Episodi

  • Corentin lit le poème de Charles Baudelaire, "A une passante"

    "La rue assourdissante autour de moi hurlait.

    Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,

    Une femme passa, d'une main fastueuse

    Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

    Agile et noble, avec sa jambe de statue.

    Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,

    Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,

    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

    Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté

    Dont le regard m'a fait soudainement renaître,

    Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

    Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !

    Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

    Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !"


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  • Anne lit le poème de Renée Vivien, "Absence"

    "Ô Femme au cœur de qui mon triste cœur a cru,

    Je te convoite, ainsi qu’un trésor disparu.

    Je te maudis, mais en t’aimant… Mon cœur bizarre

    Te recherche, Émeraude admirablement rare !

    Que je suis exilée ! Et que pèse le temps,

    Malgré le beau soleil des midis éclatants !

    Retombant chaque soir dans un amer silence,

    Je pleure sur le plus grand des maux : sur l’absence !…"

    Renée Vivien, Dans un coin de violettes, 1910


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  • Alexiane lit le poème de Louise Labé, "Luisant Soleil"

    "Luisant Soleil, que tu es bienheureux

    De voir toujours de t'Amie la face !

    Et toi, sa soeur, qu'Endymion embrasse,

    Tant te repais de miel amoureux !

    Mars voit Vénus ; Mercure aventureux

    De Ciel en Ciel, de lieu en lieu se glace ;

    Et Jupiter remarque en mainte place

    Ses premiers ans plus gais et chaleureux.

    Voilà du Ciel la puissante harmonie,

    Qui les esprits divins ensemble lie ;

    Mais, s'ils avaient ce qu'ils aiment lointain,

    Leur harmonie et ordre irrévocable

    Se tournerait en erreur variable,

    Et comme moi travailleraient en vain."


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  • Sabri récite le poème de Victor Hugo, Demain dès l'aube.

    Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,

    Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.

    J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.

    Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

    Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

    Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

    Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

    Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

    Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,

    Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

    Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe

    Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

    Victor Hugo, extrait du recueil «Les Contemplations» (1856)


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  • Manon lit le poème de Louise Labé, "Je vis, je meurs"

    "Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;

    J’ai chaud extrême en endurant froidure :

    La vie m’est et trop molle et trop dure.

    J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

    Tout à un coup je ris et je larmoie,

    Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;

    Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;

    Tout en un coup je sèche et je verdoie.

    Ainsi Amour inconstamment me mène ;

    Et, quand je pense avoir plus de douleur,

    Sans y penser je me trouve hors de peine.

    Puis, quand je crois ma joie être certaine,

    Et être au haut de mon désiré heur,

    Il me remet en mon premier malheur."

    Louise Labé, Sonnets


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  • Thomas lit le poème de Paul Eluard, "L'Egalité des sexes"

    "Tes yeux sont revenus d’un pays arbitraire

    Où nul n’a jamais su ce que c’est qu’un regard

    Ni connu la beauté des yeux, beauté des pierres,

    Celle des gouttes d’eau, des perles en placards,

    Des pierres nues et sans squelette, ô ma statue.

    Le soleil aveuglant te tient lieu de miroir

    Et s’il semble obéir aux puissance du soir

    C’est que ma tête est close, ô statue abattue

    Par mon amour et par mes ruses de sauvage.

    Mon désir immobile est ton dernier soutien

    Et je t’emporte sans bataille, ô mon image,

    Rompue à ma faiblesse et prise dans mes liens."

    Mourir de ne pas mourir


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  • Manon lit le poème d'Apollinaire, "Ispahan"

    "Pour tes roses

    J'aurais fait

    Un voyage plus long encore

    Ton soleil n'est pas celui

    Qui luit

    Partout ailleurs

    Et tes musiques qui s'accordent avec l'aube

    Sont désormais pour moi

    La mesure de l'art

    D'après leur souvenir

    Je jugerai

    Mes vers les arts

    Plastiques et toi-même

    Visage adoré

    Ispahan aux musiques du matin

    Réveille l'odeur des roses de ses jardins

    J'ai parfumé mon âme

    A la rose

    Pour ma vie entière

    Ispahan grise et aux faïences bleues

    Comme si l'on t'avait

    Faite avec

    Des morceaux de ciel et de terre

    En laissant au milieu

    Un grand trou de lumière

    Cette

    Place carrée Meïdan

    Schah trop

    Grande pour le trop petit nombre

    De petits ânes trottinant

    Et qui savent si joliment

    Braire en regardant

    La barbe rougie au henné

    Du Soleil qui ressemble

    A ces jeunes marchands barbus

    Abrités sous leur ombrelle blanche

    Je suis ici le frère des peupliers

    Reconnaissez beaux peupliers aux fils d'Europe

    Ô mes frères tremblants qui priez en Asie

    Un passant arqué comme une corne d'antilope

    Phonographe

    Patarafes

    La petite échoppe"


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  • Thomas lit le poème de Paul Eluard, "Le plus jeune"

    "Au plafond de la libellule

    Un enfant fou s’est pendu,

    Fixement regarde l’herbe,

    Confiant lève les yeux :

    Le brouillard léger se lèche comme un chat

    Qui se dépouille de ses rêves.

    L’enfant sait que le monde commence à peine :

    Tout est transparent,

    C’est la lune qui est au centre de la terre,

    C’est la verdure qui couvre le ciel

    Et c’est dans les yeux de l’enfant,

    Dans ses yeux sombres et profonds

    Comme les nuits blanches

    Que naît la lumière."

    Capitale de la douleur (Gallimard, 1926)


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  • Philipp lit le poème de François Coppée, "Décembre"

    "Le hibou parmi les décombres

    Hurle, et Décembre va finir ;

    Et le douloureux souvenir

    Sur ton coeur jette encor ses ombres.

    Le vol de ces jours que tu nombres,

    L’aurais-tu voulu retenir ?

    Combien seront, dans l’avenir,

    Brillants et purs ; et combien, sombres ?

    Laisse donc les ans s’épuiser.

    Que de larmes pour un baiser,

    Que d’épines pour une rose !

    Le temps qui s’écoule fait bien ;

    Et mourir ne doit être rien,

    Puisque vivre est si peu de chose."


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  • Margaux lit le poème de Paul Eluard, "Liberté"

    "Sur mes cahiers d’écolier

    Sur mon pupitre et les arbres

    Sur le sable sur la neige

    J’écris ton nom

    Sur toutes les pages lues

    Sur toutes les pages blanches

    Pierre sang papier ou cendre

    J’écris ton nom

    Sur les images dorées

    Sur les armes des guerriers

    Sur la couronne des rois

    J’écris ton nom

    Sur la jungle et le désert

    Sur les nids sur les genêts

    Sur l’écho de mon enfance

    J’écris ton nom

    Sur les merveilles des nuits

    Sur le pain blanc des journées

    Sur les saisons fiancées

    J’écris ton nom

    Sur tous mes chiffons d’azur

    Sur l’étang soleil moisi

    Sur le lac lune vivante

    J’écris ton nom

    Sur les champs sur l’horizon

    Sur les ailes des oiseaux

    Et sur le moulin des ombres

    J’écris ton nom

    Sur chaque bouffée d’aurore

    Sur la mer sur les bateaux

    Sur la montagne démente

    J’écris ton nom

    Sur la mousse des nuages

    Sur les sueurs de l’orage

    Sur la pluie épaisse et fade

    J’écris ton nom

    Sur les formes scintillantes

    Sur les cloches des couleurs

    Sur la vérité physique

    J’écris ton nom

    Sur les sentiers éveillés

    Sur les routes déployées

    Sur les places qui débordent

    J’écris ton nom

    Sur la lampe qui s’allume

    Sur la lampe qui s’éteint

    Sur mes maisons réunies

    J’écris ton nom

    Sur le fruit coupé en deux

    Du miroir et de ma chambre

    Sur mon lit coquille vide

    J’écris ton nom

    Sur mon chien gourmand et tendre

    Sur ses oreilles dressées

    Sur sa patte maladroite

    J’écris ton nom

    Sur le tremplin de ma porte

    Sur les objets familiers

    Sur le flot du feu béni

    J’écris ton nom

    Sur toute chair accordée

    Sur le front de mes amis

    Sur chaque main qui se tend

    J’écris ton nom

    Sur la vitre des surprises

    Sur les lèvres attentives

    Bien au-dessus du silence

    J’écris ton nom

    Sur mes refuges détruits

    Sur mes phares écroulés

    Sur les murs de mon ennui

    J’écris ton nom

    Sur l’absence sans désir

    Sur la solitude nue

    Sur les marches de la mort

    J’écris ton nom

    Sur la santé revenue

    Sur le risque disparu

    Sur l’espoir sans souvenir

    J’écris ton nom

    Et par le pouvoir d’un mot

    Je recommence ma vie

    Je suis né pour te connaître

    Pour te nommer

    Liberté."

    Poésie et vérité 1942 (recueil clandestin)


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  • Thomas lit le poème de Paul Verlaine, "Chanson d'automne"

    "Les sanglots longs

    Des violons

    De l’automne

    Blessent mon coeur

    D’une langueur

    Monotone.

    Tout suffocant

    Et blême, quand

    Sonne l’heure,

    Je me souviens

    Des jours anciens

    Et je pleure

    Et je m’en vais

    Au vent mauvais

    Qui m’emporte

    Deçà, delà,

    Pareil à la

    Feuille morte."

    Paul Verlaine, Poèmes saturniens


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  • Mélanie lit le poème de Mallarmé, "Brise marine"

    "La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.

    Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres

    D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !

    Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux

    Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe

    Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe

    Sur le vide papier que la blancheur défend

    Et ni la jeune femme allaitant son enfant.

    Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,

    Lève l’ancre pour une exotique nature !

    Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,

    Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !

    Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,

    Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages

    Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots …

    Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !"

    Stéphane Mallarmé, Vers et Prose, 1893


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  • Lucie et Isabelle lisent "Chant d'automne", le poème de Charles Baudelaire.

    "I

    Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;

    Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !

    J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres

    Le bois retentissant sur le pavé des cours.

    Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère,

    Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,

    Et, comme le soleil dans son enfer polaire,

    Mon coeur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.

    J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;

    L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.

    Mon esprit est pareil à la tour qui succombe

    Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

    Il me semble, bercé par ce choc monotone,

    Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.

    Pour qui ? – C’était hier l’été ; voici l’automne !

    Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

    II

    J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,

    Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer,

    Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre,

    Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

    Et pourtant aimez-moi, tendre coeur ! soyez mère,

    Même pour un ingrat, même pour un méchant ;

    Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère

    D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.

    Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide !

    Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,

    Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,

    De l’arrière-saison le rayon jaune et doux !"

    Charles Baudelaire, Les fleurs du mal


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  • Alexiane lit "La Terre est bleue", le poème de Paul Eluard

    "La terre est bleue comme une orange

    Jamais une erreur les mots ne mentent pas

    Ils ne vous donnent plus à chanter

    Au tour des baisers de s’entendre

    Les fous et les amours

    Elle sa bouche d’alliance

    Tous les secrets tous les sourires

    Et quels vêtements d’indulgence

    À la croire toute nue.

    Les guêpes fleurissent vert

    L’aube se passe autour du cou

    Un collier de fenêtres

    Des ailes couvrent les feuilles

    Tu as toutes les joies solaires

    Tout le soleil sur la terre

    Sur les chemins de ta beauté."

    Paul Eluard, L'Amour la poésie


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  • Margaux lit "Quantique des colonnes", de Paul Valéry

    Douces colonnes, aux

    Chapeaux garnis de jour,

    Ornés de vrais oiseaux

    Qui marchent sur le tour,

    Douces colonnes, ô

    L’orchestre de fuseaux !

    Chacun immole son

    Silence à l’unisson.

    — Que portez-vous si haut,

    Égales radieuses ?

    — Au désir sans défaut

    Nos grâces studieuses !

    Nous chantons à la fois

    Que nous portons les cieux !

    Ô seule et sage voix

    Qui chantes pour les yeux !

    Vois quels hymnes candides !

    Quelle sonorité

    Nos éléments limpides

    Tirent de la clarté !

    Si froides et dorées

    Nous fûmes de nos lits

    Par le ciseau tirées,

    Pour devenir ces lys !

    De nos lits de cristal

    Nous fûmes éveillées,

    Des griffes de métal

    Nous ont appareillées.

    Pour affronter la lune,

    La lune et le soleil,

    On nous polit chacune

    Comme ongle de l’orteil !

    Servantes sans genoux,

    Sourires sans figures,

    La belle devant nous

    Se sent les jambes pures.

    Pieusement pareilles,

    Le nez sous le bandeau

    Et nos riches oreilles

    Sourdes au blanc fardeau,

    Un temple sur les yeux

    Noirs pour l’éternité,

    Nous allons sans les dieux

    À la divinité !

    Nos antiques jeunesses,

    Chair mate et belles ombres,

    Sont fières des finesses

    Qui naissent par les nombres !

    Filles des nombres d’or,

    Fortes des lois du ciel,

    Sur nous tombe et s’endort

    Un dieu couleur de miel.

    Il dort content, le Jour,

    Que chaque jour offrons

    Sur la table d’amour

    Étale sur nos fronts.

    Incorruptibles sœurs,

    Mi-brûlantes, mi-fraîches,

    Nous prîmes pour danseurs

    Brises et feuilles sèches,

    Et les siècles par dix,

    Et les peuples passés,

    C’est un profond jadis,

    Jadis jamais assez !

    Sous nos mêmes amours

    Plus lourdes que le monde

    Nous traversons les jours

    Comme une pierre l’onde !

    Nous marchons dans le temps

    Et nos corps éclatants

    Ont des pas ineffables

    Qui marquent dans les fables…

    Paul Valéry, Œuvres de Paul Valéry, 1933


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  • Thomas lit "L’aveu de Phèdre à Hippolyte", de Racine

    Ah, cruel ! tu m’as trop entendue !

    Je t’en ai dit assez pour te tirer d’erreur.

    Eh bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur :

    J’aime ! Ne pense pas qu’au moment que je t’aime,

    Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même ;

    Ni que du fol amour qui trouble ma raison

    Ma lâche complaisance ait nourri le poison ;

    Objet infortuné des vengeances célestes,

    Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes.

    Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc

    Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ;

    Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle

    De séduire le cœur d’une faible mortelle.

    Toi-même en ton esprit rappelle le passé :

    C’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chassé ;

    J’ai voulu te paraître odieuse, inhumaine ;

    Pour mieux te résister, j’ai recherché ta haine.

    De quoi m’ont profité mes inutiles soins ?

    Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ;

    Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.

    J’ai langui, j’ai séché dans les feux, dans les larmes :

    Il suffit de tes yeux pour t’en persuader,

    Si tes yeux un moment pouvaient me regarder…

    Que dis-je ? Cet aveu que je te viens de faire,

    Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?

    Tremblante pour un fils que je n’osais trahir,

    Je te venais prier de ne le point haïr :

    Faibles projets d’un cœur trop plein de ce qu’il aime !

    Hélas ! je ne t’ai pu parler que de toi-même !

    Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour :

    Digne fils du héros qui t’a donné le jour,

    Délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.

    La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte !

    Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t’échapper ;

    Voilà mon cœur : c’est là que ta main doit frapper.

    Impatient déjà d’expier son offense,

    Au-devant de ton bras je le sens qui s’avance.

    Frappe : ou si tu le crois indigne de tes coups,

    Si ta haine m’envie un supplice si doux,

    Ou si d’un sang trop vil ta main serait trempée,

    Au défaut de ton bras prête-moi ton épée ;

    Donne.

    Racine, L’aveu de Phèdre à Hippolyte, Phèdre de Racine


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  • Nastasia lit "Ce que dis la bouche d'ombre", de Victor Hugo

    Crois-tu que l’eau du fleuve et les arbres des bois,

    S’ils n’avaient rien à dire, élèveraient la voix ?

    Prends-tu le vent des mers pour un joueur de flûte ?

    Crois-tu que l’océan, qui se gonfle et qui lutte,

    Serait content d’ouvrir sa gueule jour et nuit

    Pour souffler dans le vide une vapeur de bruit, Et qu’il voudrait rugir, sous l’ouragan qui vole,

    Si son rugissement n’était une parole ?

    Crois-tu que le tombeau, d’herbe et de nuit vêtu,

    Ne soit rien qu’un silence ? et te figures-tu

    Que la création profonde, qui compose

    Sa rumeur des frissons du lys et de la rose,

    De la foudre, des flots, des souffles du ciel bleu,

    Ne sait ce qu’elle dit quand elle parle à Dieu ?

    Crois-tu qu’elle ne soit qu’une langue épaissie ?

    Crois-tu que la nature énorme balbutie,

    Et que Dieu se serait, dans son immensité,

    Donné pour tout plaisir, pendant l’éternité,

    D’entendre bégayer une sourde-muette ?

    Non, l’abîme est un prêtre et l’ombre est un poëte ;

    Non, tout est une voix et tout est un parfum ;

    Tout dit dans l’infini quelque chose à quelqu’un ;

    Une pensée emplit le tumulte superbe.

    Dieu n’a pas fait un bruit sans y mêler le verbe.

    Tout, comme toi, gémit ou chante comme moi ;

    Tout parle. Et maintenant, homme, sais-tu pourquoi

    Tout parle ? Écoute bien. C’est que vents, ondes, flammes

    Arbres, roseaux, rochers, tout vit !

    Tout est plein d’âmes.

    Victor Hugo, Les contemplations, 1911


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  • André lit "A travers l'Europe (Calligrammes)" de Guillaume Apollinaire

    Rotsoge

    Ton visage écarlate ton biplan transformable en hydroplan

    Ta maison ronde où il nage un hareng saur

    Il me faut la clef des paupières

    Heureusement que nous avons vu M. Panado

    Et nous sommes tranquilles de ce côté-là

    Qu’est-ce que tu vois mon vieux M. D…

    90 ou 324 un homme en l’air un veau qui regarde à travers le ventre de sa mère

    J’ai cherché longtemps sur les routes

    Tant d’yeux sont clos au bord des routes

    Le vent fait pleurer les saussaies

    Ouvre ouvre ouvre ouvre ouvre

    Regarde mais regarde donc

    Le vieux se lave les pieds dans la cuvette

    Una volta ho inteso dire Chè vuoi

    Je me mis à pleurer en me souvenant de vos enfances

    Et toi tu me montres un violet épouvantable

    Ce petit tableau où il y a une voiture m’a rappelé le jour

    Un jour fait de morceaux mauves jaunes bleus verts et rouges

    Où je m’en allais à la campagne avec une charmante cheminée tenant sa chienne en laisse

    Il n’y en a plus tu n’as plus ton petit mirliton

    La cheminée fume loin de moi des cigarettes russes

    La chienne aboie contre les lilas

    La veilleuse est consumée

    Sur la robe ont chu des pétales

    Deux anneaux d’or près des sandales

    Au soleil se sont allumés

    Mais tes cheveux sont le trolley

    À travers l’Europe vêtue de petits feux multicolores

    Guillaume Apollinaire, Poèmes de la paix et de la guerre, 1918


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  • Timothee lit "L'albatros" de Charles Baudelaire

    Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage

    Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,

    Qui suivent, indolents compagnons de voyage,

    Le navire glissant sur les gouffres amers.A peine les ont-ils déposés sur les planches,

    Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,

    Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches

    Comme des avirons traîner à côté d’eux.

    Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !

    Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !

    L’un agace son bec avec un brûle-gueule,

    L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

    Le Poète est semblable au prince des nuées

    Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;

    Exilé sur le sol au milieu des huées,

    Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

    Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, 1861


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  • Lucas lit "L'abeille", de Paul Valéry

    Quelle, et si fine, et si mortelle,

    Que soit ta pointe, blonde abeille,

    Je n’ai, sur ma tendre corbeille,

    Jeté qu’un songe de dentelle.

    Pique du sein la gourde belle

    Sur qui l’Amour meurt ou sommeille,

    Qu’un peu de moi même vermeille

    Vienne à la chair ronde et rebelle !

    J’ai grand besoin d’un prompt tourment :

    Un mal vif et bien terminé

    Vaut mieux qu’un supplice dormant !

    Soit donc mon sens illuminé

    Par cette infime alerte d’or

    Sans qui l’Amour meurt ou s’endort !

    Paul Valéry, Œuvres de Paul Valéry, 1933


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