !D’où ces petits coups de pouce, hein ? interroge Axelle.Je ne…un coup de pouce ? Je ne vois pas…non, vous avez agi comme il fallait, voilà tout ! Il ricane doucement.Même pas une petite prophétie ou un miracle ? insiste Randt.D’accord, d’accord, reconnaît le petit homme en souriant. J’ai bien mis quelques indices par-ci par-là, mais je ne savais pas si vous pourriez les trouver, ce n’était pas une quête facile vous savez ! Vous avez du mérite ! Déjà, pour délivrer la déesse, quel parcours ! Et puis, c’était moins une ! Non, franchement vous avez été grandiose…grandiose ! Bon, vous, Fermat, au début, j’ai eu des doutes. Mais après…grandiose aussi ! Toutes ces armées, cette furie, la tension dramatique, le suspens ! C’est un épisode qui marquera l’humanité !

    L’enthousiasme du collectionneur est à son comble.

    Et maintenant que vous avez eu ce que vous vouliez, ça s’arrête là ? Demande Fermat.Qui sait ? Vous savez, l’Histoire est un mouvement sans fin…
  • Elderoden, mon ami ! dit Randt.Vous avez mis le temps, Randt…je n’en peux plus. L’épée de terre…Déesse, prenez l’épée, je vous prie !Mais…dit la déesse, je ne sais pas combattre, je…

    Au même moment, les immenses vaisseaux de guerre de Talek apparaissent à l’horizon. Hel se retourne et constate avec satisfaction que son plan a fonctionné. Les généraux, devant la crainte que leur inspire leur souverain, emportés par une dynamique guerrière, sont rentrés dans le rang quand ils ont compris son plan. Le commandant du Koltrex lance aux autres généraux : « Débarquez vos soldats et attendez les ordres ». A présent, toutes ses forces sont réunies. Hel est certain que le combat va prendre fin avec une belle victoire.

    Sans attendre, Axelle est descendue à toutes jambes de la colline en direction du géant. Elle prend son élan, saute sur une machine cassée et fond sur Talek, qui, surpris par l’agilité et la rapidité de la jeune femme, ne trouve pas la parade appropriée. Il donne un coup d’épée dans le vide mais la fille est déjà posée derrière lui. Elle lui assène un coup de lance dans la jambe qui met Talek à terre. Elle se prépare à lu iassèner le coup fatal. Derrière elle, un soldat lui tire dans la hanche. Elle s’effondre de douleur.

    Talek utilise l’épée de feu comme d’une canne, pour se redresser. Il se prépare à frapper de nouveau le sol, mais l’épée semble vidée de tout pouvoir. Il envoie l’armée au corps-à-corps et avance en boitant vers la déesse.

    Randt, dit Elderoden, nous avons fait ce que nous pouvions, mais notre l’épée de terre protège, elle ne peut tuer. Leur armée est plus forte et mieux outillée. Que pouvons-nous faire ?Les épées ont des pouvoirs spécifiques, lui répond Kak. Vous devez l’utiliser à bon escient !

    Randt s’adresse à La Mapurna :

    Déesse, je vous en conjure, utilisez vos pouvoirs pour créer la vie, non pour la détruire !Mais…ils sont trop puissants, comment lutter contre cette armée ?Déesse, que les cendres redeviennent des fleurs, des arbres. La vie reprendra ses droits face à ceux qui veulent la détruire !

    Une pensée envahit Elderoden. Il imagine Safinéia adulte, qui se lève pour l’accueillir les bras ouverts. Cela lui donne la volonté de se redresser et de rassembler ses dernières forces.

    Talek et ses soldats sont presque sur eux. Le guerrier massacre d’un coup bref les derniers hommes qui tentent de le freiner. La déesse tend les bras et commence à faire tourner ses mains dans une sorte de danse lente.

    Je ne peux pas, ce n’est pas mon monde, je ne suis pas la déesse de ce monde, je ne suis qu’une femme ici, rien de plus, s’attriste La MapurnaVous avez l’épée…plantez-là. Elle est la terre, vous êtes la mère de toute vie.

    Elle plante l’épée dans le sol et sent le contact de la planète à travers elle. La vie renaît là où elle avait été effacée. La déesse se sent immédiatement en harmonie, comme sur sa propre planète. Elle oublie la guerre en cours, les destructions, la menace. Dans un fracas, la citadelle se redresse, pierre par pierre. Talek arrive devant la déesse. Il regarde derrière lui ce prodige. Devant les murs qui se reconstituent, au loin, un homme seul marche, comme égaré. C’est Fermat, dont il a pourtant tranché la tête quelques heures plus tôt. Ce dernier tient dans sa main un pétale blanc unique, léger, fragile. Il le dépose délicatement à ses pieds. Par la volonté de la déesse, le pétale devient tige, puis arbuste. Elle fait pousser l’arbuste qui se change en arbre d’où grandissent de nombreuses branches qui s’étendent dans le ciel. Des fleurs blanches poussent sur cet arbre et constituent une canopée qui recouvre la plaine, la ville et les collines.

    Les soldats sont fascinés par le spectacle de cet arbre géant. ils sont submergés par un sentiment d’insignifiance. Ils laissent tomber leurs armes. Les dragons s’enfuient à tire d’aile retrouver le secret des fonds marins. Fou de rage, Hel se précipite vers la déesse pour la transpercer. Elderoden se place devant elle et reçoit l’épée dans l’abdomen. Talek retire son épée puis s’apprête à renouveler le coup. Il regarde alors la déesse, sa peau blanche, sa chevelure flamboyante, ses yeux clairs, la finesse de ses mains et la grâce de leurs mouvements. Il sait qu’il ne pourra jamais lutter contre sa pureté, sa beauté, la source de toute vie. Il éprouve un amour éperdu. Un amour impossible. Il est paralyzé par son incapacité à l’aimer comme il le devrait et son insignifiance. Il laisse tomber son épée, puis s’agenouille, le visage baissé, les yeux en pleurs. Sa douleur n’aura jamais d’issue.

    Les soldats rejoignent leurs vaisseaux. Puis les Talek viennent chercher leur souverain pour le ramener à bord, avant de repartir vers leurs terres.

    La Mapurna conduit jusqu’au bout la résurrection des soldats, des villes et des habitants. La reine Fathrage se retrouve face à Fermat, sous l’arbre géant, sans comprendre ce qui s’est réellement passé. Elderoden est toujours étendu, mais sa blessure ne saigne plus.

    Lorsque sa tâche est terminée, la déesse tend à Randt l’épée de terre. Axelle parvient au sommet de la colline, l’épée de feu à la main.

    C’est peut-être ça que vous chercher ? Ca trainait dans le coin…Nous voici avec les deux épées réunies, dit Randt. Cela ne s’est pas produit depuis des millénaires. Tant de pouvoir, que nous ne pouvons pas conserver.Ou bien qu’on garde bien au chaud pour pouvoir les réutiliser. Ca pourrait servir ! répond la jeune femme. Qu’en dites-vous, les marins ? Demande-t-elle aux O’guf’n.C’est une bonne question, répond Kak. Gardez-les pour le moment, nous vous donnerons une réponse très bientôt.
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  • Le dragon décolle et rejoint l’armée volante. Ils se dirigent vers la citadelle et commencent l’attaque. C’est un cataclysme. Les Kartaks propulsent des flammes sur les bâtiments. Ils entourent la cité et se dispersent dans chaque quartier. Les habitants sortent en hurlant. La chaleur est plus intense que dans un volcan, le feu dévore tout. Les survivants courent en panique pour fuir le danger mais ils sont rattrapés par les monstres volants. Les soldats sont réduits en cendre avant de pouvoir armer leurs engins. La reine apparaît en tenue militaire : « Crétin de Fermat, il a échoué ! Soldats, soyez fiers de votre réputation, luttez avec moi ! ». Mais la reine n’a pas le temps d’agir. Talek se jette de son dragon devant elle et lui assène un coup au ventre. Elle ne tombe pas immédiatement. Elle le regarde, comme interloquée par sa fin proche. Il fait jaillir la puissance de l’épée en frappant lourdement sur le sol. Comme embrasée par un soleil, la ville s’enflamme. La reine tombe carbonisée à ses pieds.

    A ce moment, Talek reçoit un coup dans le dos, qui le fait trébucher. Il se redresse, furieux. C’est un rocher, envoyé par un homme encapuchonné qui se tient au loin sur une des collines qui surplombent la ville. Des projectiles commencent à tomber autour de lui. Des rochers, des morceaux de terre, des racines d’arbre, de la boue. Talek reçoit un nouveau coup en plein visage, qui arrache un large lambeau et fait couler son sang. Il remonte sur sa monture et ordonne à tous de se diriger vers cet ennemi.

    Debout, sur la colline, se tient Elderoden. Il manie l’épée de terre que lui avait confié Randt. Talek comprend que la partie sera plus rude que prévu. En contrebas, toutes les armées réunies s’animent pour livrer le combat contre les dragons. Des projectiles sont lancés contre eux. Certains Kartaks s’effondrent dans un cri rauque sur le sol qui tremble sous le poids des monstres. L’armée volante arrive au-dessus des soldats et crachent des flammes, mais sans les atteindre. Les soldats semblent abrités derrière un bouclier infranchissable.

    Hel Talek se pose devant l’armée géante. D’un coup sec il abat son épée de feu. Les flammes surgissent au point de le rendre aveugle provisoirement. Quand les flammes et la fumée disparaissent il constate qu’elles n’ont pas eu l’effet désiré. Les soldats sont toujours debout. Cependant, au loin, le sorcier montre quelques signes de fatigue. Il a un genoux à terre, épuisé par la lutte. L’épée de Terre exige une énergie épuisante. Autour de lui, de petits êtres s’agitent pour le remettre sur pied. Il reconnaît les conseillers O’guf’n qui semblent bien impuissants dans cette situation, loin de leur base.

    Il profite de l’occasion pour provoquer une nouvelle explosion de flammes. Cette fois-ci, l’armée est frappée de plein fouet et réduite en poussière. Il jubile intérieurement. La victoire est proche. Il se précipite vers la colline. Alors qu’il est sur le point d’y arriver, il voit apparaitre trois nouveaux personnages aux côtés du sorcier. Il ignore qu’il s’agit de Randt et Axelle, accompagnés de La Mapurna.


  • Plusieurs semaines ont passé depuis le voyage d’Hervel. Il est rentré chez lui et a repris ses activités normalement. Mais une nouvelle s’est répandue dans tous les royaumes. La guerre fait rage dans les régions du sud. Un ennemi inconnu détruit tout sur son passage. Accompagné d’une armée de Kartaks, il ne montre aucune pitié. Ni la magie des vieux sorciers, ni les armes sophistiquées sortant des manufactures d’Eliade, ni les montagnes escarpées des Valteurs n’ont pu freiner sa progression.

    Fermat, qui réside toujours dans les Conquars, apprend la nouvelle sans surprise et avec dépit. Il sait ce que l’avenir lui réserve et il ignore toujours comment éviter l’inéluctable. Il pense au collectionneur qui doit attendre avec impatience cet épisode historique. Celui où, malgré une lutte acharnée, les rois et reines sont balayés d’un souffle. La reine Fathrage entre à ce moment dans ses appartements :

    Sir Fermat, nous devons agir, réunir nos troupes et nous préparer pour la bataille. Ce diable de Talek approche par ici. Dans moins d’une semaine il sera à nos portes. Nous saurons le recevoir !Reine Fathrage, j’estime votre courage et votre bravoure, mais il n’est pas d’issue favorable dans ce scénario. Comme je vous l’ai dit, la suite de l’histoire est déjà écrite. Nous serons réduits en cendres en quelques instants. Il nous faut agir différemment de ce que la stèle nous montre. Sinon nous serons éliminés.Voulez-vous ne rien faire ? Dans ce cas, ce sera peut-être une autre histoire mais le résultat sera identique ! dit la reine dans un hurlement qui raisonne dans les couloirs du château.Ce n’est pas ce que je dis. Vous m’avez fait venir ici. J’ai délaissé mes terres pour vous aider, alors ne prenez pas ce ton avec moi. Nous devons raisonner et éviter de nous trouver dans la configuration attendue.Comment faire ? Comment combattre et en même temps ne pas combattre pour ne pas craindre d’être battus ?Le collectionneur m’a laissé penser qu’il pouvait exister une version de l’histoire qui l’intéresse moins. C’est peut-être une version où le combat n’est pas mené, car si nous sommes victorieux, cela restera aussi intéressant pour lui que si nous perdons. Tant que c’est spectaculaire. Il nous faut trouver une issue pacifique et, disons-le, sans aucun intérêt pour lui.J’espère que vous avez une idée plus précise. Je serai en ce qui me concerne, sur le pied de guerre.

    Talek arrive devant les grandes falaises des Conquars, qui a si souvent mis en échec plus d’un ennemi. Il sait qu’il conduira ici l’ultime bataille de sa conquête. Déjà, le royaume de la reine a été coupé de ses sources d’approvisionnement. Elle est isolée. Il chevauche un Kartak, l’épée à la main, accompagné de son armée ailée qui vole au-dessus de lui.

    Fermat, sur la falaise, se présente seul devant lui, sans la reine ni aucune armée. Bien qu’il soupçonne un piège, le guerrier atterrit face à lui, sans descendre de sa monture.

    Tu es donc Fermat, le sorcier ! Et tu défends la reine Fathrage ?Je protège mes royaumes, qui sont nombreux.Acceptes-tu de devenir mon vassal, ou préfères-tu périr comme tous ceux qui ont essayé de me résister ? Est-ce une reddition ? Où sont tes armées ? Parle donc !Talek, c’est beaucoup plus simple. J’aimerais que nous soyons amis.

    Fermat souffle dans ses mains un pétale de fleur blanc qui monte et se dirige vers Talek. C’est un reste de Gorf, la plante psychotrope surpuissante, qu’il cultive en secret. Talek reste prudent et, regardant la scène lui demande :

    Qu’est-ce que c’est ? Oublie ta magie, Fermat, tes pouvoirs de sorcier ne m’atteignent pas !

    Il descend lourdement du Kartak, avance vers lui et d’un coup d’épée lui tranche la tête, qui roule sur la roche. Le pétale retombe sur le sol. Talek l’écrase de sa botte.

    Adieu…mon nouvel ami ! Dit-il avec sarcasme.

    Devant le spectacle de l’homme décapité, Talek sent soudain sa gorge se nouer. Il ressent un profond regret, comme s’il avait tué un frère. Les yeux embués, il fait demi-tour et remonte sur le Kartak. Le Kartak crache un feu qui réduit le pétale en cendres.

  • Les conseillers se tiennent sur l’un des pontons, face à l’embarcation dans laquelle Hel Talek s’apprête à monter.

    Hel, nous vous sommes reconnaissants de prendre en charge cette dangereuse mission. Tous les conseillers vous ont choisi, compte tenu de vos talents et de votre résistance physique. Nous savons que vous la mènerez à bien. Cette épée ne doit pas être découverte, ni tomber dans de mauvaises mains. Votre navire lui servira de cachette le temps du voyage, mais l’onguent protecteur que nous avons disposé autour de cet étui, qui la rend indécelable, ne durera pas longtemps.J’irai la placer au plus profond d’un volcan, au milieu de l’océan, ainsi elle se perdra à jamais dans la mémoire des hommes.Il est heureux que vous ayez eu cette initiative, Hel. Prenez bien soin de cacher l’épée avec son étui fermé. Il y a beaucoup de mystères actuellement, ne prenons pas de risque.

    Hel Talek monte dans le navire spécialement préparé pour cette mission. Kak ressent que l’ancien guerrier souhaite démontrer au conseil son implication dans la vie des O’guf’n et son désintérêt. L’étui, une sorte de boîte noire, lui est confiée. Il la range à l’abri, dans l’habitacle et met en marche le bateau qui file droit devant. Il parviendra à destination dans deux ou trois jours.

    Au même moment, Hervel grimpe dans un véhicule prêté par les O’guf’n, accompagné par quelques savants désireux de se rendre chez les Hallouis pour se procurer de la Rosat pour leurs préparations.

    Le lendemain, alors qu’il est déjà très loin du continent, Talek peut commencer à relâcher sa concentration. Quelques jours plus tôt, il a pris connaissance de l’arrivée des Hallouis et de cette épée surpuissante. Il a compris tout le bénéfice qu’il pouvait en tirer. Sa prise de distance avec le village atténue la connexion aux autres conseillers et à la source du savoir commun. « Il s’agit donc bien d’un savoir lié à la proximité avec une sorte de bibliothèque marine et non quelque chose que l’on garde en soi », se dit-il. Mais peu importe puisque son plan s’est déroulé comme prévu. Il se retrouve détenteur d’une arme fantastique. Ses idées de conquête pacifique ont désormais disparu. Avec cette arme, il fera couler le sang.

    Il pose l’étui sur le pont, fait sauter le verrou et sort l’épée. Il la manie quelques instants, ivre du pouvoir qu’elle dégage et dont lui, souverain de Talek, est désormais le possesseur.

    Ce jeune Hervel en avait usé de façon bien sommaire, ignorant les secrets qu’elle renferme. Dans une main experte, elle me rendra invincible.

    Il s’approche du bord du bateau et ferme les yeux. Les vagues commencent à se faire plus agitées et plus hautes. Des formes sombres tournent autour de lui dans les profondeurs. Le bateau est secoué par les mouvements de l’eau. Talek sourit à l’idée de ce qu’il verra bientôt devant lui. Soudain, des Kartaks aquatiques géants surgissent des flots, s’envolent en battant leurs larges ailes. Ces dragons, cachés depuis toujours dans les entrailles de l’océan, répondent à l’invitation de l’épée en crachant des gerbes de flammes en signe de soumission. Ils sont dix, puis vingt, puis cent à faire allégeance à leur nouveau maître. Hel Talek se retrouve entouré d’une armée de dragons.

    Pendant, ce temps, dans la salle du conseil :

    Conseiller Kak, notre plan se déroule comme prévu, mais je m’interroge toujours. Etait-il sage d’agir de la sorte ?Un ennemi plus fort augmente le nombre de ses ennemis, voyez-vous. Les pièces se mettent en place. Dès l’origine, c’est un pari risqué mais avions-nous le choix ? Notre meilleure arme est l’imprévu.
  • Il ralentit, rendu prudent par les récents événements. Il observe les O’guf’n de loin, puis il reprend sa marche. Arrivé à leur niveau, les autochtones entament la conversation :

    Soit le bienvenu Hervel. Nous sommes heureux que tu aies réussi à nous rejoindre malgré les embûches que tu as rencontrées. Nous pleurons la perte de Hartel, le sage. Nous le regretterons longtemps.Merci…vous êtes au courant de ce qui s’est passé et de la raison de ce voyage ?Oui, Hartel nous en a informés, à notre grand étonnement. Nous avons su que le sorcier Elderoden avait voulu s’emparer de l’épée. Ces événements sont très mystérieux. Ici, tu seras à l’abri et nous allons prendre soin de cette arme.

    L’ O’guf’n tend alors la main vers Hervel. Celui-ci hésite un instant. Il ignore pourquoi, mais ses pensées sont dans un brouillard. A qui faire confiance désormais ? Il commence à envisager l’éventualité de garder l’épée avec lui, jusqu’à ce qu’il y voit plus clair.

    Et pourquoi serait-ce à moi de prendre cette décision après tout ? pense-t-il. Ce n’est ni mon fardeau, ni ma mission, et j’ai déjà beaucoup donné…

    Se rappelant les souhaits d’Hartel, il décide de se débarrasser de l’épée et la donne au conseiller. Chose faite, il se sent plus léger et n’aspire qu’à repartir pour reprendre une vie normale.

    Merci, nous allons la mettre à l’abri immédiatement et te fournir un logement. Tu peux rester ici aussi longtemps que tu le souhaites.

    Plus tard, le conseil se réunit. L’épée a été posée au centre de la salle. Les O’guf’n ont les yeux fixés sur elle, mêlant admiration et crainte. Le conseiller Kak prend la parole en premier.

    Conseillers, cet événement imprévu me laisse perplexe. Hartel devait garder l’épée, protégée de tout sortilège, hors de la portée de ceux qui veulent s’en emparer. La cachette était parfaite et hors d’atteinte. S’il a choisi de l’extraire, c’est que quelque chose a changé. Il y a beaucoup de mouvements actuellement, je crains que l’essentiel nous échappe.Et pourquoi nous l’apporter ? Nous pouvons la dissimuler un moment, mais nous prenons un risque énorme de cacher un artefact si recherché parmi nous. Il pourrait être découvert et nous porter préjudice. Ce n’est pas notre rôle de la posséder !Nous avons fait prendre le même risque aux Hallouis depuis fort longtemps ! s’exclame un jeune conseiller.Non, c’est très différent. Nous avons donné une réponse à leur question. C’était en effet la meilleure option possible. Rappelez-vous que cette épée ne peut être détruite, mais à proximité d’une source incandescente elle n’est pas facile à déceler. C’est pourquoi Hartel l’avait cachée à cet endroit.

    Hel Talek observe sans prononcer un mot. Le conseiller Vak, qui n’était pas intervenu, commence à parler lentement en regardant chacun.

    Il y a de nombreux mystères en effet. Le comportement d’Hartel est difficile à comprendre, sauf s’il avait compris que cette découverte fortuite par le jeune Hervel changeait la donne. Il a anticipé la réaction des siens et les effets prévisibles si des étrangers venaient à l’apprendre. C’est sans doute pourquoi il a emmené Hervel avec lui avant qu’il ne divulgue ce qu’il avait trouvé.Il aurait pu simplement l’abattre, cela aurait résolu le problème…

    Hel Talek, vient de parler. Les conseillers se regardent, surpris de la réaction de l’ancien guerrier. En général, l’adoption d’un nouveau membre dans la communauté de savoir permet d’augmenter le niveau de sagesse, mais cette réaction du nouveau venu est inhabituelle. Néanmoins, Kak répond posément à la remarque.

    C’était en effet une option, Hel. Hartel a certainement pensé que le meurtre du jeune Hervel, s’il se justifiait théoriquement, était contre ses principes moraux et n’aurait pas manqué de susciter l’interrogation parmi son peuple. Sans compter qu’un funambulle est un personnage essentiel et très précieux chez les Hallouis.Je comprends, chers conseillers, répond Talek. Cette option n’était pas parfaite. Cependant, nous devons nous interroger sur ce que nous allons faire de lui à présent. S’il repart et qu’il raconte son histoire, nous aurons bientôt beaucoup de visites inamicales !Je crains que ce soit déjà trop tard, intervient Lezorte. La façon dont il a été libéré lors du dernier combat ne provient pas de l’épée, ni de sa volonté. Il n’avait pas le pouvoir de le faire. Je suspecte une intervention extérieure, dont je n’arrive pas à déceler l’origine. Quelqu’un voulait que l’épée nous revienne. Je crois qu’un grand danger nous guette.

    Le conseiller Kak, reprend la parole :

    Nous devons agir sur le psychisme du jeune homme pour lui faire oublier cet épisode et dissimuler l’arme de nouveau. Si nous y parvenons, Hartel aura eu raison d’entreprendre ce voyage.

    Kak partage avec ses condisciples le plan échafaudé. Il reçoit leur approbation immédiate. Ils se lèvent et ressortent de la grande salle pour se diriger vers leurs habitations.

  • Hervel et le maître Hartel sont partis du village aux premières heures de la matinée. Quelques armes, des provisions, un véhicule léger et une réserve de Rosat. Hartel a prévenu leur dirigeant qu’ils partaient pour une mission de la plus haute importance. Ce dernier leur a souhaité bonne route, sans demander plus d’explication.

    Ils ont pris la direction du village des O’guf’n, une route assez longue mais qui ne présente pas de danger particulier. Cette partie du continent est peu habitée et peu empruntée en cette période de l’année. Il en va différemment quand arrive la période des Réponses, car tous les peuples se rendent chez les O’guf’n pour obtenir leurs lumières sur de nombreux sujets.

    Leur véhicule, mû de façon autonome par l’énergie du Rosat, avance maintenant depuis 3 jours à grande vitesse à travers la prairie. La jambe d’Hervel ne le fait plus souffrir, c’était en définitive une blessure anodine qui cicatrise rapidement.

    Le véhicule franchit les herbes hautes sans montrer le moindre effort, glissant au-dessus du sol irrégulier. Le voyage est peu éprouvant pour les passagers, mais ils doivent rester attentifs, pour ne pas heurter un troupeau de balancelles effrayées ou une motte saillante.

    Hartel est perdu dans ses pensées. Depuis le début du voyage, il n’a pas beaucoup parlé. Hervel ne lui a pas posé de questions sur les raisons de ce voyage, ni sur les demandes qu’il compte faire auprès des O’guf’n, ni sur les raisons qui l’ont amené à l’inviter à ce voyage. Il le sent préoccupé et peu enclin aux discussions futiles.

    Soudain, le véhicule est soulevé et se retourne en pleine vitesse. Les deux Hallouis sont projetés hors de celui-ci. Ils retombent lourdement sur le sol, dans un cri de douleur. Hervel ne parvient pas à reprendre ses esprits immédiatement. Un voile noir l’empêche de voir et de comprendre ce qui vient d’arriver. Après un moment d’attente, il se redresse et commence à entrevoir le véhicule au loin, totalement détruit. Il en déduit qu’ils ont fait une erreur de pilotage. Il cherche du regard son maître, en espérant qu’il en soit sorti sain et sauf. Il tourne sur lui-même, regarde autour de lui pour le trouver. « Il doit être allongé au-milieu des herbes », se dit-il. Il faut à tout prix qu’il le retrouve. Il commence à courir, puis à l’appeler « Maître, où êtes-vous ? ». Dans sa course, il butte sur un paquet qu’Hartel avait soigneusement rangé parmi ses affaires. Éventré, il laisse apparaître le pommeau d’une épée. Il n’y a aucun doute : il s’agit de l’épée qu’il avait trouvée enfouie dans la terre. Il devine que ce voyage est lié à sa découverte. Il la ramasse, conscient de l’importance qu’elle doit avoir pour lui. En se redressant, il entend une voix au loin « Donne-la-moi immédiatement ! Elle doit y rester ! ». De l’autre côté, derrière la carcasse du véhicule, un homme vêtu de noir et mesurant près de deux mètres soulève Hartel par le cou en l’étranglant.

    Machinalement, Hervel pousse un cri et brandit son épée d’un air menaçant « Lâche-le ! ». L’homme se retourne brusquement et lâche Hartel. « La voici donc ! Merci, jeune homme ! ». Hartel, découvrant son apprenti muni de l’épée comprend le danger qu’il encourt « Non, Elderoden, laisse-le ! »

    Sans répondre, le sorcier se dirige rapidement vers l’apprenti, qui prend conscience du danger auquel il s’expose. Ne sachant quelle attitude adopter, il fait d’abord un pas en arrière puis se prépare au combat. Il brandit l’épée au-dessus de sa tête, alors que le sorcier est à sa portée, puis tente de lui donner un coup. Hélas, au moment où l’épée doit entrer en contact avec Elderoden, celui-ci disparaît et se retrouve derrière lui. Il reçoit alors un violent coup dans le dos qui le projette en avant. Propulsé par cet élan, il reprend l’équilibre et court aux côtés de son maître. Hartel est allongé et semble blessé.

    Je vais vous sortir de là, maîtreNon, répond Hartel dans un souffle. Hervel…l’épée…frappe…le sol… »

    Le sorcier se tient debout, au loin, mais ne semble pas vouloir s’approcher. Autour de lui le rejoignent deux êtres ailés, mi-humains mi-chauve-souris aux crocs aiguisés, qui s’envolent en direction des deux Hallouis.

    Hervel saisit la lourde épée à deux mains, la soulève puis l’abat violemment sur le sol, comme s’il voulait déchiqueter le ventre d’un ennemi à terre. Au même instant, Elderoden lève un bras comme pour tenter de dissuader le jeune homme, sans qu’aucun mot ne puisse sortir de sa bouche. Une gerbe de flammes jaillit autour du jeune homme et se répand en cercles successifs. Elle brûle les herbes, atteint le véhicule et fait exploser le Rosat éventré sur le sol dans des gerbes violacées.

    Hervel aperçoit les deux créatures au-dessus d’eux partir en fumée. Avant que les flammes ne l’atteignent, le sorcier disparaît, ne laissant derrière lui qu’un nuage de fumée opaque. La destruction est totale et les flammes se propagent sans obstacle. Les deux hallouis demeurent saufs, comme protégés dans un cocon au milieu du feu. Hervel soulève l’épée et les flammes disparaissent instantanément. Il se retourne vers Hartel. Il ne respire plus. Hervel est effondré. Il met un genou à terre et laisser couler ses larmes.

    Il reste longtemps à veiller sur la dépouille de son maître, à tenter de comprendre la succession des événements, mais sans y parvenir. Il hésite sur la marche à suivre, puis décide d’aller au bout de la mission. Visiblement, l’objectif pour Hartel était de confier cette arme puissante au seul peuple qui saurait l’utiliser à bon escient : les O’guf’n. Ils ne sont qu’à deux jours de marche. Bien sûr, il y a toujours le danger de voir Elderoden revenir, mais avec cette épée, il ne craint pas son retour.

  • Les tribus du nord de la région de l’Hallouis ne connaissent ni l’élevage, ni la pêche. Ils se procurent l’essentiel de leur nourriture dans les Bulles de Naïcho. Les bénéfices de ces bulles expliquent pourquoi, depuis la nuit des temps, ils n’ont jamais eu besoin de développer un autre savoir-faire que leur capture.

    Dès leur plus jeune âge, les enfants s’entraînent à les saisir, lors de leur mouvement ascensionnel, sans les toucher. Mais rares sont ceux qui développent une maîtrise telle qu’elle leur permettra d’en faire leur métier. Les Bulles proviennent de failles gigantesques situées dans les collines des Espartes. Des trous béants sur un vide sans fond, d’où montent lentement les bulles qui contiennent une matière rose odorante, la Rosat, qui fournit à celui qui la mange une énergie durable.

    Pour s’en saisir, les récolteurs, appelés les « funambulles », se déplacent au centre de la faille, sur une corde mince (pour ne pas prendre le risque d’abîmer les bulles ascendantes) fixée à deux poteaux. Une sorte de filet à papillon géant, au bout d’une tige, permet de les attraper. Après quoi, le funambulle doit délicatement l’ouvrir et déverser son contenu dans un panier.

    Les funambulles constituent une caste à part dans la société des Hallouis. Ils ne participent à aucune autre tâche, ni ne font la guerre. La survie du peuple, pour l’alimentation ou le commerce, repose entièrement sur leur savoir-faire. Ils vivent dans un confort particulier puisque, chaque mois, tous les habitants doivent leur faire honneur par des offrandes, pour mériter de recevoir la Rosat. Par ailleurs, si certains Hallouis ont tenté de développer l’agriculture, la chasse ou la pêche, ceci reste encore marginal dans leur économie. Dans certains cas, on combine la Rosat avec certaines plantes aromatiques pour créer des plats qui ont fait la réputation des Hallouis. L’accoutumance de la population est telle que ceux qui ont tenté de s’en passer devinrent si faibles qu’ils finirent par en mourir. D’un autre côté, un humain qui n’en aurait jamais absorbé prendrait un grand risque à en consommer en quantité sans préparation.

    Parmi ce peuple sans histoire, Hartel, le grand maître des funambulles transmet son savoir aux apprentis depuis des générations. C’est un personnage mystérieux qui conserve jalousement l’histoire des origines des Hallouis et du Rosat. C’est comme s’il avait toujours été vivant, d’aussi loin que remonte la mémoire des plus anciens. Parfois, il part des semaines entières pour revenir sans un mot et sans explications. Il ne détient aucun pouvoir formel, aucune fonction politique. Mais on lui reconnaît un autorité naturelle conférée par son importance dans la vie de la société.

    Hervel, un jeune funambulle, se trouve au-dessus d’une faille d’où montent lentement les Bulles de Naïcho. Malgré son jeune âge, il maîtrise parfaitement la technique de la capture. Il œuvre déjà depuis plusieurs heures, d’un pas assuré, et n’en laisse échapper aucun. Ses assistants, de chaque côté de la corde, l’observent respectueusement et récupèrent les bulles qu’il a déjà attrapées. C’est un travail qui exige concentration et délicatesse. Hervel ne s’applique pas chaque jour à cette tâche, car le risque d’un faux pas est omniprésent. Un repos régulier est nécessaire pour être pleinement opérationnel.

    Alors qu’il vient de faire quelques sauts en direction d’une bulle particulièrement volumineuse, un vent fort surgit et le déstabilise pendant la capture. Il glisse, manque de tomber, mais il se rattrape immédiatement au filin qui se brise sous le poids du jeune homme. Il le prend solidement en main pendant la chute vers les profondeurs de la faille, ce qui lui permet de basculer contre la paroi dans l’ouverture béante. De sa main libre, il cherche une prise dans la terre, pour s’assurer. Il agrippe ce qu’il croit être une racine et prend le temps de visualiser sa position. Il se trouve plusieurs dizaines de mètres en contrebas, mais assez en amont de la lave d’où continuent de monter le Rosat dans une lenteur indifférente. Ses esprits retrouvés, il évalue la difficulté pour remonter à la surface. Dans sa chute, il a heurté une pierre qui l’a blessé à la jambe. Il se rend compte que sans une aide rapide il ne pourra pas tenir longtemps dans cette position. Une telle situation s’est déjà produite pour d’autres Hallouis. Il vérifie que la racine qui lui sert d’appui est solidement ancrée dans la terre. Ce n’est pas une racine ; c’est la poignée d’une épée.

    Ses assistants ont couru dans le village pour appeler de l’aide. Hartel est sorti de sa demeure et les a accompagnés aussitôt. Il a fait tendre d’autres cordes autour de la faille, attachés aux pylônes, et a fait descendre des compagnons le long du précipice. Arrivés à la hauteur de Hervel, ils lui ont attaché un harnais et l’ont fait remonter lentement jusqu’à la surface.

    Plus tard, Hervel se repose chez lui, un pansement sur la jambe. Hartel, le maître des funambulles, est venu le voir personnellement pour prendre de ses nouvelles.

    Je me remets, je suis tombé à cause d’un coup de vent violent. Mon fil s’est rompu…pas de chance aujourd’hui !C’est notre devoir de nourrir notre peuple. Cela présente des risques. Tu t’en es bien sorti et tu t’en remettras rapidement. Ton parcours ne fait que commencer.Oui maître, j’ai quand même eu de la chance qu’il y ait eu cette épée sortant de la terre, sinon je n’aurais pas su à quoi me raccrocher sur cette paroi !Une épée, dis-tu ? Il hésite quelques instants et ajoute : As-tu vu comment elle était, s’il y avait des marques particulières ?Non, elle était pleine de terre…mais la poignée était richement décorée, je l’ai senti en la serrant pour ne pas tomber ! Croyez-vous qu’elle puisse avoir été posée là avant l’arrivée des fondateurs Hallouis ? C’est étrange que personne ne l’ai découverte avant !

    Le maître semble gêné de la question, qu’il élude rapidement

    Je ne crois pas, dit-il, quelqu’un l’a certainement perdue sur un champ de bataille il y a fort longtemps, voilà tout ! Mieux vaut l’oublier. Et puis, il faut éviter qu’un fou ne se tue à essayer de la récupérer !

    Hervel a appris à ne pas le contredire et il approuve ses propos. Le soir venu, un homme recouvert d’une cape se tient au-dessus de la fosse. Il s’agit de Hartel, qui s’est glissé discrètement à l’extérieur à la faveur de la nuit. Il évalue la meilleure façon de descendre chercher cette arme, sans prendre trop de risques. Il doit agir seul. Il s’attache au filin, resté provisoirement en place à la suite de l’incident, et commence à descendre doucement le long de la paroi. Sa dextérité, malgré son grand âge, lui permet de trouver une prise à chaque mouvement. Après dix minutes de descente dans l’obscurité, il parvient à l’endroit où l’épée est enterrée. Il saisit le couteau à sa ceinture et entaille la terre pour libérer l’arme. Il tire la poignée et, après quelques efforts, sent le métal glisser vers lui. Il l’extrait entièrement et l’observe. En dehors des traces de terre, elle ne semble pas abîmée. Une flamme géante est dessinée sur la lame.

  • L’attaque a été foudroyante. Comme apparus de nulle part, les aéronefs se sont positionnés au-dessus de la ville et ont abattu les rares navires ennemis en quelques minutes. Les soldats ont rapidement déposé les armes, suivant les ordres du conseil. Un bain de sang a été évité. Le peuple O’guf’n, après des siècles de paix et de liberté, s’est retrouvé envahi par une puissance étrangère, les Talek. La ville est à présent sous contrôle de l’armée. Le couvre-feu a été instauré.

    Escorté par sa garde rapprochée, Hel Talek, souverain des Taleks, se dresse en conquérant devant les membres du conseil. Humiliés, ils ont été placés à même le sol d’une grande bâtisse, entourés de gardes armés. Leur défaite fut instantanée, surpassés par la puissance militaire et technologique de l’ennemi. Leurs pouvoirs télépathiques n’ont eu aucun effet sur eux, ni la peur des représailles d’une autre armée alliée. La victoire est foudroyante et totale. Hel Talek n’en tire aucune satisfaction particulière. C’est la première étape dans son plan, qu’il mènera patiemment à son terme. Après un moment de silence, il s’adresse aux conseillers :

    Ainsi, les voilà les fameux conseillers. Les pêcheurs-savants », dit-il avec une pointe d’ironie. On m’a parlé de votre savoir, enfermé quelque part, accessible par télépathie uniquement, et dont vous refusez le partage depuis toujours. Cette époque a cessé, j’en serai désormais l’unique bénéficiaire. Il se trouve que nous avons dans notre lignée quelques facultés dans ce domaine, qui nous a en particulier protégé de votre émissaire ridicule, qui pourrit au fond de la mer à l’heure qu’il est. Votre secret doit être révélé immédiatement. Sinon, à chaque minute qui s’écoule, nous tuerons dix O’guf’n. C’est aussi simple que cela. Je vous écoute.

    L’un des conseillers se lève et prend la parole.

    Je parlerai au nom de tous. Vous êtes victorieux, en effet. Nos faibles armes ne pouvaient rien contre votre puissance de feu. Nous sommes un peuple pacifique, qui n’a jamais souhaité que partager son savoir avec le plus grand nombre. Notre rôle de conseiller est aussi de protéger notre peuple. Ce que vous appelez un secret n’en est pas un. Nous pouvons vous en faire profiter immédiatement. Il n’est pas accessible au reste du monde, d’un côté pour le protéger, et de l’autre car il faut des capacités cérébrales particulières. C’est manifestement votre cas. Si vous le souhaitez, vous pouvez bien volontiers entrer dans notre communauté de savoirs.

    Hel Talek se méfie d’un piège tendu par le conseil, mais il ne distingue aucune tromperie dans le psychisme de son interlocuteur. Il souhaite sincèrement ce qu’il a exprimé, ou bien ses facultés de dissimulation sont au-delà de ce qu’il a pu anticiper.

    Parfait, je vois que vous êtes sages. Je vous préviens que s’il m’arrive quoi que ce soit, mes généraux ont l’ordre de raser la ville. Conduisez-moi à votre sanctuaire !

    Les conseillers se lèvent et passent devant le souverain, qui leur cède le passage. Everin, son second, qui s’est fait discret jusqu’à présent, le prévient :

    Il se trame quelque chose, majesté. Il n’y a aucun doute qu’ils partageront leur savoir avec vous, sans risque pour votre santé, mais ils ne nous disent pas tout.

    Hel Talek prend note sans répondre et emboîte le pas des conseillers. Après quelques minutes, ils ouvrent la lourde porte d’une bâtisse située au ras de l’eau, certainement l’une des plus anciennes. Le bois au sol est encore humide d’inondations passées dues à la montée des eaux en hiver. Ils se placent contre le mur et demandent à Hel de se positionner face à eux. Aussitôt fait, ils se retrouvent transportés dans une sorte de conduit caverneux, dont les murs sont parcourus des minces filets rouge-sang. Il emprunte ce chemin et arrive dans une grande salle, au croisement de plusieurs de ces tunnels. Les filets montent jusqu’au plafond et s’y regroupent au centre. De cet endroit tombe, goutte à goutte, un liquide vermeil qui disparaît dans une cavité rocheuse.

    Le savoir s’écoule ici, précise un conseiller. Chaque goutte contient notre savoir universel. Vous devez verser votre sang pour vous unir aux savoirs ancestraux et entrer dans la communauté des conseillers.

    Excité par la perspective de voler les informations qui dorment ici, il prend un couteau et s’ouvre la main. Il laisse couler une goutte de sang, qui vient rejoindre les autres dans la cavité. Il ne ressent aucun effet particulier et sent sa colère monter. Il est sur le point de lancer un ordre pour les abattre, mais il remarque que sa réflexion est soudain plus profonde, plus rapide. Il n’est pas plus intelligent, mais il évalue d’autres options, anticipe les réactions à plus longue échéance, à plus grande échelle. Il parvient à une conclusion équilibrée, juste, en conformité avec ses intentions. En un mot, plus raisonnée. Il sourit en comprenant qu’il a obtenu ce qu’il était venu chercher. Il se retrouve de nouveau dans la maison humide, face aux conseillers, qui ajoutent :

    La cérémonie est achevée. Bienvenue dans notre communauté de savoirs, conseiller Hel

    A présent, il est temps pour lui d’éliminer ces parasites comme prévu puis de continuer ses conquêtes. Mais il s’interroge : « Ne serait-il pas plus malin de les laisser en vie et d’user de leur influence sur les autres peuples pour conquérir pacifiquement ? Ainsi, nous pourrions profiter de leurs richesses dans la durée, plutôt que de les massacrer pour prendre ce qui existe actuellement. Nous pourrions devenir leurs maîtres, agrandir notre domination, régner sur leurs esprits, profiter de ce qu’ils produisent, les punir à notre volonté, sans même lever une arme ou perdre un soldat. Je serai adulé, respecté, craint, je serai plus qu’un empereur, je serai un dieu vivant ! Nous construirons un temple géant à ma gloire. Ce monde m’appartiendra ! Pour le moment, il faut que les O’guf’n continuent de vivre sans être inquiétés, puis, sans qu’ils le sachent, nous tisserons notre toile. »

    Il sent une ambition nouvelle le posséder, comme une force qu’il avait toujours gardée en lui mais qui ne s’était pas encore révéler. Son nouveau plan lui semble d’une intense clarté. Il compte bien l’appliquer jusqu’au bout.

    Il répond : « Merci conseillers, j’accepte avec plaisir d’en faire partie. Conformément à mes engagements, je vous laisse la vie sauve et je m’installe ici.». Puis, devant le visage surpris de son Second, qui l’accompagne, il lui précise en aparté : « Je t’expliquerai ce soir… »

    Le soir venu, Everin se promène dans les rues de la ville, l’esprit chargé de questions. Il y croise l’un des conseillers, qui était resté silencieux toute cette journée.

    « Bonsoir, conseiller », dit-il avec un air suffisant.

    « Bonsoir, vous profitez de la douceur de l’air marin ? Ce fut une journée mémorable, n’est-ce pas, telle que nous n’en avions pas eues depuis fort longtemps. » répond-il avec nonchalance, comme si aucune guerre n’avait eu lieu, comme si cette journée avait surtout été l’occasion de festivités attendues.

    « En effet…je me demandais : avez-vous déjà été attaqués ou votre savoir vous a-t-il toujours protégés ? Pourquoi aucun autre peuple n’a tenté de vous envahir ?», demande le second.

    « Les O’guf’n ont régulièrement été l’attaque de tribus, de sociétés, en quête de savoir. Mais nous savons qu’il y a plusieurs manières de gagner. Ce fut chaque fois une source d’enrichissements et de progrès pour nous, car en rejoignant la communauté de savoir, chacun apporte aussi ses connaissances à cette communauté. Et les Talek en sont très riches ! »

    Everin reçoit cette révélation comme un choc. Ainsi, leur savoir, leur technologie, serait désormais dans les mains de ce peuple ? Comment avait-il pu être aussi naïf ? Cela changeait tous l...

  • Il est arrivé de l’horizon, au large du village des O’guf’n, sur un maigre voilier. A la vue des étranges demeures cubiques en escalier, posées sur la mer, comme en équilibre au milieu des vaguelettes, il a orienté le gouvernail pour contourner l’obstacle. Puis il s’est échoué sur une plage de sable de fin, devant l’orée de la forêt déserte. Il a observé les bâtiments au milieu des vagues et s’est étonné que les autochtones ne profitent pas de cet endroit paradisiaque sur le rivage, au lieu de s’entasser dans ces petites batisses inconfortables.

    Il tire son navire sur la plage et commence à marcher sur le sable à la recherche de nourriture. Quelqu’un l’aperçoit au loin, dans le village, et lui fait signe. Il répond machinalement d’un geste du bras. Il comprend que ce geste, qui lui semblait amical, est une mise en garde, contre une proche menace. Mais quelle menace ? Il se retourne, regarde en l’air, autour de lui, puis décide de se protéger pour y faire face et revient vers son bateau d’un pas rapide.

    Pendant sa course, le sable s’effondre devant lui. Une mâchoire géante en sort. Il saute par-dessus l’étrange créature pour éviter de finir broyé dans sa gueule. Il accélère sa course. Arrivé à son bateau, il agrippe une corde et grimpe en un éclair pour y monter, alors que l’animal vorace sort de nouveau du sol pour tenter de l’engloutir. Il brandit une arme et tire dans sa direction, la faisant exploser au premier rayon, puis il tombe, sonné par la scène éprouvante qu’il vient de vivre. Il regarde de nouveau vers les cubes, où des centaines de spectateurs ont assisté à la scène.

    Un navire se dirige alors vers lui à toute vitesse. Il comprend qu’il va devoir donner quelques explications.

    Les autochtones l’ont conduit dans une salle fermée au coeur du village.

    Etranger, nous avons besoin de comprendre, de savoir qui tu es et d’où tu viens. Peux-tu nous éclairer sur ce sujet ? dit le Gardien, responsable des forces armées, avec une amabilité inattendue.Je suis un voyageur. Je passe d’île en île en quête de savoir et de sagesse. Je viens d’un continent lointain, que ma mémoire a hélas effacé au fil des jours. Les réponses que nous attendons de toi devront nous être fournies. Je vois que tu ne connais pas notre peuple et que tu viens d’ailleurs. L’arme dont tu as fait usage démontre un savoir technologique. Nul être n’en possède de tel par ici, mais nous en avons d’autres, différentes. Nous devons déterminer si toi, ou tes semblables, représentent une menace pour notre vie. Peux-tu nous y aider ?Je serais heureux de le faire, mais je ne sais plus vraiment. Cette arme était dans mon bateau quand je me suis réveillé, un jour, au milieu de l’océan. Je sais l’utiliser, mais je ne sais pas pourquoi. J’ai déjà remarqué qu’elle suscitait beaucoup de curiosité. J’essaie en général de la cacher ! Mais cette fois le danger était trop grand.En effet, les créatures des sables ne laissent que rarement des survivants. Bien, merci, je vais en délibérer avec le conseil.

    Il sort de la pièce et longe la passerelle, face à la grande plage. Le voyageur regarde autour de lui et se dit que la pièce ressemble plus à une maison qu’à une cellule. Il attend une heure, sans chercher à fuir, puis l’autochtone revient, accompagné d’un individu visiblement plus vieux qui s’assoit devant lui. Il lui dit :

    Nous te croyons mais nous avons besoin de réponses. Aussi, nous allons de nouveau t’interroger, de façon plus poussée. Nous voulons savoir qui tu es et si ton peuple représente une menace.

    Calmement, le navigateur répète ses propos au nouveau visiteur qui ne semble pas l’écouter. Il le regarde dans les yeux sans bouger, puis sort de la pièce en silence. Il détient les informations qu’il était venu chercher. Il rejoint un ponton, descend quelques marches et entre dans une embarcation qui l’emmène vers un autre bâtiment. Il pénètre dans une vaste pièce et s’assied au milieu des autres conseillers qui l’attendent. La conversation s’engage entre les conseillers.

    Maintenant que nous savons, il nous reste à décider. Leur arrivée est une menace non seulement pour nous mais pour tous les royaumes. Nous n’avons pas pour rôle de les protéger. Notre générosité à leur égard ne signifie pas que nous devons agir dans le sens de leurs bénéfices. Nous devons laisser s’appliquer le destin et protéger nos intérêts propres. Ces êtres ont compris les avantages de venir nous massacrer en premier lieu. Tous ceux qui nous prennent pour des référents inattaquables en seront bouleversés, affaiblis. Il sera plus simple pour eux de conquérir le continent. Avec leurs armes et leur détermination, ils bénéficient d’un avantage évident, mais nous avons un atout. L’équilibre bâti depuis des siècles risque de s’effondrer. Nous avons cette avance, nous connaissons leurs plans. Comment l’utiliser au mieux ?

    Le Gardien, qui les a rejoints, lui répond.

    Notre armée ne peut les vaincre. Nous pouvons alerter nos alliés ou utiliser nos talents psychiques, mais ceux-ci ne s’exercent qu’à courte distance, or nous ne savons même pas où se trouvent nos ennemis à l’heure actuelle ! Nous connaissons seulement leurs intentions de conquête. Nous pourrions aussi tenter de fuir, mais c’est trop risqué pour nous de nous éloigner de la mer, comme vous le savez.

    Les autres conseillers acquiescent.

    Nous avons la réputation de toujours trouver la réponse aux questions. La voici donc résumée : comment pouvons-nous survivre à l’attaque d’un ennemi lointain, inconnu et mieux armé ?

    Le lendemain, le navigateur reprend la mer. Il s’éloigne de la ville marine, en direction de l’horizon. Un nouveau passager l’accompagne. Un conseiller qui s’est présenté comme « chargé des relations diplomatiques », qui l’a prié de le prendre à bord pour nouer des liens avec son peuple. Le marin l’a prévenu : il ne sait pas s’il pourra les rejoindre puisqu’il a perdu son chemin. Un tel voyage peut être éprouvant ! Lui-même, bien que robuste, a été souvent secoué par des tempêtes particulièrement violentes.

    Les jours suivants sur le navire s’écoulent sans tempête, en toute tranquillité. Rien ne vient modifier le cours de leur voyage, où chaque jour ressemble au précédent. Mais, un matin, un rayon bleuâtre provenant du ciel s’abat sur le bateau et traverse les deux équipiers, qui disparaissent instantanément. Il se retrouvent soudain au centre d’une grande pièce sombre et ronde. Perdu quelques instants par le voyage inattendu, le conseiller tente de se redresser. Il sent un coup au cœur qui le foudroie. Il s’effondre aussitôt dans un rictus de douleur.

    Le marin se lève à son tour et, voyant le conseiller agoniser sur le sol, fait un pas en arrière.

    Qui est là, que voulez-vous ?

    Deux hommes s’approchent de lui.

    Suis-nous, éclaireur, nous allons te rendre ce qui t’appartient. Et pour commencer ta mémoire. Tu as fait ce qu’il fallait.

    Ils le conduisent à l’extérieur de la pièce, sans résistance de sa part.

    Hel Talek sort de l’obscurité. C’est un homme imposant, revêtu de l’armure traditionnelle des rois de Talek. Il s’approche du corps inerte de la victime et le saisit par les cheveux pour mieux le regarder.

    Voici donc l’allure d’un O’guf’n ! Ce pauvre télépathe qui voulait nous convaincre de partir !

    Il ajoute, en rejetant la tête du conseiller en arrière :

    Débarrassez-moi de ça

    Il se tourne vers un homme, resté dans l’ombre.

    Tu avais raison, c’est un continent très riche, mais assez mal défendu. Une fois débarrassé des O’guf’n, nous pourrons engager la conquête. Tu m’avais parlé d’une arme puissante, où est-elle ?Patien...
  • « Que le conseil des sages commence. »

    Les conseillers O’guf’n s’assoient en cercle sur une plateforme de bois recouverte d’un toit de poutrelles, dans une bâtisse reposant au milieu de l’océan. Ils ne prononcent aucun mot, l’essentiel de leur dialogue est perçu dans leurs esprits, ce qui assure une totale confidentialité et une précision inaccessible au langage vocal. Ce qui suis est une tentative de retranscription de leurs échanges.

    Le mouvement du monde suit un parcours linéaire, tel qu’il était prévu depuis la nuit des temps. Les peuples résistent aux difficultés de la vie mais continuent leur expansion, sous le contrôle de dirigeants plus ou moins avisés. Le regroupement des royaumes ne fait aucun doute pour l’avenir. Certains pourraient encore se montrer hostiles à notre égard, pour éviter que leurs ennemis ne bénéficient de nos réponses en nous soutirant de force des stratégies victorieuses. Notre conseil doit statuer sur l’usage de notre influence pour favoriser une évolution géopolitique qui irait dans notre intérêt.Jusqu’à présent, nous nous sommes interdits d’influencer leurs jugements et nous sommes naturellement devenus indispensables à leurs yeux. Notre impartialité est notre force et elle est la garantie de notre longévité. Nous accompagnons ceux qui le demandent car nous sommes convaincus que le savoir partagé est source de sagesse et de paix. Nous serons prêts à nous défendre, avec nos alliés, s’il le faut, mais nous ne devons interférer dans la continuité de leurs destins.Mes amis, ne nous voilons pas la face, affirme un jeune conseiller. Nos pouvoirs télépathiques nous donnent la puissance d’influencer chaque visiteur. Vous savez comme moi que les conseils avisés que nous prodiguons s’accompagnent d’une influence systématique pour leur faire accepter ces conseils, ce qui les rend plus dépendants à chaque visite.Je loue vos efforts pour évoquer ces points avec objectivité, lui répond le conseiller. Il est toujours complexe d’analyser l’impact exact de nos pouvoirs télépathiques, puisque nous en sommes à la fois le créateur et l’analyste, mais je reste convaincu que le libre-arbitre n’est pas modifié chez nos visiteurs. La gratitude qu’ils nous témoignent provient de leur satisfaction liée aux conseils reçus, pas d’une quelconque influence invisible. Je le crois.Et pourtant cher conseiller, il est une dérive inquiétante qui a débuté il y un siècle. Malgré nos efforts pour rétablir une perception lucide de la vérité, certains nous considèrent comme des dieux omnipotents. Ils ne viennent plus pour obtenir des conseils mais des recettes miraculeuses. Un jour viendra où ils pourraient nous reprocher de n’être pas intervenus pour résoudre une situation périlleuse. Vous savez comment l’émotion peut rendre aveugle. Nous seron sommés de prendre en charge toute exigence.

    Kak, que chacun considère comme le premier d’entre eux, prend la parole :

    Il ne nous est pas permis de sortir de notre rôle. Nous disposons d’un savoir assorti d’un pouvoir. Tous les peuples doivent en bénéficier. En contrepartie, nous y avons gagné le droit de vivre pacifiquement. Nul ne peut connaître l’impact psychologique de notre aide et notre loi interdit formellement l’influence directe. Tout comme il n’est pas dans notre intention de paraître des dieux et d’en hériter des obligations qui y incombent.

    Le jeune conseiller Vak répond :

    Cher ami, j’entends la sagesse de vos propos. Ils s’appliquent avec succès depuis des générations et je n’imagine pas le remettre en cause. Toutefois, si le bonheur de notre peuple était en jeu, ne devrions-nous pas faire évoluer notre législation ?Depuis toujours, nous respectons toutes les créatures de Malderève. A titre d’illustration, nos aïeux ont préféré habiter sur l’océan, dans ces humbles maisons de bois, plutôt que de chasser les Croches des sables et bâtir des palais. Si un danger plus grand apparaissait, nous chercherions de nouveau une issue pacifique.Pourtant, lors de la Guerre des Marées, nous avons utilisé les engins militaires de nos alliés et nos pouvoirs télépathiques contre l’ennemi. Les pertes furent nombreuses. S’il le faut, nous recommencerions, n’est-ce pas ? Ne serait-il pas plus simple et plus pacifique d’agir avant qu’une guerre éclate et ne nous oblige à commettre des actes que nous réprouvons ? Un coup de pouce invisible pour éviter des millions de morts, n’est-ce pas raisonnable et mesuré ? Nous devons changer la loi !

    Les propos de Vak ont porté. De nombreux conseillers expriment une approbation nuancée. Le conseiller Kak connait la dérive d’une telle décision, car la notion de « raisonnable et mesuré » peut s’élargir au gré des circonstances. Demain, l’influence peut concerner les débouchés commerciaux, les mariages entre souverains ou la recherche scientifique. Sous prétexte de défense des intérêts du peuple, les ambitieux chercherons à accroître leur pouvoir. Ils étendront leur domination au gré des demandes des peuples placés sous leur dépendance, et heureux d’être mis en servitude volontaire.

    Kak, fait la synthèse de la décision équilibrée du jour, avec l’approbation des conseillers.

    – Nous décidons que la démarche pourrait exister. Dans une circonstance exceptionnelle, il sera validée en amont par le conseil, qui désignera un responsable unique de l’influence, dans un objectif formalisé et au cœur d’une stratégie délibérée.

    Au même moment, en Garutie, Fanny couche son enfant dans son lit. Il y a encore un an, il était destiné à une mort certaine. Une malformation cardiaque le rendait inapte à la vie. Abattu par la tristesse, ne pouvant affronter cette situation dramatique, son mari l’avait abandonnée. Elle vivait seule, avec sa peine et la mort programmée de son enfant devant elle. Sa dernière chance se trouvait chez le peuple de la mer. Elle s’était donc rendue au Palais de Réponses, avait attendue des heures sous le soleil, avant de se retrouver face à l’un des conseillers, pleine d’espoir.

    Fanny avait formulé sa requête, répétée mille fois dans sa tête sur le chemin. Le conseiller avait fermé les yeux et avait fourni l’unique solution qui lui permettrait de maintenir son fils en vie. Puis on l’avait conduite rapidement vers la sortie sans qu’elle puisse formuler un remerciement, les yeux noyés de larme. De retour chez elle, elle avait appliqué à la lettre les recommandations. Elle avait tout donné pour obtenir les produits nécessaires, elle avait veillé des mois sur sa progéniture. La guérison fut lente, mais l’enfant survécut.

    Fanny avait reçu un coquillage de la main des O’guf’N, simple bibelot offert à chaque visiteur comme souvenir de visite du Palais des Réponses. Elle le plaça à leur retour sur le bord d’une petite fenêtre de sa chambre, pour ne plus jamais y toucher.

    Ce soir, comme chaque soir, elle se met en tailleur devant lui. Elle ferme les yeux et prononce les mêmes phrases : « merci, peuple de la mer, merci de vos bienfaits. Je vous en supplie, préservez encore mon enfant… »

  • Le peuple des O’guf’n habite dans la partie sud du continent, près de l’île des Grâces. Leurs habitations sont intégralement construites sur l’eau. La mer calme reflète les habitations comme un miroir déformant. De forme cubique, elles s’entassent les unes sur les autres et forment des grappes colorées qui reposent sur des pylônes plantés profondément dans le sol. De loin, elles ressemblent à des maisons construites sur le flanc d’une colline, mais si l’on en fait le tour, on se rend compte qu’il n’y a d’autre flanc que les autres maisons sur lesquelles elles s’appuient. Sans doute pour anticiper une montée des eaux, le premier étage habitable se trouve en hauteur, auquel on accède par une corde ou une échelle. Le choix de ce lieu d’habitation est lié à la présence de dangereux prédateurs sur la rive, qui se déplacent sous la surface et peuvent ressortir d’un coup pour dévorer le malheureux villageois égaré.

    En conséquence, leur économie est essentiellement maritime : élevage, agriculture, minerais, manufactures sur pilotis, etc. Certains, mais ils sont encore rares, ont développé un système de cordes pour se déplacer en hauteur entre les arbres et éviter les créatures mortelles. Mais il s’agit souvent de la volonté de démontrer aux autres O’guf’n qu’ils sont plus courageux ou plus libres. En réalité, il n’y a rien à faire à terre, sinon récupérer quelques matériaux de temps à autres.

    Ce mode de vie s’est développé au cours des siècles. Mais surtout, les O’guf’n sont connus pour avoir développé une science de conservation minutieuse des savoirs et des récits. Une grotte souterraine, dont la localisation n’est connue que de quelques savants, contient paraît-il des textes gravés continuellement par des scribes. Selon les bribes d’information qui ont été communiquées, il semblerait que les O’guf’n aient inventé une méthode d’écriture sur l’eau. L’eau disposée dans une cuve serait gravée de façon indélébile puis entreposée dans des coffres géants. La méthode de classement permettrait de retrouver rapidement chaque texte…à moins qu’il ne s’agisse d’une forme de télépathie qui communique avec l’eau. Ceci n’a pas encore été clarifié.

    Mais l’information étant très accessible pour lui, ce peuple a gagné une réputation de sagesse et d’expertise dans tous les domaines. La conservation du savoir ancestral rend les avis des savants très recherchés par tous les royaumes. Leur secret est bien conservé. Personne n’aurait intérêt à déclarer une guerre qui pourrait mettre fin à cette source de connaissance. Les O’guf’n ont rendu souvent de nombreux services : Ils ont permis d’éradiquer la Yawun mauve, terrible maladie contagieuse qui a exterminé la majorité des humains aux yeux mauves, arrêté la prolifération des Zombres, des insectes mangeurs de rêves, mis fin à la stérilité du roi de Garutie, dont le million de descendants se dispute maintenant la couronne lors de batailles épiques, ou trouvé un mode de communication avec l’étrange Garflix, extra-terrestre géant posé un matin sur la place du marché de la capitale du Nord.

    Face à la croissance des demandes en tous genres et des visites inopinées dans leurs villages, les O’guf’n ont décidé de mettre en place chaque année une semaine de consultations ouvertes à tous. Une bâtisse noire fut construite au milieu de l’océan, le « Palais des Réponses », arrimé au rivage par un pont de plusieurs dizaines de mètres. Le « palais », qui est en fait une grande maison dans la pure tradition locale, est aussi une source de revenus importante.

    Le spectacle est chaque année saisissant : une foule se masse sur le pont. Chacun à son tour peut passer devant le collège des sages, qui ont la réputation de donner une réponse infaillible à chaque demande. Cela peut aller d’une question sur la période de floraison des Rosats ou du moyen de retrouver l’amour perdu d’un être aimé. Bien entendu, la mise en œuvre de la solution peut être complexe, mais la faisabilité n’est pas le problème des sages. Toutes les questions, et leurs réponses, sont soigneusement classées et répertoriées pour nourrir l’encyclopédie sous-marine. Certaines questions sont toutefois interdites, notamment celles qui mettraient en danger les O’guf’n ou leurs visiteurs.

    Certains monarques et grands dirigeants ont interdit aux citoyens de se rendre au Palais des Réponses, pour ne pas perdre l’autorité et la toute-puissance conférées par leurs fonctions sur leurs sujets, au profit des O’guf’n. Les plus belliqueux ont parfois envoyé leurs armées pour détruire ces concurrents, mais ils ont toujours été mis en déroute, par la ruse ou la technologie des O’guf’n et la défense organisée par les autres peuples qui ne voulaient perdre le bénéfice de leurs conseils. Si bien qu’aujourd’hui personne n’aurait l’audace de remettre en cause leur neutralité.

    On prétend que les monarques obtiennent des entrevues secrètes dans la ville des O’guf’n sur des sujets d’ordre politique ou militaire. En constatant la frugalité de leur vie quotidienne et leur absence d’ambition politique, on ne peut qu’y voir une façon de maintenir leur bonheur et de faire du commerce pacifiquement. Certains murmurent que ce peuple de l’eau, grâce aux conseils avisés offerts aux uns et aux autres, est le vrai maître du continent.

  • Le mage Fermat a prié qu’on le laisse seul dans la caverne aux stèles. Cette découverte va plus loin que ce que tous imaginent. Les stèles représentent des scènes du passé et du futur, qu’il devrait être impossible d’observer. Pourtant, il ne s’agit pas d’une mise en garde provenant d’un protecteur secret. Il s’agit selon lui d’une salle des trophées morbide, entretenu par quelqu’un pour qui le temps n’a pas d’importance. En passant par cette faille, dans cette grotte, on entre dans un lieu hors du temps qui fixe pour l’éternité les grandes victoires.

    C’est beau, n’est-ce pas ? dit une voix derrière lui

    Instinctivement, le mage brandit son épée, prêt à combattre. Mais il n’aperçoit qu’un petit homme trapu, à moitié chauve, qui ressemble plus à un bibliothécaire qu’à un combattant. Il reste cependant en garde.

    Qui es-tu ? demande-t-ilJe suis l’auteur…j’espère que ces fresques vous plaisent ! Vous êtes l’un des principaux acteurs de la dernière…même si vous n’êtes pas victorieux de l’épopée qu’elle retrace, reconnaissez qu’il est flatteur de faire partie de ma grande collection !Collection ? Vous avez donc massacré tous ces gens ? Pourquoi cette stèle représente-t-elle le futur, comme s’il était déjà écrit ?Oh non, je n’ai ni l’envie ni le pouvoir de massacrer qui que ce soit. Voyez-vous, je suis en effet un collectionneur et un historien. Ce type de salle se trouve dans chaque monde que j’ai visité. J’ai entreposé des scènes fascinantes de l’Histoire. Pour le moment ma collection est assez légère, cela prend du temps de tout faire. Vous me direz, le temps est relatif puisque je peux à loisir observer chaque instant de l’éternité ! Mais je ne choisis que les moments exceptionnels, ceux où il est question de bravoure, de retournement de situation, de suspens ! Moi…je ne vis rien de vraiment exaltant, alors j’admire la vie des autres !De la bravoure ? Racontez-moi donc cette scène !Eh bien, une alliance s’est constituée pour lutter contre un fléau puissant ! Des batailles homériques ont eu lieu, mais un détail avait échappé à leur vigilance, et, alors qu’on pensait que tout était joué…mais si je vous raconte vous allez tenter de rectifier le cours de l’histoire qui est pourtant si passionnante ! Non, non, je ne vais pas gâcher la surprise !N’est-ce pas déjà le cas ? Nous savons ce que va arriver, nous pouvons déjà nous préparer ?

    Le petit homme ricane.

    Vous savez, le temps c’est comme une grande rivière, elle revient toujours dans son lit. Et puis je n’aime pas interférer, ce n’est pas mon rôle. Bien sûr, vous pouvez croire que la découverte de cette caverne est un incident dans le cours des choses, ou bien penser que cela en fait partie. Je ne dirai rien…et il est inutile d’user de magie sur moi, ça ne marcherait pas !Si nous modifions le cours de l’histoire, est-ce que la stèle sera modifiée ? interroge le mage.Ça dépend comment ! Si ça n’a plus d’intérêt je mettrai autre chose ! Mais ce qui serait épique, c’est une issue plus dramatique et imprévisible. Vous voyez, des retournements de situation plus nombreux, plus de morts, une séparation douloureuse, ou la perte d’un être cher qui donne envie de se venger ! Ça serait pas mal aussi ! Mais bon…les pièces se mettent en place pour une nouvelle partie, mais j’ai bien peur qu’on ne retombe exactement sur les mêmes conséquences, liées aux mêmes causes ! Enfin, ne boudons pas notre plaisir, c’est déjà très bien comme ça !Quel détail pourrait rendre l’issue plus intéressante ? demande le mage.Haha, je vous vois venir, dit le petit homme en prenant une pause de réflexion. Vous voulez agir sur le cours de l’histoire pour ne pas mourir ! Ecoutez…je trouverais cela très réjouissant d’assister à un ultime et courageux sacrifice. De mon poste d’observation, croyez que je vais m’en délecter comme à chaque séance !

    Dans un rire étouffé, le petit homme disparaît, ne laissant derrière lui que les murs sombres décorés de gravures anciennes. Le mage tourne la tête vers la stèle. Rien n’a changé : on peut y voir une force gigantesque qui se précipite sur les souverains et les annihile sans qu’ils ne puissent rien y faire. Il leur faudra se préparer pour changer le cours de l’Histoire. Si le petit homme n’a pas menti.

  • Le roi Fermat est adulé de ses sujets. Il règne en maître sur un vaste pays. Il ne semble pas y avoir de limite à ses conquêtes, sinon le temps qu’il doit y consacrer loin de sa demeure, et l’organisation que requiert l’administration des pays conquis. Chacun est dirigé par un gouverneur qui lui rend compte personnellement de la situation financière, sociale et militaire. En dernier recours, il lui arrive d’intervenir pour mettre fin à une révolte, sans faire couler le sang. Sa réputation a traversé les océans.

    Fermat se tient derrière son bureau, dans une vaste pièce richement décorée. Un valet s’approche de lui, craintif et admiratif, pour l’informer qu’un messager vient d’arriver et demande à lui parler. C’est un émissaire d’un pays lointain, qui est porteur d’un message rédigé par son souverain.

    La présence d’un émissaire suscite sa curiosité. S’agit-il d’une demande de vassalisation ou d’une déclaration de guerre ? Ou encore d’une offre de mariage ou d’une coopération marchande de la part d’un roitelet ? Il descend les marches de la tour et se rend dans la salle du trône. Il s’assied et fait entrer le messager.

    Majesté, c’est un honneur de vous rencontrer, le salue-t-il respectueusementSoit accueilli en paix, répond le roi simplement.Je me nomme Philibert, je viens vous porter un message de la part de ma reine, la reine Fathrage, qui règne sur les terres des Conquars.

    Il est tremblant. Le roi l’encourage avec amabilité

    Je suis tout ouï !

    Il lit la lettre à haute voix :

    « Votre majesté. Je vous adresse mes amitiés respectueuses. Votre réputation d’homme sage et puissant a traversé les frontières et il n’est nul monarque qui puisse répondre mieux que vous à la situation dont nous sommes les témoins involontaires. Il y a maintenant six mois de cela, un violent tremblement de terre a ouvert une falaise immense au coeur de notre royaume, déchirant les champs, les routes et déplaçant le flan des montagnes. Une brèche s’est ouverte, menant à une immense caverne.

    Nous avons envoyé une expédition pour l’explorer, à la recherche des métaux précieux que la montagne conservait peut-être en son coeur. Aucun métal ne fut trouvé. L’expédition revint après plusieurs semaines sans la moindre trace d’or, d’argent ou de plomb. Mais le récit des voyageurs fut des plus extraordinaires : une salle gigantesque contenait des plaques de plusieurs dizaines de mètres de haut, rectangulaires et alignées. Manifestement, ils avaient été construits dans une matière inconnue et dans un but précis.

    En s’approchant, l’expédition découvrit que ces stèles étaient recouvertes de fresques. Mais, et c’était là le plus étonnant, les fresques se mouvaient. Rapidement, ils comprirent qu’elles narraient des récits. Des scènes gravées pour toujours qui devaient paraître bien majeures à leurs auteurs pour être représentées de la sorte !

    Il serait long de décrire chaque scène, la plupart n’étaient pas compréhensibles. Toutefois, la dernière ne faisait aucun doute ; elle représentait les maîtres de chaque royaume actuels, alignés en tenue de guerre, l’arme à la main, attendant l’ennemi du haut d’une falaise. Puis l’ennemi apparaissait et les massacrait par les flammes, ainsi que leurs armées impuissantes.

    Peut-être sera-t-il utile de préciser que nous étions, vous et moi, parmi les puissants rois massacrés.

    J’ai dû me rendre moi-même dans les grottes pour constater la véracité du récit. Qu’est-ce que cela signifiait ? Était-ce une sorte de prophétie ? Pour en savoir plus, je fis étudier de près les scènes en question. L’une d’entre elle fut identifiée. Il nous fallut longtemps pour retrouver l’ancienne légende : il s’agissait de l’apparition de Garax dans la ville de Goth qui, selon la légende, avait offert aux hommes l’épée magique de la vie, avant que celle-ci ne disparaisse par les méfaits du temps.

    Nous en sommes venus à la conclusion que les stèles représentent une histoire dont l’issue est proche. Nous vivons à présent dans la crainte. La terreur s’est installée, dans l’attente d’une apocalypse à venir. Aucun érudit n’est en mesure d’y répondre.

    Votre sagesse et votre puissance sont réputées. Je m’incline devant vous pour vous demander votre aide.

    Votre dévouée, la reine Fathrage ».

    Le roi n’a pas montré la moindre réaction pendant la lecture.

    Merci mon brave. Qu’on lui donne le gîte et le couvert ! », ordonne-t-il.

    Le messager ressent une chaleur bienfaisante à ces mots. il s’incline en répondant :

    Merci, votre majesté !

    Le roi s’interroge intérieurement. Il doit décider de la réponse à donner.

    Si piège il y a, il est bien grossier mais plutôt amusant. Ressortir cette ancienne légende oubliée pour appuyer son propos est une manœuvre habile. Demander de l’aide flatte mon orgueil et pourrait endormir ma vigilance. Mais, si elle dit vrai, alors le danger est immense.

    Quelques jours plus tard, le roi a pris une décision et se dirige vers le pays de la reine Fathrage. Accompagné d’une armée et de sa garde rapprochée, il ne craint aucune attaque surprise. Sa réputation le précède. Rares sont les fous qui oseraient s’en prendre à lui et à son peuple. Le chemin est long jusqu’aux portes de la citadelle.

    Il interroge Philibert, qui leur sert de guide, pour en savoir plus sur l’état du royaume et sur les vestiges trouvés au coeur de cette montagne. Il tente de livrer quelques informations complémentaires entendues çà et là.

    Il parait que nos plus grands savants étudient les ruines chaque jour pour y trouver des enseignements sur les bâtisseurs de cette salle. Certains prétendent qu’elle fut creusée il y a plus de mille ans, bien avant la citadelle. Mais la plupart des scènes n’ont aucun sens. On voit ce qu’il s’y passe, mais cela n’explique rien car c’est détaché des autres. Je ne les ai pas vues personnellement, mais l’un des soldats de la reine m’en a décrit plusieurs. La plus ancienne, par exemple, montre un magicien qui monte un chemin, la nuit, en brandissant une épée, puis disparaît. Mais vous verrez par vous-même, Monseigneur.

    Plusieurs jours passent avant que les murs de la citadelle ne se présentent devant les voyageurs. Le messager part au-devant pour prévenir la reine de l’arrivée de son invité, alors que l’armée établit un campement à l’écart. Puis le roi, accompagné de sa garde, se dirige vers les lourdes portes.

    Il y croise des paysans, puis des soldats qui lui font cortège. Les portes s’ouvrent et la reine Fathrage apparaît devant lui et l’accueille chaleureusement. En le recevant ainsi, il sait que la reine lui fait un honneur rare.

    Roi Fermat, merci de vous être déplacé jusqu’à nous. J’espère que votre voyage ne vous a pas semblé trop long. Nous espérions votre venue. Je vous sais gré de l’amitié que vous faites à notre peuple. Je vous invite à me suivre au château.

    Dans la salle du trône, Fermat interroge la reine.

    Nous avons compris le danger que représentent ces gravures, si elles s’avèrent exactes. Je suis venu pour vous aider à combattre la menace qui pourrait apparaitre. Y a-t-il du nouveau depuis le mois dernier ?

    La reine répond sans se formaliser du ton employé.

    Roi Fermat, ensemble nous pourrons clarifier la situation, j’en suis persuadée. Hélas nous n’avons rien trouvé de nouveau, je vous propose de nous rendre dans la grotte dès aujourd’hui.Ne perdons pas de temps. Mais avant cela, je voudrais m’entretenir avec les savants qui l’ont étudiée. Pouvez-vous organiser une entrevue rapidement ?Bien entendu, i...
  • Rien ne pourra compenser l’absence de Gorf.

    Le village est en émoi depuis maintenant vingt jours, depuis qu’il a disparu, laissant chacun dans un désarroi profond. Il savait prodiguer à tous les conseils, les mots, dont nous avions besoin. Il savait encourager les faibles, raisonner les téméraires, rendre sages les impulsifs, réconcilier les ennemis et pardonner les fautifs. Il suffisait de quelques secondes dans ses bras pour retrouver le sens de sa vie et continuer son chemin en harmonie avec soi-même et avec les autres.

    D’aussi loin qu’on s’en souvienne, il avait grandi là, près de la fontaine, sans faire de bruit, comme un miracle offert au village. De sa haute taille, il accueillait chacun avec douceur, sans distinction. Il suffisait de se placer contre lui, entre ses feuillages, et tout reprenait son sens. Nous l’adorions pour le bien qu’il faisait sans rien demander en retour.

    Depuis son départ, le village est en deuil et plus personne ne sait comment affronter l’avenir sereinement. Depuis, les conflits se sont développés et nos dirigeants semblent bien incapables d’y répondre. Les soldats ne parviennent plus à contenir les explosions de colère et de violence du peuple. Les timorés se terrent chez eux de peur des bandes armées qui se constituent. Des femmes éplorées s’allongent près de l’ancienne demeure de Gorf et versent toutes les larmes de leur corps dans des cris d’angoisse. Les enfants restent prostrés et ont perdu le goût des jeux et des rires. Les suicides ne se comptent plus, à tel point qu’une fosse commune a été creusée pour empêcher la survenue des maladies.

    Est-il parti dans un autre village ? A-t-il été capturé ? On cherche les responsables, on accuse les politiciens corrompus, on montre du doigt le moindre étranger qui erre dans les rues, on accuse le royaume de Trouvert, ennemi héréditaire dont l’absence de signes d’existence depuis des générations n’a pas fait disparaître une haine viscérale.

    Surtout, on suspecte Fermat le maudit, l’ancien mage du royaume. Il y a bien des années, il n’avait pas caché sa haine profonde et incompréhensible de notre ami Gorf. Il avait inventé des histoires farfelues pour essayer de nous priver de lui, l’accusant de méfaits dont les détails ne sont pas restés dans la mémoire collective, mais qui démontraient son manque d’empathie et de lucidité. C’est à peine si certains se souviennent encore des mots qu’il prononçait, accusant Gorf de “dévorer l’âme comme nourriture ».

    Il prétendait même que Gorf était une plante géante aux effluves empoisonnées et psychotropes. Quelles balivernes ! Quel fou ! Heureusement, il avait été banni pour de bon. On n’avait plus jamais entendu parler de lui ! Depuis tout ce temps, on l’imaginait certainement mort, quelque part, aveuglé par la haine et la jalousie. Son nom avait été placé dans la liste des mots interdits.

    Récemment, certains érudits ont recommencé à l’évoquer, ce qui a choqué une partie de la population. L’un d’eux a même prétendu qu’il avait survécu à son bannissement. Il le soupçonnait d’être responsable de la disparition de Gorf, par vengeance.

    Depuis sa disparition, le temps a passé et la vie se poursuit malgré tout. Une nouvelle se répand, un matin : le mage Fermat n’est pas mort, il dirige un pays lointain dont l’influence grandit chaque jour. Il semble adulé de ses sujets. Ses conquêtes se font presque sans heurts.

    Il est question d’organiser une expédition pour tirer cela au clair et retrouver Gorf. Mais personne n’a vraiment envie de s’y consacrer. Il semble que notre intérêt pour cette plante était un peu excessif, à bien y réfléchir. Ou bien n’était-ce qu’un rêve ?

  • C’est une planète morte. Sa planète, dont elle était reine, il y des siècles de cela. Depuis, la guerre a ravagé les villages, obscurci le ciel, massacré la faune et la flore. Les rares survivants ont fui, laissant derrière eux le souvenir fané de la grandeur d’autrefois. L’atmosphère est chargée d’une poussière à l’odeur d’acier. La faible lumière grise rappelle les anciens paysages qui mêlaient jadis si bien le vert, le bleu et l’or. Des souvenirs reviennent à sa mémoire, ceux d’un bonheur enfui, d’un peuple heureux et prospère.

    Ils se tiennent devant les ruines de l’ancienne capitale, Eliade. A son sommet resplendissait son palais, d’où elle pouvait admirer les compositions colorées que la nature offrait à son regard. Elle en était la reine et la source. Le spectacle de cette désolation lui poignarde le cœur. Elle manque de trébucher, mais elle est retenue par ses deux libérateurs, dont elle n’a pas lâché les mains.

    Elle leur adresse un sourire triste, puis sans prononcer un mot, se redresse. Son visage est maintenant plus serein. Elle sent sa planète sous ses pieds. Elle rejoint ses mains devant elle. Elle écarte un bras et fait jouer ses doigts quelques instants, en fermant les yeux. Les deux voyageurs restent derrière elle et la regardent sans bouger, sans inquiétude mais avec curiosité.

    De ses doigts surgissent quelques plantes microscopiques qui s’en volent autour d’elle pour former un anneau végétal de plus en plus fourni qui s’étend en direction de la ville. Un chemin verdoyant se crée sous leurs yeux, puis grandit en une forêt naissante de part et d’autre du chemin. Elle rapproche ses mains pour les unir. Elle les tourne, comme si elle pétrissait une terre invisible avant de la relâcher pour la laisser s’envoler, après l’avoir transformée en quelque volatile invisible. L’effet de sa magie se développe, s’étend, se multiplie. Les nuages sont chassés, les forêts repoussent, les lacs se remplissent. Les animaux reviennent à la vie, des oiseaux colorés s’envolent et passent en nuées au-dessus d’eux. La ville retrouve sa forme d’antan alors que la poussière redevient pierre, que les pierres redeviennent murailles, maisons, palais, échoppes.

    Son visage traduit sa joie de redonner ainsi naissance à sa planète. Ses yeux sont brillants, son sourire franc. Elle est la grâce et la beauté. Elle est comme le chef d’orchestre de toute chose, de tout être. La planète entière reprend vie, du nord au sud, de l’est à l’ouest. Les vents soufflent et se mêlent à la matière en mouvement. Les planètes autour s’alignent, les soleils reprennent feu, un univers entier est dans la main de cet être aux pouvoirs fabuleux.

    Les deux voyageurs, pourtant habitués aux merveilles de la magie, sont fascinés et sans voix face à cette renaissance, fruit de la volonté d’Elidée, en parfaite symbiose avec son monde. Tout s’est déroulé comme si chaque atome avait repris sa place. La métamorphose s’achève alors lentement. Les dernières pierres s’installent aux endroits appropriés, les ultimes fleurs poussent sur les balcons des demeures maintenant habitées.

    Ils sont plus de deux mille, de tous âges, de toutes conditions, à sortir maintenant lentement par la porte principale d’Eliade, pour venir à la rencontre de leur reine, de leur déesse, qui les attend sans bouger. Elle les a ramenés à la vie. On entend des rires, des pleurs. Personne ne sait comment réagir devant un tel miracle. Son visage calme et aimable est une inspiration pour chacun. Dans la foule, un homme âgé s’avance. C’est son père. Il lui tend les mains et lui dit doucement :

    Je savais que tu reviendrais, ma fille. Nous avons vécu l’enfer, la mort, la désolation, mais je n’ai jamais douté de toi. Comme je suis heureux de te retrouver en pleine forme !Papa…, dit-elle en le serrant dans ses bras.

    Derrière elle, les deux voyageurs ont regardé la scène sans intervenir. A vrai dire, personne ne s’inquiète de ces inconnus. Ils ont été témoins d’une résurrection : celle d’une planète et de ses habitants. Après quelques minutes, la déesse s’adresse à eux en les désignant.

    Chers amis, je dois vous présenter ceux qui m’ont sauvée. Sans eux, je ne serais pas là. J’ignore encore comment ils ont réussi à me délivrer du piège où j’étais retenue prisonnière. Croyez-le, nous vous serons redevables éternellement. Vous pouvez exiger de nous ce qu’il vous plaira.

    La fille lui répond en premier.

    Merci, votre majesté. En premier lieu, nous ne sommes pas contre quelques récompenses pécuniaires, comme juste rétribution de notre travail acharné pour vous délivrer.

    La demande ne semble pas surprendre la reine, qui hoche de la tête en signe d’approbation. Le mage prend ensuite la parole.

    Majesté, nos cœurs s’emplissent de joie devant le spectacle de ce bonheur retrouvé. Vous méritez maintenant, avec votre peuple, de vivre dans la quiétude et la sérénité. Cependant, nous avons une autre requête. Nous avons une guerre à mener.
  • Gaxzer se redresse. Il sent une présence derrière lui. Il se retourne et découvre les deux voyageurs, à sa grande stupéfaction. Il balbutie.

    Mais…comment avez-vous pu entrer, c’est impossible.Vous seriez surpris de découvrir ce dont nous sommes capables. Maintenant, écartez-vous, c’est un conseil, lui répond Axelle.Sortez d’ici !

    Puis il sort de sa poche un cercle de métal qu’il place à sa main. Un rayon vif projette l’homme et la fille contre le mur. Randt se redresse péniblement, regrettant de n’avoir pas fait feu le premier. Quand le secrétaire renouvelle son geste, il tend la main et interrompt le halo. Le secrétaire devine qu’il est face à plus fort que lui.

    Attendez, je ne sais pas ce que vous voulez, mais cette créature est dangereuse. Nous sommes parvenus à la rendre inoffensive et à en tirer le meilleur, mais son passé est rempli de drames, de massacres.

    Randt lui répond calmement, en prenant tout son temps.

    Vous l’avez enfermée depuis des centaines d’années pour exploiter sa magie, par peur de l’inconnu. Vous ne savez toujours rien sur elle. Elle est bien plus qu’une déesse pour le monde d’où elle vient. Nous sommes venus la libérer.Non, je ne vous laisserai pas ! Qu’est-ce que vous croyez ? Que votre misérable petite quête est connue de vous seuls ? Il est en ce monde des forces qui vous dépassent, bien plus terribles que cette petite prophétie qui vous sert de guide. Je vais vous donner un aperçu !

    Son regard devient plus clair, ses yeux changent progressivement de couleur, ses cheveux deviennent de plus en plus raides et se transforment en pics, durs comme l’acier. Ses yeux rougissent et son visage s’étend à mesure que sa voix est altérée. Derrière le secrétaire zélé se cache un monstre d’une nature inconnue. De ces mains tordues et grises sortent des filaments qui se répandent par dizaines autour de lui et grandissent en direction des voyageurs. Axelle en brise plusieurs avec sa lance, mais l’un d’eux atteint sa jambe, ce qui la paralyse et la fait chuter.

    L’homme se protège par la force de son esprit, les filaments s’usent à essayer de traverser une cloison invisible. Le secrétaire fait un pas vers Axelle, sort un large couteau et tente de lui transpercer le cœur. Randt lance un poinçon en pleine gorge, d’où le sang noir commence à couler. Mais, ce faisant, il a laissé passer un des filaments dont le contact le paralyse à son tour. Gaxzer pousse un rire de soulagement.

    Imbéciles, vous avez vu juste, la magie qu’elle produit ne profite qu’à moi. Je suis le véritable maître. Je l’ai vaincue jadis comme je vais vous abattre. Cette femme était puissante, mais je l’ai dominée malgré tout !

    Il serre fermement son couteau et tranche la gorge de Randt, sans défense. Voyant le sang rouge se répandre, le secrétaire pousse un cri de joie. Il se retourne et découvre la fille qui s’est levée brusquement, comme si le poison des filaments n’avait plus aucun effet sur elle. D’un geste vif, elle scinde le monstre en deux. Sa lance pénètre dans le crâne et descend jusqu’à terre. Les deux yeux terrifiés de Gaxzer s’écartent, emportés chacun par une moitié de corps de chaque côté.

    Elle se précipite vers Randt, qui agonise.

    Ah non, je ne vais pas retourner te chercher !

    Elle cherche dans la poche de sa tunique une poignée de fleurs séchées qu’elle projette en prononçant quelques mots magiques. Une lumière douce parcourt les fleurs en lévitation puis vient recouvrir le magicien. Il ouvre les yeux et se racle la gorge. « Merci », dit-il sobrement. Il se relève, au milieu des filaments sans vie et enjambe les deux restes du secrétaire. Il s’approche du sarcophage.

    Elidée…dit-il pensivement. Comment allons-nous l’ouvrir ? Il est protégé par un sort inaltérable, créé pour ne jamais la laisser partir.Il est une matière qui dévore toute substance métallique, dont j’ai la maîtrise : les pluies d’acide de Kervea, que j’ai prévu de prendre avec moi ! Le sarcophage n’est pas clos par magie, mais par une serrure invisible qui, elle, s’enclenche par magie. Si je dépose quelques gouttes au bon endroit, cela provoquera une rupture suffisante.

    Il fait tomber quelques gouttes. La matière qui constitue le sarcophage, réputée incassable, s’effrite sous l’action du liquide qui creuse toujours plus profondément. Un bruit de ferraille tordue retentit. Le couvercle du sarcophage s’ouvre, laissant apparaître une femme au teint blanc, vêtue de voiles qui recouvrent sa frêle silhouette.

    Ses cheveux sont noirs et ses yeux marrons. Son visage est fin, trop fin pour être vraiment beau, mais il émane d’elle une douceur simple et fascinante. Elle se redresse et les fixe du regard. Elle semble chercher ses mots. Axelle lui adresse un sourire : « Vous êtes libre. » dit-elle simplement.

    Des larmes surgissent de ces yeux couleur de terre, alors qu’elle sourit. Autour d’elle, la pièce rayonne et tremble. Elle devient l’extension de son âme, puis la maison, la ville autour d’eux et bientôt la planète entière. Elle se lève, marche vers eux sans s’attarder sur les traces du combat, prend dans une main celle de l’homme et dans l’autre celle de la fille. La grâce l’accompagne à chaque pas.

    Vous m’avez sauvée, je vous suis redevable à tout jamais. Depuis combien de temps suis-je ici ?Je l’ignore. Un temps infini. Venez, il faut partir au plus vite. La magie qui protège ce lieu s’évanouira progressivement. Je doute que les Golèmes apprécient notre intervention.Et où m’emmenez-vous ?

    Axelle lui serre la main un peu plus fort.

    Là où vous êtes attendue depuis très longtemps.
  • La Mapurna est la déesse des Golèmes. Nul ne sait vraiment ce qu’elle est, car nul ne peut la rencontrer. Toutes les prières lui sont adressées. Sa seule évocation met fin aux guerres, aux doutes, aux craintes. Selon la légende, elle apaise, rend les terres fertiles, guérit les blessures, fait croître les plantations et, surtout, fournit l’eau du ciel. Le monde entier repose sur son existence et sa bienveillance. Elle a rédigé il y a fort longtemps des règles que personne n’oserait contester, comme celle qui interdit le meurtre et les guerres fratricides. Ce n’est pas une divinité abstraite, utilisée pour contraindre les peuples dans la peur d’une colère destructrice ou dans l’espoir d’une vie éternelle. Elle vit dans une ville sacrée, dans une demeure entourée d’un halo opaque, protégée jour et nuit. Elle ne ressemble pas aux Golèmes. Sa beauté est légendaire et éternelle. De nombreux récits narrent son histoire, son apparition il y a des millénaires, ses bienfaits et sa magie. Elle est une légende vivante et la source de chaque existence.

    Jukall fait un pas en arrière.

    La Mapurna ? Personne n’a le droit de la rencontrer. Je peux lui faire porter un mot, mais vous serez éventrés avant d’avoir pu prononcer une syllabe, avant d’avoir pu entrer dans le temple. Ses gardiens la protègent de la souillure des mortels, depuis la nuit des temps. Je suis navré, je ne pourrai pas faire mieux.Merci, un simple mot nous suffira dans ce cas. En attendant, nous serions reconnaissant que vous nous accordiez l’hospitalité. Je devine que votre victoire va provoquer beaucoup de remous pour vous et votre famille. Vous serez peu disponible. Avec un laisser-passer de votre part, nous n’aurons plus à vous solliciter.

    Les Golèmes ont maintenant quitté l’arène pour retrouver leurs villages, leurs familles. Les demeures aux toits arrondis et aux étroites fenêtres s’étalent sur des kilomètres autour d’une grande place unique flanquée d’un haut beffroi. Une habitation a été généreusement affectée aux deux voyageurs. Le long d’une rue de sable et de terre, ils découvrent une vaste maison composée de plusieurs chambres, d’un lieu de vie et d’une cuisine. C’est visiblement un lieu réservé aux hôtes de marque, de passage. Ils ont été invités à rester aussi longtemps qu’ils le souhaitaient. Après des jours de voyages épuisants, après les combats et les dernières épreuves, après la révélation dans la fosse commune, ils arrivent enfin dans un endroit qui leur semble paisible et où ils vont pouvoir enfin reprendre des forces.

    Au matin, ils reçoivent la visite d’un personnage qui se présente comme le prêtre de la Mapurna. Il est accompagné de plusieurs gardes. Sa tenue, richement décorée, et l’intérêt des badauds qui regardent la scène avec curiosité, traduisent l’importance de ce personnage dans la société Golème. Ils le font entrer et s’installent dans la pièce de vie à la faible lumière. Il prend la parole :

    Notre nouvelle autorité m’a informé que vous souhaitiez faire parvenir un message à notre Déesse, que j’ai l’honneur de représenter. Je suis Gaxzer, le Grand Secrétaire. Comme vous le savez, sa pureté est préservée de tous pour maintenir intacte sa divinité. Par exception, il est parfois possible, en effet, de communiquer quelques informations, tant que cela ne vient pas troubler sa méditation qui nous assure le bonheur de tous. Et moi seul ai les accréditations pour entrer en contact avec elle. Dans le cas présent, je dois dire que je suis surpris de votre requête. Surtout venant d’étrangers dont les intentions sont…comment dire…imprécises. Vous êtes des guerriers, n’est-ce pas ? Qu’est-ce qui vous amène donc par ici ? D’où venez-vous ?Oui, Grand Secrétaire, répond Randt, nous sommes des mages et des guerriers. Nous venons du pays de Palomeni, qui est très loin d’ici. Nous savons à quel point votre déesse est sacrée, mais elle est la seule à pouvoir nous aider. La réputation de sa sagesse a traversé les mondes. Nous avons accompli ce grand voyage dans un seul dessein : découvrir comment lutter contre la sécheresse de notre océan, qui, jour après jour, se vide et transforme les champs en désert. Votre pays était un désert. Vous en avez fait une contrée fertile. C’est en désespoir de cause que nous avons accompli ce voyage. Nous ne souhaitons pas importuner votre Déesse mais serions très reconnaissants qu’elle nous accorde un peu de son temps.Je ne connais pas de…Palomeni, ce doit être vraiment très loin…Bien, nous ne vous laisserons pas dans cette difficulté sans vous aider autant que nous le pourrons. Je vous ferai connaître sa réponse, le cas échéant.

    Puis il prend congé rapidement, comme pressé par un autre rendez-vous plus important.

    Le soir est maintenant tombé. Randt est attablé et écrit dans un carnet le récit des jours récents, tandis qu’Axelle prépare ses armes. Tout est immobile, sauf les ombres qui s’agitent au gré des mouvements de flammes dans la cheminée. Le crépitement du feu s’amplifie et la lumière commence à devenir plus forte. L’homme lève la tête lentement puis place son carnet dans sa poche. La fille range ses armes sur son dos et se dresse également. Soudain, une explosion éclate à la porte, projetant les deux voyageurs contre le mur.

    Une dizaine de soldats, l’arme à la main, entrent dans la pièce et se précipitent sur la fille devant eux. Elle esquive les coups et parvient à se réfugier dans une pièce au fond. L’un des gardes clame « Il est où ? ». Randt apparaît devant eux et ordonne calmement « Abaissez vos armes et tout se passera bien ».

    Sans attendre la fin de sa phrase, le plus hardi tente de le frapper avec une lance de métal mais il ne l’atteint pas. Le vieil homme s’est écarté trop rapidement et prend le temps de leur dire « Pauvres fous ! ». A leurs pieds, trois têtes roulent sur le sol. « Messieurs, il faut toujours obéir à un puissant mage », dit Axelle, qui vient de faire usage de sa lame sur des soldats lancés à sa poursuite. Le mage lève un bras et les gardes face à lui perdent soudain la vue, victime d’un puissant sortilège. Pris de panique, ils donnent des coups de lance devant eux au hasard, s’étripent mutuellement avant de s’écrouler de douleur.

    Un garde essaie de s’enfuir. La fille poursuit le fugitif et lui assène un coup fatal sur le crâne. Il s’écroule aussitôt. Les deux gardes survivants lâchent leurs armes et font face au mage.

    A quelques lieues de là, le temple de la déesse est un bâtiment rectangulaire à l’architecture sobre et solide. Il est entouré d’un haut mur protecteur et d’un halo magique impénétrable, gardé par une armée d’élite. Plusieurs bâtiments autour hébergent l’armée, les prêtres et l’intendance.

    Deux gardent arrivent en courant et s’adressent à l’officier devant le portail.

    Nous revenons d’une mission spéciale, nous devons voir Gaxzer au plus vite.

    Celui-ci sort de son logement avec hâte. Il attendait avec anxiété le résultat de l’expédition. Le garde lui fait son rapport.

    Les deux étrangers sont morts, mais les pertes ont été importantes, nous sommes les seuls survivants.

    Le secrétaire fait un pas en arrière, pris de panique, et commande aussitôt à l’officier.

    Tuez-les, tout de suite !Mais ! Tente de contester l’un d’entre eux, effrayé par l’ordre donné.

    Les autres gardes saisissent leurs armes et tirent sur eux. Ils sont criblés de balles et s’effondrent. Surpris de l’absence de réaction, Gaxzer reste un moment interloqué, ne sachant comment réagir, alors que les gardes attendent une explication. Il prend le temps de la réflexion, scrute autour de la maison, observe le halo protecteur et, considérant que le danger est écarté, reprend avec confiance.

    Débarrassez-moi d’eux et informez-moi de tout mouvement suspect. V...
  • Les deux voyageurs se tiennent debout face à la fosse commune dans laquelle ils avaient été jetés. Ils regardent les membres décharnés des cadavres qui formaient leur lit quelques minutes auparavant. L’odeur de la mort rampe encore sur leurs vêtements. Ils reviennent d’un voyage dont personne n’est jamais revenu. Ils sont changés, métamorphosés. Ils détiennent à présent une force qui dépasse l’entendement, une clé qui leur ouvre des portes inconnues.

    Par leur volonté commune, les voyageurs qui traversaient jusqu’à montagnes et océans ont la faculté de franchir des paysages que rien ne saurait décrire. Ils se regardent fixement. Pour la première fois depuis longtemps, l’homme au visage long, blessé par le temps, aux yeux froids et perçants, esquisse un sourire de contentement. La fille au visage dur et inaltérable lui rend sa joie dans un regard d’acier.

    Elle tient fermement sa lance, arme désuète dont les soldats n’ont pas voulu. Elle pose sa main sur son épaule. Il fait de même et, dans un éclair, les voyageurs disparaissent, laissant le cimetière à son silence persistant.

    Ils réapparaissent dans un paysage désertique, sous un soleil de plomb. La lumière vive et soudaine les aveugle. Il inspecte les environs. Des montagnes rocheuses, un sol de sable et de poussière orange, où rien ne semble pouvoir pousser. Un vent faible mais constant amène à leurs oreilles des sons d’abord difficiles à distinguer, puis de plus en plus clairs. Il s’agit des cris d’une foule. Ils marchent en direction des voix, et, du haut du rocher où ils se cachent, ils découvrent en contrebas une foule de créatures regroupées autour d’une arène où deux d’entre eux se battent violemment.

    Les Golèmes, les créatures qui peuplent cette planète. Gigantesques, puissants, qui portent la bravoure en religion. Ainsi, ils existent vraiment !

    Personne, depuis des siècles, n’avait pu traverser ce portail. Ils sont plus que des voyageurs, mais des explorateurs, dotés de pouvoirs exceptionnels. Ils se doivent de rester lucides sur leur objectif et leur situation. Ils n’appartiennent pas à ce monde, ils viennent le dérober.

    Tout ce que nous savons d’eux c’est leur sens de l’honneur, leur force et leur façon de faire la guerre. Mais nous sommes certainement loin de tout connaître. Les rares parchemins que nous avons parcourus n’en évoquaient que quelques traits.

    Ils sortent de leur cachette et se dirigent vers eux. Une créature les aperçoit et prévient la masse de guerriers excités par l’affrontement des gladiateurs. Le combat cesse aussitôt. Ils se précipitent autour d’eux, produisant par leur mouvement une poussière dense. Ils ne semblent pas gênés par la matière flottante. Ils leurs grognent dessus quelques mots qui ressemblent à des questions ou des insultes. Il leur suffirait d’un mouvement pour écraser ces humains imprudents, mais leur curiosité l’emporte.

    Randt s’adresse à eux.

    Nous sommes deux étrangers sans intention belliqueuse. En conséquence, celui qui nous tuerait, alors que nous sommes plus faibles que lui, verrait son honneur sali à tout jamais.

    Les Golèmes s’agitent devant les mots plein de bon sens de la créature inconnue.

    Etrangers, vous ne connaissez rien à notre culture. Ce combat que vous avez gêné est celui qui oppose deux tribus. Celui qui emporte plus de dix combats de suite deviendra l’autorité des deux tribus. L’interrompre comme vous l’avez fait est un affront. Vous devez être puni, à moins que vous ne trouviez un moyen de payer. Qu’avez-vous à nous offrir ? lui répond Jukall, un autochtone qui semble plus posé que les autres.

    Les voyageurs restent impassibles devant les menaces du monstre. Tardant à répondre, Randt reçoit un coup au thorax, qui le met à terre. Axelle se prépare à user de son sabre pour décapiter le plus de créatures qu’elle le pourra. Elle se met en position, prête à attaquer.

    Le magicien, au sol, lève la main vers elle.

    Attends, c’était juste une pichenette. S’il avait voulu me tuer ce serait déjà fait.

    Il se relève et prend la parole.

    Vous nous voyez navrés de cette intrusion. Nous avons besoin de votre aide. Pour cela je demande la permission de contribuer à vos combats.

    Les monstres éclatent d’un rire bruyant.

    Bien sûr, ajoute-t-il, je ne suis pas des vôtres et je ne pourrais pas commander vos tribus si je gagnais. Aussi, un champion parmi vous, que je désignerai, luttera pour nous.

    Jukall lui répond.

    Dans ce cas vous avez une chance de vous en sortir, mais je me demande qui voudra bien vous représenter.Mais, c’est vous, car vous pensez être le plus sensé pour diriger, alors que vous n’êtes pas assez fort.

    Jukall sent la colère grandir en lui. Quelle insulte ! Mais il sait aussi que l’homme dit vrai. Rien ne lui permettrait de gagner, sinon l’intervention d’un événement extérieur. L’assurance de l’homme lui laisse penser qu’il y a une opportunité à saisir.

    Soit ! dit Jukall. Cela m’amuse ! Dans ce cas je serai leur champion. Si je perds vous serez massacrés, selon les termes de notre accord. Mais si je gagne vous aurez satisfaction. Je suis moi-même partagé sur l’issue que je préfère ! dit-il en riant, accompagné dans son hilarité par les tribus.

    Ils reviennent alors en direction de l’arène. Le combattant actuel, dans le camp opposé, en était déjà à cinq victoires. Encore cinq et il prenait le pouvoir pour un an. L’arrivée de ce nouveau combattant, moins fort et moins entraîné, ne l’inquiète pas et il se replace au centre du cirque, attendant de pied ferme le nouvel adversaire. Randt parle en privé à Jukall.

    Votre décision était pleine de bon sens, vous avez compris que vous aviez un avantage imprévu. Nous avons donc un intérêt commun à présent. Je vais vous aider à décupler vos forces.

    Axelle s’approche du Golème, ferme les yeux et, en un instant, devient transparente. Elle se fond dans la masse imposante de la créature où elle disparaît entièrement.

    Cher ami, vous allez vivre l’expérience de l’expansion. Ce que vous avez de mieux sera décuplé. Profitez-en.

    Sa capacité d’analyse est meilleure. Il se sent beaucoup plus fort et agile. Il perçoit immédiatement que son combattant a un point faible. Sans attendre, il s’approche de lui, esquive un coup prévisible, frappe son genou. Il est à terre. Il pose le pied sur lui, ce qui signifie la fin du combat. Les Golèmes respectent trop la vie de leurs congénères pour s’autoriser à tuer. La soumission est le signe de la victoire.

    Les spectateurs sont abasourdis. Ils croient à un coup de chance. Une tribu concurrente envoie un autre adversaire se mesurer à Jukall, plus rapide, plus fort. Il se jette sur lui et le frappe à plusieurs reprises. Au troisième coup identique, Jukall lui attrape le poing et appuie fort sur quelques phalanges au point de lui briser la main. Il applique la même méthode au second poing. Le champion s’enfuit avant de recevoir le moindre coup.

    Les combattants se suivent et, les uns après les autres, sont mis à terre par Jukall, qui tire une pleine satisfaction de son nouveau pouvoir. Arrive le dernier, une masse de muscles dépassant Jukall d’une tête. Alors qu’il lève le bras pour l’écraser, il fait un pas de côté et frappe son tibia. Le géant s’effondre et glisse quelques mètres avant de se relever. Il ne voit pas Jukall qui, derrière lui, l’agrippe pour se hisser à son niveau et lui hurle dans l’oreille. Le géant porte alors ses mains à ses oreilles pour tenter de calmer la douleur. Jukall le frappe à la tempe pour le faire tomber et grimpe sur son dos. L’autre se retourne et tente de le frapper de nouveau, mais Jukall saute pour éviter la prise et lui assène un fort co...

  • Randt se tient debout, face au vent. Penché pour lui faire face, il avance difficilement. Ses cheveux tourbillonnent au gré des couleurs changeantes. Ses mèches grises se mêlent à l’orange, au vert et au bleu d’un décor incertain qui semble fondre sur lui. Ce n’est plus un vent qui s’abat, c’est le monde qui l’entoure qui le presse en sens contraire.

    S’il change de direction, le vent s’oppose encore et toujours à lui. L’espace est infranchissable. Tout mouvement se paye d’un effort immense. Il essaie de bouger sur sa gauche, puis sur sa droite. Un déferlement de couleurs et de formes le freine imparablement. Au milieu du souffle assourdissant il croit percevoir une voix qui l’appelle et qui lui demande : « Que fais-tu ? ».

    En effet, il ne s’était pas posé la question de sa présence en ce lieu. Comment est-il arrivé et où est-il ? Il lui semble que sa lutte dure depuis des années. Il avance péniblement dans un paysage constant où rien n’est réel. Il y a longtemps, dans une autre vie, qui était-il ? Un homme ? Il regarde ses mains placées devant lui pour ouvrir un chemin dans la matière vivante. Que pouvait-il faire de ces mains ? «…tes mains ! », lui crie la voix. Que sont mes mains, sinon l’arme pour me protéger, pour résister au vent ? Il ferme les poings comme pour asséner un coup contre un adversaire invisible et reprend sa marche de plus belle.

    « Frappe ! » lui ordonne la voix. Il s’exécute, sans y réfléchir, comme pour mettre à terre un ennemi invisible devant lui, en se projetant de tout son poids. Il retombe lourdement sur le sol. Le vent a disparu, les couleurs ont changé. Il aperçoit devant lui un désert sans fin et des milliers de pierres disposées à égale distance, comme des légumes inertes qu’on aurait répartis pour mieux les faire pousser. Elles se ressemblent mais elles ont une forme légèrement différente.

    Il regarde autour de lui mais rien n’apparaît à l’horizon, nulle montagne, colline ou arbre. Au-dessus, en revanche, il distingue un trou dans le ciel. Une sortie ? Sans plus réfléchir, il soulève une pierre et la place sur celle située à sa droite. A sa grande surprise, les deux pierres coïncident et fusionnent au moment où il la pose. Il prend une autre pierre et l’ajoute au bloc constitué, ce qui produit le même effet. Pierre après pierre, comme dans un puzzle géant, il construit. Étage après étage, il bâtit les escaliers, les voûtes, le plancher. Des jours, des années passent dans la construction d’une tour géante qui monte jusqu’au ciel. Il ne se repose jamais. Des millions de bloc de pierre s’agglomèrent verticalement, en direction de l’issue possible de ce monde infernal. Vient alors le jour où la dernière pierre est placée au sommet. Rien ne se passe. Il s’interroge. A-t-il bien construit cette tour ? Elle semble finie, solide et stable. La sortie est là, à quelques mètres au-dessus de lui, il en est sûr ! A moins que ce ne soit encore un jeu cruel, comme l’était le vent infranchissable, il y a un millénaire de cela.

    [Musique : Tes mains]

    Il se souvient de la voix qu’il entendait alors : « tes mains ! », disait-elle. Au sommet de la tour, il regarde au-dessus de lui. Il saute sur place en cherchant à atteindre le passage entre les nuages. Il ouvre les bras en grand et ferme les yeux. Il tend les bras vers le ciel et se laisse tomber sans résistance. il sent alors d’autres mains contre les siennes. Fermes mais plus douces et fines, qui les saisissent. Tiré vers le haut, il a le sentiment de s’envoler.

    L’odeur des corps en décomposition le frappe en premier. La nuit l’entoure et les membres mous des morts font comme un matelas profond. Dans le silence du cimetière il entend la voix d’Axelle : « Alors, on revient de loin ? ».