Episodi


  • « Qui veut travailler dans ces conditions ? Eux ils travaillent comme des esclaves, et toi tu veux travailler comme un être humain ! »
    Lucía, travailleuse équatorienne.

    Plaine de la Crau, entre la Camargue et la chaîne des Alpilles. Au moment des récoltes, aux abords des exploitations et dans les villages environnants, on croise la présence discrète mais massive de centaines d’Equatorien.nes, Sénégalais.es, Marocain.es. Ici, entre Arles, Marseille et Avignon, s'étend une des plus grosses enclaves agro-industrielles d'Europe.
    C’est là que pousse le gros de la production maraîchère et fruitière française. 150.000 hectares, soit l’équivalent de 224 285 terrains de foot : une poule aux œufs d’or qui rapporte 950 millions d’euros par an. Des fruits et des légumes par milliers de tonnes, plantés, entretenus et ramassés par plus de 5000 travailleurs.ses étranger.es, recruté.es chaque année directement en Andalousie.
    « Les ouvriers, ils les appellent des ‘’packs’’. Un pack, c'est une unité. Dix packs arrivent ce soir, dix autres repartent demain matin… »
    Emmanuelle Hellio, sociologue.

    Profitant de la législation sur le travail détaché au sein de l’UE, des entreprises se sont spécialisées dans le déplacement de travailleur.ses, “mis à disposition” des exploitations agricoles locales. Affrètement des travailleurs par bus depuis l’Espagne, réseau de transport local, hébergements collectifs à proximité des exploitations… C’est toute une logistique qui est mise en place.
    Terra Fecundis, agence d’intérim pionnière en la matière, est dans le viseur de l’inspection du travail depuis une dizaine d’années. En 2015, l'Office central de lutte contre le travail illégal du ministère de l’Intérieur produit un rapport qui décrit de manière minutieuse l’organisation de l'entreprise de détachement. On y apprend l’organisation mafieuse, la fraude au détachement, la fraude à la Sécurité Sociale française en bande organisée à hauteur de 112 millions d’euros. Les fondateurs ont bien compris les rouages de la loi et se sont engouffrés dans les failles du droit européen pour dégager plusieurs dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires chaque année.

    « Tu vois comment on était entassé dans les chambres ? On était à 6 ou 7 lits. Pas d'hygiène, la nourriture par terre, l'eau pas recommandée. Il faut se lever de très bonne heure et faire des kilomètres pour aller rejoindre les champs.”
    El Hajji, travailleur sénégalais.

    Les scandales sont nombreux, anciens et trop peu racontés. Dans les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse, les agriculteurs ont massivement recours à ces travailleur.euse.s. Certains d’entre eux, poids lourds de l’économie agricole locale, dépendent entièrement de cette main-d’œuvre. Les conditions de travail abusives, les mauvais traitements et la fraude sont légion. Malgré quelques rares procès intentés par des travailleur.ses, ces entreprises continuent d’agir en toute impunité, dans un environnement hostile et agressif. Celles et ceux qui s’obstinent à y mettre leur nez font face à des menaces, voire à de la violence physique.

    NB : L’extrait qui ouvre ce documentaire radiophonique nous a été confié par l’équipe d’Envoyé Spécial, agressée lors du tournage de son reportage “Les travailleurs de l’ombre”, diffusé le 7 janvier 2021 sur France 2.


  • En juillet 2011, Elio Maldonado, ouvrier équatorien de 32 ans, perd connaissance dans un champ de melons. Laissé au sol sans secours pendant plusieurs heures, il meurt à l’hôpital quelques jours plus tard. Au procès, plusieurs témoignages racontent comment, ce jour-là, les travailleur.ses n’avaient pas eu accès à l’eau. C’est en partie son décès qui attirera l’attention de la justice française : une enquête de grande envergure est déclenchée, elle durera près de dix ans. Il aura donc fallu qu'un travailleur meurt de soif pour que la justice se penche sérieusement sur le sujet.

    “Mon frère a commencé à avoir des vertiges, à demander de l'eau, et ils ne lui en ont pas donné. ? Ils l’ont abandonné, c’est clair comme de l'eau de roche ! C'est une injustice qui n'a pas de nom.”
    Carmen Maldonado, soeur d’Elio Maldonado.

    Les conditions de travail auxquelles sont exposé.es les ouvrier.es mènent régulièrement à des accidents du travail graves, voire à la mort. Dans un silence assourdissant. Les très rares procès qui sont intentés sont très longs et se déroulent dans une grande indifférence de l’opinion publique. Ils aboutissent la plupart du temps à des impasses, tant les preuves sont difficiles à constituer. Les agriculteurs, eux, sont pris à la gorge par un modèle agricole qui favorise l’agrandissement et la concentration des exploitations et donc le besoin d’une main-d’œuvre docile et disponible à tout instant.
    “Tant que ce système profitera à des gens qui sont capables d’activer des leviers de pouvoir politiques locaux ou nationaux, on aura une exploitation des travailleurs et des travailleuses.”

    Mathias Gaudel, Inspecteur du travail, Syndicat Sud Travail Affaire Sociales.
    Inspecteur.rices du travail intimidé.es, violences contre des journalistes, craintes chez les agriculteurs voisins. Et travailleur.euses réduit.es au silence. Dans ces conditions, la parole des premier-es concerné.es est difficile à recueillir. Pourtant, la situation est connue d'un bout à l'autre du territoire. Un « secret public » que quelques rares relais locaux tentent de mettre à jour, malgré les difficultés et la chape de plomb.

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