Episodi

  • «Mo passé la rivière Taniers/ Rencontré en vieil grand maman » (« En passant la rivière Taniers, j’ai rencontré une vieille femme »)… Ainsi débute cette chanson créole, qui ne lui vient pas de sa grand-mère picarde mais de la nourrice de son grand-père, Yaya, fille d’esclave arrivée à l’île Maurice. Dans la cave de la maison varoise où, enfant, il se réfugiait pendant la guerre à l’abri des bombes, sa grand-mère l’entonnait à son tour « pour traverser la guerre ». Voici ce que nous conte J.M.G. Le Clézio dans la sixième des huit nouvelles de son recueil Avers. Et ce souvenir aux échos infinis pourrait bien en être la clé de voûte, tout comme l’avers est le motif principal d’une pièce de monnaie. De Paris au Pérou en passant par le Panama, les méandres du langage sous toutes ses formes (une comptine, un poème, les expressions de Hanné la sourde-muette, le sifflement d’un berger…) irriguent ces pages. Les mots demeurent, voyagent, relient, mots que l’on porte depuis l’enfance, que l’on adresse aux absents, ainsi cet ouvrier immigré qui prononce, comme on prie, le prénom de sa femme restée au pays, Oriya. Avers est un trésor, l’essence d’une vie d’écrivain, le condensé d’un regard sur le monde, sur ces « indésirables » dont Le Clézio vient nous donner des « nouvelles ».


    Une interview de Valérie Marin La Meslée pour Le Point.


    « Avers. Des nouvelles des indésirables », de J.M.G. Le Clézio (Gallimard, 224 p., 19,50 €).


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  • Le grand jour est arrivé : Chantal Thomas est reçue, ce jeudi 16 juin à 15 heures à l'Académie française, au fauteuil de Jean d'Ormesson, par Dany Laferrière, qui nous adresse en avant-première un extrait de son discours, à lire ci-dessous. Voilà un triangle littéraire des plus heureux, profondément relié — outre par l'amour de la langue française – par la gaieté et la sensualité, au présent comme au passé, et une érudition joueuse. Habillée en Chanel « pour la ligne si pure et pour l'événement qu'est de revêtir cet habit extraordinairement bien brodé », et troquant l'épée pour un éventail — « clin d'œil au Japon et à la légèreté » –, l'autrice des Adieux à la reine, prix Fémina il y a vingt ans déjà, et de tant d'autres romans, essais, et récits plus intimes, tel son nouveau livre Journal de nage (éditions du Seuil), se confie dans la « causerie » qu'elle nous a accordée à la veille de la cérémonie, sous la forme ludique d'un abécédaire. Dont voici quelques-unes des entrées.


    A comme Académie, 


    « J'ai commencé à y songer à travers les lettres de Madame du Deffand, et la manière dont ces femmes se passionnaient pour l'Académie, les discours, et je me disais que c'était un peu triste qu'elles ne vivent ces histoires que d'une manière indirecte. Elles ne pouvaient même pas se projeter en pensée d'être, elles, élues à l'Académie française. Et puis les présences de Dany Laferrière, Erik Orsenna, Florence Delay, Danièle Sallenave, ou Barbara Cassin m'ont fait voir l'institution comme un espace contemporain de personnes qui font des choses passionnantes ! »


    B comme Barthes


    À celui dont elle fut l'étudiante, elle doit « le désir explicite d'écrire. Et aussi de ne jamais séparer la recherche intellectuelle de l'émotion ».


    C comme café


    On renvoie à ses livres, Cafés de la mémoire, ou le merveilleux Café vivre.


    D comme dix-huitiémiste


    Historienne spécialiste du XVIIIe, Chantal Thomas sait tout ou presque de Sade, de Casanova et de sa chère Marie-Antoinette qui l'accompagne toujours depuis qu' à partir des pamphlets écrits contre la reine, elle fut frappée par le fait que l'Autrichienne devint « le bouc émissaire, la reine haïssable responsable de tous les maux de la France, par misogynie et xénophobie ».


    et... comme dictionnaire


    Le mot préféré de la grande nageuse ? « Océan »


    L comme Laferrière


    « La fantaisie et la force d'humour des textes de Dany Laferrière ne sont pas antithétiques de ce que représente l'Académie française où l'amitié compte beaucoup. Le rituel, la mémoire et le rapport à l'instant : on veut les deux. C'est une chose qui nous rapproche. »


    N comme New York


    Sa seconde ville : « L'éclair d'un coup de foudre. J'étais partie le lendemain de ma soutenance de thèse, pour un mois, je suis tombée amoureuse d'une femme qui m'a hébergée, que je ne connaissais pas. C'était ça New York. Il y avait l'effervescence musicale, Patty Smith, Lou Reed, et littéraire, Ginsberg... Après le Paris feutré, le séminaire de Barthes comme un salon, j'ai trouvé extraordinaire l'ouverture de Central Park ou d'East Village. »


    O comme d'Ormesson


    Qu'elle a à peine croisé, mais, ne serait-ce que pour écrire son discours d'entrée, entièrement lu : « Ce qui a beaucoup compté pour moi, c'est Au plaisir de Dieu, et comment un héritier direct, par la famille, du XVIIIe siècle était hyper présent dans la vie contemporaine, la manière dont il a su jouer des deux, c'est extraordinaire. Mais ce que j'aime vraiment chez lui, c'est cette façon de faire le choix de la gaieté et d'un rapport sensuel et enthousiaste à la vie. »


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  • Quand il fait triste Bertha chante, paru aux éditions Héloïse d’Ormesson et qui a figuré dans la sélection du prix France Télévisions 2022, est un roman de la vie, même s’il est en forme de tombeau pour une mère disparue trop tôt (72 ans), aux États-Unis, où vivait Bertha. Elle qui ne s’est jamais relevée d’une chute sur les marches de l’église. La mère de l’auteur est une mère courage comme tant d’Haïtiennes, femme noire modeste et travailleuse qui aura quatre enfants de pères différents. Saint-Éloi, né en 1963 dans la petite ville de Cavaillon en Haïti, homonyme de celle du sud de la France, est l’aîné des quatre, fruit d’une union improbable et fugace entre un pharmacien et la jeune Bertha, qui était employée dans sa famille. Choc des classes sociales et une relation père-fils qui tiendra dans la petite enveloppe remise par le premier au second. Une chance, un avenir en vue, dans le quartier, on appelle déjà le petit garçon « docteur », « ingénieur », ou encore « avocat »… Il a la meilleure éducation et le devoir de ne pas décevoir.


    Dans ce roman grandement autobiographique, qui s’ouvre sur les obsèques, ô combien, révélatrices de ce que signifie l’exil, on voit grandir celui qui est avant tout poète, avec notamment Nous ne trahirons pas le poème et autres recueils (éd. Points, 2021), qui était une belle entrée en matière. Il est aussi éditeur, installé à Montréal, et a quitté Haïti en 2001. Tout un faisceau de parcours, et de belles leçons de vie, celle de la mère d’abord, éclairent son livre.


    De passage à Paris pour installer en France le catalogue de sa maison d’édition Mémoire d’encrier (20 ans l’an prochain !), Rodney Saint-Éloi a réagi au micro du Point sur la situation catastrophique de son pays natal. Car l’auteur de Haïti, kenbe la ! (Haïti, redresse-toi !), écrit à la suite du tremblement de terre de 2010 (aux éditions Michel Lafon), avoue avoir « épuisé l’espoir » et renoncé au fantasme de reconstruire Haïti depuis l’exil. Il revient aussi sur ce que l’enquête du New York Times a tout récemment et puissamment médiatisé dans son enquête : la dette que les Haïtiens ont dû payer aux colons pour prix de leur indépendance (1804), bien à l’origine de leur malheur.


    « Je suis très heureux que l’Occident le dise et l’assume : tout le monde en parle, nous le savions… Mais surtout, il n’y a pas que les étrangers, Français et Américains, qui sont responsables : nos élites locales le sont aussi », dit-il, en soulignant que le verbe le plus utilisé en Haïti est « partir ». Il n’en conseille pas moins aux jeunes de ce « pays pourri », comme il le nomme dans son livre, de vivre comme l’un des personnages (vrais) du roman, son grand-père, Tino : « Ne vivez pas trop loin de vos rêves. »


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  • Finaliste du Goncourt, puis  lauréate du Goncourt des lycéens 2020 , Djaïli Amadou Amal est de retour avec Cœur de Sahel, roman qui confirme la voie que l'écrivaine camerounaise, peule et musulmane a tracée : raconter de l'intérieur la condition des femmes de son pays et notamment de la région du Cameroun du Nord dont elle est originaire. Publié par Emmanuelle Collas (l'éditrice, dès 2006, du Prix Nobel de littératureAbdulrazak Gurnah ), qui avait repéré celle qui a reçu le prix Orange du livre en Afrique 2019 pour son troisième roman paru à Yaoundé (Munyal, les larmes de la patience devenu Les Impatientes), Cœur du Sahel embarque de nouveau le lecteur dans la vie secrète des femmes, en l'occurrence celles de la ville natale de l'autrice, Maroua, et cette fois dans un contexte géopolitique actuel.

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  • A l’heure où Les villages de Dieu, son nouveau roman (Mémoire d’encrier), donne la parole à celles et ceux qui vivent dans des quartiers de Port-au-Prince pris en otage par les gangs, et en premier lieu à son héroïne, Célia, retour sur cette causerie réalisée en 2018 : Emmelie Prophète parlait déjà du chaos qui secouait son pays natal dans Un ailleurs à soi. Et de ce désir de tant d’Haïtiens de quitter le pays. Si l'écrivaine a pu vivre quelque temps à l’étranger (en Suisse) elle a choisi de revenir en Haïti où elle vit et travaille, tout en faisant ces aller et retours ailleurs, indispensables. Surtout quand ils sont motivés par une distinction de l’Académie française : le 3 décembre dernier la médaille de lauréate du prix du rayonnement de la langue et de la littérature françaises lui a en effet été remise sous la coupole.

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  • L’Académicien français, haïtiano-québécois et « écrivain japonais » comme chacun sait, vient de publier Sur la route avec Basho (Grasset). C’est le troisième livre dessiné de sa main prodigue et audacieuse : avec ces portraits de Beauvoir ou Anais Nin, ces « citations » de Radiguet par Cocteau (Laferrière reproduisant à sa façon le dessin de l’artiste), un voyage poétique en musique, en enfance, en amour où il chemine à travers le monde et revisite son monde, avec son auteur de haïkus chéri. « Ce n’est pas le moment, nous dit-il, quand Haïti est en train de plonger dans un gouffre, me voilà à faire des dessins et des couleurs et à écrire sur un poète mort il y a des siècles, mais je refuse de plonger, de marquer la tragédie, je crois qu’écrire ce livre est une fenêtre pour les jeunes gens, et qu’il y a besoin d’énergie nouvelle... » Et comme elle jaillit de ces pages ! En attendant les suivantes, déjà, de celui qui s’avoue ici poète : « J’avais pris garde de le dire, pour moi c’était un secret. Je suis un poète des sensations, des émotions, non de la forme. » Un livre à venir dans la collection Points Poésie d’Alain Mabanckou le confirmera bientôt. Dessiné, aussi, bien sûr ! Mais pour l’heure, suivons Laferrière sur la route, avec Bashô.

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  • De ce jeune écrivain sénégalais vivant en France, révélé avec Terre ceinte en 2015 par les éditions Présence africaine et confirmé depuis,  voici un quatrième opus qui comptera dans l'histoire littéraire. La Plus Secrète Mémoire des hommes (figurant dans les premières sélections des prix Goncourt, Médicis et Femina), à la composition complexe mais que son suspense interdit de lâcher, revient sur l'histoire du Malien Yambo Ouologuem, Prix Renaudot 1968 pour Le Devoir de violence, au destin fracassé par une accusation de plagiat.


    On le reconnaît sous la figure de T. C. Elimane, auteur du Labyrinthe de l'inhumain, paru en 1938, devenu introuvable mais qu'une écrivaine sénégalaise remet à son jeune ami Diégane, écrivain africain installé à Paris. Cette lecture est pour lui un choc, et le début d'une enquête incroyable à la Roberto Bolaño sur le destin de son auteur disparu des radars. Diégane épluche tout ce qui a été écrit sur Elimane, tableau passionnant de la réception d'un auteur africain, décrite - d'hier à aujourd'hui - avec une imparable lucidité et beaucoup d'humour ! Tandis que le mystérieux écrivain est pisté jusqu'en Argentine, son passé émerge dans un poignant roman familial. À cette fresque s'ajoute la dimension magique du manuscrit, qui fera des victimes parmi ses critiques… Cri d'amour à la littérature, ce roman brillantissime éclaire l'histoire littéraire africaine comme jamais, et l'on ne s'étonne pas que l'auteur préface un roman méconnu de René Maran, Un homme pareil aux autres (éd. du Typhon) en pointant, cent ans après son Goncourt, le désir « d'être légitime par l'écriture, sans être toujours […] reçu par le prisme racial. »


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  • L’auteur de « Milwaukee Blues » (éd. Sabine Wespieser) est finaliste du prix Goncourt pour ce roman choral autour du destin d’Emmet, jeune Noir américain étouffé sous le genou d’un policier. Depuis bien longtemps, l’écrivain natif de Port-au-Prince (Haïti) vit avec ces thématiques, raconte-t-il, au micro du « Point ». Et rappelle, face au suspense du verdict des prix littéraires (!) qu’il n’écrit pas (encore) de roman d’anticipation. Sans commentaire, donc. Mais avec toutes nos recommandations pour lire « Milwaukee Blues » et découvrir aussi Dalembert le poète – qui clôt notre causerie en poésie – avec « Cantique du balbutiement », son dernier recueil, publié aux éditions Bruno Doucey.

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  • En arrivant pour une causerie au studio parisien du Point, Charif Majdalani porte le calme, songe-t-on, du citoyen de Beyrouth, privilégié, qui peut enfin respirer hors du chaos de sa ville pour quelques semaines à l’étranger dévolues à la promotion de son nouveau roman, Dernière Oasis (à paraître chez Actes Sud, les sept précédents ont paru au Seuil). Ce même jour, le Premier ministre du Liban (nommé après plus d’un an de crise…) s’entretient avec Emmanuel Macron. Que pourra ce gouvernement pour son pays ? Réponse du tac au tac de l’écrivain : « Ils se sont entendus entre eux, cette même oligarchie qui nous gouverne depuis trente ans, je ne vois donc pas ce que ce gouvernement pourra faire puisqu’il a été nommé par ceux-là mêmes qui sont responsables de la crise. »


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